Sommaire
IDéfinition de la véritéIILa démonstration pour établir la véritéALe rôle de la démonstrationBLes différents types de démonstrationsCLes limites de la démonstration1Les limites de la déduction et de l'induction2Les axiomes mathématiques3La relativitéIIILes degrés, types et valeurs de la véritéALa pluralité de la vérité1Les degrés de la vérité2Les vérités de raison et les vérités de faitBLes différentes valeurs données à la vérité1Le vrai comme efficacité2La position sceptique sur la vérité3L'interdiction de mentir4Le droit de mentir5La vérité comme illusionLa vérité est l'adéquation entre la pensée et la réalité. La méthode pour l'établir est la démonstration. Toutefois, il faut se demander si la vérité est unique et quelle est sa valeur.
Définition de la vérité
La vérité est d'abord une évidence dans le sens où elle est l'adéquation d'un discours ou d'une représentation et d'un objet : on ne peut douter de ce que l'on voit.
Par ailleurs, la vérité est toujours un jugement. On ne dira pas d'un arbre existant qu'il est vrai, mais qu'il est réel. À l'inverse, on dit qu'il est vrai qu'il s'agit d'un chêne : dans ce cas, c'est bien le jugement sur l'arbre qui peut être vrai ou faux.
On remarque que le faux est tout ce qui ne correspond pas au vrai :
- L'erreur est l'absence du vrai. L'indice le plus certain de l'erreur est la contradiction, comme l'explique Leibniz : on ne peut soutenir que quelque chose est blanc et noir "en même temps et sous le même rapport". L'impératif de non-contradiction découle du principe d'identité du réel à lui-même : une pomme est une pomme, un homme est un homme, et le vrai doit demeurer le vrai.
- Le mensonge est la dissimulation du vrai.
- L'illusion trompe, elle donne une fausse image du vrai.
Dans les trois cas de l'erreur, du mensonge et de l'illusion, le jugement faux s'oppose au jugement vrai.
Enfin, la vérité se reconnaît à la certitude qui l'accompagne : lorsque l'on énonce une vérité, on est sûr de soi. Cependant, si la certitude accompagne la vérité, elle ne la constitue pas. En effet, on pourrait simplement manquer de raisons de douter d'une illusion. On peut confondre un serpent avec une corde. On ne "doute pas" alors, au sens fort du mot, qu'il s'agit bien d'une corde. Toutefois, si le serpent bouge ou si l'on se rapproche, on réalise alors qu'il s'agit d'un serpent, quand bien même on était persuadé du contraire. Ainsi, la certitude n'est pas seulement l'absence du doute, mais la claire conscience du vrai.
La vérité peut être une évidence, un jugement ou une certitude, mais on se rend compte qu'il faut une preuve pour définir le vrai. Il faut faire appel à un raisonnement.
La démonstration pour établir la vérité
Le rôle de la démonstration
Pour s'assurer de la vérité de ce que l'on pense, il importe de pouvoir justifier ce que l'on dit.
En ce sens, la démonstration peut jouer le rôle de modèle dans l'élaboration de la vérité. Au sens large, la notion de démonstration se rapporte à tout type de preuve qu'une personne peut fournir pour appuyer ce qu'elle avance. Elle peut donc avoir le sens de justification.
Dans Essais de Théodicée (justification de Dieu), Leibniz développe une immense démonstration dans le domaine théologique (c'est-à-dire, dans les religions monothéistes, relatif à Dieu). Si, par exemple, on dit "Dieu est bon", on doit aussi prouver que ce que Dieu choisit de créer est le "meilleur". Ainsi, il faut prouver que Dieu existe (ce que fait le philosophe) et qu'il choisit toujours le bien. On se heurte alors au problème du mal : pourquoi Dieu permet-il à l'homme de faire de mauvais choix ? Avec la démonstration, l'argumentation rebondit toujours.
Les différents types de démonstrations
Dans un raisonnement inductif, c'est-à-dire dans une induction, on part d'observations pour établir une conclusion dont la vérité est probable.
Par exemple, si l'on dit que tous les corbeaux observés jusqu'à présent sont noirs, on en tire la conclusion que tous les corbeaux sont noirs. Cette conclusion n'est que probable : il se peut qu'un jour on rencontre un corbeau blanc.
La déduction suit le cheminement inverse : partant de prémisses générales, elle les applique à un cas particulier. Ainsi, dans une déduction, si les prémisses sont vraies, alors la conclusion est nécessairement vraie.
Ce qui différencie l'induction de la déduction, c'est donc le lien établi entre les prémisses (c'est-à-dire la proposition admise sur laquelle on base le raisonnement) et la conclusion.
Aristote a défini le syllogisme comme le modèle du raisonnement démonstratif. Le syllogisme est un raisonnement formel qui établit une conclusion nécessaire déduite à partir des prémisses. Un syllogisme se fait en trois étapes : une prémisse majeure, une prémisse mineure, et une conclusion qui se déduit des deux prémisses. La formule suivante est un syllogisme classique : tous les hommes sont mortels (prémisse majeure) ; or, Socrate est un homme (prémisse mineure) ; donc Socrate est mortel (conclusion).
La notion de démonstration connaît aussi un usage plus restreint : il s'agit de la démonstration telle qu'elle est pratiquée dans les mathématiques.
La démonstration mathématique est une forme de raisonnement caractérisée par le fait qu'elle se présente comme un système dont toutes les propositions sont démontrées et cohérentes entre elles.
Plus précisément, la démonstration est une forme de raisonnement qui tire des conclusions à partir de prémisses (points de départ du raisonnement) selon des modalités strictes. Les résultats de la démonstration sont nécessaires : ils ont été prouvés à l'intérieur du système.
Les limites de la démonstration
Les limites de la déduction et de l'induction
Le syllogisme peut être détourné pour constituer des faux raisonnements : les sophismes et les paralogismes.
Ce sont des raisonnements qui ont l'apparence de la validité mais qui ne sont en fait pas valides logiquement. Les prémisses sont vraies, mais la conclusion ne l'est pas.
Sophisme
Le sophisme est un raisonnement qui, partant de prémisses vraies et obéissant aux règles de la logique, aboutit à une conclusion inadmissible.
Dans la pièce Rhinocéros d'Eugène Ionesco, un sophisme célèbre dans lequel le logicien dit au vieux monsieur : "Tous les chats sont mortels. Socrate est mortel. Donc Socrate est un chat."
Paralogisme
Le paralogisme, lui, est un raisonnement dont le départ est faux mais qui apparaît comme rigoureux.
"Tous les chats ont cinq pattes. Gros-Minou est un chat. Donc Gros-Minou a cinq pattes."
Les axiomes mathématiques
Axiome
Un axiome désigne une vérité indémontrable qui doit être admise comme vraie.
Les axiomes constituent la limite de la démonstration : ils ne peuvent pas être démontrés. René Descartes souligne que les axiomes sont immédiatement connus par l'esprit : leur vérité se voit d'elle-même. Ce sont donc des évidences, des "intuitions". On parle ici d'intuition intellectuelle, c'est-à-dire l'acte par lequel l'esprit saisit immédiatement, sans intermédiaire, le vrai. Comme saisie immédiate du vrai, l'intuition n'a besoin ni d'être démontrée ni d'être prouvée par l'expérience. On ne voit pas comment on pourrait démontrer les axiomes eux-mêmes, étant donné que les axiomes sont les principes les plus élémentaires d'une théorie.
Qu'est-ce qui permet alors d'affirmer la vérité des axiomes si on ne peut pas les démontrer ?
En tant que principes les plus élémentaires d'une théorie, les axiomes n'ont pas à être
démontrés.
Il importe de déterminer ce qui permet d'en affirmer la vérité. Pour cela, on peut s'appuyer sur les deux ordres de connaissance de Blaise Pascal. Dans les Pensées, Pascal assure qu'il est possible de distinguer deux ordres de connaissance : la voie de la raison et la voie du cœur : le cœur fournit les premiers principes, et la raison démontre par la suite des propositions à partir d'eux. Ces deux modes d'accès au vrai garantissent la certitude.
La relativité
Une vérité peut n'être vraie ou juste que dans un certain cadre.
Il faut tenir compte de la relativité, c'est-à-dire la dépendance de l'ensemble des énoncés à l'égard d'un système d'axiomes donné.
L'histoire des mathématiques montre que ces premiers principes qui semblaient évidents en eux-mêmes se sont révélés partiellement faux.
L'idée que "le tout est plus grand que la partie" semble évidente. En réalité, dans le cas d'une partie infinie d'un ensemble infini, cela n'est pas vrai.
De la même manière, les axiomes de la géométrie euclidienne ne sont plus absolus. La géométrie euclidienne part du postulat que « par un point extérieur à une droite, on peut faire passer une unique parallèle à cette droite ». Toutefois :
- Selon la géométrie de Riemann, par un point extérieur à une droite, on ne peut faire passer aucune parallèle à cette droite.
- Selon la géométrie de Lobatchevski, par un point extérieur à une droite, on peut faire passer une infinité de parallèles à cette droite.
Cette découverte de la dépendance des vérités mathématiques à leur cadre théorique donne lieu au développement de divers systèmes axiomatiques. Ainsi, on considère qu'une vérité démontrée ne l'est qu'à l'intérieur du système théorique particulier au sein duquel elle est insérée. Le choix du cadre théorique ne dépendra plus dès lors de son caractère vrai ou faux, mais de sa pertinence ou de son utilité quant à ce qui est à démontrer. C'est ce que souligne le mathématicien Poincaré.
Une géométrie ne peut pas être plus vraie qu'une autre ; elle peut seulement être plus commode.
Henri Poincaré
La Science et l'Hypothèse, préf. Jules Vuillemin, Paris, éd. Flammarion, coll. "Champs sciences" (2014)
1902
Ce qui explique que l'on retienne un cadre théorique valide plutôt qu'un autre n'est pas qu'il est plus vrai, mais qu'il est plus commode - c'est-à-dire plus pertinent, plus efficace.
Puisqu'il existe des limites pour démontrer la vérité, et puisque la relativité existe même en mathématiques, on peut se demander s'il n'y a pas plusieurs vérités et quelle valeur on peut donner à la vérité.
Les degrés, types et valeurs de la vérité
La pluralité de la vérité
Les degrés de la vérité
Il existe différents degrés de vérité.
L'opinion est une croyance qui a conscience d'être insuffisante subjectivement aussi bien qu'objectivement. Quand la croyance n'est suffisante que subjectivement, et qu'en même temps, elle est tenue pour objectivement insuffisante, elle s'appelle foi. Enfin, celle qui est suffisante objectivement s'appelle savoir.
Emmanuel Kant
Critique de la raison pure, (Kritik der reinen Vernunft), trad. A. Tremesaygues et C. Pacaud, Paris, éd. PUF (2012)
1781
Kant propose donc de faire une distinction entre :
- L'opinion : dans ce cas, le sujet sait que son jugement est insuffisant objectivement et subjectivement.
- La foi : dans ce cas, le sujet sait que son jugement est insuffisant objectivement mais suffisant subjectivement.
- Et enfin le savoir : dans ce cas, le sujet sait que son jugement est suffisant objectivement et subjectivement.
Les vérités de raison et les vérités de fait
Il est aussi possible de distinguer différents types de vérités, selon ce à quoi elles se rapportent.
Leibniz propose ainsi une distinction entre les vérités de raison et les vérités de faits :
- Dans les "vérités de raison", la vérité se dit d'un énoncé qui est vrai en lui-même, par les relations logiques entre ses termes. On y accède donc par la démonstration. Les vérités de raison sont nécessaires : leur opposé est impossible.
- Dans les "vérités de fait", la vérité se dit d'un énoncé qui est vrai car il correspond au réel qu'il décrit. On y accède donc par l'expérience. Les vérités de fait sont contingentes, c'est-à-dire qu'elles pourraient ne pas être, ou être autrement : leur opposé est donc possible.
Contingent
Est contingent ce qui pourrait ne pas être, ou être autrement. Ce qui est contingent s'oppose à ce qui est nécessaire, c'est-à-dire qui ne peut pas ne pas être.
Les différentes valeurs données à la vérité
Le vrai comme efficacité
Pour le philosophe pragmatique William James, le vrai a une valeur d'efficacité.
On peut déterminer la valeur d'une découverte et savoir si elle est proche de la vérité en fonction de l'efficacité qu'ont ses résultats sur le monde.
La position sceptique sur la vérité
Pour les sceptiques, la pensée humaine n'est pas capable de déterminer une vérité avec certitude.
Scepticisme
Le scepticisme (du grec skepsis, "examen") est une doctrine philosophique selon laquelle la pensée humaine ne peut déterminer aucune vérité avec certitude.
Les sceptiques proposent deux arguments majeurs :
- Le premier argument affirme que l'homme n'a affaire qu'à des apparences, c'est-à-dire des phénomènes sensibles. La conséquence est que l'on ne peut affirmer de vérité ou de fausseté concernant les choses. On peut seulement décrire la façon dont elles apparaissent ou dont elles nous affectent.
- Le second argument affirme qu'à chaque thèse il est possible d'opposer une thèse contraire équivalente, sans posséder les moyens de trancher en faveur de l'une ou de l'autre. La conséquence est qu'il est impossible de ne rien affirmer avec certitude.
L'interdiction de mentir
Pour Emmanuel Kant, la vérité, au-delà de la science qui est une construction, est une valeur morale qui interdit de mentir même à un assassin qui cherche la victime qu'il veut tuer.
En effet, la vérité morale n'admet aucune exception, elle reflète la rigueur de la raison pratique, qui recherche la même rigueur, la même universalité, que la raison en général.
Dans le domaine théorique (la connaissance), la raison pure est facteur d'illusion, comme par exemple en métaphysique. Dans le domaine pratique (la morale), il est indispensable qu'elle soit pure, désintéressée, comme dans l'exemple proposé.
Le droit de mentir
Contre la vérité comme valeur morale, on trouve "le droit de mentir par humanité" de Benjamin Constant : on ne doit pas dire la vérité sur son état à un mourant, sauf s'il l'exige.
Le principe moral que dire la vérité est un devoir, s'il était pris d'une manière absolue et isolée, rendrait toute société impossible. Nous en avons la preuve dans les conséquences directes qu'a tirées de ce premier principe un philosophe allemand, qui va jusqu'à prétendre qu'envers des assassins qui vous demanderaient si votre ami qu'ils poursuivent n'est pas réfugié dans votre maison, le mensonge serait un crime.
Benjamin Constant
Des réactions politiques, Paris, éd. Hachette Livre BNF, coll. "Sciences sociales" (2013)
1796
Pour Constant, la vérité est certes un devoir, mais celui-ci ne doit pas être appliqué sans considération pour les circonstances particulières dans lesquelles on se trouve. Ici, puisqu'il s'agit de nuire à un individu, Benjamin Constant souligne que l'on n'a pas de devoir de vérité envers la personne qui veut nuire à autrui.
La vérité comme illusion
Enfin, la vérité peut être perçue comme n'étant qu'une illusion qui n'a pas de valeur.
On peut penser que la vérité n'est qu'une illusion, inventée par la métaphysique et la religion dans le but de se consoler. Friedrich Nietzsche propose ainsi de concevoir la vérité comme une consolation nécessaire. En fait, la vérité ne serait qu'une invention de la métaphysique et de la religion. Les hommes, las de souffrir et incapables d'agir, se réfugieraient dans une croyance rassurante : celle d'un monde immuable permanent, qui correspond au monde des Idées chez Platon ou à "l'autre monde" de la religion. La vérité serait donc une "nécessité vitale".
Nietzsche critique cette vérité qui rassure mais qui maintient en quelque sorte dans l'illusion. Il ne faut pas vouloir la vérité, il faut au contraire assumer l'absence de vérité (car il n'y a ni vérité ni mensonge). Il y a uniquement la vie. Ce n'est pas parce que la vérité "sauve" qu'elle est vraie.