Sommaire
IDéfinir l'ÉtatIILa légitimité de l'ÉtatIIILa justice et la forceIVLes limites de la loiVJustice et ÉgalitéDéfinir l'État
Il n'y a donc pas de roi dans la tribu, mais un chef qui n'est pas un chef d'État. Qu'est-ce que cela signifie ? Simplement que le chef ne dispose d'aucune autorité, d'aucun pouvoir de coercition, d'aucun moyen de donner un ordre. Le chef n'est pas un commandant, les gens de la tribu n'ont aucun devoir d'obéissance. L'espace de la chefferie n'est pas le lieu du pouvoir, et la figure (bien mal nommée) du "chef" sauvage ne préfigure en rien celle d'un futur despote. Ce n'est certainement pas de la chefferie primitive que peut se déduire l'appareil étatique en général.
Pierre Clastres
La Société contre l'État, Paris, Éditions de Minuit, Collection "Critique"
1974
Dans les sociétés primitives, le chef ne possède pas l'autorité que possède le chef de l'État moderne. Loin d'incarner le pouvoir, le chef de la tribu n'est que le relais de la tradition, de laquelle découle toute l'autorité. Ainsi, dans les sociétés primitives, il n'existe pas un pouvoir politique séparé de la société.
L'État moderne est un groupement de domination de caractère institutionnel qui a cherché (avec succès) à monopoliser, dans les limites d'un territoire, la violence physique légitime comme moyen de domination et qui, dans ce but, a réuni dans les mains des dirigeants les moyens matériels de gestion.
Max Weber
Le Savant et le Politique, trad. Julien Freund, Paris, éd. 10-18 (2002)
1959
Outre le fait que l'État est un ensemble d'institutions ayant autorité sur un territoire donné, Max Weber souligne ici que l'État est le seul organe de la société qui peut user de la force de façon légitime, c'est-à-dire de façon justifiée. C'est la raison pour laquelle il parle d'un monopole de la violence légitime : la seule forme de violence acceptée par la loi est celle que l'État peut exercer pour préserver le bien commun.
La légitimité de l'État
Il s'agit d'une unité réelle de tous en une seule et même personne, unité réalisée par une convention de chacun avec chacun passée de telle sorte que c'est comme si chacun disait à chacun : j'autorise cet homme ou cette assemblée, et je lui abandonne mon droit de me gouverner moi-même, à cette condition que tu lui abandonnes ton droit et que tu autorises toutes ses actions de la même manière.
Thomas Hobbes
Léviathan, Paris, éd. Gallimard, Gérard Mairet (2000)
1651
Hobbes souligne ici que la condition pour que le pouvoir en place soit légitime est que tous les individus contractant remettent leur force entre les mains d'une autorité supérieure, le Léviathan. Le contrat ne vaut donc que si chaque homme accepte de se soumettre à l'autorité de l'État.
Trouver une forme d'association qui défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun s'unissant à tous n'obéisse pourtant qu'à lui-même et reste aussi libre qu'avant ? Tel est le problème fondamental dont le contrat social donne la solution. […] Si donc on écarte du pacte social ce qui n'est pas de son essence, on trouvera qu'il se réduit aux termes suivants : Chacun de nous met en commun sa personne et toute sa puissance sous la suprême direction de la volonté générale ; et nous recevons en corps chaque membre comme partie indivisible du tout.
Jean-Jacques Rousseau
Du contrat social, Paris, éd. GF Flammarion (2011)
1762
Rousseau énonce ici les conditions pour que l'association des hommes en État repose sur un fondement légitime. En effet, pour être légitime, l'État doit reposer sur un contrat qui produit la volonté générale, c'est-à-dire d'une volonté commune à tous ses membres.
Nous voyons que sur les terres communes, qui le demeurent par convention, c'est le fait de prendre une partie de ce qui est commun et de l'arracher à l'état où la laisse la nature qui est au commencement de la propriété, sans laquelle ces terres communes ne servent à rien. Et le fait qu'on se saisisse de ceci ou de cela ne dépend pas du consentement explicite de tous. Ainsi, l'herbe que mon cheval a mangée, la tourbe qu'a coupée mon serviteur et le minerai que j'ai déterré, dans tous les lieux où j'y ai un droit en commun avec d'autres, deviennent ma propriété, sans que soit nécessaire la cession ou le consentement de qui que ce soit. Le travail, qui était le mien, d'arracher ces choses de l'état de possessions communes où elles étaient, y a fixé ma propriété.
John Locke
Traité du gouvernement civil, (Two Treatises of Government), trad. David Mazel, Paris, Flammarion, coll. "Garnier Flammarion / Philosophie" (1999)
1690
Locke pense que l'état de nature est caractérisé par la liberté individuelle et la propriété privée. Il les définit comme des droits naturels. L'Homme veut protéger sa propriété et préserver sa liberté. Grâce au contrat social, il est protégé, car ce contrat garantit le droit à la propriété et à la liberté. L'État est donc le moyen de protéger la liberté individuelle et la propriété privée. Du coup, il préserve l'état de nature.
La justice et la force
La justice est sujette à dispute. La force est très reconnaissable et sans dispute. Aussi on n'a pu donner la force à la justice, parce que la force a contredit la justice et a dit qu'elle était injuste, et a dit que c'était elle qui était juste.
Et ainsi, ne pouvant faire que ce qui est juste fût fort, on a fait que ce qui est fort fût juste.
Blaise Pascal
Pensées, publié dans Revue des deux Mondes
1669
Pascal souligne ici qu'alors que ce qui est juste ne fait pas l'objet d'un accord entre les hommes, la reconnaissance de la force se fait aisément. Or, puisque tout Homme se soumet à la force, c'est donc d'abord la force qui a régné et qui, par la suite, s'est donné une apparence de justice pour se légitimer. Pascal énonce donc d'une part que la justice sans la force est inefficace, et, d'autre part, que la force s'impose toujours au détriment de la justice.
Le plus fort n'est jamais assez fort pour être toujours le maître, s'il ne transforme sa force en droit, et l'obéissance en devoir.
Jean-Jacques Rousseau
Du contrat social, Paris, éd. GF Flammarion (2011)
1762
Ici, Rousseau souligne la limite de l'idée d'un droit du plus fort. En effet, la force ne peut constituer un droit, car elle n'est pas pérenne. Le plus fort n'est jamais assez fort pour toujours le rester : il peut toujours rencontrer plus fort que lui, ou plus rusé. En outre, toute personne vieillit : elle ne peut donc pas rester la plus forte éternellement. C'est donc parce que la force n'est pas une garantie à la manière d'un droit, qui vaut toujours, que le plus fort a besoin du droit pour pouvoir conserver sa supériorité.
L'État, c'est le plus froid de tous les monstres froids. Il ment froidement ; et voici le mensonge qui s'échappe de sa bouche : "Moi, l'État, je suis le peuple."
Friedrich Nietzsche
Ainsi parlait Zarathoustra. Un livre pour tous et pour personne, (Also sprach Zarathustra. Ein Buch für Alle und Keinen), trad. Georges-Arthur Goldschmidt, Paris, éd. Le Livre de Poche, coll. "Classiques" (1972)
1883-1885
Les limites de la loi
Un esprit sage ne condamnera jamais quelqu'un pour avoir usé d'un moyen hors des règles ordinaires pour régler une monarchie ou fonder une république. Ce qui est à désirer, c'est que si le fait l'accuse, le résultat l'excuse ; si le résultat est bon, il est acquitté.
Nicolas Machiavel
Discours sur la première décade de Tite-Live, (Discorsi sopra la prima deca di Tito Livio), trad. Alessandro Fontana, Xavier Tabet, Paris, Gallimard, coll. "Bibliothèque de philosophie" (2004)
1531
Machiavel soutient qu'il n'y a pas de mauvais moyens en politique, mais seulement de bons ou de mauvais résultats. La sagesse en politique consiste donc à prêter attention aux résultats de l'action, et non aux moyens ayant permis d'atteindre ces résultats.
Le respect de la loi vient après celui du droit. La seule obligation que j'ai le droit d'adopter, c'est d'agir à tout moment selon ce qui me paraît juste.
Henry David Thoreau
La Désobéissance civile, (Civil Disobedience), trad. Guillaume Villeneuve, Paris, éd. Mille et une nuits (1997)
1849
Lorsque Thoreau souligne que le respect du droit vient avant celui de la loi, il entend par là le droit idéal, c'est-à-dire la justice comme principe moral. En tant que principe moral, le droit est toujours supérieur à la loi, qui peut être injuste.
Antigone
L'histoire d'Antigone se déroule à Thèbes, sous le règne du roi Créon. Les deux frères d'Antigone, Polynice et Étéocle, se sont battus pour devenir le roi de Thèbes. Étéocle était sur le trône, et son frère, revenant d'exil, désirait réclamer son titre de roi. Les deux frères trouvent la mort dans ce combat. Créon, plus proche parent, se retrouve donc roi de Thèbes, et décide de réserver aux deux frères un sort différent : l'un sera enterré dans les honneurs et selon les rites mortuaires de Thèbes, l'autre sera jeté à la fosse commune sans aucune cérémonie religieuse. C'est le point de départ de la révolte d'Antigone, pour qui ce sort réservé à son frère Polynice est inacceptable : malgré l'édit royal de Créon, celle-ci va tout de même donner à son frère un enterrement religieux.
Dans sa confrontation avec le roi Créon, Antigone oppose la loi humaine, qui émane du pouvoir politique, et la loi divine. Elle insiste sur le fait que la loi humaine est contingente : c'est celle d'une cité à un moment donné de son histoire, elle peut donc être injuste. À l'inverse, la loi divine, éternelle et immuable, incarne toujours la justice. Cette pièce permet donc de comprendre l'opposition entre la justice positive, qui varie selon les lieux et les temps, et l'idéal de justice, qui incarne une exigence morale supérieure, devant valoir universellement.
Justice et Égalité
Les principes de justice, sont ceux que des individus libres et rationnels, désireux de favoriser leurs propres intérêts et placés dans une situation initiale d'égalité, accepteraient et définiraient comme les termes fondamentaux de leur association.
John Rawls
Théorie de la justice, (A Theory of Justice), trad. Catherine Audard, Paris, Éditions du Seuil (1987)
1971
Pour définir les principes de justice, c'est-à-dire les principes d'une société juste, il faut imaginer une situation où des individus libres, égaux et rationnels auraient à décider de la règle de répartition des places dans une société à venir. Dans cette situation, les hommes, ignorant tout de leurs préférences, de leur conception du bien et de la place qu'ils occuperont dans cette société, feront le choix des principes les plus justes possibles. Cette situation constitue pour Rawls la position originelle sous voile d'ignorance.
Le premier exige l'égalité d'attribution des droits et des devoirs de base. Le second, lui, pose que les inégalités socio-économiques […] sont justes si et seulement si elles produisent, en compensation, des avantages pour chacun et, en particulier, pour les membres les plus désavantagés de la société.
John Rawls
Théorie de la justice, (A Theory of Justice), trad. Catherine Audard, Paris, Éditions du Seuil (1987)
1971
Le premier principe est un principe d'égalité des droits, et plus précisément d'un maximum de droits possibles pour tous. C'est le principe du libéralisme politique. Selon ce principe, l'égalité absolue ne s'exerce qu'au niveau des droits politiques. La liberté doit donc avoir priorité sur l'égalité sociale.
Le second principe est un principe d'équité. Il énonce d'une part une égalité réelle des chances pour tous : les positions d'autorité et de responsabilité doivent être à la portée de tous. L'État doit donc faire en sorte que cette exigence soit effective dans la réalité. Il énonce d'autre part un principe de progrès économique et social pour la société dans son ensemble et pour les plus défavorisés avant tout.