La différence entre l'art et la technique
« Je confesse une fois de plus que le travail m'intéresse infiniment plus que le produit du travail. »
Paul Valéry
« Calepin d'un poète »
1920
« L'Art est ce qui révèle à la conscience la vérité sous forme sensible. »
Georg Wilhelm Friedrich Hegel
Esthétique
1818-1829
Rendre sensible ne se réduit pas à rendre visible. Certes, les beaux-arts (architecture, sculpture, peinture) sont les premiers arts évoqués par Hegel, et les premiers auxquels on pense lorsqu'on dit « art ». Mais l'esthétique traite aussi de la musique et de la littérature, où l'élément sensible n'est plus visuel, mais sonore puis émotionnel.
L'art est un langage basé sur l'expression sensible du vrai, qui stimule les sentiments humains mais peut mener aussi à des réflexions. L'émotion ressentie devant une œuvre permet d'accéder à la vérité, comme si seule une œuvre « vraie » pouvait émouvoir. C'est l'une des différences entre l'art et la technique, essentiellement utilitaire.
« [À] proprement parler, [les œuvres d'art] ne sont pas fabriquées pour les hommes, mais pour le monde, qui est destiné à survivre à la vie limitée des mortels, au va-et-vient des générations. Non seulement elles ne sont pas consommées comme des biens de consommation, ni usées comme des objets d'usage : mais elles sont délibérément écartées des procès de consommation et d'utilisation, et isolées loin de la sphère des nécessités de la vie humaine. »
Hannah Arendt
La Crise de la culture
1961
Dans cette citation, Arendt met en évidence la distinction entre l'œuvre d'art et l'objet technique : les objets techniques sont plus éphémères que les œuvres d'art. En effet, ces dernières, contrairement aux objets techniques, ne s'inscrivent pas dans la vie ordinaire : elles n'ont aucune fonction dans la société (ce qui les soustrait à la consommation et à l'usure). Les œuvres d'art existent pour le monde, c'est-à-dire qu'elles sont destinées à survivre aux générations.
« Il reste à dire en quoi l'artiste diffère de l'artisan. Toutes les fois que l'idée précède et règle l'exécution, c'est industrie. […] Pensons maintenant au travail du peintre de portrait ; il est clair qu'il ne peut avoir le projet de toutes les couleurs qu'il emploiera à l'œuvre qu'il commence ; l'idée lui vient à mesure qu'il fait ; il serait même rigoureux de dire que l'idée lui vient ensuite, comme au spectateur, et qu'il est spectateur aussi de son œuvre en train de naître. Et c'est là le propre de l'artiste. »
Alain
Système des Beaux-Arts
© Gallimard, coll. « Tel », 1920
Pour Alain, le propre de l'artiste est qu'il ne possède pas une idée déterminée de l'œuvre qu'il réalise avant de l'avoir réalisée. C'est en réalisant son œuvre que la règle qui la détermine est rendue manifeste.
« À l'époque de la reproductibilité technique, ce qui dépérit dans l'œuvre d'art, c'est son aura. »
Walter Benjamin
L'Œuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique
1955
Pour Benjamin, ce qui a toujours caractérisé l'œuvre d'art est son « authenticité », c'est-à-dire son statut d'œuvre originale. Or, la reproduction technique des œuvres d'art ruine l'idée même d'authenticité de l'œuvre d'art : pouvant être reproduite à l'infini, l'œuvre d'art s'intègre à la culture de masse et est ainsi désacralisée.
Le jugement de goût
« Lorsqu'il s'agit de ce qui est agréable, chacun consent à ce que son jugement, qu'il fonde sur un sentiment personnel et en fonction duquel il affirme qu'un objet lui plaît, soit restreint à sa seule personne. […] le principe "à chacun son goût" (s'agissant des sens) est un principe valable pour ce qui est agréable. »
Emmanuel Kant
Critique de la faculté de juger
1790
Pour Kant, le jugement qui se rapporte à l'agréable, c'est-à-dire à la façon dont un objet affecte les sens d'un individu, est un principe relatif et subjectif.
« Lorsqu'il dit qu'une chose est belle, il attribue aux autres la même satisfaction ; il ne juge pas seulement pour lui, mais pour autrui et parle alors de la beauté comme si elle était une qualité de la chose. »
Emmanuel Kant
Critique de la faculté de juger
1790
Pour Kant, le jugement de goût sensoriel (l'agréable) doit être séparé du jugement esthétique, que traduit l'exclamation : « c'est beau ! ». On ne discute pas du goût pour l'agréable, et on admet qu'un autre n'aime pas notre plat préféré.
« L'"œil" est un produit de l'histoire reproduit par l'éducation. »
Pierre Bourdieu
La Distinction. Critique sociale du jugement
© Éditions de Minuit, coll. « Le sens commun », 1979
Si Bourdieu dit que l'œil est le produit d'une histoire et d'une éducation, c'est que pour lui, l'idée d'une catégorie esthétique du beau valant universellement est le fruit de l'histoire. Ainsi, le regard à porter sur une œuvre d'art pour en apprécier la beauté suppose un apprentissage.