Sommaire
IL'esthétique romantique de la pièce HernaniAUne plus grande liberté artistiqueBUne esthétique nouvelleCUne écriture théâtrale controverséeIILa construction de la légende autour de la "bataille d'Hernani"AUne bataille générationnelle minutieusement préparéeBLes témoignages héroïques de l'événementIIIL'honneur et l'amour dans la pièceAL'honneur castillanBL'amour passionnelL'esthétique romantique de la pièce Hernani
Une plus grande liberté artistique
Pourquoi exigez-vous, dirai-je aux partisans du classicisme, que l'action représentée dans une tragédie ne dure pas plus de vingt-quatre heures ou de trente-six heures, et que le lieu de la scène ne change pas, ou que du moins, comme le dit Voltaire, les changements de lieu ne s'étendent qu'aux divers appartements d'un palais ?
Stendhal
Racine et Shakespeare
1823
Stendhal remet en question la légitimité de la règle des trois unités.
La société, en effet, commence par chanter ce qu'elle rêve, puis raconte ce qu'elle fait, et enfin se met à peindre ce qu'elle pense. C'est, disons-le en passant, pour cette dernière raison que le drame, unissant les qualités les plus opposées, peut être tout à la fois plein de profondeur et plein de relief, philosophique et pittoresque.
Victor Hugo
Préface de Cromwell
1827
Victor Hugo retrace les trois âges de la poésie : la poésie lyrique, épique et le drame. Le drame est l'aboutissement des poésies précédentes, qui offre davantage de libertés, de profondeur à ses personnages pour permettre au spectateur d'interagir avec l'œuvre et de s'impliquer dans sa propre histoire.
Jeunes gens, ayons bon courage ! Si rude qu'on veuille nous faire le présent, l'avenir sera beau. Le romantisme, tant de fois mal défini, n'est, à tout prendre, et c'est là sa définition réelle, si on ne l'envisage que sous son côté militant, que le libéralisme en littérature.
La liberté dans l'art, la liberté dans la société, voilà le double but auquel doivent tendre d'un même pas tous les esprits conséquents et logiques.
Les Ultras de tout genre, classiques ou monarchiques, auront beau se prêter secours pour refaire l'Ancien Régime de toutes pièces, société et littérature, chaque progrès du pays, chaque développement des intelligences, chaque pas de la liberté fera crouler tout ce qu'ils auront échafaudé. Et, en définitive, leurs efforts de réaction auront été utiles. En révolution, tout mouvement fait avancer.
À peuple nouveau, art nouveau. Tout en admirant la littérature de Louis XIV, si bien adaptée à sa monarchie, elle saura bien avoir sa littérature propre et personnelle et nationale, cette France actuelle, cette France du XIXe siècle, à qui Mirabeau a fait sa liberté et Napoléon sa puissance.
Victor Hugo
Préface d'Hernani
1830
Le romantisme est un mouvement qui milite pour la liberté en art comme en politique.
Une esthétique nouvelle
DOÑA JOSEFA (ouvrant une armoire étroite dans le mur) :
Entrez ici.
DON CARLOS (examinant l'armoire) :
Cette boîte ?
DOÑA JOSEFA (refermant l'armoire) :
Va-t'en, si tu n'en veux pas.
DON CARLOS (rouvrant l'armoire) :
Si !
(L'examinant encore)
Serait-ce l'écurie où tu mets d'aventure
Le manche du balai qui te sert de monture ?
(Il s'y blottit avec peine.)
Victor Hugo
Hernani, Acte I, scène 1
1830
Les mots qui se ressemblent ne sont pas identiques.
Ne confondez pas le sombre avec l'obscur. L'obscur accepte l'idée de bonheur ; le sombre accepte l'idée de grandeur.
Victor Hugo
Proses philosophiques
1860 - 1865
L'écriture romantique alterne ombre et lumière. Par ce jeu d'ombres, Victor Hugo confère grandeur et profondeur à ses personnages, qu'il associe à un mélange des formes, genres et registres, ainsi qu'à un vers disloqué.
Le vers doit être libre, franc, loyal, osant tout dire sans pruderie, tout exprimer sans recherche ; passant d'une naturelle allure de la comédie à la tragédie, du sublime au grotesque ; tour à tour positif et poétique, tout ensemble artiste et inspiré, profond et soudain, large et vrai ; sachant briser à propos et déplacer la césure pour déguiser sa monotonie d'alexandrin ; plus ami de l'enjambement qui l'allonge que de l'inversion qui l'embrouille.
Victor Hugo
Préface de Cromwell
1827
Victor Hugo choisit de rendre l'alexandrin plus libre, capable de retranscrire une parole plus humaine et authentique, mêlant lyrisme et prosaïsme. Il prête par exemple au roi Don Carlos un langage parfois trivial.
Acte II, scène 1
DON CARLOS, DON SANCHO SANCHEZ DE ZUNIGA, comte de Monterey, DON MATIAS CENTURION, marquis d'Almuñan, DON RICARDO DE ROXAS, seigneur de Casapalma.
Ils arrivent tous quatre, Don Carlos en tête.
Ils sont enveloppés de longs manteaux dont leurs épées soulèvent le bord inférieur.
DON CARLOS (examinant le balcon) :
Voilà bien le balcon, la porte… mon sang bout.
(Montrant la fenêtre qui n'est pas éclairée.)
Pas de lumière encor !
(Il promène ses yeux sur les croisées éclairées.)
Des lumières partout
Où je n'en voudrais pas, hors à cette fenêtre
Où j'en voudrais.
Victor Hugo
Hernani, Acte II, scène 1
1830
Une écriture théâtrale controversée
Cette pièce a complètement réussi (25 février)
L'ouvrage est vigoureusement attaqué et vigoureusement défendu (27 février)
Une cabale acharnée (3 mars)
Encore un peu plus fort… coups de poing… interruption… police… arrestations… cris…bravos… tumulte … foule… (10 mars)
C'est toujours la même chanson. Grande affluence et grand scandale (15 mars)
Le scandale continue plus fort que jamais (20 mars)
Représentation sans scandale où je puis dire avoir bien joué (18 juin)
"Journal de l'acteur Joanny", "Documents divers autour d'Hernani", Œuvres complètes de Victor Hugo, édition chronologique sous la direction de Jean Massin, Le Club français du livre, tome III
1967
L'acteur Joanny qui joue Don Ruy Gomez témoigne en 1830 dans son journal de la réception de la pièce au fil des représentations. Il exprime sa fierté mais aussi toute l'ampleur du scandale engendré par Hernani.
Ainsi, les précédents ouvrages d'un homme de génie toujours préférés aux nouveaux, afin de prouver qu'il descend au lieu de monter, Mélite et la Galerie du Palais mis au-dessus du Cid ; puis les noms de ceux qui sont morts toujours jetés à la tête de ceux qui vivent : Corneille lapidé avec Tasso et Guarini (Guarini !), comme plus tard on lapidera Racine avec Corneille, Voltaire avec Racine, comme on lapide aujourd'hui tout ce qui s'élève avec Corneille, Racine et Voltaire. La tactique, comme on voit, est usée, mais il faut qu'elle soit bonne, puisqu'elle sert toujours.
Victor Hugo
Préface de Cromwell
1827
Victor Hugo raille ses détracteurs en leur prouvant que les plus grands auteurs ont tous d'abord été vivement critiqués pour s'être éloignés de leurs prédécesseurs. La nouveauté commence toujours par déranger. Ainsi il s'inscrit dans la lignée des plus grands dramaturges comme Jean Racine ou Pierre Corneille.
Le public siffle tous les soirs tous les vers ; c'est un rare vacarme, le parterre hue, les loges éclatent de rire. […] La presse a été à peu près unanime et continue tous les matins de railler la pièce et l'auteur. Si j'entre dans un cabinet de lecture, je ne puis prendre un journal sans y lire : "Absurde comme Hernani ; monstrueux comme Hernani ; niais, faux, ampoulé, prétentieux, extravagant et amphigourique comme Hernani." Si je vais au théâtre pendant la représentation, je vois à chaque instant, dans les corridors où je me hasarde, des spectateurs sortir de leur loge et en jeter la porte avec indignation.
Victor Hugo
"Documents divers autour d'Hernani"
Note du 7 mars 1830
Victor Hugo témoigne de la virulence de la controverse : le public attaché aux règles classiques rejette son audace dans la création d'Hernani.
La construction de la légende autour de la "bataille d'Hernani"
Une bataille générationnelle minutieusement préparée
Il y a deux manières de passionner la foule au théâtre : par le grand et par le vrai. Le grand prend les masses, le vrai saisit l'individu.
Victor Hugo
Préface de Marie Tudor
1833
Victor Hugo explique l'engouement des spectateurs par la grandeur et l'authenticité de ses personnages : la grandeur de leurs sentiments comme l'amour ou l'honneur touche les valeurs communes des spectateurs ; le souci de réalisme et d'authenticité des personnages permet une identification de la part du spectateur, proche et impliqué dans la pièce.
Je remets ma pièce entre vos mains, entre vos mains seules. La bataille qui va s'engager à Hernani est celle des idées, celle du progrès. C'est une lutte en commun. Nous allons combattre cette vieille littérature crénelée, verrouillée. Saisissons-nous de ce drapeau usé hissé sur ces murs vermoulus et jetons bas cet oripeau. Ce siège est la lutte de l'ancien monde et du nouveau monde, nous sommes tous du monde nouveau.
Adèle Hugo
Victor Hugo raconté par Adèle Hugo
1985
Les témoignages héroïques de l'événement
Jamais œuvre dramatique n'a soulevé une plus vive rumeur ; jamais on n'a fait autant de bruit autour d'une pièce. [...] chaque vers était pris et repris d'assaut. Un soir, les romantiques perdaient une tirade ; le lendemain, ils la regagnaient, et les classiques, battus, se portaient sur un autre point avec une formidable artillerie de sifflets, appeaux à prendre les cailles, clefs forées, et le combat recommençait de plus belle.
Théophile Gautier
"Reprise d'Hernani : 1838", article dans La Presse
22 janvier 1838
Dans un registre épique autour de la métaphore guerrière, Théophile Gautier raconte la manière dont Hernani a été accueillie par ses détracteurs, rendant l'œuvre et l'auteur héroïques.
L'applaudissement colossal qui avait eu lieu au premier acte se reproduisit. [...] Des salves d'applaudissements couvraient la voix de Michelot tous les cinq ou six vers. [...] La toile tomba sous l'écroulement du succès. [...] Le Journal des débats mit le soir même une note qui finissait ainsi : "Le nom de l'auteur a été écrasé sous les applaudissements".
Adèle Hugo
Victor Hugo raconté par Adèle Hugo
1985
Adèle Hugo témoigne de l'immense succès de la pièce dès ses premières représentations.
Le 21 juin 1867, la Comédie-Française reprit Hernani, soit trente-sept ans après sa sortie. Théophile Gautier (56 ans) était l'attrait principal de cette reprise. On se le montrait dans sa loge, souriant, rajeuni, sans son gilet rouge, mais toujours avec sa longue chevelure de lion, donnant le signal et comme la tradition des applaudissements. Mais on se demandait comment le critique du Moniteur, en position d'écrivain officiel, ferait pour parler de Victor Hugo dans le journal du gouvernement impérial.
Le lendemain Théophile Gautier apporta lui-même son article au Moniteur. On le pria d'en modérer les éloges et d'en adoucir le ton enthousiaste. Sans rien objecter, il prit une feuille de papier blanc et il y écrivit sa démission. Puis, s'étant fait conduire au ministère de l'Intérieur, il posa devant M. de Lavalette son article d'un côté et cette démission de l'autre. "Choisissez", dit-il. Le ministre fit insérer l'article sans en changer un mot.
Émile Bergerat
Théophile Gautier : entretiens, souvenirs et correspondance
1879
Dans cet extrait, Émile Bergerat révèle que Théophile Gautier était prêt à démissionner plutôt qu'à renoncer à un article élogieux qu'il avait rédigé sur Victor Hugo.
L'honneur et l'amour dans la pièce
L'honneur castillan
L'honneur est le premier sentiment : il n'admet que ce qui est grand ; il proscrit tout ce qui est bas.
Hypolite de Livry
Les Pensées et réflexions
1808
Les romantiques expriment un besoin du XIXe siècle d'exalter des valeurs communes, enthousiastes et glorieuses mettant le sens de l'honneur au premier rang.
DON RUY GOMEZ :
Frère, à toucher ta tête ils risqueraient la leur.
Fusses-tu Hernani, fusses-tu cent fois pire,
Pour ta vie, au lieu d'or, offrît-on un empire,
Mon hôte ! Je te dois protéger en ce lieu,
Même contre le roi, car je te tiens de Dieu !
S'il tombe un seul cheveu de ton front, que je meure !
Victor Hugo
Hernani, Acte III, scène 3
1830
La valeur de la parole donnée, l'hospitalité offerte dans cette scène, témoigne de l'importance du sens de l'honneur chez les personnages du drame romantique. Ils sont prêts à donner leur vie par sens de l'honneur et des promesses faites par choix et non par obligation.
L'amour passionnel
DOÑA SOL (se jetant à son cou) :
Vous êtes mon lion, superbe et généreux !
Je vous aime.
HERNANI :
Ah ! L'amour serait un bien suprême
Si l'on pouvait mourir de trop aimer !
Victor Hugo
Hernani, Acte III, scène 5
1830
L'amour passionnel dans Hernani peut parfois reprendre les codes de l'amour tragique, employant des métaphores animales avec le lion, le registre tragique avec la mort et le conditionnel à valeur d'hypothèse non réalisable.
HERNANI (à Doña Sol) :
Moi ! je brûle près de toi !
Ah ! quand l'amour jaloux bouillonne dans nos têtes,
Quand notre cœur se gonfle et s'emplit de tempêtes,
Qu'importe ce que peut un nuage des airs
Nous jeter en passant de tempête et d'éclairs !
Victor Hugo
Hernani, Acte I, scène 2
1830
Victor Hugo reprend la métaphore du feu et de la tempête pour témoigner de l'amour passionnel entre les deux personnages.