Sommaire
IEngagement politique et répertoires conventionnels de l'action politiqueAQu'est-ce qu'un répertoire d'action politique ?BLe vote au cœur de la participation politique conventionnelle1La dimension rituelle du vote2La dimension symbolique du vote3Le militantisme comme forme d'action politiqueIIRépertoires non conventionnels et transformations de l'engagement politiqueARépertoires d'actions non conventionnelles et mouvements sociauxBL'évolution des répertoires d'action politique1L'analyse de Charles Tilly2Les nouvelles formes d'organisation de l'action collective3Les adaptations conjoncturelles des répertoires d'actionLa participation politique peut prendre une forme conventionnelle ou non conventionnelle. L'acte électoral est la manifestation la plus évidente de la participation politique, mais on peut concevoir l'ensemble des moyens d'action selon des répertoires d'action politique, qui évoluent au fil du temps et mettent en évidence les transformations de l'engagement politique.
Engagement politique et répertoires conventionnels de l'action politique
Qu'est-ce qu'un répertoire d'action politique ?
La participation politique correspond à l'ensemble des modalités d'actions par lesquelles les individus entrent en relation avec le pouvoir.
La participation politique peut prendre deux formes :
- La participation conventionnelle : elle est institutionnalisée et légale (vote, militantisme).
- La participation non conventionnelle : elle repose davantage sur une logique protestataire, et vise à perturber le système politique établi. La participation non conventionnelle consiste en des actions plus directes pouvant être légales (manifestations, grèves, etc.) ou illégales (séquestration de dirigeants d'entreprises, blocage d'axes routiers, etc.)
Ces dimensions de la participation politique peuvent être exercées à un niveau individuel (un vote, un boycott sont des mesures que les individus prennent individuellement) ou collectif (une manifestation ou un sit-in sur une place publique ne peuvent être que collectifs).
Le penseur Charles Tilly a élaboré la notion de "répertoire d'actions collectives" pour désigner l'ensemble des formes d'actions collectives disponibles pour des acteurs, en fonction de leurs moyens et de leurs besoins, à un moment donné. On peut élargir cette définition à celle de répertoire d'action politique pour inclure les formes d'actions individuelles.
Répertoires d'action politique
Les répertoires d'action politique sont l'ensemble des moyens d'action politique auxquels un individu ou un groupe a accès à un moment donné de l'histoire pour s'exprimer sur le plan politique.
Les répertoires d'action politique contemporains comprennent des moyens d'action individuelle et collective conventionnels (vote, meeting politique, etc.) et non-conventionnels (boycott, grève, blocus, etc.).
Le vote au cœur de la participation politique conventionnelle
La dimension rituelle du vote
Le vote est la forme la plus fréquente de participation politique conventionnelle. Sociologiquement, c'est aussi un rituel social car les dispositifs et les gestes qui encadrent le vote sont codifiés et répétés à intervalles réguliers, et les membres de la nation sont fortement incités à y participer.
Le vote est précédé par une campagne électorale, le jour du vote les individus doivent réaliser un certain nombre d'actes très codifiés (prendre des bulletins, se retirer dans l'isoloir, présenter leur carte d'électeur, mettre leur enveloppe dans l'urne, signer le registre de vote, etc.), et le vote s'achève (après la cérémonie du dépouillement) de la proclamation officielle des résultats en public. L'espace du vote lui-même est très codifié (paquets de bulletins, isoloirs, urnes, etc.). Cette ritualisation à laquelle les individus sont habitués peut expliquer les réticences au développement de formes de vote par internet.
Le vote est la partie la plus visible et la plus ritualisée des participations politiques. En ce sens, le vote a des fonctions socialisatrices. Il contribue à l'apprentissage de normes communes, suscite l'adhésion à des représentations et des symboles communs, et participe à garantir la cohésion sociale.
La dimension symbolique du vote
La participation électorale est considérée comme l'activité de participation politique par excellence puisqu'elle est au fondement même de la démocratie. En effet, le vote permet au citoyen d'exprimer un avis et de participer à l'élection de ses représentants. C'est le moyen de contrôle que détiennent les citoyens sur les personnes à qui ils délèguent une part de leur souveraineté.
Cependant, le vote a aussi une portée symbolique non négligeable qui est une dimension importante de l'action politique.
Le vote est une construction sociale et historique. Il n'a pas toujours existé, notamment sous les formes qu'on lui connaît aujourd'hui. Sous la IIIe République, les Français ont dû apprendre à voter et s'habituer à leur rôle d'électeur, en apprenant à maîtriser les codes de l'acte électoral. Ainsi, le vote symbolise l'exercice de la citoyenneté. L'individu qui vote accepte les règles du jeu électoral et montre par là qu'il adhère au système politique démocratique en vigueur. Le citoyen affirme en votant son appartenance à la communauté nationale et républicaine et sa confiance dans les institutions démocratiques.
Le vote permet donc de légitimer les gouvernants et pacifie l'ordre politique : c'est un substitut à la violence collective. L'ensemble des règles encadrant le vote vise à empêcher la triche et le rapport de force.
Les mesures garantissant l'anonymat du vote sont censées empêcher la possibilité d'exercer des pressions sur le vote d'autres individus.
Le militantisme comme forme d'action politique
La participation partisane est une forme de participation conventionnelle et renvoie à l'engagement dans un parti politique (le militantisme politique). Il faut distinguer les sympathisants (qui ne sont pas membres mais qui partagent les idées du parti), les adhérents et les militants d'un parti.
Cette forme de participation est nécessaire au bon fonctionnement de la vie politique car elle assure la vie des partis politiques et donc la possibilité d'une compétition politique, qui se concrétise lors des élections.
Les militants les plus engagés peuvent être choisis comme représentants du parti et participer à des élections pour être élus en son nom. Cette élection leur assure une certaine reconnaissance sociale.
Répertoires non conventionnels et transformations de l'engagement politique
Répertoires d'actions non conventionnelles et mouvements sociaux
La protestation politique est une forme de participation politique qui désigne une opposition vis-à-vis des autorités, à travers une contestation concrète des décisions ou des modes de prise de décision. Cette participation non conventionnelle peut prendre une forme légale ou illégale, pacifique ou violente. L'action de contestation ne s'oppose pas forcément à la démocratie, mais elle peut s'opposer aux formes que prend la démocratie dans un contexte donné.
Certaines formes d'actions non conventionnelles sont en partie institutionnalisées, comme la grève ou la manifestation. Celles-ci sont autorisées par la loi, font souvent l'objet d'un encadrement de la part des syndicats, et sont des formes de protestation politique habituelles.
D'autres formes d'actions sont moins institutionnalisées, notamment lorsqu'elles sont individuelles. C'est le cas du boycott ou de l'abstention lors des élections.
On peut inclure dans les formes de participation non conventionnelle l'émergence des Nouveaux mouvements sociaux (NMS). Ceux-ci expriment une contestation de l'ordre politique et des processus de prise de décision qui léseraient systématiquement une minorité de la population, ou qui ne prendraient pas en compte des éléments essentiels aux yeux des NMS. Ces mouvements soutiennent souvent des causes à caractère universel, et veulent faire pression sur les pouvoirs publics. Ils utilisent souvent des moyens d'action non conventionnels : sit-in, manifestations, actions symboliques.
L'évolution des répertoires d'action politique
L'analyse de Charles Tilly
Charles Tilly en 1986 définit des modèles de protestations politiques qui mettent en évidence des évolutions de long terme des répertoires d'action collective. Il oppose deux périodes :
- La période du modèle local-patronné (XVIIe - XIXe siècles). Les mouvements sociaux s'y déroulent sur un espace local et peuvent être très violents. Il s'agit par exemple de la mise à sac des maisons de particuliers donc on estime qu'ils abusent de leur pouvoir, ou de batailles meurtrières entre villages. Le répertoire de l'action collective comprend donc un certain nombre d'actions violentes et localisées, qui sont mises en œuvre par un groupe social localisé et intégré (village, famille, etc.). Les actions reprennent souvent des moyens d'action ordinairement réservés aux autorités, comme les réquisitions de céréales, et ont recours au soutien d'autorités locales (nobles, clergé).
- Il s'ensuit une période où le répertoire d'action collective suit un modèle national-autonome (1850 - 1980). Les mouvements sociaux se déroulent davantage sur le plan national, et ils sont mis en œuvre par des organisations dont c'est le but principal (et non plus des communautés) : syndicats, associations à but non lucratif, etc. L'action est donc autonomisée, et utilise des moyens originaux qui lui sont propres (grèves, pétitions, etc.). La protestation est alors de plus en plus ritualisée et moins violente.
Entre ces deux périodes, le répertoire de l'action collective est donc entièrement restructuré. Des formes d'action collective sont institutionnalisées, comme la grève, qui est autorisée en France en 1864. La contrepartie de cette reconnaissance légale d'une action non conventionnelle est qu'elle doit désormais s'inscrire dans des cadres précis que les syndicats eux-mêmes doivent faire respecter s'ils veulent être reconnus comme des partenaires de négociation légitimes par les autorités (la grève doit être collective et concertée, les destructions de matériel sont prohibées, etc.).
Les nouvelles formes d'organisation de l'action collective
Depuis les années 1980 et la montée en puissance des nouveaux mouvements sociaux, il semble que le répertoire d'action collective change à nouveau. Le politologue Erik Neveu le définit, dans la lignée de Tilly, comme un nouveau modèle, "transnational-solidariste".
- Les niveaux de l'action changent encore d'échelle. Après être passées d'actions locales à des actions nationales, les nouvelles revendications et actions sont souvent transnationales.
- L'autonomisation des mouvements collectifs se poursuit, ce qui s'observe par exemple à travers le déclin de l'influence des syndicats (et notamment le taux de syndicalisation) et le rejet de toute délégation politique. Cette autonomisation se déroule aussi à travers le recours accru à des experts indépendants, lors de tables rondes organisées par les mouvements sociaux ou avec des rapports qu'ils commandent. Cette expertise vise à légitimer les revendications collectives.
Ces évolutions entre les répertoires d'actions peuvent être lues selon trois grands axes problématiques.
- L'anti-professionnalisation : elle est liée à une crise de représentation des partis politiques et des syndicats. Contre le développement d'une oligarchie gouvernante qui constitue selon les nouveaux mouvements sociaux l'un des problèmes à résoudre, les actions collectives rejettent la professionnalisation de leur engagement.
- L'individualisation de l'engagement : cette individualisation semble répondre à la montée de l'individualisme dans les sociétés modernes, qui est également corrélée à l'individualisation des technologies (c'est le cas de pétitions sur Internet). Les revendications identitaires des nouveaux mouvements sociaux se fondent sur d'autres critères d'appartenance collective que la situation socioprofessionnelle, des critères qui étaient parfois considérés auparavant comme individuels (c'est le cas de l'orientation sexuelle qui fonde les revendications des mouvements LGBT). Les individus peuvent s'engager à distance (par exemple via Internet), ou se mobiliser et se démobiliser très rapidement selon l'importance perçue des enjeux. Les réseaux sociaux virtuels rendent ainsi l'engagement potentiellement plus flexible.
- La parlementarisation-pacification : c'est un processus de pacification des mœurs politiques mais également de développement du droit comme référence aux diverses actions. Les acteurs formulent désormais souvent leurs revendications dans des termes juridiques, de sorte à produire des revendications qui peuvent être directement intégrées dans la loi. De plus, la pacification des conflits semble progresser, même si les formes d'action violente n'ont pas disparu.
Une autre évolution importante des répertoires d'action collective est l'inclusion des enjeux de la médiatisation à des contextes élargis. Les actions politiques s'appuient sur les médias et la mobilisation de symboles pour frapper les opinions publiques, y compris au niveau mondial.
L'ONG environnementale Greenpeace est une organisation transnationale incitant ses membres à participer directement aux actions collectives de manifestations. Elle commande de nombreux rapports d'experts sur des sujets environnementaux et mène des actions symboliques, comme le déploiement de banderoles sur des sites fragiles ou sensibles, opérations largement rediffusées, notamment par le biais des réseaux sociaux, dans de nombreux pays.
Les adaptations conjoncturelles des répertoires d'action
Si les répertoires d'action évoluent dans le long terme vers une plus grande automatisation et un élargissement de leur échelle d'action, ils peuvent aussi être adaptés dans le court terme aux évolutions du contexte politique. La notion de répertoire souligne que différents moyens d'action sont disponibles et peuvent être choisis en fonction du contexte. Aujourd'hui, différents répertoires coexistent et peuvent être mobilisés en fonction de la nature des enjeux et du contexte politique.
Des actions très localisées et potentiellement violentes sont ainsi mises en œuvre par des militants qui rejettent la dynamique de mondialisation et veulent frapper les esprits en s'opposant aux décisions prises de manière bureaucratique. C'est le cas des occupants des "zones à défendre", par exemple sur le site prévu pour la construction d'un aéroport à Notre-Dame des Landes.
Les répertoires d'action politique peuvent aussi être adaptés à la conjoncture politique. Ainsi, des mouvements ayant des revendications sur des enjeux précis peuvent viser à mobiliser une partie de l'opinion publique dans une opposition plus générale au gouvernement en place, profitant ainsi de la conjoncture politique.
Cela a été le cas lors des mobilisations sur le CPE (Contrat première embauche) en 2006. Le mouvement de contestation est parti de lycéens et d'étudiants, et a été soutenu par des organisations syndicales et politiques de gauche puisque la contestation s'inscrivait dans un rejet plus général de la politique du gouvernement de droite.