Sommaire
ILa réception du romanIILes techniques narrativesIIILes relations amoureusesIVLe refus du réalismeLa réception du roman
Ils s'obstinent à voir dans Les Faux-Monnayeurs un livre manqué ; [...] Avant vingt ans, l'on reconnaîtra que ce que l'on reproche à mon livre, ce sont précisément ses qualités.
André Gide
Journal des faux-monnayeurs
5 mars 1927
Gide a confiance en l'avenir, il est persuadé qu'avec le temps, les lecteurs comprendront son ouvrage et ne seront plus déroutés par les aspects liés à sa modernité. Il écrivait déjà dans son journal le 10 octobre 1922 : "il est nécessairement plus facile de travailler pour un public déjà formé et de lui fournir exactement le produit qu'il demande, que de devancer la demande d'un public non encore formé." Le livre est raté pour les lecteurs superficiels déroutés par la nouveauté et qui se contentent de parcourir l'œuvre. Les qualités que Gide voudrait que l'on reconnaisse à son livre sont sûrement celles qu'il formule dans son journal le 23 juin 1930 : "J'ai eu soin de n'indiquer que le significatif, le décisif, l'indispensable ; d'éluder tout ce qui "allait de soi" et où le lecteur intelligent pouvait suppléer de lui-même (ce que j'appelle la collaboration du lecteur.)"
Ce n'est point tant en apportant la solution de certains problèmes, que je puis rendre un réel service au lecteur ; mais bien en le forçant à réfléchir lui-même sur ces problèmes dont je n'admets guère qu'il puisse y avoir d'autre solution que particulière et personnelle.
André Gide
Journal des faux-monnayeurs
1927
Gide fait confiance à son lecteur qu'il pense capable de lire, comprendre et participer à la réception de l'ouvrage. C'est en quelque sorte à lui de terminer le roman que Gide a commencé, en y apportant sa propre expérience. Au début du XXe siècle, le lecteur de roman n'a pas l'habitude de travailler. Les auteurs réalistes et naturalistes l'ont épargné en donnant tout à son imagination par le souci de longues descriptions détaillées. Gide, en réaction, veut faire travailler le lecteur, comme un collaborateur qui participe à la création de l'œuvre. Le roman doit perturber, interroger le lecteur, sans lui fournir de réponse, de manière à permettre l'accouchement de sa vérité propre. Cette vision du rôle de l'écrivain rappelle la maïeutique socratique. L'écrivain fait agir les personnages pour faire penser les lecteurs.
Dans le journal L'Opinion du 13 février 1926, André Thérive écrit que le livre n'est pas "touffu mais confus". Il reprend ici en se moquant une citation du journal d'André Gide : "Tout ce que je vois, tout ce que j'apprends, tout ce qui m'advient depuis quelques mois, je voudrais le faire entrer dans ce roman, m'en servir pour l'enrichissement de sa touffe."
Les techniques narratives
L'important c'est de surprendre Laura avant qu'Édouard ne l'ait revue et de me présenter à elle, et de m'offrir d'une manière qui ne puisse lui laisser croire que je puisse être un chenapan.
André Gide
Les Faux-Monnayeurs
1925
Le monologue intérieur est une des formes narratives employées dans le roman. Cela permet au lecteur d'être au plus près du personnage. Ici, Bernard livre les sentiments qu'il ressent avant de rencontrer Laura pour la première fois.
"C'est le moment de croire que j'entends des pas dans le corridor", se dit Bernard. Il releva la tête et prêta l'oreille. Mais non : son père et son frère aîné étaient retenus au Palais ; sa mère en visite ; sa sœur à un concert ; et quant au puîné, le petit Caloub, une pension le bouclait au sortir du lycée chaque jour.
André Gide
Les Faux-Monnayeurs
1925
Dès le début du roman se mêlent la voix du narrateur et le monologue intérieur de certains personnages dont Bernard. L'alternance style direct et style indirect le souligne.
Le récit est polyphonique, il est pris en charge par de nombreux personnages :
- Le narrateur
- Bernard
- Olivier
- Passavant
- Édouard
- Le pasteur
- Vincent
- Mme Sophroniska
- Douviers
- Molinier
- Azaïs
- Lillian Griffith
- Armand
Les relations amoureuses
Dès mon premier regard, ou plus exactement dès son premier regard, j'ai senti que ce regard s'emparait de moi et que je ne disposais plus de ma vie.
André Gide
Les Faux-Monnayeurs
1925
Édouard évoque ce qui est couramment nommé le "coup de foudre" qu'il a éprouvé en voyant Olivier pour la première fois. C'est un topos littéraire (sujet qui revient souvent). Ici, il est étonnant car la rencontre est homosexuelle.
C'est dégoûtant. C'est horrible... Après j'avais envie de cracher, de vomir, de m'arracher la peau, de me tuer.
André Gide
Les Faux-Monnayeurs
1925
Olivier décrit ici sa première expérience hétérosexuelle. C'est un véritable traumatisme. Au cours du roman, il va apprendre peu à peu à se connaître.
Le refus du réalisme
Ce que je veux, c'est présenter d'une part la réalité, présenter d'autre part cet effort pour la styliser.
André Gide
Les Faux-Monnayeurs
1925
À travers Édouard, Gide évoque le processus de stylisation de la réalité qui n'est pas quelque chose d'objectif. Il s'agit de faire part de certains événements par le biais d'autres personnages. Ce procédé permet de raconter un fait tout en dépeignant un personnage car celui qui raconte fait des choix et ceux-ci renseignent le lecteur sur sa personnalité.
Il se dit que les romanciers, par la description trop exacte de leurs personnages, gênent plutôt l'imagination qu'ils ne la servent et qu'ils devraient laisser chaque lecteur se représenter chacun de ceux-ci comme il lui plaît. Il songe au roman qu'il prépare, qui ne doit ressembler à rien de ce qu'il a écrit jusqu'alors. Il n'est pas assuré que Les Faux-Monnayeurs soit un bon titre.
André Gide
Les Faux-Monnayeurs
1925
Édouard explique dans le roman qu'une description trop exacte de la réalité, des lieux ou des personnages, freinait l'imagination au lieu de la servir. En effet, les images s'imposent et écrasent le lecteur qui n'est plus libre.
S'il refuse tout réalisme, André Gide ancre son roman dans son époque contemporaine et il s'inspire même de faits-divers comme celui du naufrage du Bourgogne que Lilian raconte dans le roman, du démantèlement d'un trafic de fausse monnaie organisé par des étudiants ou le suicide d'un jeune du lycée de Clermont-Ferrand.