Sommaire
IL'inconscient comme ce qui n'est pas perçuIIL'inconscient freudienIIIInconscient et mauvaise foiL'inconscient comme ce qui n'est pas perçu
C'est ainsi que l'accoutumance fait que nous ne prenons pas garde au mouvement d'un moulin ou d'une chute d'eau, quand nous avons habité tout auprès depuis quelque temps. Ce n'est pas que ce mouvement ne frappe toujours nos organes, et qu'il ne se passe encore quelque chose dans l'âme qui y réponde, à cause de l'harmonie de l'âme et du corps, mais ces impressions qui sont dans l'âme et dans le corps, destituées des attraits de la nouveauté, ne sont pas suffisamment fortes pour s'attirer notre attention et notre mémoire, attachées à des objets plus occupants.
Gottfried Wilhelm Leibniz
Nouveaux essais sur l'entendement humain, Jacques Brunschwig, Paris, éd. Flammarion (1993)
1765
Ce que met en évidence Leibniz à travers cet exemple du bruit d'un moulin à eau que l'on n'entend plus car on y est habitué, c'est le fait que certaines perceptions ne retiennent plus notre attention. Mais le fait de ne pas avoir conscience de ces perceptions ne signifie pas qu'elles n'existent pas : seulement, leur effet n'est pas perçu par le sujet.
L'inconscient freudien
Le cas Elisabeth
Elisabeth, de son vrai nom Ilona Weiss, fut la première patiente soignée par la méthode psychanalytique. Hongroise d'origine, cette jeune fille de 25 ans vient consulter Freud au cours de l'année 1892 pour des douleurs aux jambes et des difficultés à marcher n'ayant pas de cause physiologique. Freud entreprend donc avec elle une cure psychanalytique. C'est au cours de ce travail qu'il parvient peu à peu à comprendre l'origine de ses troubles : il s'agit d'un désir refoulé. En effet, étant plus jeune, Elisabeth a développé des sentiments amoureux coupables pour son beau-frère. Or, peu de temps après, sa sœur est brutalement décédée des suites d'une maladie. C'est à ce moment-là qu'Elisabeth aurait eu une pensée qu'elle ne pouvait accepter : que son beau-frère, maintenant que sa sœur n'était plus, était libre. Ce penchant pour son beau-frère, ainsi que l'idée qu'il était dorénavant libre, avaient d'abord été refoulés par la patiente, et avaient eu pour résultat de développer les symptômes physiques de douleurs dans les jambes. Ce n'est donc qu'une fois ce désir refoulé advenu à la conscience que la patiente fut libérée de ses douleurs.
Le complexe d'Œdipe
Au départ, Œdipe est un héros de la mythologie grecque, dont l'histoire est rapportée par Sophocle, dans sa tragédie Œdipe roi. Selon la légende, un oracle aurait prédit aux parents d'Œdipe, Laïos et Jocaste, que leur fils tuerait son père et épouserait sa mère. Afin d'éviter cette tragédie, ses parents décident de faire adopter Œdipe loin de Thèbes. Mais, arrivé à l'âge adulte, Œdipe réalise la prophétie : il tue un homme, qui se révèle être son père, et épouse sa mère, reine de Thèbes. Lorsque, plus tard, il réalise ce qu'il a fait, Œdipe se crève les yeux et quitte Thèbes. Il mènera alors une vie d'errance.
Freud s'inspire de cette histoire pour expliquer un moment du développement de l'être humain qu'il nomme le complexe d'Œdipe. Pour Freud, l'homme est sans cesse assailli par des pulsions, qui sont d'ordre biologique et sont régies par le principe de plaisir. L'un des types de pulsions le plus important est la libido, c'est-à-dire les pulsions sexuelles. En effet, selon lui, la sexualité ne se limite pas aux activités proprement sexuelles, mais concerne toutes les activités procurant du plaisir. Le « complexe d'Œdipe » est un exemple célèbre de ces pulsions sexuelles : dans ses premières années, l'enfant va porter son désir sur le parent de sexe opposé. Ce parent devient donc objet de désir : il est ce qui apporte plaisir et soulagement. L'enfant développe donc un désir inconscient d'être aimé de son parent, et ce désir l'amène à considérer l'autre parent comme un rival devant être mis à mort. Ce désir, essentiel à la construction de la personnalité de tout individu, est refoulé à cause de l'interdit social de l'inceste. Généralement, il disparaît autour de quatre ou cinq ans.
Le moi n'est pas maître dans sa propre maison.
Sigmund Freud
Essais de psychanalyse appliquée, trad. Marie Bonaparte et E. Marty, Paris, éd. Gallimard, coll. « Les Essais » (n° 61), (1952)
1920
En affirmant cela, Freud affirme l'existence d'un inconscient au sein de l'appareil psychique humain. Il s'attaque ainsi à la vision classique du sujet, vu comme complètement maître de lui-même. La mise en évidence de l'existence de l'inconscient montre que le psychisme humain est en réalité beaucoup plus complexe.
Inconscient et mauvaise foi
Considérons ce garçon de café. Il a le geste vif et appuyé, un peu trop précis, un peu trop rapide, il vient vers les consommateurs d'un pas un peu trop vif, il s'incline avec un peu trop d'empressement, sa voix, ses yeux expriment un intérêt un peu trop plein de sollicitude pour la commande du client, enfin le voilà qui revient, en essayant d'imiter dans sa démarche la rigueur inflexible d'on ne sait quel automate tout en portant son plateau avec une sorte de témérité de funambule, en le mettant dans un équilibre perpétuellement instable et perpétuellement rompu, qu'il rétablit perpétuellement d'un mouvement léger du bras et de la main. Toute sa conduite nous semble un jeu. Il s'applique à enchaîner ses mouvements comme s'ils étaient des mécanismes se commandant les uns les autres, sa mimique et sa voix même semblent des mécanismes ; il se donne la prestesse et la rapidité impitoyable des choses. Il joue, il s'amuse. Mais à quoi donc joue-t-il ? Il ne faut pas l'observer longtemps pour s'en rendre compte : il joue à être garçon de café.
Jean-Paul Sartre
L'Être et le Néant, Paris, éd. Gallimard, coll. « Bibliothèque des idées »
1943
Si jouer un rôle est faire preuve de mauvaise foi, c'est parce que l'homme est un être entièrement libre. Contrairement au plateau que porte le garçon de café, qui a une essence définie, et close sur elle-même (c'est un être en-soi), l'homme n'est que ce qu'il fait et ce qu'il décide (c'est un être pour-soi, il a conscience de lui-même). En ce sens, l'homme n'a pas d'essence figée : il est ouvert sur le devenir, il est sans cesse quelque chose de nouveau. L'attitude que Sartre appelle mauvaise foi consiste justement à refuser cette entière liberté dont dispose l'homme. Ainsi, jouer un rôle revient à prétendre que nous avons une essence déterminée : c'est se mentir à soi-même, en refusant d'accepter que nous sommes libres.
Il faut éviter ici plusieurs erreurs que fonde le terme d'inconscient. La plus grave de ces erreurs est de croire que l'inconscient est un autre Moi ; un Moi qui a ses préjugés, ses passions et ses ruses ; une sorte de mauvais ange, diabolique conseiller. Contre quoi il faut comprendre qu'il n'y a point de pensées en nous sinon par l'unique sujet, Je ; cette remarque est d'ordre moral.
Alain
Éléments de philosophie, Paris, éd. Gallimard, coll. « Folio essais » (1990)
1916
Dans cet extrait, Alain entend souligner le fait qu'accepter l'hypothèse de l'inconscient constitue une faute morale. En effet, poser l'existence dans un sujet d'une instance qui prendrait des décisions à sa place revient à lui donner la possibilité de se décharger de la responsabilité de ses actions et de ses pensées.