Sommaire
IDéfinitions des mots « individu », « société », « confrontations » et « valeurs »AL'individuBLa sociétéCLa confrontationDLes valeursIILe conflit en littérature et les grands sujets de confrontationALe conflit en littératureBLes différentes luttes et les grands sujets de confrontationIIILe personnage comme porteur des valeursALes deux attitudes du personnage face aux valeursBLe hérosCL'antihérosIVLes outils de la confrontationALa situation d'énonciationBLe dialogueCLe monologueDL'ironieEL'utopieFLe vocabulaire de la confrontationUne confrontation invite une ou deux personnes à débattre sur un sujet précis. La confrontation peut aussi avoir lieu entre une personne et la société dans laquelle elle vit pour montrer son adhésion ou son opposition. La littérature prend souvent une dimension morale pour défendre des valeurs, pour se positionner dans un combat d'idées. Le roman et le théâtre sont les deux genres littéraires les plus efficaces et les plus utilisés pour illustrer l'opposition de valeurs. Pour cela, les auteurs de romans et de pièces de théâtre utilisent des outils différents.
Dans quelle mesure l'opposition entre un individu et l'ensemble de la société se développe-t-elle et s'exprime-t-elle dans différents genres littéraires, particulièrement le roman et le théâtre ?
Définitions des mots « individu », « société », « confrontations » et « valeurs »
L'individu
Un individu est un être humain avec ses particularités propres.
Un individu renvoie à l'être humain en tant qu'être particulier, différent de tous les autres membres d'un groupe. Un individu est une personne précise avec ses particularités physiques et intellectuelles, son caractère, ses pensées, ses idées.
Dans la littérature, l'individu correspond à un personnage d'une œuvre romanesque ou théâtrale. Le lecteur l'identifie facilement par son nom, par son physique, par son caractère, par ses faits et actes dans l'ouvrage. Il peut même donner son nom au titre de l'œuvre.
- Dom Juan est le personnage principal de la pièce de Molière, Dom Juan ou Le Festin de Pierre (1665).
- Manon Lescaut est le personnage principal du roman de l'abbé Prévost, Manon Lescaut (1731).
La société
La société est un ensemble de personnes.
La société regroupe plusieurs personnes différentes qui vivent selon des règles, des devoirs, des rapports durables, organisés et communs. La société, par son idée de collectivité et de groupe de personnes, s'oppose à l'individu qui, lui, est un être particulier et identifié au sein de la société.
Les auteurs représentent la société de leur temps dans leurs œuvres avec les caractéristiques qui lui sont propres.
Dans Candide (1759), Voltaire dénonce les inégalités et les injustices de la société du XVIIIe siècle, comme l'esclavage.
La confrontation
La confrontation est l'action d'opposer, de confronter.
Le mot confrontation vient du verbe confronter.
Confronter
Confronter signifie « mettre en présence des personnes pour comparer leurs affirmations, leurs avis, leurs idées sur un sujet donné et précis ». Le mot « confrontation » est synonyme de « débat ».
La confrontation peut entraîner des conflits, des désaccords, quand les avis sur un sujet sont opposés. Des individus peuvent ne pas partager le même point de vue, ils peuvent ne pas être d'accord, ils peuvent ne pas voir les choses de la même manière. Un individu peut être opposé à la société dans ce qu'elle fait ou représente. Ainsi, les valeurs individuelles peuvent s'opposer aux valeurs sociales.
Les valeurs
La valeur est ce que l'on estime d'une personne, d'un objet. La valeur est liée au domaine moral et renvoie à ce qui est vrai, à ce qui est beau, à ce qui est bien, à ce qui est mal, dans une société, à une époque donnée.
On emploie le pluriel, « les valeurs », pour parler de valeurs morales, de valeurs sociales.
Les hommes se sont battus au cours des siècles pour des valeurs, pour les préserver, pour les défendre, pour les améliorer au fil du temps. Ces valeurs peuvent être la liberté des hommes, des femmes, des enfants, l'égalité entre les individus, etc. Toutefois, il existe également des sociétés qui ont défendu des valeurs perçues actuellement comme négatives, telles que l'obligation du mariage, l'obligation d'avoir une religion et de respecter ses règles, le rejet de l'autre (les personnes noires, les personnes homosexuelles, etc.).
Le conflit en littérature et les grands sujets de confrontation
La littérature permet de mettre en scène des conflits sur les grands sujets de confrontation.
Le conflit en littérature
La littérature accorde une grande place au conflit. Dans la littérature, la confrontation oppose souvent des personnages entre eux, mais également des personnages avec la société dans laquelle ils évoluent.
La forme privilégiée pour montrer le conflit dans la littérature est le roman ou le théâtre. La littérature prend une dimension morale en mettant en place le conflit. Elle invite le lecteur à réfléchir, à prendre position par rapport aux idées exprimées. Les auteurs peuvent montrer, dénoncer, critiquer les injustices et inégalités sociales, la liberté bafouée.
Dans son roman Le Bachelier (1881), Jules Vallès dénonce les différences entre les pauvres et les riches et montre comment les riches peuvent être méprisants envers les plus pauvres. Jacques Vingtras, jeune bachelier idéaliste d'extrême gauche, rêve d'une société meilleure. Il doit épouser une jeune fille bourgeoise. Lors de la visite d'un quartier populaire, elle critique les personnes pauvres. Jacques la quitte car il ne partage pas la même vision de la société et les mêmes valeurs qu'elle.
Le conflit joue également un rôle très important dans l'avancée dramatique de l'histoire. Il peut faire avancer l'intrigue, la modifier, l'accélérer. Il peut aussi modifier la situation initiale du récit et le devenir des personnages. Le conflit crée une tension.
Dans la pièce de Pierre Corneille, Le Cid (1637), la gifle que reçoit le père de Don Rodrigue crée une véritable tension et transforme le destin des personnages. Don Rodrigue est amoureux de Chimène, fille du comte qui a giflé son père. Don Rodrigue doit venger son père au risque de perdre sa bien-aimée. Corneille donne à voir le conflit de Don Rodrigue partagé entre ses valeurs personnelles et intimes, l'amour, et les valeurs familiales et l'honneur, venger son père.
Dans la littérature, la confrontation est souvent l'objet d'un conflit entre un ou plusieurs personnages, entre un personnage et un autre qui représente la société toute entière ou une partie de ses règles et fonctionnements.
Les valeurs collectives peuvent l'emporter sur les valeurs individuelles.
Dans Roméo et Juliette de Shakespeare (1597), les deux héros s'aiment passionnément mais leurs deux familles sont en conflit. Ils meurent et ne peuvent vivre leur amour, les valeurs collectives l'emportent sur les valeurs individuelles.
L'individu peut se retrouver seul contre tous.
Dans le roman de Ray Bradbury, Fahrenheit 451 (1953), Guy Montag refuse de détruire et de brûler les livres comme l'ordonne la société. Il se dresse contre elle pour montrer son désaccord.
Les différentes luttes et les grands sujets de confrontation
La littérature donne à lire les divers combats que les hommes ont pu mener au cours des siècles.
Le roman et le théâtre témoignent, par le biais de leurs personnages, des luttes et des grands conflits survenus à chaque époque dans la société. On différencie les injustices sociales et les injustices touchant plus particulièrement l'individu.
Les injustices sociales apparaissent souvent lors des grands changements que peut vivre une société. Au XIXe siècle, la révolution industrielle, le travail des ouvriers et leurs conditions de vie souvent très difficiles font l'objet de dénonciations et de critiques.
Dans Germinal (1885), Zola décrit le milieu misérable des mineurs et leurs conditions de travail. Les mineurs décident de faire grève pour crier leurs revendications, leurs conditions de travail intolérables pendant que les patrons mènent une vie douce.
Les différences sociales entre riches et pauvres sont parfois tellement importantes et cruelles qu'elles poussent les plus pauvres à commettre des actes condamnés par la justice, comme le vol. Parfois, la justice se montre intransigeante et quasi inhumaine. Des auteurs dénoncent de telles injustices.
Jean Valjean, le héros dans Les Misérables (1862) de Victor Hugo, passe dix-neuf ans au bagne pour avoir volé un seul morceau de pain.
Les injustices touchent l'individu, son intégrité humaine et sa liberté. Les auteurs dénoncent ainsi la peine de mort, le travail des enfants, l'esclavage, la différence entre hommes et femmes, l'éducation, la religion, etc.
Octave Mouret discute avec les parents de sa voisine Marie, M. et Mme Vuillaume.
« — Vous n'avez pas d'enfant, monsieur. Ça viendra… Ah ! c'est une responsabilité surtout pour une mère !
— Moi, quand cette petite-là est née, j'avais quarante-neuf ans, monsieur, un âge où l'on sait heureusement se conduire. Un garçon encore pousse tout seul, mais une fille ! Et j'ai la consolation d'avoir fait mon devoir, oh ! oui !
Alors par phrases brèves, elle dit son plan d'éducation. L'honnêteté d'abord. Pas de jeux dans l'escalier, la petite toujours chez elle, et gardée de près, car les gamines ne pensent qu'au mal. Les portes fermées, les fenêtres closes, jamais de courants d'air, qui apportent les vilaines choses de la rue. Dehors, ne point lâcher la main de l'enfant, l'habituer à tenir les yeux baissés, pour éviter les mauvais spectacles. En fait de religion, pas d'abus, ce qu'il en faut comme frein moral. Puis, quand elle a grandi, prendre des maîtresses, ne pas la mettre dans les pensionnats, où les innocentes se corrompent ; et encore assister aux leçons, veiller à ce qu'elle doit ignorer, cacher les journaux bien entendus, et fermer la bibliothèque. »
Émile Zola
Pot-Bouille
1882
Zola dévoile le plan d'éducation des Vuillaume pour mieux le critiquer et donner à voir ses absurdités et ses incohérences. La jeune fille est tenue à l'écart de la société : « la petite toujours chez elle, et gardée de près », « Les portes fermées, les fenêtres closes ». Elle est considérée uniquement pour ses mauvaises intentions : « car les gamines ne pensent qu'au mal ». Elle est préservée d'une éducation publique qui pourrait la distraire, la corrompre, lui ouvrir les yeux : « ne pas la mettre dans les pensionnats, où les innocentes se corrompent ». Elle ne peut rien faire comme le montrent les nombreuses négations : « pas », « jamais », « ne point », « ne pas ». L'accès aux livres ou aux journaux est interdit car ils pourraient éveiller son esprit. Elle est jugée inférieure au garçon comme le montre la première phrase : « Un garçon encore pousse tout seul, mais une fille ! ».
Le personnage comme porteur des valeurs
Le personnage, dans le roman ou au théâtre, est celui qui incarne les différentes valeurs. Il peut être un héros ou un antihéros.
Les deux attitudes du personnage face aux valeurs
Face aux valeurs de la société, le personnage de roman ou de théâtre peut accepter et préserver les valeurs défendues par la société, ou s'y opposer.
Le personnage de roman ou de théâtre peut accepter les valeurs défendues par la société, les respecter, les suivre, les soutenir. Il fait preuve alors d'obéissance, d'acceptation, d'intégration, d'assimilation, de partage.
Dans Au revoir là-haut de Pierre Lemaître (2013), Albert Maillard et Édouard Péricourt servent courageusement la France durant la Première Guerre mondiale et deviennent des héros.
Le personnage de roman ou de théâtre peut au contraire refuser les valeurs défendues par la société, s'y opposer. Il fait preuve de refus, de révolte, de rébellion. Il peut prôner la révolution, l'insurrection.
Dans Claude Gueux de Victor Hugo (1834), le héros est un ouvrier qui vit dans une très grande misère. Il est obligé de voler pour nourrir sa famille. Arrêté et condamné à la prison, il est victime de la méchanceté et de la jalousie du directeur qui décide de le séparer de son seul compagnon de prison. Le directeur refuse de répondre aux questions de Claude Gueux qui ne comprend pas cette décision. Face à l'injustice de la société, Claude Gueux se révolte et commet l'irréparable : il tue le directeur.
Le héros
Le personnage devient un héros quand il incarne les valeurs de la société.
Le héros est celui qui, dans le roman ou au théâtre, incarne des valeurs morales comme le courage ou l'honnêteté, pour défendre les principes de liberté, d'égalité, de fraternité.
Don Rodrigue devient héros et prend le nom « Le Cid » quand il combat victorieusement les Maures. Il a fait preuve de courage, il a été fidèle et loyal envers le Roi. Don Rodrigue fait son récit au roi Don Fernand dans sa tirade à la scène 3 de l'acte IV du Cid de Pierre Corneille (1637).
L'antihéros
L'antihéros est un personnage qui refuse de suivre les valeurs de la société, qui refuse d'obéir à l'autorité, qui agit en dehors des règles sociales.
L'antihéros s'insurge contre la société de son temps et le fonctionnement social, politique, économique, juridique. Il veut changer les choses afin de les améliorer. L'antihéros adopte ainsi différentes réactions comme se rebeller, se révolter, se marginaliser, c'est-à-dire vivre en marge de la société.
- Dans Thérèse Desqueyroux de François Mauriac (1927), le personnage principal est une antihéroïne. En effet, elle refuse d'aimer le mari qu'on lui a imposé et elle tente même de le tuer.
- Dans la pièce Phèdre de Jean Racine (1677), Phèdre refuse les valeurs morales : elle aime son beau-fils, Hippolyte. C'est un amour interdit qui la conduit au suicide.
Les outils de la confrontation
La littérature utilise différents moyens pour mettre en œuvre la confrontation de valeurs au sein de l'œuvre.
La situation d'énonciation
La situation d'énonciation est très importante, elle donne des éléments indispensables à la mise en place du conflit.
Il est nécessaire d'identifier la situation d'énonciation d'un texte pour comprendre un message. La situation d'énonciation renseigne sur celui qui parle, à qui il s'adresse, et donne les circonstances dans lesquelles les propos sont dits. Le lecteur obtient ainsi des renseignements sur le lieu et le temps (quand et où se passe l'action).
On distingue aussi le narrateur de l'auteur :
- Le narrateur est celui qui raconte l'histoire, c'est une voix, ce n'est pas forcément une personne.
- L'auteur est une personne réelle, c'est celui qui a écrit l'œuvre.
Gaston Leroux est l'auteur du roman Le Mystère de la chambre jaune (1908) et le narrateur de ce roman est Sinclair.
Identifier la situation d'énonciation permet de voir comment se met en place le conflit de valeurs.
Ralph, cousin de l'héroïne éponyme, la raccompagne chez elle. Et Indiana se retrouve face à son époux, le colonel Delmare, qui veut savoir où elle a passé sa matinée. Elle refuse catégoriquement de lui répondre : sa réaction provoque la colère de son mari.
« Ralph fit deux pas, prit le bras du colonel dans sa main de fer, et le fit ployer comme un roseau en lui disant d'un ton pacifique :
« Je vous prie de ne pas toucher à un cheveu de cette femme. »
Delmare eut envie de se jeter sur lui ; mais il sentit qu'il avait tort, et il ne craignait rien tant au monde que de rougir de lui-même. Il le repoussa en se contentant de lui dire :
« Mêlez-vous de vos affaires. »
Puis revenant à sa femme :
« Ainsi, madame, lui dit-il en serrant ses bras contre sa poitrine pour résister à la tentation de la frapper, vous entrez en révolte ouverte contre moi, vous refusez de me suivre à l'île Bourbon, vous voulez vous séparer. Eh bien ! mordieu ! moi aussi…
Je ne le veux plus, répondit-elle. Je le voulais hier, c'est ma volonté ; ce ne l'est plus ce matin. Vous avez usé de violence en m'enfermant dans ma chambre : j'en suis sortie par la fenêtre pour vous prouver que ne pas régner sur la volonté d'une femme c'est exercer un empire dérisoire. J'ai passé quelques heures hors de votre domination ; j'ai été respirer l'air de la liberté pour vous montrer que vous n'êtes pas moralement mon maître et que je ne dépends que de moi sur la terre. En me promenant, j'ai réfléchi que je devais à mon devoir et à ma conscience de revenir me placer sous votre patronage ; je l'ai fait de mon plein gré. »
George Sand
Indiana
1832
La situation d'énonciation est la suivante :
- Le colonel Delmare et Indiana son épouse sont les deux personnages principaux qui se parlent.
- Ralph est rapidement évincé de la scène.
- Le lieu est la maison du colonel Delmare et d'Indiana.
- Le moment est le matin.
La conversation montre la confrontation d'un mari et de son épouse. Elle ne tolère pas son autoritarisme et elle n'accepte pas qu'il lui enlève sa liberté individuelle et morale. Avec force, courage et détermination, Indiana refuse la soumission de la femme et la prétention du mari à avoir tous les pouvoirs sur elle : « j'ai été respirer l'air de la liberté pour vous montrer que vous n'êtes pas moralement mon maître et que je ne dépends que de moi sur la terre. »
Le dialogue
Le dialogue dans le roman ou dans le théâtre est un outil de confrontation. C'est la forme privilégiée pour exprimer une opposition ou une adhésion face à des valeurs. Le dialogue répond à des caractéristiques précises de présentation qui sont différentes entre le roman et le théâtre.
Le dialogue permet d'exposer ses idées, pour les partager, pour les défendre. Le dialogue montre bien la confrontation des points de vue avec le changement de parole pour chaque interlocuteur, entre celui qui accepte une idée et celui qui la refuse.
Le dialogue dynamise l'action, donne de l'intensité dramatique à l'histoire et la fait avancer.
Dans le roman, le dialogue est mis en évidence par l'utilisation des tirets à chaque prise de parole des personnages, par des verbes de parole suivis du personnage qui parle.
Les verbes de paroles renseignent sur les attitudes et émotions du personnage. Ils sont très variés.
Parmi les verbes de parole, on trouve : « dire », « demander », « questionner », « s'étonner », « crier », etc.
« — Monsieur ! dit Claude.
Le directeur s'arrêta et se détourna à demi.
— Monsieur, reprit Claude, est-ce que c'est vrai qu'on a changé Albin de quartier ?
— Oui, répondit le directeur.
— Monsieur, poursuivit Claude, j'ai besoin d'Albin pour vivre.
Il ajouta :
— Vous savez que je n'ai pas assez de quoi manger avec la ration de la maison, et qu'Albin partageait son pain avec moi.
— C'était son affaire, dit le directeur.
— Monsieur, est-ce qu'il n'y aurait pas moyen de faire remettre Albin dans le même quartier que moi ?
— Impossible. Il y a décision prise.
— Par qui ?
— Par moi.
— Monsieur D., reprit Claude, c'est la vie ou la mort pour moi, et cela dépend de vous.
— Je ne reviens jamais sur mes décisions.
— Monsieur, est-ce que je vous ai fait quelque chose ?
— Rien.
— En ce cas, dit Claude, pourquoi me séparez-vous d'Albin ?
— Parce que, dit le directeur. »
Victor Hugo
Claude Gueux
1834
Ce dialogue montre la confrontation de Claude Gueux et du directeur. La longueur des paroles est disproportionnée, Claude Gueux propose un raisonnement construit en donnant des arguments et des exemples, alors que le directeur se contente de réponses très brèves. Les réponses du directeur ne sont pas convaincantes. A la fin, il se contente même d'un « parce que » sans finir correctement sa phrase. Il n'a aucune raison de séparer les deux hommes d'autant plus qu'il n'a rien à reprocher à Claude Gueux : « Rien ». Cela prouve que son choix est arbitraire. Le directeur use de son pouvoir et de son autorité pour faire souffrir et pour commettre une injustice.
Des guillemets peuvent être utilisés lors de la première prise de parole et de la dernière. Pour la première, dans ce cas-là, il n'y a pas de tiret.
Au théâtre, le dialogue est présenté différemment. Le nom du personnage qui parle est écrit en caractères gras ou en majuscules et suivi d'un point et d'un tiret qui marque le début de la parole. Une didascalie écrite en italique peut être insérée. La didascalie est un élément réservé au jeu des comédiens ou au lecteur pour savoir ce que pense, ressent, fait le personnage.
Suzanne et la Comtesse sont en train d'habiller Chérubin en jeune fille. C'est une idée de Figaro. Mais d'un seul coup, on entend le Comte qui frappe à la porte de la chambre de la Comtesse. Il peine à cacher sa colère et son impatience.
« LE COMTE, d'un ton un peu sévère.
Vous n'êtes pas dans l'usage de vous enfermer !
LA COMTESSE, troublée.
Je …je chiffonnais… Oui, je chiffonnais avec Suzanne ; elle est passée un moment chez elle.
LE COMTE, l'examine.
Vous avez l'air et le ton bien altérés !
LA COMTESSE.
Ce n'est pas étonnant… pas étonnant du tout…je vous assure…nous parlions de vous…elle est passée, comme je vous dis… »
Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais
La Folle Journée, ou le Mariage de Figaro, acte II, scène 10
1778
Ce dialogue théâtral montre la colère du Comte et la gêne de son épouse. Le Comte est particulièrement irrité de ne pas pouvoir entrer dans les pièces de son épouse, la Comtesse, comme le révèle la première didascalie : « d'un ton un peu sévère ». L'embarras de la Comtesse est visible avec les hésitations, les répétitions dans ses réponses : « Je… je chiffonnais… Oui, je chiffonnais », « Ce n'est pas étonnant…pas étonnant du tout… ». L'utilisation fréquente des points de suspension matérialise également la gêne de la Comtesse. Le Comte exerce son autorité, il ne tolère pas d'ignorer ce que fait son épouse.
Le monologue
Le monologue peut être un outil de confrontation au théâtre.
Monologue
Le monologue désigne un personnage qui parle seul sur scène.
Le monologue peut être l'objet de débat, de réflexions, de pensées. Le personnage se parle à lui-même. Quand le conflit devient personnel et intime, on parle de dilemme. On retrouve le dilemme chez le dramaturge Corneille. On parle alors de dilemme cornélien.
Don Rodrigue doit venger son père qui vient de se faire offenser par Don Gomès, père de Chimène. Don Rodrigue aime Chimène. Il est donc confronté à ce dilemme : venger son père et choisir son devoir et son honneur, ou protéger le père de Chimène pour sauver son amour.
« DON RODRIGUE, seul.
Que je sens de rudes combats !
Contre mon propre honneur mon amour s'intéresse :
Il faut venger un père, et perdre une maîtresse ;
L'un m'anime le cœur, l'autre retient mon bras.
Réduit au triste choix, ou de trahir ma flamme
Ou de vivre en infâme
Des deux côtés mon mal est infini.
Ô Dieu ! l'étrange peine !
Faut-il laisser un affront impuni ?
Faut-il punir le père de Chimène ? »
Pierre Corneille
Le Cid, acte I, scène 7
1637
Dans ce monologue, Don Rodrigue se parle à lui-même et il est tiraillé entre son amour pour Chimène (« mon amour », « perdre une maîtresse », « trahir ma flamme ») et venger son père pour rétablir son honneur (« Il faut venger un père », « punir le père de Chimène »). Les champs lexicaux de l'amour et de la vengeance s'opposent. Les phrases interrogatives (« Faut-il laisser un affront impuni ? », « Faut-il punir le père de Chimène ? »), les phrases exclamatives (« Que je sens de rudes combats ! », « Ô Dieu ! l'étrange peine ! ») et les mots opposés placés à la rime (« flamme » et « infâme ») soulignent le choix difficile à faire, le dilemme de Don Rodrigue qui se retrouve totalement abattu.
Le monologue est également présent dans les romans. L'auteur fait alors entrer le lecteur dans les pensées intérieures du personnage. On parle de monologue intérieur.
Albert Cohen, dans Belle du Seigneur (1968), utilise beaucoup le monologue intérieur pour que le lecteur ait accès aux pensées des différents personnages. Ces monologues intérieurs sont au nombre de quatre pour le personnage d'Ariane, cinq pour Mariette et trois pour Solal.
Le dilemme ne figure pas seulement dans les pièces de théâtre. Il peut également être utilisé dans les romans.
Dans le roman La Princesse de Clèves de Madame de La Fayette (1678), l'héroïne est partagée entre le respect et la fidélité qu'elle doit à son époux, qu'elle n'aime pas, et l'amour qu'elle a pour le duc de Nemours. C'est un dilemme qui la déchire.
L'ironie
L'ironie est un autre outil de confrontation.
Ironie
L'ironie est un procédé littéraire qui consiste à dire l'inverse de ce que l'on veut faire comprendre.
L'ironie vise à critiquer ou à dénoncer des personnes ou des idées de manière implicite et indirecte. Utiliser l'ironie permet aux auteurs de critiquer les inégalités et injustices sociales tout en se protégeant de la censure. L'ironie devient alors une arme efficace.
Voltaire, philosophe des Lumières, utilise beaucoup l'ironie. Il critique les travers de la société de son temps pour proposer une société meilleure fondée sur un autre modèle politique, social, religieux.
Après avoir été chassé du château de Thunder-ten-tronck, Candide, jeune homme naïf, découvre au cours de son voyage la réalité du monde, parfois ses joies, mais surtout ses atrocités. Arrivé à Surinam, il rencontre un homme qui a subi les horreurs de l'esclavage. Un dialogue se met en place entre les deux personnages :
« En approchant de la ville, ils rencontrèrent un nègre étendu par terre, n'ayant plus que la moitié de son habit, c'est-à-dire d'un caleçon de toile bleue ; il manquait à ce pauvre homme la jambe gauche et la main droite.
— Eh ! mon Dieu ! lui dit Candide en hollandais, que fais-tu là, mon ami, dans l'état horrible où je te vois ?
— J'attends mon maître, M. Vanderdendur, le fameux négociant, répondit le nègre.
— Est-ce M. Vanderdendur, dit Candide, qui t'a traité ainsi ?
— Oui, monsieur, dit le nègre, c'est l'usage. On nous donne un caleçon de toile pour tout vêtement deux fois l'année. Quand nous travaillons aux sucreries, et que la meule nous attrape le doigt, on nous coupe la main ; quand nous voulons nous enfuir, on nous coupe la jambe : je me suis retrouvé dans les deux cas. C'est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe. »
Voltaire
Candide, chapitre 19
1759
Par les yeux de son personnage, Candide, Voltaire donne à voir les horreurs dont sont victimes les esclaves :
- le manque de vêtements (« On nous donne un caleçon de toile pour tout vêtement deux fois l'année ») ;
- les mauvais traitements que les maîtres leur infligent, comme la mutilation des mains et des jambes.
Voltaire ne se contente pas de critiquer l'esclavage, il le dénonce sévèrement en utilisant l'ironie. On devine par exemple la dureté et l'absence d'humanité du maître dans les sonorités mêmes de son nom, M. Vanderdendur. De même, l'ironie apparaît dans l'absurdité des mutilations : comment les esclaves peuvent-ils travailler correctement et être rentables avec des membres en moins ?
L'utopie
L'utopie est un genre littéraire qui est utilisé par les auteurs pour opposer, aux valeurs de leur société, des valeurs idéales.
Utopie
Le mot utopie désigne un lieu qui n'existe pas réellement. En littérature, l'utopie donne à voir un monde inversé dans lequel règne exclusivement une harmonie sociale, politique et économique.
L'utopie permet de critiquer le réel en démontrant qu'il est possible de créer une société idéale.
L'Île des esclaves s'ouvre sur le désarroi du seigneur Iphicrate et de son valet Arlequin. Ils ont tous deux échoué sur une île déserte. Rassurés d'être sortis vivants de ce naufrage, ils se demandent comment va se dérouler la suite. Arrive alors Trivelin avec les quelques habitants de l'île qui propose à ce couple de maître-valet d'inverser les rôles :
« TRIVELIN, faisant saisir et désarmer Iphicrate par ses gens.
Arrêtez, que voulez-vous faire ?
IPHICRATE.
Punir l'insolence de mon esclave.
TRIVELIN.
Votre esclave ! vous vous trompez, et l'on vous apprendra à corriger vos termes. (Il prend l'épée d'Iphicrate et la donne à Arlequin.) Prenez cette épée, mon camarade ; elle est à vous.
ARLEQUIN.
Que le ciel vous tienne gaillard, brave camarade que vous êtes !
TRIVELIN.
Comment vous appelez-vous ?
ARLEQUIN.
Est-ce mon nom que vous demandez ?
TRIVELIN.
Oui vraiment.
ARLEQUIN.
Je n'en ai point, mon camarade.
TRIVELIN.
Quoi donc, vous n'en avez pas ?
ARLEQUIN.
Non, mon camarade ; je n'ai que des sobriquets qu'il m'a donnés ; il m'appelle quelquefois Arlequin, quelquefois... Hé.
TRIVELIN.
Hé ! le terme est sans façon ; je reconnais ces Messieurs à de pareilles licences. Et lui, comment s'appelle-t-il ?
ARLEQUIN.
Oh, diantre ! il s'appelle par un nom, lui ; c'est le seigneur Iphicrate.
TRIVELIN.
Eh bien ! changez de nom à présent ; soyez seigneur Iphicrate à votre tour ; et vous, Iphicrate, appelez-vous Arlequin, ou bien Hé. »
Marivaux
L'Île des esclaves, acte I, scène 2
1725
Ce dialogue se trouve au début de la pièce. Les valets sont victimes des maîtres. Ils ne reçoivent même pas de nom : « Je n'en ai point, mon camarade. ». Ils ne semblent pas être considérés comme des humains. Marivaux critique le mauvais comportement des maîtres à l'égard de leurs valets. C'est ce qui passe dans la réalité, où les valets sont mal considérés par leurs maîtres. Ici, Marivaux utilise l'utopie : il propose une société inversée. En effet, Arlequin devient maître et le maître devient valet. Les maîtres vont comprendre ce que ressentent les valets et changer leur attitude.
Le vocabulaire de la confrontation
Les auteurs utilisent un vocabulaire spécifique pour illustrer la confrontation.
Type de mots | Exemple |
Des adjectifs qualifiant le ton de la voix | « hargneux », « dédaigneux », « coléreux », « emporté », « suffisant », « virulent », « véhément », « ironique », « sarcastique » |
Des adjectifs qualifiant les gestes | « brusque », « violent », « dur », « nerveux », « vif », « assuré », « autoritaire », « impérieux » |
Des noms pour dénigrer, critiquer les valeurs de l'adversaire | « vilenie », « bassesse », « ignominie », « immoralité », « indécence », « hypocrisie » |
Des verbes pour opposer | « opposer », « contredire », « réfuter », « refuser », « dénier », « confronter » |
Des verbes pour exprimer l'adhésion | « partager », « adhérer », « étayer », « développer » |
Des mots de liaison pour exprimer la concession dans un raisonnement | « certes », « bien que », « néanmoins », « quoique », « pourtant », « cependant », « malgré », « toutefois » |