Différence entre opinion vraie et connaissance
Platon
Platon
Ménon
IVe siècle av. J.-C.
Platon a produit une très forte condamnation de l'opinion, en tant que croyance non justifiée. En effet, celui qui croit savoir, comme c'est le cas dans le préjugé, ne remet pas en question ses jugements et se condamne ainsi à rester prisonnier de son ignorance. Pour Platon, l'opinion constitue donc un obstacle à la découverte de la vérité : en rester à l'opinion, c'est se satisfaire d'une apparence de savoir. Un type particulier d'opinion retient cependant l'attention de Platon dans le Ménon : l'opinion correcte. Ainsi, s'interrogeant sur ce qui la différencie de la connaissance, Socrate met en évidence que la connaissance, contrairement à l'opinion vraie, est assurée par un raisonnement. Alors que l'opinion est changeante, jamais assurée d'elle-même, la connaissance sait pourquoi elle est vraie : on peut produire des raisons, des justifications à ce que l'on avance. Platon ne condamne pas l'opinion droite, c'est-à-dire l'opinion qui est dans le vrai : dans le domaine de l'action, elle se révèle très utile. Néanmoins, elle n'a pas la même valeur que la connaissance, car celui qui a une opinion vraie ne la possède pas comme il possède un savoir.
Une opinion vraie n'est pas un moins bon guide, pour la rectitude de l'action, que la raison. [...] Mais ces opinions ne consentent pas à rester longtemps en place, plutôt cherchent-elles à s'enfuir de l'âme humaine ; elles ne valent donc pas grand-chose, tant qu'on ne les a pas reliées par un raisonnement qui en donne l'explication.
Platon
Ménon, trad. Monique Canto-Sperber, Paris, Flammarion, coll. "Garnier Flammarion / Philosophie" (1999)
IVe siècle av. J.-C.
Les ordres de vérité
Pascal
Pascal
Pensées
1669
Pascal
De l'esprit de géométrie
1658
Pour Pascal, il existe deux voies distinctes dans l'accès à la vérité. D'une part, le cœur, qui fournit les premiers principes. D'autre part, la raison, qui démontre ensuite des propositions à partir des principes établis par l'intuition du cœur. Ces deux modes d'accès au vrai garantissent la certitude des propositions.
Les principes se sentent, les propositions se concluent et le tout avec certitude quoique par différentes voies et il est aussi inutile et aussi ridicule que la raison demande au cœur des preuves de ses premiers principes pour vouloir y consentir, qu'il serait ridicule que le cœur demandât à la raison un sentiment de toutes les propositions qu'elle démontre pour vouloir les recevoir.
Blaise Pascal
Pensées, publié dans Revue des deux Mondes
1669
Les degrés de certitude
Kant
Kant
Critique de la raison pure
1781
Dans la Critique de la raison pure, Kant énonce qu'un sujet peut adhérer à ses jugements selon trois modalités, qui sont trois degrés de certitude : l'opinion, la foi et le savoir. Dans le cas de l'opinion, le sujet sait que son jugement est insuffisant objectivement et subjectivement. Dans le cas de la foi, le sujet sait que son jugement est insuffisant objectivement mais suffisant subjectivement. Dans le cas de la connaissance, le sujet sait que son jugement est suffisant objectivement et subjectivement. La différence majeure entre ces trois manières de tenir quelque chose pour vrai passe entre l'objectif et le subjectif : d'un côté, des certitudes non justifiées objectivement (l'opinion et la foi), de l'autre, une certitude justifiée objectivement et subjectivement (le savoir). Selon Kant, seule la certitude que produit le savoir est pleinement légitime.
L'opinion est une croyance qui a conscience d'être insuffisante subjectivement aussi bien qu'objectivement. Quand la croyance n'est suffisante que subjectivement, et qu'en même temps elle est tenue pour objectivement insuffisante, elle s'appelle foi. Enfin, celle qui est suffisante subjectivement aussi bien qu'objectivement s'appelle savoir.
Emmanuel Kant
Critique de la raison pure, (Kritik der reinen Vernunft), trad. A. Tremesaygues et C. Pacaud, Paris, éd. PUF (2012)
1781
Vérité de fait et vérité de raison
Leibniz
Leibniz
Nouveaux essais sur l'entendement humain
1765
Leibniz
Monadologie
1720
Dans ses Nouveaux essais sur l'entendement humain, Leibniz propose une distinction entre les vérités de fait et les vérités de raison. Il s'agit de distinguer des types de vérité selon ce à quoi elles se rapportent. On parle ainsi de "vérité de raison" concernant un énoncé qui est vrai en lui-même, par les relations logiques entre ses termes et non pour sa conformité avec une réalité observable. Ce sont des vérités logiques : on y accède par la démonstration. Les vérités de raison sont nécessaires : leur opposé impossible. À l'inverse, une "vérité de fait" concerne un énoncé qui est vrai, car il correspond au réel qu'il décrit. Il s'agit donc ici de l'adéquation entre un jugement et la réalité dont il doit rendre compte. On y accède par l'expérience. Les vérités de fait sont contingentes : leur opposé est possible.
Il y a aussi deux sortes de vérités, celles de Raisonnement et celle de Fait. Les vérités de Raisonnement sont nécessaires et leur opposé est impossible, et celles de Fait sont contingentes et leur opposé est possible.
Gottfried Wilhelm Leibniz
Monadologie, Paris, LGF, coll. "Classiques Philo", n° 4606 (1991)
1720
Le scepticisme
Sextus Empiricus
Esquisses pyrrhoniennes
IIe siècle ap. J.-C.
Diogène Laërce
Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres
IIIe siècle ap. J.-C.
Le scepticisme (du grec skepsis, "examen") est une doctrine philosophique selon laquelle la pensée humaine ne peut déterminer aucune vérité avec certitude. Le scepticisme est fondé par Pyrrhon d'Élis au IVe siècle avant J.-C. Le but de sa doctrine philosophique est d'obtenir la quiétude de l'âme (ataraxie). En effet, admettre qu'il est impossible d'établir la vérité permet d'éviter les conflits de dogmes et la douleur que l'on peut ressentir en découvrant de l'incohérence dans ses certitudes. Les sceptiques ont deux arguments majeurs. Le premier argument affirme que l'homme n'a affaire qu'à des apparences, c'est-à-dire des phénomènes sensibles. Il est donc impossible de connaître les choses elles-mêmes, c'est-à-dire ce qu'elles sont au-delà de l'apparence sous laquelle elles apparaissent. La conséquence est qu'on ne peut affirmer de vérité ou de fausseté concernant les choses, mais seulement décrire la façon dont elles apparaissent ou dont elles nous affectent. Leur second argument énonce qu'à chaque thèse soutenue il est possible d'opposer une thèse contraire équivalente, sans posséder les moyens de trancher en faveur de l'une ou de l'autre. La conséquence est qu'il est impossible de ne rien affirmer avec certitude.
Les sceptiques n'affirment pas que les choses n'existent pas, ou que l'homme, en l'absence de certitude, ne doit plus agir. Ils entendent seulement souligner que l'homme ne peut rien affirmer de certain ni de vrai. Le scepticisme invite à la suspension du jugement (épochè) : on ne doit pas se prononcer sur la vérité ou la fausseté des choses.
Le vrai comme efficacité
William James
William James
The Will to Believe and Other Essays
1897
Dans son travail sur la vérité, le philosophe William James propose de changer de point de vue sur la valeur que l'on accorde généralement à la vérité. En effet, plutôt que de penser la vérité comme une idée universelle et éternelle, celui-ci propose de la penser en fonction d'un critère d'efficacité. Ainsi, est vrai l'énoncé ou l'idée qui permet de réaliser une action avec succès. À l'inverse, sera considéré comme faux l'énoncé ou l'idée qui échoue, c'est-à-dire qui ne rendait pas possible une action couronnée de succès. Le critère de la vérité que propose William James peut donc être énoncé de la façon suivante : est vraie l'idée qui rend possible une action efficace.
La vérité comme évidence
Descartes
Descartes
Règles pour la direction de l'esprit
1628 - 1629
Descartes
Discours de la méthode
1637
Pour Descartes, la vérité est évidente. C'est ainsi qu'il en vient, au sortir d'un doute radical, à sa célèbre formule "je pense donc je suis". Le cogito s'impose à lui comme une évidence. On ne peut pas en douter, car on ne peut pas douter que l'on pense.
Cette évidence du fait de penser fonde la certitude, qui caractérise les idées vraies. Ainsi, pour Descartes, la vérité s'impose d'elle-même à l'esprit, on ne peut pas douter d'elle, on ne peut pas la remettre en question. On peut parler, pour le cogito, de "vérité première", car elle est soustraite au doute, même le plus radical. Pour douter, il faut encore penser. On pourrait écrire : "je doute, donc je pense, donc je suis".
Descartes a toujours soutenu que le "donc", dans la formule "je pense donc je suis" n'était pas la marque d'un raisonnement, mais une intuition, celle de l'évidence de la relation entre penser et être. Cette relation est une idée claire et distincte, qu'on ne peut confondre avec aucune autre, et que l'on peut analyser de manière à la développer, en précisant ce que je suis une âme ou un esprit. Elle est, par son évidence, le modèle de toute vérité et, par la certitude qu'elle entraîne, le principe de toute démonstration.
C'est la conception ferme qui naît dans un esprit sain et attentif des seules lumières de la raison... Ainsi, chacun peut voir par intuition qu'il existe, qu'il pense, qu'un triangle est déterminé par trois lignes, qu'un globe n'a qu'une surface et d'autres vérités semblables.
Règles pour la direction de l'esprit, (Regulae ad directionem ingenii), "Règle III", trad. J. Sirven, Paris, éd. Vrin, coll. "Bibliothèque des Textes Philosophiques" (1997)
1628 - 1629