Sommaire
IDéfinition de l'organismeIILa difficulté de faire l'expérience de la vie en généralIIILe vivant et son milieuAL'exemple de la tiqueBL'importance du milieu : Georges CanguilhemDéfinition de l'organisme
La vie, c'est l'ensemble des fonctions qui résistent à la mort.
Xavier Bichat
Recherches physiologiques sur la vie et la mort, Paris, éd. Flammarion, GF (n° 808) (1994)
1799
Le médecin Xavier Bichat propose de définir la vie comme étant l'ensemble des forces qui, au sein d'un être vivant, résiste à la mort.
Un être organisé n'est pas simplement machine, car la machine possède uniquement une force motrice ; mais l'être organisé possède en soi une force formatrice.
Emmanuel Kant
Critique de la faculté de juger, (Kritik der Urteilskraft), trad. Alain Renault, Paris, Flammarion, Garnier Flammarion / Philosophie (2000)
1790
Kant met en évidence la capacité du vivant de se régénérer et de créer des formes nouvelles. La capacité de se développer, de croître, de se reproduire et, dans une certaine mesure, de se réparer, sont les caractères qui distinguent le vivant d'une machine. Ce sont ces facultés dont rend compte la notion de force formatrice.
Kant illustre la différence entre un organisme vivant et une machine en utilisant l'exemple d'une montre. Alors que deux montres côte à côte ne pourront jamais en produire une troisième, l'être vivant possède cette faculté extraordinaire de créer un nouvel être vivant à partir de lui-même. Contrairement à la machine, que l'on peut expliquer grâce à la notion de force motrice, c'est-à-dire grâce aux lois de la mécanique, la compréhension du vivant requiert que l'on fasse appel à l'idée d'une force formatrice.
Tous les phénomènes d'un corps vivant sont dans une harmonie réciproque telle, qu'il paraît impossible de séparer une partie de l'organisme, sans amener immédiatement un trouble dans tout l'ensemble.
Claude Bernard
Introduction à l'étude de la médecine expérimentale, Paris, éd. Flammarion, coll. "Champs Classiques" (2013)
1865
Claude Bernard insiste ici sur la solidarité entre les différentes parties qui composent un être vivant. Ainsi, l'interdépendance des organes entre eux est telle qu'il est impossible de penser la fonction d'une partie en la séparant du tout qu'est l'organisme. Il y a donc un lien de réciprocité entre les parties et le tout, mais aussi des parties entre elles.
La vie apparaît comme un courant qui va d'un germe à un germe par l'intermédiaire d'un organisme développé. Tout se passe comme si l'organisme lui-même n'était qu'une excroissance, un bourgeon que fait saillir le germe ancien travaillant à se continuer en un germe nouveau. L'essentiel est la continuité de progrès qui se poursuit indéfiniment, progrès invisible sur lequel chaque organisme visible chevauche pendant le court intervalle de temps qu'il lui est donné de vivre.
Henri Bergson
L'Évolution créatrice, Paris, éd. Félix Alcan
1907
Pour Bergson, les organismes suivent un progrès, il y a une idée de continuité dans la nature.
La difficulté de faire l'expérience de la vie en général
Je veux savoir quel effet cela fait à une chauve-souris d'être une chauve-souris. Si j'essaie d'imaginer cela, je suis borné aux ressources de mon propre esprit, et ces ressources sont inadéquates pour cette tâche.
Thomas Nagel
Quel effet cela fait d'être une chauve-souris ?, The Philosophical Review (no 83, 4)
octobre 1974
Thomas Nagel souligne ici qu'il est impossible de connaître la condition d'un vivant différent de nous. S'il est impossible de savoir ce qu'est la vie, plus précisément la conscience d'un autre vivant, c'est que les ressources dont dispose l'homme sont entièrement fondées sur sa propre expérience. En tant qu'expérience subjective, l'expérience de la vie d'un autre vivant est hors de notre portée.
Le vivant et son milieu
L'exemple de la tique
Le monde propre : la tique
Dans Mondes animaux et monde humain, Jakob von Uexküll utilise l'exemple de la tique pour montrer que les animaux possèdent un monde propre, c'est-à-dire un milieu. Ainsi montre-t-il qu'une tique est capable de rester suspendue sans mouvement à un arbre dans l'attente du passage d'un mammifère dont elle pourra se nourrir. Durant cette période, seuls trois signaux déterminent l'ensemble du monde pour la tique :
- Un stimulus olfactif, qui lui indique la présence d'un animal.
- Un stimulus tactile, qui la pousse à chercher, sur l'animal, une partie sans poils.
- Enfin, d'une réaction consistant à plonger sa tête dans la chair de l'animal pour se gonfler de sang, se laisser tomber puis pondre.
Le monde propre de la tique, c'est-à-dire son milieu, se limite donc à ces trois signaux : tout le reste de ce qui, pour nous par exemple, constitue le monde, "disparaît" pour elle.
À travers cet exemple de la tique, Jakob von Uexküll entend montrer que chaque vivant a son monde propre, c'est-à-dire qu'il évolue dans un milieu constitué des éléments naturels et biologiques pertinents pour lui. C'est pourquoi il énonce la chose suivante : "Trop souvent nous nous imaginons que les relations qu'un sujet entretient avec les choses de son milieu prennent place dans le même espace et dans le même temps que ceux qui nous relient aux choses de notre monde humain. Cette illusion repose sur la croyance en un monde unique dans lequel s'emboîteraient tous les êtres vivants".
L'importance du milieu : Georges Canguilhem
Le milieu dont l'organisme dépend est structuré, organisé par l'organisme lui-même.
Georges Canguilhem
La Connaissance de la vie, éd. Vrin, coll. "Bibliothèque des textes philosophiques" (1992)
1952
Canguilhem souligne ici que l'être vivant ne se contente pas de réagir mécaniquement aux stimuli de son milieu, c'est-à-dire du monde extérieur. Bien au contraire, l'être vivant façonne son milieu : c'est uniquement pour un être vivant qu'il y a un milieu.