L'homme, animal politique
Aristote
Aristote
La Politique
IVe siècle av. J.-C.
Aristote
Éthique à Nicomaque
IVe siècle av. J.-C.
Pour Aristote, si l'homme s'apparente au règne animal par sa nature biologique, ce qui le différencie des autres animaux est le fait qu'il vit en société. Le fait d'être un animal politique constitue la différence spécifique de l'homme. En outre, Aristote souligne que si l'homme vit naturellement entouré de ses semblables, c'est aussi parce que cela constitue le seul moyen pour lui d'être pleinement homme, c'est-à-dire de développer l'excellence qui lui est propre. En effet, ce n'est que dans la relation humaine que l'homme peut exister comme un homme et déployer sa vertu propre : celle d'un être de raison voué à nouer avec les autres des rapports d'amitié et de justice. C'est pourquoi la fin visée par la cité constitue le souverain bien.
Le but de l'État, c'est le bonheur de la vie. Toutes ses institutions ont pour fin le bonheur. [...] Mais bien vivre selon nous, c'est vivre heureux et vertueux ; il faut donc admettre en principe que les actions heureuses et vertueuses sont le but de la société politique et non pas seulement la vie commune.
Aristote
La Politique, trad. Jules Tricot, Paris, éd. Vrin, coll. "Bibliothèque des Textes philosophiques" (1995)
IVe siècle av. J.-C.
Le but de la cité, c'est-à-dire de la vie en communauté, n'est pas seulement de survivre, mais de réaliser la vie digne de l'homme, c'est-à-dire une vie selon la raison.
L'insociable sociabilité de l'homme
Kant
Kant
Idée d'une histoire universelle au point de vue cosmopolitique
1784
Kant énonce une théorie, celle de l'insociable sociabilité des hommes. En effet, il pense que l'homme, par nature, ne peut qu'entretenir une relation conflictuelle à la société. L'homme porte en lui la sociabilité, il veut entrer dans une société.
Néanmoins, Kant avance que l'homme porte également en lui une tendance inverse. En effet, il veut aussi se séparer des autres hommes, tout régler selon ses idées, ses envies, "il trouve en même temps en lui-même l'insociabilité qui fait qu'il veut tout régler à sa guise et il s'attend surtout à provoquer une opposition des autres".
Si ces deux tendances semblent antagonistes, Kant montre qu'en réalité elles sont complémentaires, et expliquent le développement des sociétés humaines et leurs progrès. D'une part, le désir de se singulariser pousse les individus à développer toujours davantage leurs talents, d'autre part, la poursuite de l'intérêt personnel est un facteur d'association des hommes, qui ne peuvent subvenir seuls à leurs besoins. L'insociabilité est donc un facteur de culture et de société.
L'homme a une inclination à s'associer, parce que dans un tel état il se sent plus qu'homme, c'est-à-dire qu'il sent le développement de ses dispositions naturelles.
Emmanuel Kant
Idée d'une histoire universelle au point de vue cosmopolitique, trad. Luc Ferry, Paris, éd. Folio (2009)
1784
L'histoire humaine est ponctuée de guerres, massacres et conflits qui prouvent que les hommes ne peuvent pas vivre ensemble. Toutefois, les beaux-arts, la technique, la morale, sont également des produits de la vie en communauté, du partage entre les hommes. Ainsi, l'homme est à la fois insociable, car il ne peut vivre en communauté, et sociable, car il peut vivre en harmonie avec les autres hommes.
Le contrat social
Rousseau
Rousseau
Du contrat social
1762
Le contrat social est un pacte qui détermine l'organisation d'une société. Rousseau remet en question le contrat de servitude théorisé par Hobbes.
Rousseau définit un contrat social qui assure la sécurité des hommes mais protège également leur liberté. Il tente donc de répondre à la question suivante : comment renoncer à la liberté sauvage sans perdre sa liberté tout court ? Pour cela, Rousseau pense qu'il faut allier légitimité du souverain à légitimité morale. Selon lui, cette morale est exigée par la dignité humaine. L'homme perd son droit naturel non au profit du souverain, mais au profit de la communauté. Le souverain ne doit donc pas abuser de l'abdication de la liberté naturelle de ceux qui forment sa communauté.
Le vrai contrat social passe entre chaque particulier et la communauté. Le contrat ne se fait pas les uns avec les autres, mais de l'homme avec tous les hommes. L'homme accepte de céder son droit à faire usage de sa force personnelle au profit d'une force publique. Le pouvoir politique repose sur l'abandon de chaque être humain à vouloir être souverain. L'état de nature pousse en effet l'homme à vouloir être maître. Pour vivre en société, l'homme doit renoncer à cette idée. L'État doit donc être un être moral, qui respecte la liberté donnée et chaque être humain qui a consenti à ce sacrifice. L'État, c'est tous les hommes, et tous les hommes ne peuvent être que si chaque homme accepte de le faire exister. Le contrat social ne peut donc tenir que si tous les hommes acceptent de le maintenir.
Renoncer à sa liberté, c'est renoncer à sa qualité d'homme, aux droits de l'humanité, même à ses devoirs. Il n'y a nul dédommagement possible pour quiconque renonce à tout. Une telle renonciation est incompatible avec la nature de l'homme ; et c'est ôter toute moralité à ses actions que d'ôter toute liberté à sa volonté.
Jean-Jacques Rousseau
Du contrat social, Paris, éd. GF Flammarion (2011)
1762
Les échanges interindividuels comme fondement du lien social
Smith
Smith
La Richesse des nations
1776
Adam Smith est un économiste du XVIIIe siècle. Il avance que tous les pays ont intérêt à se spécialiser dans la production d'un produit afin d'échanger avec les autres pays. En effet, si chaque pays se spécialise dans un produit, chacun aura quelque chose à vendre aux autres. C'est le principe de la division du travail, qui pour lui ne doit pas être uniquement national, mais international. Ainsi, les hommes du monde entier vont effectuer des échanges, ce qui crée du lien social. La production mondiale va s'accroître, les gains engendrés vont alimenter l'économie mondiale, les échanges non seulement commerciaux mais sociaux vont être créés. Ainsi, les échanges interindividuels commerciaux sont le fondement du lien social.
Les faits sociaux
Durkheim
Durkheim
Les Règles de la méthode sociologique
1895
Pour Émile Durkheim, un fait social s'explique toujours par un autre fait social. Ainsi, pour comprendre un comportement social, il faut le voir comme étant le résultat d'un conditionnement socio-culturel.
La sociologie est une "physique sociale". Pour expliquer un fait social, il faut donc remonter aux causes de sa production. Souvent, les faits sociaux suivent le principe du déterminisme. Il décrit ainsi les faits sociaux comme "des manières d'agir, de penser et de sentir extérieures à l'individu, et qui sont douées d'un pouvoir de coercition en vertu duquel ils s'imposent à lui". Ainsi, l'homme ne choisit pas, il subit. Les faits sociaux se produisent indépendamment de la volonté des hommes.
La cause déterminante d'un fait social doit être recherchée parmi les faits sociaux antécédents et non parmi les états de la conscience individuelle.
Émile Durkheim
Les Règles de la méthode sociologique, Paris, éd. Payot, coll. "Petite Bibliothèque Payot" (2009)
1895
Le travail aliéné
Marx
Marx
Le Capital
1867
Dans son analyse du travail, Marx montre qu'en théorie, le travail est libérateur pour l'homme. Il lui permet d'une part d'assurer la maîtrise de son environnement, et d'autre part, d'affirmer son habileté et ses pensées en transformant le monde. Pourtant, l'expérience de l'industrialisation et le développement du travail ouvrier au XIXe siècle amènent Marx à souligner qu'il existe des formes de travail qui, loin de libérer l'homme, le rendent étranger à lui-même. C'est ce qu'il nomme le travail aliéné.
En effet, si le travail est censé libérer l'homme de la nature et l'aider à se réaliser pleinement, le travail à la chaîne et l'exploitation de la force ouvrière semblent avoir le résultat inverse. Cette modification de la valeur du travail tient à une modification des modes de production. Avant l'industrialisation, chaque travailleur était un artisan spécialisé, qui maîtrisait la production d'un type d'objet spécifique (chaussure, lampe, etc.), et connaissait la satisfaction de donner naissance à un objet qu'il avait entièrement produit. C'est ce qui change avec le mode de production capitaliste, au sein duquel l'objet est désormais réalisé par une équipe d'ouvriers. Les gestes du travailleur, limités à une tâche précise, deviennent répétitifs, et l'ouvrier perd ainsi toute satisfaction à réaliser son travail, puisqu'il n'en perçoit plus le sens global. Il s'agit bien d'un travail aliéné, car le travail a alors perdu sa fonction originelle. Loin de libérer les hommes, ceux-ci ne possèdent plus que leur force de travail qu'ils échangent contre un salaire très faible, leur permettant à peine de reproduire cette force de travail. Il n'est plus question de se réaliser soi-même dans son travail et de se reconnaître soi-même dans le résultat de son travail.
De produit individuel d'un ouvrier indépendant faisant une foule de choses, la marchandise devient le produit social d'une réunion d'ouvriers dont chacun n'exécute constamment que la même opération de détail.
Marx
Le Capital. Critique de l'économie politique, (trad. Das Kapital. Kritik der politischen Ökonomie), trad. Joseph Roy, éd. Maurice Lachâtre
1867
L'individualisme
Tocqueville
Tocqueville
De la démocratie en Amérique
1835-1840
Tocqueville a entrepris d'étudier le développement de la jeune démocratie américaine, afin de mettre en évidence les traits caractéristiques de ce nouveau type de régime politique. Il rend compte de cette étude dans De la démocratie en Amérique. Ce que met en évidence Tocqueville est le fait qu'au sein de cet état social marqué par la liberté et l'égalité des citoyens, ceux-ci développent une attitude nouvelle : l'individualisme. Contrairement à l'égoïsme, qui a existé de tout temps et pousse l'homme à rechercher son intérêt personnel, l'individualisme est caractérisé par un désintérêt pour la chose publique et un repli sur le domaine des relations privées (la famille, les amis). Or, le développement de l'individualisme présente un risque majeur pour la démocratie : en se désintéressant de leurs concitoyens, les hommes laissent alors le lien social s'affaiblir. Et, tandis que chacun est tourné vers ses affaires privées, la place est laissée pour ce que Tocqueville nomme un despotisme doux : un pouvoir qui, sans user de la force ni de la contrainte, prend peu à peu sous sa coupe tous les pans de la vie sociale et politique délaissés par les citoyens.
Je veux imaginer sous quels traits nouveaux le despotisme pourrait se produire dans le monde : je vois une foule innombrable d'hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs dont ils emplissent leur âme. Chacun d'eux, retiré à l'écart, est comme étranger à la destinée de tous les autres […]; il n'existe qu'en lui-même et pour lui seul, et, s'il lui reste encore une famille, on peut dire du moins qu'il n'a plus de patrie.
Au-dessus de ceux-là s'élève un pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul d'assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort. Il est absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux. […] Il travaille volontiers à leur bonheur ; mais il veut en être l'unique agent et le seul arbitre ; il pourvoit à leur sécurité, prévoit et assure leurs besoins, facilite leurs plaisirs, conduit leurs principales affaires, dirige leur industrie, règle leurs successions, divise leurs héritages, que ne peut-il leur ôter entièrement le trouble de penser et la peine de vivre ? […]
Après avoir pris ainsi tour à tour dans ses puissantes mains chaque individu et l'avoir pétri à sa guise, le souverain étend ses bras sur la société tout entière ; il en couvre la surface d'un réseau de petites règles compliquées, minutieuses et uniformes, à travers lesquelles les esprits les plus originaux et les âmes les plus vigoureuses ne sauraient se faire jour pour dépasser la foule ; il ne brise pas les volontés mais il les amollit, les plie et les dirige ; il force rarement d'agir, mais il s'oppose sans cesse à ce qu'on agisse ; il ne détruit point, il empêche de naître ; il ne tyrannise point, il gêne, il comprime, il énerve, il éteint, il hébète, et il réduit enfin chaque nation à n'être plus qu'un troupeau d'animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger.
Alexis de Tocqueville
De la démocratie en Amérique, Paris, GF Flammarion (2010)
1835-1840