Afrique, 2013, voie L
Vous vous interrogerez en prenant appui sur les textes du corpus, sur les œuvres étudiées en classe, ainsi que sur vos lectures personnelles.
En tant que lecteur, attendez-vous d'un roman qu'il vous présente des personnages qui soient le reflet de ce que vous êtes ou l'image de ce que vous aimeriez être ?
Texte A : Victor Hugo, Les Misérables, quatrième partie, livre troisième, chapitre 5
1862
Jean Valjean, ancien bagnard, a promis à Fantine, sur son lit de mort, de s'occuper de sa fille, Cosette. Elle avait abandonné cette dernière aux Thénardier pour pouvoir gagner sa vie. Valjean reprend la petite fille à ses tortionnaires et l'élève. De nombreuses années plus tard, Cosette semble éclore.
LA ROSE S'APERÇOIT QU'ELLE EST UNE MACHINE DE GUERRE
Un jour Cosette se regarda par hasard dans son miroir et se dit : Tiens ! Il lui semblait presque qu'elle était jolie. Ceci la jeta dans un trouble singulier. Jusqu'à ce moment elle n'avait point songé à sa figure. Elle se voyait dans son miroir, mais elle ne s'y regardait pas. Et puis, on lui avait souvent dit qu'elle était laide, et avait grandi dans cette idée avec la résignation facile de l'enfance. Voici que tout d'un coup son miroir lui disant comme Jean Valjean : Mais non ! Elle ne dormit pas de la nuit. - Si j'étais jolie ? pensait-elle, comme cela serait drôle que je fusse jolie ! - Et elle se rappelait celles de ses compagnes dont la beauté faisait effet dans le couvent, et elle se disait : Comment ! Je serais comme mademoiselle une telle !
Le lendemain elle se regarda, mais non par hasard, et elle douta : - Où avais-je l'esprit ? dit-elle, non, je suis laide. - Elle avait tout simplement mal dormi, elle avait les yeux battus et elle était pâle. Elle ne s'était pas sentie très joyeuse la veille de croire à sa beauté, mais elle fut triste de n'y plus croire. Elle ne se regarda plus, et pendant plus de quinze jours elle tâcha de se coiffer en tournant le dos au miroir.
Le soir, après le dîner, elle faisait assez habituellement de la tapisserie dans le salon ou quelque ouvrage de couvent, et Jean Valjean lisait à côté d'elle. Une fois elle leva les yeux de son ouvrage et elle fut toute surprise de la façon inquiète dont son père la regardait.
Une autre fois, elle passait dans la rue, et il lui sembla que quelqu'un qu'elle ne vit pas disait derrière elle : Jolie femme ! mais mal mise. - Bah ! pensa-t-elle, ce n'est pas moi. Je suis bien mise et laide. - Elle avait alors son chapeau de peluche et sa robe de mérinos.
Un jour enfin, elle était dans le jardin, et elle entendit la pauvre vieille Toussaint qui disait : Monsieur, remarquez-vous comme mademoiselle devient jolie ? Cosette n'entendit pas ce que son père répondit, les paroles de Toussaint furent pour elle une sorte de commotion. Elle s'échappa du jardin, monta à sa chambre, courut à la glace, il y avait trois mois qu'elle ne s'était regardée, et poussa un cri. Elle venait de s'éblouir elle-même.
Elle était belle et jolie ; elle ne pouvait s'empêcher d'être de l'avis de Toussaint et de son miroir. Sa taille s'était faite, sa peau avait blanchi, ses cheveux s'étaient lustrés, une splendeur inconnue s'était allumée dans ses prunelles bleues. La conscience de sa beauté lui vint tout entière, en une minute, comme un grand jour qui se fait, les autres la remarquaient d'ailleurs, Toussaint le disait, c'était d'elle évidemment que le passant avant parlé, il n'y avait plus à douter ; elle redescendit au jardin, se croyant reine, entendant les oiseaux chanter, c'était en hiver, voyant le ciel doré, le soleil dans les arbres, des fleurs dans les buissons, éperdue, folle, dans un ravissement inexprimable.
Texte B : Guy de Maupassant, Bel-Ami, chapitre II
1885
Juin 1880. Georges Duroy, sous-officier rendu à la vie civile, est un beau jeune homme peu scrupuleux. Nouvellement employé aux chemins de fer du nord, il déambule sur les boulevards parisiens, en quête de fortune et de réussite. Il rencontre Forestier, un ancien camarade de régiment devenu journaliste qui l'invite à dîner en compagnie du directeur du journal. Cet événement suscite en lui l'espoir d'une ascension sociale.
Il montait lentement les marches, le cœur battant, l'esprit anxieux, harcelé surtout par la crainte d'être ridicule ; et, soudain, il aperçut en face de lui un monsieur en grande toilette qui le regardait. Ils se trouvaient si près l'un de l'autre que Duroy fit un mouvement en arrière, puis il demeura stupéfait : c'était lui-même, reflété par une haute glace en pied qui formait sur le palier du premier une longue perspective de galerie. Un élan de joie le fit tressaillir, tant il se jugea mieux qu'il n'aurait cru.
N'ayant chez lui que son petit miroir à barbe, il n'avait pu se contempler entièrement, et comme il n'y voyait que fort mal les diverses parties de sa toilette improvisée, il s'exagérait les imperfections, s'affolait à l'idée d'être grotesque.
Mais voilà qu'en s'apercevant brusquement dans la glace, il ne s'était pas même reconnu ; il s'était pris pour une autre, pour un homme du monde, qu'il avait trouvé fort bien, fort chic, au premier coup d'œil.
Et maintenant, en se regardant avec soin, il reconnaissait que, vraiment, l'ensemble était satisfaisant.
Alors il s'étudia comme font les acteurs pour apprendre leurs rôles. Il se sourit, se tendit la main, fit des gestes, exprima des sentiments : l'étonnement, le plaisir, l'approbation ; et il chercha les degrés du sourire et les intentions de l'œil pour se montrer galant auprès des dames, leur faire comprendre qu'on les admire et qu'on les désire.
Une porte s'ouvrit dans l'escalier. Il eut peur d'être surpris et il se mit à monter fort vite et avec la crainte d'avoir été vu, minaudant ainsi, par quelque invité de son ami.
En arrivant au second étage, il aperçut une autre glace et il ralentit sa marche pour se regarder passer. Sa tournure lui parut vraiment élégante. Il marchait bien. Et une confiance immodérée en lui-même emplit son âme. Certes, il réussirait avec cette figure-là et son désir d'arriver, et la résolution qu'il se connaissait et l'indépendance de son esprit. Il avait envie de courir, de sauter en gravissant le dernier étage. Il s'arrêta devant la troisième glace, frisa sa moustache d'un mouvement qui lui était familier, ôta son chapeau pour rajuster sa chevelure, et murmura à mi-voix, comme il faisait souvent : "Voilà une excellente invention."
Texte C : Guy de Maupassant, "Le Horla"
1887
"Le Horla" est un récit fantastique dans lequel le narrateur a l'impression d'être observé, puis menacé par un être invisible.
19 Août. - Je le tuerai. Je l'ai vu ! Je me suis assis…
Je me suis assis hier soir, à la table ; et je fis semblant d'écrire avec une grande attention. Je savais bien qu'il viendrait rôder autour de moi, tout près, si près que je pourrais peut-être le toucher, le saisir ? Et alors !... alors, j'aurais la force des désespérés ; j'aurais mes mains, mes genoux, ma poitrine, mon front, mes dents pour l'étrangler, l'écraser, le mordre, le déchirer.
Et je le guettais avec tous mes organes surexcités.
J'avais allumé mes deux lampes et les huit bougies de ma cheminée, comme si j'eusse pu, dans cette clarté, le découvrir.
En face de moi, mon lit, un vieux lit de chêne à colonnes ; à droite, ma cheminée ; à gauche, ma porte fermée avec soin, après l'avoir laissée longtemps ouverte, afin de l'attirer ; derrière moi, une très haute armoire à glace, qui me servait chaque jour pour me raser, pour m'habiller, et où j'avais coutume de me regarder, de la tête aux pieds, chaque fois que je passais devant.
Donc, je faisais semblant d'écrire, pour le tromper, car il m'épiait lui aussi ; et soudain, je sentis, je fus certain qu'il lisait par-dessus mon épaule, qu'il était là, frôlant mon oreille.
Je me dressai, les mains tendues, en me tournant si vite que je faillis tomber. Eh ! bien ?... On y voyait comme en plein jour, et je ne me vis pas dans ma glace !... Elle était vide, claire, profonde, pleine de lumière ! Mon image n'était pas dedans… et j'étais en face, moi ! Je voyais le grand verre limpide du haut en bas. Et je regardais cela avec des yeux affolés ; et je n'osais plus avancer, je n'osais plus faire un mouvement, sentant bien pourtant qu'il était là, mais qu'il m'échapperait encore, lui dont le corps imperceptible avait dévoré mon reflet.
Comme j'eus peur ! Puis voilà que tout à coup, je commençai à m'apercevoir dans une brume, au fond du miroir, dans une brume comme à travers une nappe d'eau ; et il me semblait que cette eau glissait de gauche à droite, lentement, rendant plus précise mon image, de seconde en seconde. C'était comme la fin d'une éclipse. Ce qui me cachait ne paraissait point posséder de contours nettement arrêtés, mais une sorte de transparence opaque, s'éclaircissant peu à peu.
Je pus enfin me distinguer complètement, ainsi que je le fais chaque jour en me regardant.
Je l'avais vu ! L'épouvante m'en est restée, qui me fait encore frissonner.
Texte D : Michel Tournier, Vendredi ou les limbes du Pacifique
1967
Robinson vit sur son île depuis déjà longtemps, complètement seul. Un jour, il décide de se regarder dans le miroir : c'est la première fois qu'il voit son visage depuis le naufrage de la Virginie, le bateau sur lequel il se trouvait.
Cette antipathie pour son propre visage et aussi une éducation hostile à toute complaisance l'avaient longtemps tenu à l'écart du miroir provenant de la Virginie qu'il avait suspendu au mur extérieur le moins accessible de la Résidence. L'attention vigilante qu'il portait désormais à sa propre évolution l'y ramena un matin - et il sortit même son siège habituel pour scruter plus à loisir la seule face humaine qu'il fût donné de voir.
Aucun changement notable n'avait altéré ses traits, et pourtant, il se reconnut à peine. Un seul mot se présenta à son esprit : défiguré. "Je suis défiguré", prononça-t-il à haute voix, tant le désespoir lui serrait le cœur. C'était vainement qu'il cherchait, dans la bassesse de la bouche, la matité1 du regard ou l'aridité du front - ces défauts qu'il se connaissait depuis toujours -, l'explication de la disgrâce ténébreuse du masque qui le fixait à travers les taches d'humidité du miroir. C'était à la fois plus général et plus profond, une certaine dureté, quelque chose de mort qu'il avait jadis remarqué sur le visage d'un prisonnier libéré après des années de cachot sans lumière. On aurait dit qu'un hiver d'une aigreur impitoyable fût passé sur cette figure familière, effaçant toutes ses nuances, pétrifiant tous ses frémissements, simplifiant son expression jusqu'à la grossièreté. Ah, certes, cette barbe carrée qui l'encadrait d'une oreille à l'autre n'avait rien de la douceur floue et soyeuse de celle du Nazaréen2 ! C'était bien à l'Ancien Testament et à sa justice sommaire qu'elle ressortissait, ainsi d'ailleurs que ce regard trop franc dont la violence mosaïque3 effrayait.
Narcisse4 d'un genre nouveau, abîmé de tristesse, recru5 de dégoût de soi, il médita longuement en tête à tête avec lui-même. Il comprit que notre visage est cette partie de notre chair que modèle et remodèle, réchauffe et anime sans cesse la présence de nos semblables. Un homme que vient de quitter quelqu'un avec qui il a eu une conversation animée : son visage garde quelque temps une vivacité rémanente6 qui ne s'éteint que peu à peu et dont la survenue d'un autre interlocuteur fait rejaillir la flamme. "Un visage éteint. Un degré d'extinction sans doute jamais atteint encore dans l'espèce humaine." Robinson avait prononcé ces mots à haute voix. Or sa face en proférant ces paroles lourdes comme des pierres n'avait pas d'avantage bougé qu'une corne de brume ou un cor de chasse. Il s'efforça à quelques pensées gaies et tâcha de sourire. Impossible. En vérité il y avait quelque chose de gelé dans son visage et il aurait fallu de longues et joyeuses retrouvailles avec les siens pour provoquer un dégel. Seul le sourire d'un ami aurait pu lui rendre le sourire…
1matité : caractère de ce qui est mat
2 le Nazaréen : il s'agit de Jésus-Christ, qui vivait à Nazareth, en Judée
3mosaïque : adjectif correspondant à Moïse, un des prophètes de l'Ancien Testament
4Narcisse : personnage de la mythologie gréco-romaine qui était tombé amoureux de sa propre image en se voyant pour la première fois dans le reflet d'une source. Il mourut au bord de cette source et fut transformé en fleur (le narcisse).
5 recru : débordant, plein du dégoût de soi
6rémanente : permanente, persistante ; qui subsiste après la disparition de sa cause
Comment Cosette est-elle décrite dans ce passage ?
Texte A : Victor Hugo, Les Misérables, quatrième partie, livre troisième, chapitre 5
1862
Jean Valjean, ancien bagnard, a promis à Fantine, sur son lit de mort, de s'occuper de sa fille, Cosette. Elle avait abandonné cette dernière aux Thénardier pour pouvoir gagner sa vie. Valjean reprend la petite fille à ses tortionnaires et l'élève. De nombreuses années plus tard, Cosette semble éclore.
LA ROSE S'APERÇOIT QU'ELLE EST UNE MACHINE DE GUERRE
Un jour Cosette se regarda par hasard dans son miroir et se dit : Tiens ! Il lui semblait presque qu'elle était jolie. Ceci la jeta dans un trouble singulier. Jusqu'à ce moment elle n'avait point songé à sa figure. Elle se voyait dans son miroir, mais elle ne s'y regardait pas. Et puis, on lui avait souvent dit qu'elle était laide, et avait grandi dans cette idée avec la résignation facile de l'enfance. Voici que tout d'un coup son miroir lui disant comme Jean Valjean : Mais non ! Elle ne dormit pas de la nuit. - Si j'étais jolie ? pensait-elle, comme cela serait drôle que je fusse jolie ! - Et elle se rappelait celles de ses compagnes dont la beauté faisait effet dans le couvent, et elle se disait : Comment ! Je serais comme mademoiselle une telle !
Le lendemain elle se regarda, mais non par hasard, et elle douta : - Où avais-je l'esprit ? dit-elle, non, je suis laide. - Elle avait tout simplement mal dormi, elle avait les yeux battus et elle était pâle. Elle ne s'était pas sentie très joyeuse la veille de croire à sa beauté, mais elle fut triste de n'y plus croire. Elle ne se regarda plus, et pendant plus de quinze jours elle tâcha de se coiffer en tournant le dos au miroir.
Le soir, après le dîner, elle faisait assez habituellement de la tapisserie dans le salon ou quelque ouvrage de couvent, et Jean Valjean lisait à côté d'elle. Une fois elle leva les yeux de son ouvrage et elle fut toute surprise de la façon inquiète dont son père la regardait.
Une autre fois, elle passait dans la rue, et il lui sembla que quelqu'un qu'elle ne vit pas disait derrière elle : Jolie femme ! mais mal mise. - Bah ! pensa-t-elle, ce n'est pas moi. Je suis bien mise et laide. - Elle avait alors son chapeau de peluche et sa robe de mérinos.
Un jour enfin, elle était dans le jardin, et elle entendit la pauvre vieille Toussaint qui disait : Monsieur, remarquez-vous comme mademoiselle devient jolie ? Cosette n'entendit pas ce que son père répondit, les paroles de Toussaint furent pour elle une sorte de commotion. Elle s'échappa du jardin, monta à sa chambre, courut à la glace, il y avait trois mois qu'elle ne s'était regardée, et poussa un cri. Elle venait de s'éblouir elle-même.
Elle était belle et jolie ; elle ne pouvait s'empêcher d'être de l'avis de Toussaint et de son miroir. Sa taille s'était faite, sa peau avait blanchi, ses cheveux s'étaient lustrés, une splendeur inconnue s'était allumée dans ses prunelles bleues. La conscience de sa beauté lui vint tout entière, en une minute, comme un grand jour qui se fait, les autres la remarquaient d'ailleurs, Toussaint le disait, c'était d'elle évidemment que le passant avant parlé, il n'y avait plus à douter ; elle redescendit au jardin, se croyant reine, entendant les oiseaux chanter, c'était en hiver, voyant le ciel doré, le soleil dans les arbres, des fleurs dans les buissons, éperdue, folle, dans un ravissement inexprimable.
Quelle qualité possède Duroy ?
Texte B : Guy de Maupassant, Bel-Ami, chapitre II
1885
Juin 1880. Georges Duroy, sous-officier rendu à la vie civile, est un beau jeune homme peu scrupuleux. Nouvellement employé aux chemins de fer du nord, il déambule sur les boulevards parisiens, en quête de fortune et de réussite. Il rencontre Forestier, un ancien camarade de régiment devenu journaliste qui l'invite à dîner en compagnie du directeur du journal. Cet événement suscite en lui l'espoir d'une ascension sociale.
Il montait lentement les marches, le cœur battant, l'esprit anxieux, harcelé surtout par la crainte d'être ridicule ; et, soudain, il aperçut en face de lui un monsieur en grande toilette qui le regardait. Ils se trouvaient si près l'un de l'autre que Duroy fit un mouvement en arrière, puis il demeura stupéfait : c'était lui-même, reflété par une haute glace en pied qui formait sur le palier du premier une longue perspective de galerie. Un élan de joie le fit tressaillir, tant il se jugea mieux qu'il n'aurait cru.
N'ayant chez lui que son petit miroir à barbe, il n'avait pu se contempler entièrement, et comme il n'y voyait que fort mal les diverses parties de sa toilette improvisée, il s'exagérait les imperfections, s'affolait à l'idée d'être grotesque.
Mais voilà qu'en s'apercevant brusquement dans la glace, il ne s'était pas même reconnu ; il s'était pris pour une autre, pour un homme du monde, qu'il avait trouvé fort bien, fort chic, au premier coup d'œil.
Et maintenant, en se regardant avec soin, il reconnaissait que, vraiment, l'ensemble était satisfaisant.
Alors il s'étudia comme font les acteurs pour apprendre leurs rôles. Il se sourit, se tendit la main, fit des gestes, exprima des sentiments : l'étonnement, le plaisir, l'approbation ; et il chercha les degrés du sourire et les intentions de l'œil pour se montrer galant auprès des dames, leur faire comprendre qu'on les admire et qu'on les désire.
Une porte s'ouvrit dans l'escalier. Il eut peur d'être surpris et il se mit à monter fort vite et avec la crainte d'avoir été vu, minaudant ainsi, par quelque invité de son ami.
En arrivant au second étage, il aperçut une autre glace et il ralentit sa marche pour se regarder passer. Sa tournure lui parut vraiment élégante. Il marchait bien. Et une confiance immodérée en lui-même emplit son âme. Certes, il réussirait avec cette figure-là et son désir d'arriver, et la résolution qu'il se connaissait et l'indépendance de son esprit. Il avait envie de courir, de sauter en gravissant le dernier étage. Il s'arrêta devant la troisième glace, frisa sa moustache d'un mouvement qui lui était familier, ôta son chapeau pour rajuster sa chevelure, et murmura à mi-voix, comme il faisait souvent : "Voilà une excellente invention."
Comment le narrateur décrit-il le Horla ?
Texte C : Guy de Maupassant, "Le Horla"
1887
"Le Horla" est un récit fantastique dans lequel le narrateur a l'impression d'être observé, puis menacé par un être invisible.
19 Août. - Je le tuerai. Je l'ai vu ! Je me suis assis…
Je me suis assis hier soir, à la table ; et je fis semblant d'écrire avec une grande attention. Je savais bien qu'il viendrait rôder autour de moi, tout près, si près que je pourrais peut-être le toucher, le saisir ? Et alors !... alors, j'aurais la force des désespérés ; j'aurais mes mains, mes genoux, ma poitrine, mon front, mes dents pour l'étrangler, l'écraser, le mordre, le déchirer.
Et je le guettais avec tous mes organes surexcités.
J'avais allumé mes deux lampes et les huit bougies de ma cheminée, comme si j'eusse pu, dans cette clarté, le découvrir.
En face de moi, mon lit, un vieux lit de chêne à colonnes ; à droite, ma cheminée ; à gauche, ma porte fermée avec soin, après l'avoir laissée longtemps ouverte, afin de l'attirer ; derrière moi, une très haute armoire à glace, qui me servait chaque jour pour me raser, pour m'habiller, et où j'avais coutume de me regarder, de la tête aux pieds, chaque fois que je passais devant.
Donc, je faisais semblant d'écrire, pour le tromper, car il m'épiait lui aussi ; et soudain, je sentis, je fus certain qu'il lisait par-dessus mon épaule, qu'il était là, frôlant mon oreille.
Je me dressai, les mains tendues, en me tournant si vite que je faillis tomber. Eh ! bien ?... On y voyait comme en plein jour, et je ne me vis pas dans ma glace !... Elle était vide, claire, profonde, pleine de lumière ! Mon image n'était pas dedans… et j'étais en face, moi ! Je voyais le grand verre limpide du haut en bas. Et je regardais cela avec des yeux affolés ; et je n'osais plus avancer, je n'osais plus faire un mouvement, sentant bien pourtant qu'il était là, mais qu'il m'échapperait encore, lui dont le corps imperceptible avait dévoré mon reflet.
Comme j'eus peur ! Puis voilà que tout à coup, je commençai à m'apercevoir dans une brume, au fond du miroir, dans une brume comme à travers une nappe d'eau ; et il me semblait que cette eau glissait de gauche à droite, lentement, rendant plus précise mon image, de seconde en seconde. C'était comme la fin d'une éclipse. Ce qui me cachait ne paraissait point posséder de contours nettement arrêtés, mais une sorte de transparence opaque, s'éclaircissant peu à peu.
Je pus enfin me distinguer complètement, ainsi que je le fais chaque jour en me regardant.
Je l'avais vu ! L'épouvante m'en est restée, qui me fait encore frissonner.
Qu'aimerait Robinson ?
Texte D : Michel Tournier, Vendredi ou les limbes du Pacifique
1967
Robinson vit sur son île depuis déjà longtemps, complètement seul. Un jour, il décide de se regarder dans le miroir : c'est la première fois qu'il voit son visage depuis le naufrage de la Virginie, le bateau sur lequel il se trouvait.
Cette antipathie pour son propre visage et aussi une éducation hostile à toute complaisance l'avaient longtemps tenu à l'écart du miroir provenant de la Virginie qu'il avait suspendu au mur extérieur le moins accessible de la Résidence. L'attention vigilante qu'il portait désormais à sa propre évolution l'y ramena un matin – et il sortit même son siège habituel pour scruter plus à loisir la seule face humaine qu'il fût donné de voir.
Aucun changement notable n'avait altéré ses traits, et pourtant, il se reconnut à peine. Un seul mot se présenta à son esprit : défiguré. "Je suis défiguré", prononça-t-il à haute voix, tant le désespoir lui serrait le cœur. C'était vainement qu'il cherchait, dans la bassesse de la bouche, la matité1 du regard ou l'aridité du front – ces défauts qu'il se connaissait depuis toujours –, l'explication de la disgrâce ténébreuse du masque qui le fixait à travers les taches d'humidité du miroir. C'était à la fois plus général et plus profond, une certaine dureté, quelque chose de mort qu'il avait jadis remarqué sur le visage d'un prisonnier libéré après des années de cachot sans lumière. On aurait dit qu'un hiver d'une aigreur impitoyable fût passé sur cette figure familière, effaçant toutes ses nuances, pétrifiant tous ses frémissements, simplifiant son expression jusqu'à la grossièreté. Ah, certes, cette barbe carrée qui l'encadrait d'une oreille à l'autre n'avait rien de la douceur floue et soyeuse de celle du Nazaréen2 ! C'était bien à l'Ancien Testament et à sa justice sommaire qu'elle ressortissait, ainsi d'ailleurs que ce regard trop franc dont la violence mosaïque3 effrayait.
Narcisse4 d'un genre nouveau, abîmé de tristesse, recru5 de dégoût de soi, il médita longuement en tête à tête avec lui-même. Il comprit que notre visage est cette partie de notre chair que modèle et remodèle, réchauffe et anime sans cesse la présence de nos semblables. Un homme que vient de quitter quelqu'un avec qui il a eu une conversation animée : son visage garde quelque temps une vivacité rémanente6 qui ne s'éteint que peu à peu et dont la survenue d'un autre interlocuteur fait rejaillir la flamme. "Un visage éteint. Un degré d'extinction sans doute jamais atteint encore dans l'espèce humaine." Robinson avait prononcé ces mots à haute voix. Or sa face en proférant ces paroles lourdes comme des pierres n'avait pas d'avantage bougé qu'une corne de brume ou un cor de chasse. Il s'efforça à quelques pensées gaies et tâcha de sourire. Impossible. En vérité il y avait quelque chose de gelé dans son visage et il aurait fallu de longues et joyeuses retrouvailles avec les siens pour provoquer un dégel. Seul le sourire d'un ami aurait pu lui rendre le sourire…
1matité : caractère de ce qui est mat.
2le Nazaréen : il s'agit de Jésus-Christ, qui vivait à Nazareth, en Judée.
3mosaïque : adjectif correspondant à Moïse, un des prophètes de l'Ancien Testament.
4Narcisse : personnage de la mythologie gréco-romaine qui était tombé amoureux de sa propre image en se voyant pour la première fois dans le reflet d'une source. Il mourut au bord de cette source et fut transformé en fleur (le narcisse).
5 recru : débordant, plein du dégoût de soi.
6rémanente : permanente, persistante ; qui subsiste après la disparition de sa cause.
Qu'est-ce qu'un personnage-miroir ?
Quel est l'objectif des auteurs réalistes ?
Qu'est-ce qu'un personnage mauvais ?
Quelle particularité a un personnage héroïque ?