Dans les extraits suivants, déterminer quel personnage est rusé.
"Les Obsèques de la Lionne" de La Fontaine
La colère du Roi, comme dit Salomon,
Est terrible, et surtout celle du roi Lion :
Mais ce Cerf n'avait pas accoutumé de lire.
Le Monarque lui dit : Chétif hôte des bois
Tu ris, tu ne suis pas ces gémissantes voix.
Nous n'appliquerons point sur tes membres profanes
Nos sacrés ongles ; venez Loups,
Vengez la Reine, immolez tous
Ce traître à ses augustes mânes.
Le Cerf reprit alors : Sire, le temps de pleurs
Est passé ; la douleur est ici superflue.
Votre digne moitié couchée entre des fleurs,
Tout près d'ici m'est apparue ;
Et je l'ai d'abord reconnue.
Ami, m'a-t-elle dit, garde que ce convoi,
Quand je vais chez les Dieux, ne t'oblige à des larmes.
Aux Champs Elysiens j'ai goûté mille charmes,
Conversant avec ceux qui sont saints comme moi.
Laisse agir quelque temps le désespoir du Roi.
J'y prends plaisir. À peine on eut ouï la chose,
Qu'on se mit à crier : Miracle, apothéose !
Le Cerf eut un présent, bien loin d'être puni.
Les Fourberies de Scapin de Molière.
SCAPIN, (feignant de ne pas voir Géronte) :
Ô Ciel ! Ô disgrâce imprévue ! Ô misérable père ! Pauvre Géronte, que feras-tu ?
GÉRONTE, (à part) :
Que dit-il là de moi, avec ce visage affligé ?
SCAPIN, (même jeu) :
N'y a-t-il personne qui puisse me dire où est le seigneur Géronte ?
GÉRONTE :
Qu'y a-t-il, Scapin ?
SCAPIN, (courant sur le théâtre, sans vouloir entendre ni voir Géronte) :
Où pourrai-je le rencontrer, pour lui dire cette infortune ?
GÉRONTE, (courant après Scapin) :
Qu'est-ce que c'est donc?
SCAPIN, (même jeu) :
En vain je cours de tous côtés pour le pouvoir trouver.
GÉRONTE :
Me voici.
SCAPIN, (même jeu) :
Il faut qu'il soit caché en quelque endroit qu'on ne puisse point deviner.
Roman de Renart
Un jour, Renart s'introduit dans une basse-cour en quête de quelques poules. Celles-ci ont vu la haie remuer et s'en vont gloussantes vers la maison. Chanteclerc le coq les interpelle, il les rassure et s'endort sur le fumier. Renart s'avance tout doucement, tapi au sol, prêt à saisir le coq dans ses crocs. Manquant son coup, le goupil cherche alors à l'enjôler par des paroles flatteuses. Saura-t-il, comme son père Chanteclin, chanter les yeux fermés ?
"Le Loup, la Chèvre et le Chevreau" de La Fontaine
La bique allant remplir sa traînante mamelle,
Et paître l'herbe nouvelle,
Ferma sa porte au loquet,
Non sans dire à son biquet :
"Gardez-vous, sur votre vie,
D'ouvrir que l'on ne vous dit,"
Pour enseigne et mot du guet :
"Foin du loup et de sa race !"
Comme elle disait ces mots,
Le loup de fortune passe ;
Il les recueille à propos,
Et les garde en sa mémoire.
La bique, comme on peut croire,
N'avait pas vu le glouton.
Dès qu'il la voit partie, il contrefait son ton,
Et d'une voix papelarde
Il demande qu'on ouvre en disant : "Foin du loup !"
Et croyant entrer tout d'un coup.
Le biquet soupçonneux par la fente regarde :
"Montrez-moi patte blanche, ou je n'ouvrirai point"
S'écria-t-il d'abord. (Patte blanche est un point
Chez les loups, comme on sait, rarement en usage.)
Celui-ci, fort surpris d'entendre ce langage,
Comme il était venu s'en retourna chez soi.
Où serait le biquet s'il eût ajouté foi
Au mot du guet que de fortune
Notre loup avait entendu ?
Deux sûretés valent mieux qu'une,
Et le trop en cela ne fut jamais perdu.
Le Renard et le Bouc de La Fontaine
Capitaine Renard allait de compagnie
Avec son ami Bouc des plus haut encornés.
Celui-ci ne voyait pas plus loin que son nez ;
L'autre était passé maître en fait de tromperie.
La soif les obligea de descendre en un puits.
Là chacun d'eux se désaltère.
Après qu'abondamment tous deux en eurent pris,
Le Renard dit au Bouc : Que ferons-nous, Compère !
Ce n'est pas tout de boire ; il faut sortir d'ici.
Lève tes pieds en haut, et tes cornes aussi :
Mets-les contre le mur. Le long de ton échine
Je grimperai premièrement ;
Puis sur tes cornes m'élevant,
À l'aide de cette machine,
De ce lieu-ci je sortirai,
Après quoi je t'en tirerai.
Par ma barbe, dit l'autre, il est bon ; et je loue
Les gens bien sensés comme toi.
Je n'aurais jamais, quant à moi,
Trouvé ce secret, je l'avoue.
Le Renard sort du puits, laisse son Compagnon,
Et vous lui fait un beau sermon
Pour l'exhorter à patience.
Si le Ciel t'eût, dit-il, donné par excellence
Autant de jugement que de barbe au menton,
Tu n'aurais pas à la légère
Descendu dans ce puits. Or adieu, j'en suis hors ;
Tâche de t'en tirer, et fais tous tes efforts ;
Car, pour moi, j'ai certaine affaire
Qui ne me permet pas d'arrêter en chemin.
En toute chose il faut considérer la fin.
La Farce de Maître Pathelin
GUILLEMETTE :
Comment a-t-il pu vous le vendre à crédit, lui qui est si dur en affaires ?
PATHELIN :
Eh bien, je vous l'ai accommodé à telle sauce de louange et de flatterie qu'il m'en a presque fait cadeau. Je lui disais que son défunt père était un homme d'une valeur... Je lui disais : "Vraiment, mon ami, vous avez de qui tenir." Je lui disais : "Vous descendez d'une lignée... la meilleure du pays, la plus digne d'éloges..." À vrai dire, c'est d'une famille de canailles qu'il sort, des gens de rien, la pire engeance du royaume. Je lui disais : "Guillaume, mon bon ami, vous ressemblez tout à fait à votre brave homme de père, de corps et de visage." Je n'en finissais plus de lui tresser des couronnes et j'entrelardais le tout de compliments sur ses draps. ]'ajoutais : "Et dire que votre père vendait sa marchandise à crédit, avec tant de gentillesse. Et vous, vous êtes son portrait tout craché." Pourtant, on leur aurait arraché toutes leurs dents, à ce marsouin de père et à son babouin de fils, plutôt qu'une bonne parole, encore moins un prêt. Mais enfin, j'ai tant parlé, je me suis si bien démené, qu'il m'en a prêté six aunes.
GUILLEMETTE :
Prêtées et jamais rendues, évidemment !