Les répliques suivantes sont-elles enchaînées par continuité ou par rupture ?
« ORGON.
Dorine, mon beau-frère, attendez, je vous prie. Vous voulez bien souffrir, pour m'ôter de souci, Que je m'informe un peu des nouvelles d'ici. Tout s'est-il, ces deux jours, passé de bonne sorte ? Qu'est-ce qu'on fait céans ? Comme est-ce qu'on s'y porte ?
DORINE.
Madame eut, avant-hier, la fièvre jusqu'au soir, Avec un mal de tête étrange à concevoir.
ORGON.
Et Tartuffe ?
DORINE.
Tartuffe ? Il se porte à merveille, Gros, et gras, le teint frais, et la bouche vermeille. »
Molière, Tartuffe, Acte I, scène 4, 1669
« ORONTE.
Est-ce qu'à mon sonnet vous trouvez à redire ?
ALCESTE.
Je ne dis pas cela ; mais, pour ne point écrire,
Je lui mettais aux yeux comme, dans notre temps,
Cette soif a gâté de fort honnêtes gens.
ORONTE.
Est-ce que j'écris mal ? Et leur ressemblerais-je ?
ALCESTE.
Je ne dis pas cela ; mais enfin, lui disais-je,
Quel besoin si pressant avez-vous de rimer ?
Et qui diantre vous pousse à vous faire imprimer ? »
Molière, Le Misanthrope, 1666
« CHARLOTTE.
Qu'est-ce que c'est donc que vous veut Mathurine ?
DOM JUAN, bas à Charlotte.
Elle est jalouse de me voir vous parler, et voudrait bien que je l'épousasse ; mais je lui dis que c'est vous que je veux.
MATHURINE.
Quoi ? Charlotte…
DOM JUAN, bas à Mathurine.
Tout ce que vous lui direz sera inutile ; elle s'est mis cela dans la tête.
CHARLOTTE.
Quement donc ! Mathurine…
DOM JUAN, bas à Charlotte.
C'est en vain que vous lui parlerez ; vous ne lui ôterez point cette fantaisie.
MATHURINE.
Est-ce que…?
DOM JUAN, bas à Mathurine.
Il n'y a pas moyen de lui faire entendre raison.
CHARLOTTE.
Je voudrais…
DOM JUAN, bas à Charlotte.
Elle est obstinée comme tous les diables.
MATHURINE.
Vramant…
DOM JUAN, bas à Mathurine.
Ne lui dites rien c'est une folle.
CHARLOTTE.
Je pense…
DOM JUAN, bas à Charlotte.
Laissez-la là, c'est une extravagante.
MATHURINE.
Non, non : il faut que je lui parle.
CHARLOTTE.
Je veux voir un peu ses raisons.
MATHURINE.
Quoi ?
DOM JUAN, bas à Mathurine.
Je gage qu'elle va vous dire que je lui ai promis de l'épouser.
CHARLOTTE.
Je…
DOM JUAN, bas à Charlotte.
Gageons qu'elle vous soutiendra que je lui ai donné parole de la prendre pour femme. »
Molière, Dom Juan, 1665
« TOINETTE, interrompant Argan.
Ah !
ARGAN.
Il y a…
TOINETTE.
Ah !
ARGAN.
Il y a une heure…
TOINETTE.
Ah !
ARGAN.
Tu m'as laissé…
TOINETTE.
Ah !
ARGAN.
Tais-toi donc, coquine, que je te querelle.
TOINETTE.
Çamon, ma foi, j'en suis d'avis, après ce que je me suis fait.
ARGAN.
Tu m'as fait égosiller, carogne.
TOINETTE.
Et vous m'avez fait, vous, casser la tête : l'un vaut bien l'autre. Quitte à quitte, si vous voulez.
ARGAN.
Quoi ! coquine…
TOINETTE.
Si vous querellez, je pleurerai.
ARGAN.
Me laisser, traîtresse…
TOINETTE, interrompant encore Argan.
Ah !
ARGAN.
Chienne ! tu veux…
TOINETTE.
Ah !
ARGAN.
Quoi ! il faudra encore que je n'aie pas le plaisir de la quereller ?
TOINETTE.
Querellez tout votre soûl : je le veux bien.
ARGAN.
Tu m'en empêches, chienne, en m'interrompant à tous coups. »
Molière, Le Malade imaginaire, 1673
« LISETTE.
Tant pis, tant pis, mais voilà une pensée bien hétéroclite !
SILVIA.
C'est une pensée de très bon sens ; volontiers un bel homme est fat, je l'ai remarqué.
LISETTE.
Oh, il a tort d'être fat ; mais il a raison d'être beau.
SILVIA.
On ajoute qu'il est bien fait ; passe.
LISETTE.
Oui-dà, cela est pardonnable.
SILVIA.
De beauté et de bonne mine, je l'en dispense, ce sont là des agréments superflus.
LISETTE.
Vertuchoux ! Si je me marie jamais, ce superflu-là sera mon nécessaire. »
Marivaux, Le Jeu de l'amour et du hasard , 1730