La justice et la force
Blaise Pascal
Blaise Pascal
Pensées
1669
Pascal pense que la justice a besoin de la force pour s'appliquer, et que la force a besoin de la justice pour se légitimer. Elles sont donc complémentaires. Toutefois, dans les faits, il constate que la force corrompt la justice. Il affirme que si la force est utilisée sans souci de justice, alors il s'agit de tyrannie. Un État qui utilise la force et ne rend pas la justice est donc tyrannique. Il réalise tout de même que la justice seule ne peut pas tenir. En effet, il y aura toujours des hommes pour utiliser la violence contre la justice. Il faut que la justice soit forte pour tenir. Ce qui est juste doit donc être fort, ou encore ce qui est fort juste. La force est une nécessité pour garantir la justice. Mais Pascal reconnaît que la force a supplanté la justice. Pour retrouver la justice, il faut faire en sorte que la force soit toujours juste.
« La force s'étant imposée, le seul moyen était de rendre cette force installée juste, que la force soit juste. »
Blaise Pascal
Pensées, publié dans Revue des deux Mondes
1669
La critique des Droits de l'homme
Karl Marx
Karl Marx
Sur la question juive
1844
Si Marx énonce une vive critique à l'égard des Droits de l'homme tels qu'énoncés dans la Charte de 1789, il ne s'agit pas pour lui de remettre en question l'idée de Droits de l'homme universels. En réalité, il entend montrer que cette expression des Droits de l'homme sert de justification à la classe dominante, en lui permettant de légitimer sa domination, qui passe par la possession des moyens de production. En effet, le problème des Droits de l'homme est qu'ils prétendent énoncer les droits de l'homme politique, en dehors de toute référence à son insertion dans la société civile. Prenant pour modèle un homme fictif, ils ne voient pas que dans les faits, certains individus ne possèdent pas les moyens d'exercer ces droits. Le fait que la sécurité et le droit de propriété privée comptent parmi les droits fondamentaux est pour Marx le signe que ces droits visent à légitimer la classe dominante. C'est pourquoi Marx nous dit que les Droits de l'homme permettent surtout de justifier le nouveau pouvoir en place, tout comme le droit divin permettait auparavant de justifier la monarchie. Pour définir les véritables droits humains, il faut donc partir de l'homme comme être de besoin, dont les conditions matérielles d'existence déterminent les capacités à mettre en œuvre ses droits. Aussi, si l'on veut que chaque citoyen puisse réellement faire usage de ses droits politiques, il faut les compléter de droits sociaux.
Marx souligne qu'en prenant pour modèle l'homme bourgeois, les Droits de l'homme ne permettent pas de créer des liens entre les hommes au sein de la société civile. Bien au contraire, définissant négativement la liberté comme tout ce qui ne nuit pas à autrui, les Droits de l'homme amènent à voir autrui comme constituant la limite de l'exercice des droits. C'est une logique qui pousse les individus à rechercher leur intérêt en dépit de l'autre, voire contre lui, au lieu de penser une association possible des individus en vue du bien commun.
« Aucun des droits dits de l'homme, ne dépasse donc l'homme égoïste, l'homme tel qu'il est comme membre de la société bourgeoise, c'est-à-dire un individu replié sur lui-même, sur son intérêt privé et son bon plaisir privé, et séparé de la communauté. »
Karl Marx
Sur la question juive
1844
Marx souligne ici qu'en prenant pour modèle l'homme bourgeois, les Droits de l'homme ne permettent pas de créer des liens entre les hommes au sein de la société civile. Bien au contraire, définissant négativement la liberté comme tout ce qui ne nuit pas à autrui, les Droits de l'homme amènent à voir autrui comme constituant la limite de l'exercice des droits. C'est une logique qui pousse les individus à rechercher leur intérêt en dépit de l'autre, voire contre lui, au lieu de penser une association possible des individus en vue du bien commun.
Le despotisme doux
Alexis de Tocqueville
Alexis de Tocqueville
De la démocratie en Amérique
1835-1840
Tocqueville expose sa théorie du despotisme doux dans son ouvrage De la démocratie en Amérique. Il écrit que si le despotisme surgissait aujourd'hui dans une démocratie, l'État pourrait étendre davantage sa puissance que dans les empires du passé. Cette puissance serait toutefois moins visible et ne paraîtrait pas tyrannique comme César l'a été. En effet, il y aurait d'un côté des individus se souciant de leur propre confort et se moquant de la vie collective, et de l'autre côté un État fort, centralisé et paternaliste. Au nom de la sécurité des individus et de leur bonheur, cet État priverait en vérité les individus de leur liberté d'action, et ces derniers ne s'en rendraient même pas compte.
Tocqueville nomme ce despotisme le « despotisme doux ». Le pouvoir ne paraît pas arbitraire, mais il règle tout dans les moindres détails. Les individus n'ont plus d'autonomie véritable, ils abdiquent leur réflexion et se concentrent sur leur bien-être personnel. Ainsi, les hommes sont aliénés par leur État, et progressivement perdent leur propre humanité, sans même le réaliser.
La justice comme équité
John Rawls
John Rawls
Théorie de la justice
1971
John Rawls
Justice et Démocratie
1978
Le philosophe américain John Rawls a tenté de penser des principes de justice tels qu'ils permettent rationnellement d'organiser une société juste, en tenant compte de l'aspect économique et social. Pour y parvenir, il imagine la situation dite de la position originelle et du voile d'ignorance. Cette situation est la suivante : des personnes doivent choisir les principes fondamentaux d'une société dans laquelle ils auront à vivre, sans savoir qui ils vont être dans cette société, ce qu'ils vont faire, quelles vont être leurs caractéristiques, ni leurs conceptions du bien. Cette ignorance des conditions dans lesquelles ils seront dans la société, ainsi que de leurs préférences, constitue le voile d'ignorance. Pour Rawls, cette situation les conduit nécessairement à faire un choix impartial. Dans cette situation, les individus rationnels s'accorderaient sur les deux principes suivants : « Le premier exige l'égalité d'attribution des droits et des devoirs de base. Le second, lui, pose que les inégalités socio-économiques […] sont justes si et seulement si elles produisent, en compensation, des avantages pour chacun et, en particulier, pour les membres les plus désavantagés de la société. » (Théorie de la justice). Le premier principe est un principe d'égalité des droits, et plus précisément d'un maximum de droits possibles pour tous. Selon ce principe, l'égalité absolue ne s'exerce qu'au niveau des droits politiques. La liberté doit donc avoir priorité sur l'égalité sociale. Le second principe est un principe d'équité. Il énonce d'une part une égalité réelle des chances pour tous : les positions d'autorité et de responsabilité doivent être à la portée de tous. L'État doit donc faire en sorte que cette exigence soit effective dans la réalité. Il énonce d'autre part un principe de progrès économique et social pour la société dans son ensemble et pour les plus défavorisés avant tout.
Les principes de justice énoncés par Rawls reposent sur l'équité, et tolèrent donc l'existence d'inégalités sociales au nom de l'efficacité économique et sociale. Mais à une condition : que leur existence profite à la partie la plus défavorisée de la société. En ce sens, la justice consiste à trouver le système économique le plus efficace pour pouvoir améliorer la situation des plus défavorisés et de la société dans son ensemble.
« Le premier exige l'égalité d'attribution des droits et des devoirs de base. Le second, lui, pose que les inégalités socio-économiques […] sont justes si et seulement si elles produisent, en compensation, des avantages pour chacun et, en particulier, pour les membres les plus désavantagés de la société. »
John Rawls
Théorie de la justice, (A Theory of Justice)
trad. Catherine Audard, Paris, © Éditions du Seuil (1987), 1971