Sommaire
IDéfinition du travailIILes effets du travail sur l'hommeALe travail : une formation entre contrainte et dépendanceBLe travail pour former l'homme d'un point de vue moralCLe travail pour former l'homme à vivre avec les autresIIILe travail et ses liens avec la libertéALe travail comme moyen pour être libreBLe travail comme obstacle à la liberté humaineLe travail est considéré comme nécessaire dans les sociétés humaines, il est ce qui permet notamment de gagner un salaire et donc d'être indépendant financièrement parlant. Le travail a des effets sur l'homme : s'il est parfois vécu comme une contrainte ou une dépendance, le travail permet de former l'homme d'un point de vue moral et de lui apprendre à vivre avec les autres. C'est par son travail et sa maîtrise de la technique que l'être humain a été capable de transformer la nature. Le travail se pense souvent par rapport à la question de la liberté : permet-il de libérer l'homme, ou au contraire est-il une entrave à sa liberté ?
Définition du travail
Dans la plupart des sociétés humaines actuelles, le travail est une nécessité pour beaucoup d'êtres humains, puisqu'il est le seul à permettre une rémunération financière. Il existe toutefois d'autres formes de travail que le travail rémunérateur : le travail domestique ou le travail dans les études. En philosophie, on considère que le travail est ce qui transforme la nature pour satisfaire les besoins de l'être humain.
La notion de travail est aujourd'hui intrinsèquement liée à l'idée de production et de rémunération. Le travail, c'est produire un effort et percevoir une rémunération en échange. Le travail permet ainsi d'être indépendant, puisque sans argent, il est actuellement très difficile de survivre. L'être humain a besoin d'argent pour payer un loyer, pour payer sa nourriture et ses vêtements, pour se divertir, etc.
Toutefois, le travail au sens de livrer un effort pour créer quelque chose, pour accomplir une tâche ou pour se perfectionner, existe dans d'autres domaines :
- dans le domaine ménager : le ménage, la cuisine et l'éducation des enfants sont aujourd'hui reconnus comme un travail fatigant ;
- dans le domaine des études : l'apprentissage des cours, les recherches documentaires, la résolution de problèmes ou l'écriture de dissertations et d'articles sont considérés comme le fruit d'un travail intellectuel ;
- dans le domaine du sport : se perfectionner dans un sport avec des entraînements est considéré comme un travail physique ;
- dans le domaine de la création : dessiner, peindre, sculpter, les activités artistiques sont également le fruit d'un travail de perfectionnement.
Si aujourd'hui on parle moins facilement de travail lorsqu'il n'y a pas de rémunération en échange, le travail en tant que travail salarié est pourtant récent dans l'histoire de l'humanité.
D'un point de vue étymologique, lorsqu'on parle du travail, on l'associe souvent à l'idée de contrainte. En effet, on dit souvent qu'étymologiquement, « travail » signifie « contrainte » ou même « moyen de torture » (tripalium en latin). Pourtant, cette étymologie a plusieurs fois été remise en cause. Le travail ne serait donc pas uniquement synonyme de souffrance, labeur et fatigue.
En philosophie, on estime que le travail est ce qui permet la transformation de la nature : l'homme produit des objets et transforme le monde autour de lui pour l'adapter à ses besoins. Il crée ainsi des villes. Il change son habitat naturel. Le travail, c'est donc ce qui s'oppose au loisir et au jeu, c'est ce qui permet de transformer le monde.
Les effets du travail sur l'homme
Le travail a des effets sur l'homme, qu'il soit vécu comme une contrainte ou une dépendance. Il permet notamment de former l'homme moralement parlant et de lui apprendre à vivre en société, avec d'autres humains.
Le travail : une formation entre contrainte et dépendance
Les conditions dans lesquelles s'effectue le travail ont évolué avec l'histoire. Les êtres humains devaient tous travailler pour participer aux différentes tâches de survie ; puis, lorsque les hommes sont devenus sédentaires, les êtres humains se sont organisés en société hiérarchisées. Certains étaient contraints de travailler tandis que d'autres ne travaillaient pas et dépendaient du travail des plus démunis.
L'homme a d'abord vécu dans de petites collectivités où tout le monde était « égal » devant l'impératif de survie et les tâches nécessaires pour satisfaire cet impératif comme la chasse, la pêche ou la cueillette. Tout le monde travaillait.
Avec les difficultés climatiques, l'errance et le nomadisme qui les ont suivis, la nécessité et surtout la rivalité entre clans ont conduit à des guerres de territoires, devenues de plus en plus meurtrières avec l'invention de la métallurgie et des armes. Ces guerres ont mené à l'esclavage, les premiers esclaves étant des prisonniers de guerre contraints de travailler pour les vainqueurs. Le travail est alors devenu une contrainte et l'inégalité devant le travail s'est mise en place.
Même en temps de paix, cette situation s'est généralisée : les plus démunis travaillent le plus durement dans des conditions difficiles. La notion du travail comme contrainte est apparue.
« L'esclave est un instrument vivant, venant avant les autres [...]. Si les navettes [au moyen desquelles on tisse la laine] tissaient toutes seules, le maître des travaux n'aurait pas besoin de serviteurs, ni les chefs de familles, d'esclaves. »
Aristote
La Politique
IVe siècle av. J.-C.
Si le travail peut être perçu comme une contrainte, certains philosophes ont montré que ceux qui ne travaillent pas dépendent du travail des autres. C'est la dialectique du maître et de l'esclave, développée par Hegel dans Phénoménologie de l'esprit. Il montre que le travail, au départ « subi » par un être dépendant, forme et éduque le travailleur. Celui-ci acquiert des savoirs et des savoir-faire qui constituent une formation essentielle. Le maître, au contraire, sombre dans l'oisiveté, l'ennui et la guerre destructrice. Ainsi, le travail, devenu rapidement une dépendance, est aussi, par le progrès technique, la conquête d'une liberté, celle de la connaissance. Sans devenir « l'esclave de son esclave », le maître devient dépendant dans la mesure où il ne travaille pas car il a besoin du savoir technique de son esclave.
L'esclave prépare la nourriture pour son maître. Il fabrique même, plus tard, les armes au moyen desquelles celui-ci fait la guerre, et ainsi « domine » celui qui le sert et dépend de lui. Par ce moyen, l'esclave devient un artisan et, s'il apprend le maniement des armes, il devient aussi un guerrier.
Le maître s'approprie les armes mais n'en maîtrise que le maniement, non la fabrication. C'est pourquoi Grecs et Romains ont reconnu un « dieu » de la métallurgie, Héphaïstos ou Vulcain, aux côtés d'un « dieu » de la guerre, Arès ou Mars.
Le travail pour former l'homme d'un point de vue moral
Emmanuel Kant considère que le travail est un devoir envers soi-même, un devoir qui forme l'homme moralement parlant.
Pour Emmanuel Kant, le travail satisfait la conscience morale et la fierté humaine. Ainsi, l'animal satisfait ses besoins par l'instinct, l'homme satisfait les siens par le travail. Il lui faut néanmoins pour cela un effort qui le sorte de la paresse. Le travail est donc un devoir, et son habitude, une vertu. L'homme qui travaille serait alors un homme meilleur, plus moral, un homme dont la formation est plus accomplie car il se dépasse.
De plus, comme le souligne Freud, le travail peut être considéré comme un bien en lui-même.
« Être normal, c'est aimer et travailler. »
Sigmund Freud
Freud ne parle pas seulement du travail social, mais de tout effort pour mûrir et changer ainsi notre propre « nature ». Il évoque le travail du deuil, effort mental pour surmonter la perte d'un être cher. Le terme « travail » est alors pris comme une métaphore et « l'élaboration » par laquelle on passe de l'affect brut et impensé à la pensée structurée et libératrice.
Il faut encore réserver une place particulière à l'art, travail sur soi-même qui aboutit à la sublimation (concept qui vient de la psychanalyse, défini par Freud dans Trois essais sur la théorie sexuelle), c'est-à-dire à des œuvres qui transfigurent les épreuves subies par l'artiste dans sa vie ainsi que ses désirs refoulés.
Le travail pour former l'homme à vivre avec les autres
Le travail forme l'être humain à la sociabilisation et lui apprend donc à vivre en société. Le travail est en effet lié à la diversité des techniques et à la nécessaire coopération sociale. Le travail favorise également la communication, donc le rapport avec les autres. Il fait vraiment de l'être humain un être social.
Le travail forme l'homme à la sociabilisation et lui apprend donc à vivre en société. Le travail est en effet lié à la diversité des techniques et à la nécessaire coopération sociale.
À la chasse, un homme rabat le gibier et l'autre prépare le piège. Le travail est divisé entre les hommes.
Les philosophes ont comparé cette division à celle d'un organisme, où toutes les parties (les organes avec leurs fonctions respectives) concourent à un même résultat. Pour que le travail aboutisse, il faut pouvoir coopérer. C'est pour cette raison que de nombreux philosophes voient dans la division du travail un facteur de cohésion sociale. On peut citer Platon et Aristote, mais également Adam Smith ou Emmanuel Kant. Tous soulignent que la division du travail favorise l'échange.
Division du travail
La division du travail est la répartition de l'ensemble des tâches à accomplir dans une société ou un groupe humain, indépendamment du statut social. Mais on parle surtout de division sociale du travail en fonction du statut social (esclaves ou travailleurs libres comme les artisans ou commerçants, ou employés et dirigeants) et même du genre de travail à effectuer (« manuel » ou « intellectuel »). Toute activité de production implique en effet la répartition des tâches dans un ensemble organisé.
Dans une chaîne de production quelconque, comme une chaîne de production d'automobiles, la conception (invention, maquette) la fabrication et la commercialisation s'enchaînent nécessairement, mais les tâches restent séparées.
Le travail favorise également la communication, donc le rapport avec les autres. Il fait vraiment de l'homme un être social.
Pour Hegel, travail et langage sont d'ailleurs liés, il les considère comme les deux premières « extériorisations » (c'est-à-dire « manifestations ») de la conscience dans sa relation de « reconnaissance » par les autres consciences. C'est en travaillant avec les autres que le langage, le rapport humain et la communication se sont développés.
Le philosophe français Tran Duc Thao voit l'origine du langage dans la communication des premiers hominidés (ancêtres de l'homme). Les chasseurs se faisaient des gestes qui sont devenus des mots lorsqu'ils tentaient de rabattre le gibier les uns vers les autres.
Le langage devient un instrument de la socialisation, comme support du travail lui-même. Il permet à l'homme de maîtriser son environnement et de se former lui-même. Quelle que soit sa pénibilité, il développe la communication. Ceux qui ne travaillent pas peuvent donc se sentir exclus et frustrés de la compagnie de leurs semblables.
Le travail et ses liens avec la liberté
Le travail peut être pensé comme un moyen pour être libre ou comme un obstacle à la liberté.
Le travail comme moyen pour être libre
Le travail a permis à l'être humain de se libérer de la nature, de se sociabiliser et d'emmagasiner des connaissances, donc de se dépasser. Le travail peut être le travail intellectuel, qui permet d'apprendre et de penser par soi-même. Le travail peut également permettre l'indépendance, notamment financière, et empêcher l'exploitation. Enfin, le travail peut permettre de créer des objets qui deviennent des œuvres, ce qui, pour Hannah Arendt, libère l'homme d'une tâche répétitive et vaine.
« Le règne de la liberté commence seulement à partir du moment où cesse le travail dicté par la nécessité et les fins extérieures. »
Karl Marx
Le Capital. Critique de l'économie politique
1867
Pour Karl Marx, il s'agit de repenser en profondeur la totalité de « la sphère de la production matérielle ». D'une façon générale, chez Marx, le problème est que le travailleur est dépossédé de son travail, exproprié du résultat de son travail, qui lui procure alors un sentiment d'étrangeté. Les fins de son travail ne lui appartiennent pas.
Le travail a permis à l'homme de se libérer de la nature, de se sociabiliser et d'emmagasiner des connaissances, donc de se dépasser. D'ailleurs, même si les philosophes antiques assurent que le travail n'est pas pour les hommes libres, eux-mêmes « travaillent » puisqu'ils réfléchissent au monde et à la condition de l'homme et condamnent sévèrement l'oisiveté. Le travail dit intellectuel semble ainsi être une marque de la liberté humaine.
Par ailleurs, le travail a évolué au cours de l'histoire. En Occident, de nombreux changements ont permis de ne plus être exploité comme autrefois. Ainsi, Karl Marx souligne qu'il y a plus de liberté pour le travailleur dans le capitalisme que dans le servage féodal (les paysans appartenaient à un seigneur et travaillaient sur ses terres) ou dans l'esclavage.
Dans le capitalisme, en effet, des salariés vendent librement leur force de travail sur un « marché » déterminé seulement par la concurrence des travailleurs en recherche d'emploi. Leur « force de travail » est achetée tout aussi librement par les propriétaires des moyens de production ou détenteurs du capital industriel, commercial ou financier. L'esclave, au contraire, est la propriété de son maître. Ce dernier consomme ou revend ce que l'esclave produit, sans lui reverser aucun salaire.
Hannah Arendt, dans Condition de l'homme moderne, distingue deux types de travail : le labor (anglais) qui signifie dépenser son énergie pour une activité dédiée au quotidien, du travail de celui qui fait une œuvre. Pour elle, celui qui fait œuvre, qui crée des objets techniques destinés à durer (Homo faber) est libre. Une œuvre n'est pas un produit de consommation, elle permet de libérer l'être humain d'une tâche répétitive et vaine. En ce sens, l'art ou l'activité spirituelle sont, selon Hannah Arendt, des formes qui permettent de le libérer de sa condition.
Enfin, il existe d'autres formes de travail qui permettent de libérer l'être humain. Ainsi, la psychanalyse est un travail sur soi, sur ses rêves, sur son inconscient, pour essayer de se libérer ou de s'approprier ce qui nous échappe et nous entrave parfois. Freud parle également du travail du deuil, c'est-à-dire du travail à faire après la perte d'un être aimé notamment. Ici, le travail est perçu comme libérateur, puisqu'il aide l'être humain à avancer, à accepter, à être soulagé.
Le travail comme obstacle à la liberté humaine
Toutefois, le travail est souvent associé à quelque chose de difficile.
Étymologiquement, « travail » signifie d'ailleurs « contrainte » ou même « moyen de torture » (tripalium en latin). La Bible fait même du travail la conséquence du péché. En effet, Dieu punit Adam et Ève en associant le travail à la douleur et l'effort : « tu travailleras à la sueur de ton front ». Le travail serait alors une punition. Par ailleurs, l'idée que le travail rend libre a été exploitée au XXe siècle par des idéologies comme le nazisme ou le stalinisme, alors que c'est l'asservissement voire la destruction des hommes qui a effectivement été mis en place.
Le slogan « le travail rend libre » (Arbeit macht frei) figurait au fronton du camp de concentration nazi de Dachau alors que les hommes y étaient exploités et tués.
Le stalinisme a aussi fait l'apologie de l'effort de travail extrême, immortalisé par le mineur Stakhanov sous le nom de « stakhanovisme ».
De plus, même si le travail forme la conscience du travailleur grâce à l'acquisition du savoir technique, de nombreux travailleurs semblent plutôt aliénés que libres. Ainsi, le travail ouvrier, industriel ou même bureaucratique peut « aliéner », c'est-à-dire rendre étranger à soi-même. Le philosophe hongrois Georg Lukacs assure que le travail peut aussi « réifier », c'est-à-dire donner l'apparence d'une chose.
Dans le film de Charlie Chaplin Les Temps modernes, le travail n'est pas libérateur, les ouvriers sont vus comme des êtres mécaniques répétant à la chaîne, inlassablement, le même geste toute la journée. Le personnage de Charlot est même pris dans les rouages de la machine : il devient un objet, il subit.