Sommaire
ILa Méditerranée médiévale : trois civilisationsAÀ l'ouest : la civilisation chrétienne de l'Occident chrétien1La cartographie et la chronologie de l'Occident chrétien à l'époque médiévale2La domination du pouvoir religieux sur le pouvoir politique dans l'Occident chrétienBÀ l'est : la civilisation byzantine1La cartographie et la chronologie de l'Empire byzantin à l'époque médiévale2La concentration des pouvoirs par l'empereur dans l'Empire byzantinCAu sud : la civilisation musulmane1La cartographie et la chronologie du monde musulman à l'époque médiévale2La question de la politique et de la religion dans le monde musulmanIILa Méditerranée médiévale : un espace d'échangesALa Méditerranée médiévale : un carrefour commercial1L'échange de marchandises2Des pratiques commerciales innovantes3Le rôle des banques et des banquiers dans les échanges commerciaux4Les cités italiennes médiévales : des carrefours commerciaux incontournablesBLa Méditerranée médiévale : un carrefour culturel1Le renouveau intellectuel et artistique : l'exemple de Tolède2Le mélange des cultures et des styles : l'exemple de la SicileIIILa Méditerranée médiévale : un espace de conflitsALa Reconquista espagnoleBLes croisades1L'appel à la guerre sainte d'Urbain II et les croisés2La première croisade3Les deuxième et troisième croisades4La quatrième croisade et la prise de ConstantinopleLa période médiévale voit se développer trois puissances qui se partagent le Bassin méditerranéen : à l'ouest, l'Occident chrétien, à l'est, l'Empire byzantin et, au sud, le monde musulman. C'est la concurrence entre ces trois civilisations qui façonne et rythme l'espace méditerranéen, qui devient un carrefour culturel. Les trois civilisations ne vivent pas toujours en paix, de nombreux conflits les opposent.
En quoi la Méditerranée est-elle un espace où se rencontrent trois civilisations qui échangent et s'opposent à l'époque médiévale ?
La Méditerranée médiévale : trois civilisations
À l'ouest : la civilisation chrétienne de l'Occident chrétien
Au Moyen Âge, on réunit sous l'appellation « Occident chrétien » l'ensemble des royaumes sous l'influence de l'Église chrétienne dirigée par le pape de Rome. Situés en Europe de l'Ouest, ces royaumes se sont formés par étapes et leurs frontières ont beaucoup et souvent changé. C'est le pouvoir religieux qui domine sur le pouvoir politique dans l'Occident chrétien.
La cartographie et la chronologie de l'Occident chrétien à l'époque médiévale
Au XIe siècle, trois entités dominent l'Occident chrétien : le royaume de France, le Saint Empire romain germanique et les royaumes chrétiens d'Espagne et du Portugal. Ces royaumes évoluent beaucoup à l'époque médiévale.
- À l'ouest, le royaume de France se consolide progressivement grâce aux rois Capétiens.
- À l'est, le Saint Empire romain germanique rassemble plusieurs royaumes sous l'autorité d'un empereur.
- Les royaumes chrétiens d'Espagne et du Portugal doivent se contenter du Nord de la péninsule Ibérique dont la moitié sud est occupée par les musulmans.
La péninsule italienne, elle, est partagée : au nord, les États de l'Église gouvernés par la papauté et au sud, le royaume normand de Sicile.
La domination du pouvoir religieux sur le pouvoir politique dans l'Occident chrétien
Dans l'Occident chrétien médiéval, un lien fort se tisse progressivement entre le pouvoir religieux, détenu par l'Église chrétienne, et le pouvoir politique aux mains des seigneurs, des rois et des empereurs. C'est l'Église qui finit par prendre le dessus sur le pouvoir politique. L'Église chrétienne d'Occident se fait appeler « l'Église catholique » – « universel » en grec – car elle se considère comme la seule vraie Église, en opposition à l'Église orthodoxe de la civilisation byzantine.
L'Église a besoin des seigneurs pour contrôler la société et les seigneurs ne peuvent pas se passer de l'Église pour légitimer leur pouvoir. Cette relation réciproque est la base d'un type de régime politique appelée la « théocratie », du grec théos - « Dieu » - et kratein - « pouvoir ». Concrètement, tous ceux qui gouvernent en Europe de l'Ouest affirment avoir reçu leurs pouvoirs de Dieu, et puisqu'ils l'exercent en son nom, ils exigent d'être obéis par tous. Ce lien, qui fait du politique et de la religion un tandem inséparable, se noue au cours de la cérémonie du sacre.
Les relations entre le pouvoir religieux et le pouvoir politique se compliquent à partir du XIe siècle lorsque, à l'initiative du pape de Rome Grégoire VII, l'Église met en œuvre la « réforme grégorienne ». Grâce à elle, l'Église impose progressivement son autorité aux seigneurs et aux rois.
Vers 1075, une querelle oppose le pape Grégoire VII à l'empereur germanique Henri IV à propos de la nomination des membres du clergé. Pour rappeler son autorité, le pape rédige une liste d'affirmations appelée les Dictatus papæ.
En 1077, le pape Grégoire VII contraint l'empereur germanique Henri IV à venir s'agenouiller devant lui à Canossa. En 1095, le pape Urbain II excommunie le roi de France Philippe Ier pour cause d'adultère, car il a trompé la reine. Du XIe siècle au XIIIe siècle, l'Église acquiert donc le statut d'arbitre reconnu et craint par tous les rois d'Occident. À l'apogée de sa puissance religieuse, économique et politique, elle est même comparée à une « monarchie pontificale ».
À l'est : la civilisation byzantine
Par opposition à l'Occident chrétien qui occupe la partie occidentale du Bassin méditerranéen, l'Empire byzantin est situé dans sa partie orientale, c'est-à-dire à l'est. Dans cette civilisation, l'empereur concentre tous les pouvoirs.
La cartographie et la chronologie de l'Empire byzantin à l'époque médiévale
L'origine de l'Empire byzantin remonte à la division de l'Empire romain en deux par Théodose en 395. Après la chute de l'Empire romain d'Occident en 476, l'Empire romain d'Orient prend le nom d'Empire byzantin, en référence à sa capitale Byzance devenue Constantinople. L'Empire byzantin s'étend au VIe siècle. Il est prospère, sa longévité est impressionnante : il perdure jusqu'au XVe siècle. Au XIe siècle, il commence à connaître des difficultés.
Au XIe siècle, la crise économique et la pression des Normands à l'ouest et des Turcs à l'est fait décliner l'Empire byzantin : le territoire se recroqueville en Grèce et en Turquie actuelles autour de la capitale Constantinople.
La concentration des pouvoirs par l'empereur dans l'Empire byzantin
L'Empire byzantin est une théocratie. Les pouvoirs politique et religieux sont réunis entre les mains de l'empereur. Considéré comme l'élu de Dieu, c'est-à-dire son représentant sur terre, l'empereur concentre tous les pouvoirs. Ainsi, il fait seul les lois, rend seul la justice et commande seul l'armée : son pouvoir est donc absolu. La source divine de son autorité fait de l'empereur un personnage sacré. L'empereur est le chef de l'Église chrétienne orthodoxe, dont les dogmes sont différents de la religion catholique telle qu'elle est pratiquée dans l'Occident chrétien.
Héritier des empereurs romains, l'empereur byzantin porte le titre de basileus – « grand roi » en grec. Il est désigné par l'armée qui le porte en triomphe sur un bouclier. Il est ensuite acclamé par le sénat et le peuple de Constantinople avant de recevoir l'onction du patriarche au cours de la cérémonie du sacre dans la basilique Sainte-Sophie.
Vêtu de vêtements de couleurs pourpre et or, symboles de sa puissance et de sa richesse, l'empereur règne depuis son palais où toutes ses apparitions sont théâtralisées de façon à entretenir un mystère autour de sa personne. Ainsi, chaque visiteur est tenu de se prosterner devant lui en signe de respect. La légitimité divine du pouvoir impérial est également représentée dans l'art puisque les mosaïques dorées de la basilique Sainte-Sophie de Constantinople montrent les empereurs, leurs épouses et leurs descendants auréolés et couronnés par le Christ.
Dans le domaine religieux, l'empereur byzantin est le chef de l'Église chrétienne orthodoxe. À ce titre, c'est lui qui nomme le patriarche de Constantinople dont la mission est de faire en sorte que les chrétiens d'Orient respectent le bon dogme et les véritables rites chrétiens : c'est ce qu'ils appellent « l'orthodoxie ». Depuis le XIe siècle, les chrétiens d'Orient revendiquent d'être les seuls à respecter la « doctrine droite » – « orthodoxe » en grec – par opposition aux chrétiens d'Occident. Selon eux, les chrétiens d'Occident pratiquent le christianisme de travers. Cette séparation entre les chrétiens catholiques et les chrétiens orthodoxes a lieu en 1054 et s'appelle le « schisme ». Concrètement, les orthodoxes ont des croyances et des pratiques religieuses différentes et ils refusent d'obéir au pape de Rome.
Au sud : la civilisation musulmane
Au sud de la Méditerranée, c'est la civilisation musulmane qui domine. Comme dans l'Empire d'Occident et l'Empire byzantin, la source du pouvoir politique est religieuse : les califes, qui gouvernent, sont des représentants d'Allah (Dieu).
La cartographie et la chronologie du monde musulman à l'époque médiévale
L'expression « monde musulman » désigne l'ensemble des territoires placés sous la domination politique et religieuse des musulmans. Ce vaste espace est le résultat de plusieurs siècles de conquêtes. Aux XIe et XIIe siècles, le monde musulman domine les rives sud du Bassin méditerranéen. Cette région est marquée par des désaccords religieux et par un morcellement politique en califats et en émirats gouvernés par des dynasties rivales.
- À l'ouest du Bassin méditerranéen, le califat de Cordoue s'étend sur la moitié sud de l'Espagne et le Maghreb. Entre les VIIIe et XIIIe siècles, il est successivement dominé par les dynasties sunnites omeyyades, almoravides et almohades.
- À l'est, de l'Égypte jusqu'aux frontières de l'Empire byzantin, le califat du Caire est gouverné par la dynastie chiite fatimide.
- Au Moyen-Orient, le califat de Bagdad est dominé par la dynastie sunnite abbasside.
À partir du IXe siècle, la domination des dynasties arabes sur le monde musulman est remise en cause par les Turcs seldjoukides.
La question de la politique et de la religion dans le monde musulman
Le monde musulman médiéval applique le principe de la théocratie puisque le pouvoir politique a une source divine. C'est d'abord le prophète Mohammed qui le détient puis, après sa disparition au VIIe siècle, des « califes » – « remplaçants » en arabe – sont élus par l'armée à la tête du monde musulman. Concentrant tous les pouvoirs, les califes sont considérés comme les représentants d'Allah sur Terre. À ce titre, ils assument aussi la fonction de guide religieux de « l'umma », la communauté musulmane. Le monde musulman est divisé entre les chiites et les sunnites, qui sont en désaccord pour déterminer qui est légitime pour gouverner le monde musulman à la suite de Mohammed.
- Pour certains musulmans appelés les « chiites », la légitimé vient de l'hérédité. Mais Mohammed n'ayant pas eu de fils, les chiites réclament que le pouvoir revienne aux descendants de son cousin et gendre Alî.
- À l'inverse, pour les musulmans « sunnites », le titre de calife peut être attribué par l'élection ou être conservé par la dynastie qui parvient à s'imposer à condition que le Coran et la « Sunna », c'est-à-dire les traditions musulmanes, soient respectés.
Ce désaccord entre chiites et sunnites est à l'origine du morcellement politique du monde musulman. Ainsi, plusieurs califats indépendants règnent sur ce vaste espace, chacun dirigé par des dynasties rivales.
La Méditerranée médiévale : un espace d'échanges
À l'époque médiévale, la Méditerranée est un espace d'échanges commerciaux et culturels entre les trois civilisations qui la constituent.
La Méditerranée médiévale : un carrefour commercial
Les échanges commerciaux sont importants dans la Méditerranée médiévale. À partir du XIe siècle, ils s'intensifient, la Méditerranée devient un carrefour économique entre l'Europe, l'Afrique et l'Asie où de nombreuses marchandises circulent. Des pratiques commerciales innovantes sont mises en place. Les banques ont un rôle primordial dans ces échanges. Les cités italiennes sont au cœur de ce commerce méditerranéen.
L'échange de marchandises
L'Orient et l'Occident échangent diverses marchandises, de la nourriture, des matières premières mais également des hommes (esclaves).
- En provenance d'Orient, des Indes, de Chine, et d'Afrique, les produits de luxe comme les épices, la soie, les parfums, les colorants (la garance ou l'indigo et l'alun indispensable pour fixer les teintures), le sucre, les pierres précieuses, l'or ainsi que les esclaves sont transportés par les navires et les caravanes des marchands arabes jusque dans les ports méditerranéens. Ils sont achetés très cher pour être consommés en Occident.
- En provenance d'Occident, d'Europe de l'Ouest, des matières premières comme le tissu, les cuirs, le bois, les minerais comme l'étain et le fer ainsi que les surplus de l'artisanat et de l'agriculture (les céréales, le sel et le vin) sont transportés par terre et par mer vers l'Orient.
Des pratiques commerciales innovantes
Les échanges profitent de pratiques commerciales innovantes initiées par les marchands arabes et perfectionnées par les Italiens. Les marchands vénitiens inventent une forme d'association commerciale qui prend le nom de colleganza ou commenda : deux marchands s'associent par un contrat écrit qui précise leurs engagements réciproques. Les commerçants deviennent également comptables et perfectionnent leurs méthodes de calcul.
Le contrat stipule que :
- Un marchand prend en charge le voyage maritime, l'achat et la vente des marchandises, avec toutes les contraintes et les risques que cela comporte, notamment la piraterie.
- L'autre marchand reste sur terre et joue le rôle d'investisseur en finançant les dépenses liées au voyage.
Une fois le contrat rempli, les deux associés se partagent les bénéfices commerciaux à parts plus ou moins égales.
Pour optimiser leur activité, les commerçants se font comptables et perfectionnent leurs méthodes de calcul. Ils bénéficient des progrès de l'arithmétique et de l'algèbre d'origine arabe. Ils diffusent l'utilisation du zéro, repris des Indiens par les Arabes qui le transmettent aux Européens au Xe siècle.
Le rôle des banques et des banquiers dans les échanges commerciaux
Pour financer l'activité commerciale, les banques, dont la première ouvre à Venise en 1151, deviennent un acteur majeur. Les premiers banquiers sont les changeurs qui permettent aux marchands de « changer » les monnaies étrangères. Ils pratiquent également le prêt.
Les banquiers diversifient leur offre en proposant aux marchands de conserver leur argent sur un « compte en banque » et de financer leur activité par des « lettres de crédit ». Alors qu'elle est interdite par l'Église chrétienne et l'islam, la pratique du prêt à intérêt se développe et l'état d'esprit capitaliste se diffuse chez les marchands bourgeois urbains.
Les cités italiennes médiévales : des carrefours commerciaux incontournables
Du XIIe au XVe siècle, le commerce méditerranéen est dominé par l'Italie. Grâce à sa position avantageuse, la péninsule joue le rôle de plaque tournante des flux commerciaux entre l'Occident et l'Orient. Les cités rivales du Nord de l'Italie comme Gênes, Pise et Venise ont une puissance économique qui repose sur un réseau commercial très étendu. Elles disposent de nombreux avantages qui leur permettent de maîtriser le commerce méditerranéen.
Les marchands italiens disposent d'une flotte importante et deviennent incontournables. Grâce aux avantages que leur accordent les rois et les empereurs comme les califes, ils s'implantent sur les rives byzantines et musulmanes de la Méditerranée. Ils sont souvent exemptés du paiement des taxes de douane. Ces avantages cumulés leur permettent d'être plus compétitifs et de générer toujours plus de profit.
Les Italiens disposent de comptoirs dans la plupart des grandes villes portuaires. Dans les villes musulmanes, des quartiers entiers organisés sur le modèle des caravansérails arabes avec des quais, des entrepôts et des logements leur sont même réservés.
La ville de Venise : la « Sérénissime »
Parmi les cités marchandes italiennes médiévales, le cas de Venise est exceptionnel. Surnommée « la Sérénissime », la république de Venise est gouvernée par un doge élu à vie par les grands marchands. Composée de plusieurs îles à l'abri d'une lagune de la mer Adriatique, cette petite cité est à la tête d'un empire commercial d'une puissance inégalée en Méditerranée du XIe au XVe siècle.
- Les navires vénitiens sillonnent la Méditerranée en convois protégés des pirates par une escadre. Les marchands vénitiens accostent dans leurs nombreux comptoirs de l'Empire byzantin et du monde musulman comme Constantinople et Alexandrie.
- La monnaie vénitienne, le « ducat », devient progressivement la monnaie de référence du commerce en Méditerranée. Organisée par et pour le commerce, la cité de Venise étale sa richesse sur les façades des nombreux palais-entrepôts construits le long du grand canal ainsi que sur la place Saint-Marc où se trouvent le luxueux palais des Doges et la basilique décorée de mosaïques.
La Méditerranée médiévale : un carrefour culturel
Entre les XIe et XVe siècles, le Bassin méditerranéen est un espace d'échanges culturels. Dans les zones où elles entrent en contact, les trois civilisations s'influencent, s'enrichissent mutuellement et parfois même se mélangent. C'est particulièrement le cas en Espagne et en Sicile. On constate ainsi un renouveau intellectuel et artistique et un mélange des cultures et des styles dans le domaine de l'art. Deux régions symbolisent ce mélange des cultures : Tolède et la Sicile.
Le renouveau intellectuel et artistique : l'exemple de Tolède
Dans quelques villes d'Espagne, la cohabitation entre les différentes civilisations permet un enrichissement culturel mutuel. C'est le cas à Tolède, au centre de la péninsule. Reprise aux musulmans en 1085 par le roi de Castille Alphonse VI, Tolède est peuplée de chrétiens, de musulmans et de juifs. Elle devient un centre intellectuel majeur. Des traductions d'ouvrages antiques ont lieu, ils sont ensuite diffusés en Europe. La cohabitation entre chrétiens et musulmans en Espagne donne naissance à un art qualifié d'art mudéjar ou « hispano-mauresque ».
À Tolède, les savants occidentaux redécouvrent les savoirs de l'Antiquité gréco-romaine traduits en arabe et conservés dans les bibliothèques musulmanes. En se spécialisant dans la traduction et le recopiage des manuscrits antiques, Tolède attire des savants venus de toute l'Europe. Le savant italien Gérard de Crémone s'y installe vers 1150. Après y avoir appris l'arabe pendant sept ans, il se lance dans la traduction en latin des traités médiévaux d'algèbre d'Al-Khwarizmi, d'astronomie d'Al-Farghani, de médecine d'Avicenne, de chirurgie d'Al-Zahrawi et de philosophie d'Averroès. Il traduit aussi les traités antiques de géométrie d'Euclide, de géographie de Ptolémée, de médecine de Galien, de physique d'Archimède ou encore de philosophie d'Aristote.
Grâce au papier, invention chinoise introduite en Europe par les Arabes au Xe siècle et qui remplace progressivement le parchemin et le vélin, les manuscrits traduits se diffusent en Europe : un renouveau intellectuel a lieu en Occident à partir du XIIIe siècle. Il est impulsé par quelques savants qui rejettent les traditions et revendiquent une nouvelle approche de la connaissance fondée sur la curiosité, le raisonnement et l'esprit critique. Ils enseignent dans les universités de Paris (qui comptent environ 4 000 étudiants au XIIIe siècle), Chartres, Montpellier, Oxford, Bologne ou Salamanque.
Dans le domaine artistique, la cohabitation entre chrétiens et musulmans en Espagne donne naissance à un art qualifié d'art mudéjar ou « hispano-mauresque ». Cet art témoigne du processus de syncrétisme qui se développe dans les villes médiévales espagnoles. Les techniques artistiques occidentales et orientales se mélangent pour donner un art inédit. On peut y observer la fusion de techniques typiquement occidentales comme les colonnes, avec des techniques typiquement musulmanes comme les plafonds à caissons finement ciselés dans le bois, les arabesques, la marqueterie et les arcs outrepassés.
Le clocher-minaret de l'église de Teruel, le palais de Saragosse et la synagogue Santa Maria La Blanca de Tolède sont construits dans un style « hispano-mauresque ».
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Le mélange des cultures et des styles : l'exemple de la Sicile
Le mélange des cultures et des styles dans la Méditerranée médiévale s'illustre dans quelques villes et régions. C'est particulièrement le cas en Sicile qui est à la croisée des trois civilisations. Dans le domaine politique et artistique, on note un véritable mélange entre l'Orient et l'Occident, favorisé par la pratique d'une tolérance entre les populations.
Intégrée à l'Empire byzantin au VIe siècle puis conquise par les musulmans au IXe siècle, la Sicile passe aux mains des mercenaires normands recrutés par le pape à partir du XIe siècle. Sa localisation est avantageuse : sa position entre l'Orient et l'Occident, à la croisée des trois civilisations, en fait un point de passage privilégié par les convois maritimes qui traversent la Méditerranée.
Dès leur arrivée, les rois normands pratiquent une politique d'inclusion et de tolérance en permettant aux chrétiens orthodoxes byzantins, aux arabes musulmans ainsi qu'aux juifs de rester vivre en Sicile. Palerme est une cité mosaïque, c'est-à-dire une ville cosmopolite incluant des quartiers normands avec leurs églises latines, des quartiers byzantins avec leurs églises orthodoxes, des quartiers juifs avec leurs synagogues et des quartiers musulmans avec leurs mosquées.
Le mélange des cultures s'observe dans le gouvernement quotidien du royaume. Sous le règne de Roger II, entre 1130 et 1154, les différentes communautés mettent leurs talents au service du royaume : les fonctionnaires byzantins et musulmans gèrent l'administration et les impôts. Les actes administratifs sont systématiquement rédigés en latin, en arabe et en grec.
À la cour des rois normands, les styles se mélangent. Les latins s'habillent et vivent à l'orientale en fréquentant les hammams. Roger II parle l'arabe et se fait représenter vêtu comme un empereur byzantin sur les mosaïques.
Au niveau artistique, on observe un mélange entre l'Orient et l'Occident, appelé le style « arabo-normand ».
La cathédrale de Monreale
Édifiée par le roi Guillaume II au XIIe siècle, la cathédrale de Monreale reflète le style « arabo-normand ». Sur les murs intérieurs, les inscriptions grecques et latines côtoient la calligraphie arabe.
L'édifice emprunte :
- au style normand le plan en croix et les ogives qui soutiennent les voûtes ;
- au style arabe les subtiles décorations en arabesque ;
- au style byzantin les coupoles recouvertes de mosaïques en tesselles de verre doré.
La Méditerranée médiévale : un espace de conflits
La Méditerranée médiévale est aussi un espace de conflits entre les trois civilisations. Aux XIe et XIIe siècles, les croisades détériorent les relations entre les chrétiens et les musulmans et scellent la rupture entre les chrétiens orthodoxes et catholiques.
La Reconquista espagnole
Au XIe siècle, la péninsule Ibérique est coupée en deux : le Sud fait partie du monde musulman et le Nord appartient à l'Occident chrétien. L'Espagne musulmane s'affaiblit : l'unité politique fait place à la division d'Al-Andalus en une multitude de petits émirats concurrents appelés les taïfas. Les royaumes chrétiens, soutenus par le pape, se coordonnent alors pour reconquérir les territoires musulmans : c'est la Reconquista espagnole. Elle dure 150 ans et se termine par la victoire des chrétiens.
Pour augmenter leur force de frappe, les souverains chrétiens recrutent des chevaliers dans tout l'Occident avec trois arguments :
- devenir des soldats du Christ ;
- obtenir le Salut en cas de décès ;
- combattre les « Sarrasins » (les musulmans) et s'accaparer des terres et des richesses.
Pas à pas, pendant environ 150 ans, les chevaliers chrétiens font reculer vers le sud la frontière qui les sépare des musulmans. Les villes reconquises sont fortifiées et repeuplées par les chrétiens.
En 1212, la victoire des chrétiens à la bataille de Las Navas de Tolosa accélère la reconquête. Les musulmans se replient à l'extrémité sud de la péninsule où ils parviennent à conserver le royaume de Grenade qui est reconquis par les chrétiens en 1492.
L'archevêque de Compostelle bénit les chevaliers qui s'engagent dans la Reconquista
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Les croisades
La Méditerranée médiévale est secouée par les croisades qui opposent les chrétiens (dont les chevaliers sont appelés « croisés ») aux musulmans, après l'appel à la guerre sainte du pape Urbain II. Quatre croisades déchirent les populations. Ces guerres successives attisent la haine entre les civilisations.
L'appel à la guerre sainte d'Urbain II et les croisés
Le 27 novembre 1095, à l'occasion du concile de Clermont, le pape d'origine française Urbain II réclame l'organisation d'une « guerre sainte » contre les musulmans pour reconquérir les lieux saints dont Jérusalem. Ce discours marque le début d'un processus d'expansion de l'Occident chrétien dans la partie orientale du Bassin méditerranéen. Les chevaliers de l'Occident chrétien partent en croisade contre les musulmans : on les appelle des croisés.
Dès le mois d'août 1096, environ 150 000 professionnels de la guerre s'engagent devant l'Église par un vœu irréversible et cousent une croix chrétienne sur leur tunique au niveau du cœur ou sur l'épaule. Encadrés par des seigneurs renommés comme Godefroi de Bouillon et Raymond de Toulouse, les « croisés » se lancent dans ce qu'ils appellent alors « le pèlerinage de la croix » ou « le voyage de Jérusalem ».
Des croisés
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La première croisade
La première croisade a lieu à la fin du XIe siècle. Les croisés partent pour Jérusalem, à pied ou à cheval. Les premiers combats commencent à l'est de l'Empire byzantin au mois de mai 1097. Le but est de reconquérir Jérusalem qui devient le principal enjeu de la guerre sainte que se livrent les chrétiens et les musulmans.
« Jérusalem est la ville trois fois sainte » : elle est importante pour les juifs, les chrétiens et les musulmans. Les juifs l'appellent Yerushalayim, les chrétiens Jérusalem et les musulmans Al-Quds. Le surnom de « ville trois fois sainte » reflète l'importance de Jérusalem pour ces trois religions : une ville sacrée, une capitale religieuse, un symbole.
- Les juifs en font la capitale du royaume d'Israël au premier millénaire avant J.-C. et le roi Salomon y aurait fait construire le temple que les Romains détruisent au Ier siècle. Aujourd'hui, Jérusalem est le premier lieu saint des juifs qui viennent prier devant les vestiges du temple : le Mur des lamentations.
- Le christianisme est né dans la région de Jérusalem au Ier siècle. Les chrétiens viennent en pèlerinage au Saint-Sépulcre, une église construite où, selon la Bible, le corps du Christ aurait été déposé après sa crucifixion.
- L'islam est né au VIe siècle en Arabie. Selon le Coran, c'est d'un rocher de Jérusalem que le prophète Mohammed serait monté au ciel pour discuter avec Allah. Construite sur ce rocher, la mosquée Al-Aqsa est le troisième lieu saint de l'islam après La Mecque et Médine.
Le 5 juin 1099, environ 14 000 croisés entament le siège de « la ville sainte » défendue par environ 1 400 soldats musulmans. Le 15 juillet 1099, la première croisade atteint son but puisque Jérusalem est prise par les chrétiens d'Occident.
La prise de Jérusalem par les croisés le 15 juillet 1099
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Les deuxième et troisième croisades
Les deuxième et troisième croisades ont lieu au XIIe siècle. Elles sont des échecs pour les chrétiens. Les musulmans, guidés par Saladin, remportent de nombreuses victoires et récupèrent Jérusalem.
En 1144, les musulmans parviennent à reconquérir le comté d'Édesse au nord. À la demande du pape, le moine Bernard de Clairvaux parcourt l'Occident chrétien pour prêcher l'organisation d'une nouvelle croisade dite « de secours ». Avec les mêmes arguments religieux que pour la première croisade, il parvient à convaincre le roi de France et l'empereur d'Allemagne d'y participer. Cette deuxième croisade, menée entre 1146 et 1148, est un échec et les États latins d'Orient se réduisent sous la pression musulmane.
En 1169, un officier, Saladin, prend le pouvoir au Caire et devient le sultan d'Égypte. Il appelle les musulmans à s'unir pour étendre l'empire. En s'appuyant sur le Coran, il milite pour une guerre sainte contre les chrétiens « infidèles » : le djihad, en arabe. Il promet le Paradis aux participants. Les cavaliers musulmans commencent la reconquête de la Palestine en 1171. En 1187, ils remportent la bataille de Hattin et Saladin prend le contrôle de Jérusalem.
Les cavaliers musulmans de Saladin. Statue de Saladin réalisée à Damas en 1993.
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Entre 1189 et 1192, une troisième croisade, par voie maritime, est organisée. Malgré la participation de Philippe Auguste et Richard Cœur de Lion, les puissants rois de France et d'Angleterre, cette croisade est un échec : les croisés reprennent la ville d'Acre aux musulmans et les Anglais prennent l'île de Chypre aux Byzantins, mais Jérusalem reste sous le contrôle de Saladin.
La quatrième croisade et la prise de Constantinople
En 1204, la quatrième croisade se termine par la prise de Constantinople par les croisés. La ville, capitale des chrétiens d'Orient, est pillée.
Les participants à la quatrième croisade de 1204 sont éblouis par les richesses de Constantinople, la capitale de l'Empire byzantin qu'ils pillent pendant 3 jours. Dans l'hippodrome de Constantinople, les croisés volent une sculpture monumentale en cuivre. Il s'agit d'un quadrige, c'est-à-dire quatre chevaux reproduits en taille réelle marchant au pas les uns à côté des autres. À la demande du doge, les chevaux, de 900 kilos chacun, sont rapportés à Venise en 1254. Ils sont placés sur la façade de la basilique Saint-Marc, au-dessus du portail, comme un trophée.
La prise de Constantinople par les croisés en 1204
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