Sommaire
IComment analyser et expliquer les inégalités ?ADifférences et inégalités1Définition2Les inégalités économiques3Les inégalités socialesBÉvolutions des inégalités1Réduction des inégalités sur le long terme2Persistance des inégalités3Les inégalités sont cumulativesCMesurer les inégalités1Moyenne et médiane2Rapports inter-quantiles3Courbe de Lorenz et coefficient de GiniIIAnalyser la structure sociale : les analyses fondées sur les classes socialesALa stratification socialeBL'analyse de Marx1Les classes sociales selon Marx2La lutte des classesCLes classes sociales pour WeberIIILe renouveau de l'analyse de la structure socialeAUn outil institutionnel : les PCS1CSP, PCS et critères de construction2Les limites des PCSBLa fin des classes ?1Vers une disparition des classes2La multiplicité des critères de différenciationCLe retour des classes socialesLes inégalités économiques et sociales ont un caractère multiforme et parfois cumulatif. L'appartenance sociale, l'origine et le genre constituent des facteurs puissants d'inégalités. Les inégalités permettent par ailleurs de dresser une hiérarchie sociale, base de la stratification sociale des sociétés. Celle-ci est l'objet d'une analyse en termes de classes sociales, instrument mis en place par les sociologues pour analyser les différences sociales à l'intérieur des sociétés. Cependant, la pertinence des classes est à relativiser compte tenu de l'apparition de multiples critères de différenciation.
Comment analyser et expliquer les inégalités ?
Différences et inégalités
Définition
Dans toute société, il existe des différences sociales entre individus, c'est-à-dire des différences basées sur des critères sociaux. Ces critères de différenciation permettent de classer les individus selon des groupes sociaux. On peut distinguer :
- Des critères économiques (revenu, patrimoine)
- Des critères démographiques (âge, sexe)
- Des critères culturels (religion, appartenance ethnique)
- Des critères symboliques (prestige, honneur)
Inégalités
Les inégalités sont des différences entre les individus ou les groupes sociaux perçues comme injustes ou illégitimes.
Les inégalités économiques
Inégalités économiques
Les inégalités économiques désignent la répartition non uniforme des richesses disponibles dans la population.
Il existe différents types d'inégalités économiques :
- Les inégalités de salaires : le salaire est un revenu du travail perçu par un salarié. Les inégalités salariales correspondent donc aux inégalités de salaires entre des individus dotés de caractéristiques différentes.
- Les inégalités de revenus : les revenus sont plus larges que le simple salaire. Les professions libérales (avocats, médecins) perçoivent une rémunération qui n'est pas un salaire ; il existe aussi des revenus de transfert (issus de la redistribution), des revenus du patrimoine (intérêts que touchent les créanciers, dividendes que touchent les actionnaires), etc.
- Les inégalités de patrimoine : le patrimoine est le stock de richesses que détiennent les individus. Ce sont les biens immobiliers, les avoirs et dettes détenus par les agents économiques, l'argent épargné, etc. Le patrimoine est distribué de façon plus inégale que les revenus dans la population.
Les inégalités sociales
Inégalités sociales
Les inégalités sociales sont des différences socialement structurées qui se traduisent par des avantages ou des désavantages dans l'accès aux ressources valorisées par la société.
Par exemple, une société qui valorise la jeunesse et ses attributs (le fait d'être sportif, indépendant, etc.) par rapport à la vieillesse fait de l'âge un facteur d'inégalité.
Les inégalités sociales et culturelles ne renvoient pas aux ressources disponibles (inégalités économiques) mais aux conditions de vie et aux possibilités offertes aux individus.
Les inégalités sociales peuvent être la conséquence des inégalités économiques (le logement par exemple en matière de taille et de confort est conditionné au revenu) mais certaines inégalités sociales sont le résultat d'une valorisation différenciée au sein de la société.
Par exemple, les statistiques indiquent qu'environ 80 % des enfants de cadres et professions intellectuelles supérieures ont un diplôme de l'enseignement supérieur alors que 20 % à peine des enfants d'ouvriers non qualifiés et d'ouvriers agricoles sont dans cette même situation.
Entre 1982 et 1996, le nombre de décès observés chez les ouvriers non qualifiés de 30 à 75 ans a été 30 % plus élevé que si leur mortalité avait été la même que celle de l'ensemble de la population, et celui des décès observés chez les cadres de 40 % inférieur à celui qu'il aurait été aux conditions de mortalité de l'ensemble de la population.
Évolutions des inégalités
Réduction des inégalités sur le long terme
Selon l'économiste américain Simon Kuznets (1901 - 1985), les inégalités économiques doivent dessiner une courbe en U inversé au cours du processus du développement. Dans une première phase de développement, lors de l'industrialisation et de l'urbanisation des sociétés agricoles traditionnelles, les inégalités croissent. Dans une seconde phase, elles se stabilisent, puis un troisième temps doit amener une diminution substantielle des inégalités. Les fruits de la croissance sont d'abord concentrés et ne profitent qu'à une petite partie de la population, et doivent ensuite bénéficier au plus grand nombre.
Dans les faits l'évolution des inégalités est plus complexe et varie selon les types d'inégalités économiques (revenu, patrimoine) et sociales.
Au cours du XXe siècle les inégalités économiques se sont ainsi réduites d'une manière générale avec le développement, cependant cette évolution est inégale.
En France, par exemple, les inégalités de salaires se sont rapidement réduites entre 1968 et 1984 grâce à l'instauration puis à la revalorisation régulière du SMIC puis cette réduction s'est arrêtée avec la montée du chômage de masse et le développement de la précarité.
Les inégalités de patrimoine sont en revanche restées très fortes et environ 20 % de la population ne dispose d'aucun patrimoine. Pour ceux qui détiennent du patrimoine, celui-ci augmente plus vite que le revenu. Les inégalités de patrimoine sont les plus fortes et se sont particulièrement accrues ces dernières années (notamment parce que le prix des actifs a augmenté).
Persistance des inégalités
Dans les années 1980, les inégalités cessent de diminuer. Le revenu moyen des 20 % des personnes les moins riches s'élève (notamment grâce à la redistribution opérée par l'État-providence), mais le revenu moyen des 10 % de personnes les plus riches aussi.
Les mutations sociales récentes conduisent ainsi à un renouveau des inégalités, les plaçant au centre de la question sociale.
- La "classe médiane", celle située au centre de la société, devient de plus en plus hétérogène. En termes de richesse, elle est rattrapée par les personnes les plus pauvres, et distancée par les hauts revenus.
- Le progrès technique qui caractérise "la troisième révolution industrielle" tend à supprimer des postes non qualifiés et à augmenter la demande de postes qualifiés. Cela a pour effet d'augmenter les revenus des personnes qualifiées, qui font souvent déjà partie des milieux les plus riches, au détriment des moins qualifiés, qui sont déjà les plus pauvres.
La dégradation de la condition salariale modifie profondément la perception des inégalités.
Enfin, il faut également soulever que l'accroissement des inégalités économiques confirme des inégalités sociales. Les inégalités économiques recoupent et accentuent les inégalités générationnelles, inégalités spatiales, inégalités selon la nationalité et l'origine ethnique, etc.
Les inégalités sont cumulatives
Les inégalités tendent donc à se cumuler et à faire "système" : elles s'engendrent réciproquement et entraînent de la reproduction sociale. Ainsi, les inégalités d'espérance de vie découlent des inégalités de conditions de travail et d'accès à la santé, or les inégalités de conditions de travail sont souvent associées à des inégalités de revenus et donc de logement. Finalement, les individus les moins bien lotis dans l'emploi sont aussi les plus pauvres, les moins bien soignés, ceux qui ont une espérance de vie faible, etc., et leurs enfants grandissant dans le même milieu ont une probabilité élevée de connaître les mêmes difficultés.
Les inégalités de revenus et de patrimoines sont un bon exemple d'inégalités cumulatives. Le revenu engendre du patrimoine (les personnes ayant des hauts revenus peuvent épargner ou placer de l'argent) et le patrimoine engendre des revenus (intérêts du capital, dividendes des actions, loyers si les personnes achètent un logement qu'ils louent à d'autres, etc.). Ainsi, les personnes ayant initialement des revenus ou un niveau de patrimoine élevé ne cessent de les augmenter, creusant les inégalités avec les autres catégories de population.
Certains groupes sociaux cumulent les inégalités : par exemple, la catégorie des ouvriers est en moyenne la moins dotée en ressources économiques et culturelles, les enfants ont une moindre réussite que les cadres, un moindre accès aux grandes écoles, l'espérance de vie la plus faible, etc.
Mesurer les inégalités
Moyenne et médiane
La moyenne et la médiane sont deux outils statistiques qui permettent de résumer un ensemble d'informations quantitatives.
Moyenne
La moyenne est la grandeur que prendrait chaque variable si toutes les variables avaient la même grandeur. La moyenne permet de donner une vision d'ensemble des grandeurs dans un groupe. Elle permet de comparer les différentes grandeurs par rapport à la moyenne, et elle permet de comparer deux groupes entre eux.
Moyenne
Si on note X_i le revenu de l'individu i dans un groupe qui comprend 10 individus, la moyenne des revenus dans le groupe est égale à :
\overline{X}=\dfrac{1}{10}\left(\sum_{1}^{10}X_i\right)
Les revenus des trois ouvriers d'une usine sont de 1200, 1500 et 1800 euros par mois. La moyenne des revenus des ouvriers vaut donc :
\overline{X_1}=\dfrac{1}{3}\left(1\ 200+1\ 500+1\ 800\right)
\overline{X_1}=\dfrac{1}{3}\left(4\ 500\right)
\overline{X_1}=1\ 500
En moyenne, un ouvrier gagne 1500 €.
Les revenus des trois cadres d'une usine sont de 1700, 1800 et 2500 euros par mois. La moyenne des revenus des cadres vaut donc :
\overline{X_1}=\dfrac{1}{3}\left(1\ 700+1\ 800+2\ 500\right)
\overline{X_1}=\dfrac{1}{3}\left(6\ 000\right)
\overline{X_1}=2\ 000
En moyenne, un cadre gagne 2000 €.
Le calcul de la moyenne permet de mettre en évidence les inégalités entre les groupes d'individus.
En reprenant les exemples précédents, on peut établir une inégalité de revenus entre les ouvriers et les cadres en utilisant les moyennes. En moyenne, un ouvrier gagne 1500 € par mois, et un cadre gagne 2000 € par mois. Il y a donc une inégalité de revenus.
En revanche, la moyenne ne permet pas d'observer la répartition du revenu au sein d'un même groupe.
Le calcul de la moyenne prouve qu'il y a inégalité de revenus entre les cadres et les ouvriers, mais ne donne pas d'informations sur les inégalités de revenus entre les différents cadres.
Médiane
La médiane est la grandeur qui permet de diviser l'échantillon en deux parts égales. 50 % des individus ont une grandeur supérieure à la médiane, et 50 % des individus ont une grandeur inférieure.
Dans le groupe 1, un individu gagne 900 € par mois, un individu gagne 1000 € par mois et un individu gagne 1100 € par mois.
La médiane est de 1000 € car il y a autant d'individus qui gagnent moins de 1000 € que d'individus qui gagnent plus de 1000 €.
Dans le groupe 2, deux individus gagnent 100 € par mois et un individu gagne 2800 € par mois.
La médiane est de 100 € car il y a autant d'individus qui gagnent 100 € ou moins que d'individus qui gagnent plus de 100 €.
La médiane permet de tenir compte de la répartition des revenus dans un groupe. Entre deux groupes qui ont un même salaire moyen, la médiane est plus basse dans le groupe où plus d'individus ont un salaire bas. Il est souvent utile de la comparer à la moyenne. Si la médiane est inférieure à la moyenne, alors il y a plus de grandeurs inférieures à la moyenne que de grandeurs supérieures à la moyenne, et si la médiane est supérieure à la moyenne, alors il y a plus de grandeurs supérieures à la moyenne que de grandeurs inférieures à la moyenne.
Si l'on reprend l'exemple ci-dessus, on constate que dans les deux groupes, la moyenne est de 1000 €. En revanche :
- Dans le groupe 1, la moyenne est égale à la médiane, ce qui montre que la répartition des revenus n'est pas biaisée dans un sens ou dans l'autre.
- De même, dans le groupe 2, la médiane est très inférieure à la moyenne, ce qui montre que les revenus se situent plutôt en bas de la distribution.
La médiane ne permet cependant pas de mesurer les inégalités lorsqu'il y a autant d'individus qui ont de très hauts revenus que d'individus qui ont de très bas revenus. Par exemple, si dans un groupe 3, un individu gagne 100 €, un individu 1000 € et un individu 2900 €, la médiane est de 1000 €, comme pour le groupe 1.
Rapports inter-quantiles
On calcule la dispersion et la concentration des valeurs à l'aide des quantiles. On appelle quantiles d'ordre n, les valeurs du caractère qui partagent l'effectif total de la série en n groupes dont les effectifs sont égaux :
- La médiane est le quantile d'ordre 2. Elle sépare l'effectif en deux (50% avant, 50 % après).
- Les quartiles sont les quantiles d'ordre 4, ils séparent l'effectif en tranches de 25 % (Q_1, Q_2, Q_3).
- Les déciles sont les quantiles d'ordre 10, ils séparent l'effectif en tranches de 10 % (de D_1 à D_9 ).
- Les centiles sont les quantiles d'ordre 100, ils séparent l'effectif en tranches de 1 %.
On peut calculer des rapports interdéciles, qui permettent de mesurer la dispersion :
- Le rapport \dfrac{D_9}{D_1} met en évidence l'écart entre le haut et le bas de la distribution : c'est une des mesures de l'inégalité de cette distribution.
- Le rapport \dfrac{D_9}{D_5} compare le haut de la distribution à la valeur médiane.
- Le rapport \dfrac{D_5}{D_1} compare la médiane au bas de la distribution.
Lorsque l'on utilise les déciles ou les quartiles pour le niveau de vie, on parle du niveau de vie par unité de consommation. C'est un système de pondération attribuant un coefficient à chaque membre du ménage et permettant de comparer les niveaux de vie de ménages de tailles ou de compositions différentes. Avec cette pondération, le nombre de personnes est ramené à un nombre d'unités de consommation (UC).
Courbe de Lorenz et coefficient de Gini
La courbe de Lorenz et le coefficient de Gini permettent de préciser encore la mesure des inégalités au sein d'une société.
Dans une répartition totalement égalitaire, un certain pourcentage des individus est titulaire d'un pourcentage égal de la masse totale du caractère (c'est-à-dire la somme de toutes les grandeurs considérées, par exemple la somme de tous les salaires au sein de la société) : 10 % des individus sont titulaires de 10 % de la masse totale du caractère, 20 % des individus en détiennent 20 %, etc.
La courbe de Lorenz est obtenue sur un graphique carré, en portant en abscisse le pourcentage cumulé des effectifs, et en ordonnée le pourcentage cumulé de la masse globale du caractère étudié. Elle est souvent appliquée à la répartition des revenus pour mesurer l'inégalité de leur distribution.
Cette courbe relie forcément les points de coordonnées (0,0) et (100,100), puisque si l'on prend 0 % de la population, elle ne détient aucun salaire, et si l'on prend 100 % de la population, elle détient forcément la somme de tous les salaires (c'est-à-dire 100 % du caractère étudié). Plus la courbe se rapproche de la diagonale, plus la concentration est faible et plus la société est égalitaire (car si la courbe est égale à la diagonale, tous les individus possèdent une même proportion des revenus totaux), et plus elle s'éloigne de la diagonale, plus la concentration est importante (moins on est égalitaire : le cas-limite est celui où un individu reçoit à lui seul tous les revenus et dans ce cas, la courbe de Lorenz suit l'axe des abscisses jusqu'au point d'abscisse "100 %", où elle rejoint verticalement le point de coordonnées (100;100).)
Le coefficient de concentration de Gini est obtenu à partir de la courbe de Lorenz. On mesure la concentration d'une distribution en la comparant à une distribution qui serait la plus inégale possible.
Le coefficient de Gini varie entre 0 et 1 : plus on est proche de zéro, plus il y a d'égalité, à l'inverse, plus le coefficient de Gini se rapproche de 1, plus le caractère étudié est inégalitaire.
Ces deux outils sont souvent utilisés pour mesurer l'inégalité de la distribution des richesses dans une population. Ils permettent de comparer les pays entre eux et de déterminer s'ils sont plus ou moins égalitaires. On met alors en abscisse le pourcentage cumulé de la somme tous les salaires ("masse salariale") ou de tous les patrimoines.
En France, le coefficient de Gini est de 0,3 pour les revenus et de 0,6 pour les patrimoines. La distribution des patrimoines est donc plus inégalitaire que celle des revenus.
Analyser la structure sociale : les analyses fondées sur les classes sociales
La stratification sociale
Les inégalités d'accès aux ressources sont cumulatives et font système, mais elles se reproduisent aussi de génération en génération. Elles dessinent alors une structure sociale inégalitaire et stable, que l'on appelle la stratification sociale, composée de "strates" d'agents qui possèdent de manière inégale les ressources économiques et sociales.
Stratification sociale
La stratification sociale désigne l'ordre des positions différenciées dans l'organisation sociale, économique et politique d'une société. Elle consiste en une hiérarchie de positions sociales inégales.
La différenciation sociale entre deux "strates", c'est-à-dire deux niveaux de la stratification sociale, peut consister en des inégalités de position socio-économique, de pouvoir, de richesse et de prestige.
L'analyse de Marx
Les classes sociales selon Marx
Les sociétés sont des sociétés de classes. Karl Marx (1818 - 1883) montre que dans toutes les sociétés, on retrouve un système de classes, c'est-à-dire des rapports entre groupes sociaux dont l'un est dominant et l'autre est dominé.
Marx repère trois critères essentiels dans la définition des classes :
- Une classe se définit par la possession d'un moyen de production particulier, ce qui la place immédiatement en rapport avec les autres classes dans le processus de production.
- Une classe sociale se définit aussi par la conscience de classe, c'est-à-dire que les individus ont conscience d'appartenir à une classe particulière et d'avoir des intérêts en commun au sein de la classe, puisqu'ils disposent du même moyen de production (capital ou travail).
- Une classe sociale entretient des rapports conflictuels avec d'autres classes, notamment sur la question du partage de la valeur ajoutée.
Pour Marx, les classes ne sont pas une construction de l'esprit, une simple représentation que fait l'économiste ou le sociologue pour décrire la réalité. Les classes sont une réalité matérielle qui influencent le comportement des agents. La possession d'un moyen de production particulier attribue aux individus une place dans le système productif, et donc des intérêts communs (notamment dans le partage de la valeur ajoutée). Les individus forment alors une classe "en soi", et ils n'en ont pas forcément conscience. En revanche, les individus peuvent acquérir une conscience de classe et mener des mouvements collectifs de revendication. Ils acquièrent alors une identité de classe, et forment une classe "pour soi".
La lutte des classes
Pour Marx, le capitalisme génère des rapports de production : il s'agit des rapports entre les capitalistes (classe bourgeoise) d'un côté qui possèdent les moyens de production fixes (le capital), et d'un autre côté les prolétaires (classe ouvrière) qui n'ont que leur "force de travail" à vendre.
Leurs intérêts sont totalement antagonistes. En effet, les capitalistes qui espèrent toucher un maximum de profit des capitaux qu'ils ont investis vont payer le moins cher possible la force de travail des prolétaires en leur versant un "salaire de subsistance" c'est-à-dire juste suffisant pour qu'eux-mêmes et leur famille survivent. Ils ne sont donc pas rétribués en fonction de leur production : c'est l'exploitation capitaliste. La différence entre la richesse produite par les prolétaires et le salaire de subsistance qui leur est versé constitue une plus-value.
Marx fait de la classe ouvrière (le prolétariat) la classe sociale porteuse des intérêts universels de la société, qui a pour mission historique de combattre la bourgeoisie afin de se débarrasser de l'exploitation capitaliste.
Les classes sociales pour Weber
Max Weber (1864 - 1920) est un sociologue allemand qui considère qu'une classe sociale est "tout groupe d'individus qui se trouve dans la même situation de classe". Pour lui, et à la différence de Marx, une classe ne représente pas un groupe réel ayant une conscience de sa situation. La classe est uniquement un agrégat de personnes regroupées par un observateur en fonction de critères logiques. La classe est une construction théorique qui permet de mieux appréhender la réalité.
L'approche de Weber permet donc de montrer que la stratification sociale est pluridimensionnelle. La position des individus dépend toujours de plusieurs variables, qui sont d'ordres différents. Elle dépend également du groupe de statut auquel appartient l'individu.
Groupe de statut
Les groupes de statuts sont des groupes sociaux constituant une forme de stratification sociale et reposant sur des différences de prestige.
Le renouveau de l'analyse de la structure sociale
Un outil institutionnel : les PCS
CSP, PCS et critères de construction
En relation avec les élaborations théoriques des sociologues, les instituts statistiques définissent des critères pour construire des catégories sociales qui regroupent les individus.
L'INSEE met ainsi au point progressivement une grille d'analyse des différents fonctions et métiers au sein de la société (Les CSP - Catégories socioprofessionnelles en 1954 puis les PCS - Professions et catégories socioprofessionnelles en 1982).
PCS - Professions et catégories socioprofessionnelles
Les PCS sont une nomenclature administrative qui classe la population en fonction de la profession (ou de l'ancienne profession), de la position hiérarchique, et du statut (salarié ou non). Elle comporte 8 groupes socioprofessionnels, qui se subdivisent en 24 catégories socioprofessionnelles, elles-mêmes divisées en 486 professions.
Plusieurs critères sont utilisés pour construire les PCS, notamment :
- Le métier
- Le statut (salariés, indépendants)
- La qualification
- La taille de l'entreprise, le secteur d'activité
- La position hiérarchique
Les PCS comptabilisent 8 groupes socioprofessionnels, dont 6 d'actifs :
- Agriculteurs exploitants
- Artisans, commerçants et chefs d'entreprise
- Cadres et professions intellectuelles supérieures
- Professions intermédiaires
- Employés
- Ouvriers
- Retraités
- Autres personnes sans activité professionnelle
Les PCS permettent d'avoir une vision quantifiée de la structure sociale. On peut mesurer la répartition de la population selon ces catégories, et mesurer l'évolution de la répartition (par exemple la tertiarisation, la montée des qualifications). Cette classification permet d'avoir des fondements empiriques pour analyser les possibles catégories et divisions de la société, par exemple pour mesurer la pertinence d'une approche en termes de classes sociales, puisqu'elle permet par exemple de voir comment sont corrélés les revenus et la position dans le processus de production.
Les limites des PCS
Cette nomenclature a été élaborée dans un cadre purement français, il est très difficile d'établir des comparaisons internationales.
Elle n'est donc pas très pertinente lorsqu'il s'agit de discuter de l'harmonisation des politiques européennes, notamment en termes d'emploi. Une nouvelle nomenclature européenne est en cours d'élaboration.
De plus, comme toute construction théorique, elle présente des limites dans le choix de ses critères. Par exemple, un agent d'entretien qui balaie le sol de son entreprise est considéré par l'INSEE comme un "ouvrier" (PCS 6) de cette usine, alors que si l'usine sous-traite le ménage à une société d'entretien, le même ouvrier peut faire le même travail en étant employé par l'entreprise sous-traitante, et est alors considéré comme un employé (PCS 5). Faire des statistiques sur la différence entre ces deux catégories peut alors sembler discutable, puisqu'avec cet exemple, on montre qu'il n'y a pas forcément de différences essentielles entre les individus qui les composent.
Enfin, l'homogénéité sociale est largement remise en question, la montée de la précarité pose le problème du critère de profession, car ces formes particulières ne sont pas prises en compte. Or, un ouvrier en intérim n'aura pas les mêmes conditions de vie (stabilité économique, cotisations, accès au logement) qu'un ouvrier de la même catégorie en CDI.
La fin des classes ?
Vers une disparition des classes
De nombreux sociologues constatent désormais que la notion de classe a perdu une partie de son actualité en raison de mutations sociales profondes de la société depuis la deuxième moitié du XXe siècle. Les différences entre les individus sont de plus en plus plurielles, et de moins en moins réductibles à une unique appartenance de classe. Les classes ont été définies comme des communautés d'individus partageant une même vision, et agissant ensemble pour leurs intérêts communs. Ce type d'action collective a fortement diminué, notamment au profit d'autres revendications, selon d'autres identités.
La culture de masse a joué un rôle dans cette atténuation des différences de classe. Elle s'est diffusée dans tous les groupes sociaux et a, au moins en partie, désorganisé l'unité des points de vue internes aux classes. De même, la consommation de masse a diminué en apparence les différences de consommation entre classes sociales, et donc la perception d'une différence propre au groupe social auquel on appartient selon sa position dans le processus de production.
Alain Touraine, sociologue français né en 1925, a également mis en évidence un affaiblissement de la conscience de classe, notamment dans ses travaux sur les "nouveaux mouvements sociaux". Les mouvements sociaux traditionnels étaient souvent perçus comme des actions de classe, par exemple les grandes grèves de mineurs à la fin du XIXe siècle, ou le grand mouvement de grève des ouvriers à l'été 1936. Cependant, à partir des années 1960 - 1970, et notamment à partir des mouvements de mai 1968, les revendications des mouvements sociaux sont plus individualisées, ou portent sur d'autres identités que celle de classe. Ainsi, les mouvements féministes, régionalistes, écologistes ou plus récemment les revendications des mouvements LGBT ne peuvent pas être analysées comme des revendications de classe sociale. Ils regroupent des personnes venues d'univers socioprofessionnels différents, et dont les revendications ne sont pas attachées à ce statut socioprofessionnel ou socio-économique.
Il est difficile de trouver des indices permettant de mesurer l'existence de classes sociales, car celles-ci sont définies par un ensemble complexe de comportements, et ne se laissent pas réduire à un critère. Un indicateur a été proposé par Robert R. Alford, un sociologue américain, afin de mesurer la conscience de classe. L'indice d'Alford est la différence entre le pourcentage d'ouvriers votant à gauche et le pourcentage de non-ouvriers votant à gauche. Plus l'indice est proche de 100, plus il existe un vote de classe, et inversement. Cette analyse s'appuie sur le présupposé que les ouvriers, et eux seuls, ont intérêt à voter à gauche en tant que classe, ce qui est une modélisation réductrice de la structure sociale. On constate une diminution de cet indice d'Alford au cours du temps dans les pays occidentaux, ce qui peut suggérer une diminution de la conscience de classe.
La multiplicité des critères de différenciation
Les analyses d'une fin des classes sociales se sont appuyées sur la mise en évidence de nouveaux critères de différenciation, qui seraient plus pertinents que les classes sociales pour comprendre ce qui distingue les individus entre eux au sein de la société. On cite ici deux critères possibles, même s'il en existe de nombreux autres, comme l'origine ethnique.
Un premier critère important est celui de l'âge et de la génération, des variables qui ont une importance grandissante pour comprendre les différences de statut et de pratiques dans la société. Les sociologues montrent le développement d'une fracture générationnelle depuis les années 1980 :
- Baisse du pouvoir d'achat et précarité croissante chez les jeunes, qui connaissent notamment un taux de chômage très élevé.
- Diminution de la mobilité sociale intragénérationnelle, c'est-à-dire l'évolution hiérarchique d'un individu au cours de sa carrière. De plus en plus, au fil du temps, les personnes des nouvelles générations resteront toute leur carrière à un niveau hiérarchique proche de celui de leur premier poste.
- Risque de déqualification entre diplômes et emplois puisque de plus en plus de jeunes sont diplômés, et occupent des postes qui ne demandent qu'un diplôme inférieur à celui qu'ils ont. Ainsi, un individu obtenant un certain diplôme risque d'obtenir un poste hiérarchique inférieur à celui qu'aurait pu obtenir avec le même diplôme un individu de la génération précédente.
Un autre critère qui attire de plus en plus l'attention est celui du genre, c'est-à-dire l'ensemble des représentations sociales attachées au statut d'homme ou de femme. Indépendamment des classes sociales, le fait d'être une femme diminue les possibilités d'atteindre un statut socioprofessionnel élevé par rapport au fait d'être un homme. Cette prise de conscience a pu favoriser l'émergence de mouvements de revendication qui voulaient dépasser l'analyse en termes de classe, car les inégalités de genre dépassent les frontières des classes sociales.
Un dernier exemple de critère qui différencie les groupes d'individus dans les sociétés post-industrielles est celui des styles de vie, qui s'individualisent. Ils désignent la façon dont les individus s'approprient une consommation ou une pratique sociale, comme le langage, la culture, les vêtements, l'aspect physique, etc. Ils restent cependant souvent articulés avec une appartenance socioprofessionnelle, ou de classe, car les classes sociales mettent en œuvre des stratégies pour se distinguer des autres classes à travers leurs pratiques sociales et de consommation.
Ainsi, il existe une multiplicité de critères de différenciation, qui peuvent être à une appartenance de classe, mais contribuent à en brouiller les frontières.
Le retour des classes sociales
L'analyse de Mendras et plus généralement la thèse d'une disparition des classes sociales ont été largement débattues dans les sciences sociales. En 2001, Louis Chauvel a publié un article célèbre intitulé "Le Retour des classes sociales ?", dans lequel il s'oppose à la thèse de la moyennisation.
Il rappelle notamment que la thèse de Mendras s'inscrivait dans un contexte particulier, celui de la fin des Trente Glorieuses. Cette période a été celle de la réduction des inégalités en France, mais la moyennisation des niveaux de vie s'est arrêtée ensuite, à partir des années 1980. Depuis les années 2000, il y a au contraire un accroissement des écarts de niveaux de vie, ce qui montre l'existence objective de catégories différentes de population. Ceci est d'autant plus vrai si l'on considère le patrimoine, et pas seulement les revenus. Chauvel met en évidence l'existence toujours actuelle de classes sociales selon deux dimensions.
D'une part, les consommations restent différenciées selon les différentes catégories socioprofessionnelles. Cela s'observe à l'aide des coefficients budgétaires : les ouvriers consomment toujours, relativement à leur budget, trois fois plus de tabac que les cadres, deux fois plus de pain, volaille et porc. Les cadres, en revanche, dépensent 5 fois plus que les ouvriers en location d'auto, deux fois et demie plus pour partir en week-end, deux fois plus en livres, 15 fois plus en services domestiques. Il y a donc bien des inégalités de consommation qui perdurent, et qui sont les marqueurs d'une identité culturelle propre.
D'autre part, malgré les analyses sur la mobilité sociale, il existe une reproduction sociale toujours bien présente, dans le sens où les positions sociales se reproduisent de génération en génération. Pour la génération née entre 1950 et 1955, les fils de cadres ont 50 fois plus de chances de devenir cadres que les fils d'ouvriers, et les filles de cadres 113 fois plus de chances de devenir cadres que les filles d'ouvriers. La reproduction se fait aussi à travers l'école, car la massification scolaire (l'accès de tous à l'école) ne s'est pas accompagnée d'une réelle démocratisation scolaire : par rapport aux enfants de milieux populaires, les enfants nés dans les couches supérieures de la population et dont les parents sont diplômés accèdent beaucoup plus fréquemment eux-mêmes à des diplômes élevés et font des études supérieures.
Cependant, Chauvel note qu'il y a bien une disparition de l'identité de classe. De moins en moins d'individus vivent selon une conscience de classe, et la plupart de ceux qui disent appartenir à une classe désignent la classe moyenne. Or, celle-ci est avant tout un terme fourre-tout et n'est définie que négativement : c'est l'ensemble des personnes ne considérant pas faire partie des plus riches, ni des plus pauvres. Des individus aux statuts aussi divers que des médecins ou des employés du secteur primaire peuvent alors dire y appartenir. Ceci justifie l'importance de tenir compte des autres critères de différenciation comme l'âge, le genre ou les styles de vie, afin de comprendre les éléments qui permettent aux individus de s'identifier, eux-mêmes et entre eux.