Sommaire
IOrigine naturelle de la cité : AristoteIILa société et la création du droitIIILes échanges et la sociétéIVTravail et lien socialALe travail humainBLe travail aliénéVLes menaces qui pèsent sur le lien socialATension entre la société et les individus : l'exemple de la modeBLe risque du repli sur soi : l'individualismeOrigine naturelle de la cité : Aristote
L'homme est naturellement un animal politique.
Aristote
La Politique, trad. Jules Tricot, Paris, éd. Vrin, coll. "Bibliothèque des Textes philosophiques" (1995)
IVe siècle av. J.-C.
Pour Aristote, il est dans la nature de l'homme de vivre au sein d'une société. D'ailleurs, selon lui, un homme qui ne vivrait pas en société ne serait pas pleinement un homme : il serait soit un sous-homme, soit un surhomme, c'est-à-dire un dieu.
Évidemment, toutes les associations visent à un bien d'une certaine espèce, et le plus important de tous les biens doit être l'objet de la plus importante des associations, de celle qui renferme toutes les autres ; et celle-là, on la nomme précisément l'État et association politique.
Aristote
La Politique, trad. Jules Tricot, Paris, éd. Vrin, coll. "Bibliothèque des Textes philosophiques" (1995)
IVe siècle av. J.-C.
Le but de l'association humaine en société est d'atteindre le souverain bien, c'est-à-dire le bonheur.
La société et la création du droit
Bien que la terre et toutes les créatures inférieures appartiennent en commun à tous les hommes, chaque homme est cependant propriétaire de sa propre personne. Aucun autre que lui-même ne possède un droit sur elle, le travail de son corps et l'ouvrage de ses mains lui appartiennent en propre. Il mêle son travail à tout ce qu'il fait sortir de l'état dans lequel la nature l'a laissée, et y joint quelque chose qui est sien. Par là, il en fait sa propriété. Cette chose étant extraite par lui de l'étant commun où la nature l'avait mise, son travail lui ajoute quelque chose, qui exclut le droit commun des autres hommes.
John Locke
Traité du gouvernement civil, (Two Treatises of Government), trad. David Mazel, Paris, Flammarion, coll. "Garnier Flammarion / Philosophie" (1999)
1690
Pour John Locke, la terre que l'homme travaille lui appartient. C'est donc le travail de la terre qui est à l'origine de l'idée de propriété. L'homme a travaillé une terre, il se l'est attribuée. Cela paraît évident. C'est un droit qui fonde la société.
Le larcin, le meurtre, l'adultère et toutes sortes d'injures sont défendus par les lois de nature. Mais ce n'est pas la loi de nature qui enseigne ce que c'est qu'il faut nommer larcin, meurtre, adultère, ou injure à un citoyen. C'est à la loi civile qu'il faut s'en rapporter.
Thomas Hobbes
Du citoyen, (De Cive), trad. Philippe Crignon, Paris, éd. GF Flammarion (2010)
1642
À l'état naturel, les interdits existent, mais c'est la société qui fonde le droit, qui le nomme. Ainsi, l'inceste est l'objet d'un évitement général, même chez l'animal, à l'"état de nature". Mais il ne devient une règle que dans la société.
L'état est le monopole de la violence légitime.
Max Weber
Le Savant et le Politique, trad. Julien Freund, Paris, éd. 10-18 (2002)
1959
Max Weber, économiste et sociologue allemand, s'est intéressé à la question du principe de l'État, de ce qui le définit en propre. Selon lui, le propre d'un État est de disposer du "monopole de la violence légitime". En fait, "il n'existe presque aucune tâche dont ne se soit pas occupée un jour un groupement politique quelconque", ni aucune "dont on puisse dire qu'elles aient de tout temps, du moins exclusivement, appartenu aux [...] États" sauf ce qui lui appartient en propre à savoir la violence physique. L'État dispose du monopole de la violence légitime, car si les sujets étaient libres de régler leurs différends entre eux par la violence, il en résulterait l'anarchie.
Max Weber affirme donc que ce qui définit en propre l'État, c'est de pouvoir seul faire un usage juste de la violence afin d'éviter l'anarchie et la destruction de la société même.
Les échanges et la société
L'effet naturel du commerce est de porter à la paix. Deux nations qui négocient ensemble se rendent réciproquement dépendantes : si l'une a intérêt d'acheter, l'autre à intérêt de vendre ; et toutes les unions sont fondées sur les besoins mutuels.
Montesquieu
De l'esprit des lois, Genève, éd. Barrillot & fils
1748
Montesquieu souligne ici que les échanges, rendant les hommes comme les États dépendants les uns des autres pour subvenir à leurs besoins, favorisent des relations pacifiées.
Travail et lien social
Le travail humain
Le mythe de Prométhée
Le mythe de Prométhée, tel que rapporté par Platon dans le Protagoras, explique pourquoi les hommes, contrairement aux animaux, doivent travailler pour subvenir à leurs besoins. Selon ce récit mythique, les dieux, au moment de la création des êtres vivants, confient à deux frères la tâche de répartir les qualités entre les espèces. Épiméthée attribue ainsi aux animaux de la force, de la rapidité, des instincts, des griffes, des ailes, etc. Mais il oublie l'homme, qui reste un être sans qualité. Pour réparer cet oubli, son frère, Prométhée, décide de dérober aux dieux le feu, symbole de la technique, pour le donner aux hommes. L'espèce humaine, héritant de la technique, a pu développer le langage, la technologie, et l'agriculture. C'est ainsi que s'explique l'activité technique de l'homme, et, par conséquent, le travail, comme activité de transformation de la nature.
Néanmoins, le mythe ne s'arrête pas là : la possession du savoir-faire technique est fragile, car elle ne permet pas aux hommes de vivre ensemble. En effet, il semble que sans la politique et l'art de la guerre qui va avec, l'humanité soit incapable de s'organiser collectivement, et donc de cohabiter. Les dieux sont inquiets, et ainsi Zeus décide d'offrir à tous les hommes sans distinction le sens politique.
Selon ce mythe, si le travail, comme activité de transformation de la nature grâce à l'intelligence technique, est le propre de l'homme, il ne suffit pas à créer la cohésion d'une société. L'art de la politique est donc aussi nécessaire.
Ce qui distingue dès l'abord le plus mauvais architecte de l'abeille la plus experte, c'est qu'il a construit la cellule dans sa tête avant de la construire dans la ruche.
Karl Marx
Le Capital. Critique de l'économie politique, (trad. Das Kapital. Kritik der politischen Ökonomie), trad. Joseph Roy, éd. Maurice Lachâtre
1867
Pour Marx, ce qui distingue le travail humain de la production animale est bien l'activité de conception de l'objet à réaliser qui précède sa réalisation, là où l'animal ne semble que suivre son instinct.
Le travail aliéné
De produit individuel d'un ouvrier indépendant faisant une foule de choses, la marchandise devient le produit social d'une réunion d'ouvriers dont chacun n'exécute constamment que la même opération de détail.
Karl Marx
Le Capital. Critique de l'économie politique, (trad. Das Kapital. Kritik der politischen Ökonomie), trad. Joseph Roy, éd. Maurice Lachâtre
1867
Marx souligne ici la nouvelle forme de division du travail, qui fait de l'ouvrier un travailleur aliéné.
L'ouvrier, qui travaille pour vivre, ne compte pour le travail comme faisant partie de sa vie ; c'est bien plutôt le sacrifice de cette vie.
Karl Marx
Le Capital. Critique de l'économie politique, (trad. Das Kapital. Kritik der politischen Ökonomie), trad. Joseph Roy, éd. Maurice Lachâtre
1867
Lorsque le travail devient travail à la chaîne, on ne ressent plus la moindre satisfaction pour la création d'un objet. Le but du travail devient le salaire, c'est-à-dire le moyen de subvenir à ses besoins pour travailler encore.
Les menaces qui pèsent sur le lien social
Tension entre la société et les individus : l'exemple de la mode
La mode comme forme sociale
Pour Georg Simmel, il est possible de lire dans le phénomène social de la mode la tension à l'œuvre dans toute société. En effet, dans la mode, l'individu tente à la fois de s'individualiser tout en signifiant son appartenance à un groupe défini.
L'exemple de la mode est caractéristique du fonctionnement du lien social des sociétés modernes, entre besoin de s'individualiser et besoin de cohésion au niveau du tout que forme la société.
Le risque du repli sur soi : l'individualisme
L'individualisme est un sentiment [...] qui dispose chaque citoyen à s'isoler de la masse de ses semblables et à se retirer à l'écart avec sa famille et ses amis, de telle sorte que, après s'être ainsi créé une petite société à son usage, il abandonne volontiers la grande société à elle-même.
Alexis de Tocqueville
De la démocratie en Amérique, Paris, GF Flammarion (2010)
1835-1840
L'individualisme n'est pas l'égoïsme. L'individualisme est une attitude propre aux sociétés démocratiques, au sein desquelles les individus sont égaux, et qui consiste, pour un individu, à peu à peu s'isoler de l'ensemble formé par la société pour se replier sur la sphère privée. Cette attitude traduit donc un désintérêt pour la chose publique, ce qui a pour conséquence la possibilité qu'un pouvoir despotique s'installe.