Sommaire
ILes historiens face au génocide des Juifs et des TsiganesIILieux de mémoire du génocide des Juifs et des TsiganesALe silence autour du génocideBDes lieux du génocide aux lieux de mémoireIIIJuger les crimes après NurembergALes procès en AllemagneBLes procès dans le reste du mondeIVLe génocide dans la littérature et au cinémaALa littérature sur le génocideBLes documentaires sur les génocidesCLe génocide au cinémaAu lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la spécificité du génocide des Juifs et Tsiganes n'apparaît pas tout de suite. Des cinq camps d'extermination construits par les nazis, seul celui d'Auschwitz n'a pas été détruit. Toutefois, progressivement, la parole se libère. Les témoignages des rescapés permettent d'approcher l'atrocité de ce qui s'est passé. La volonté de comprendre et de ne pas voir se renouveler un tel crime de masse ainsi que les travaux des historiens ont engendré des décisions judiciaires, des activités de documentation et des commémorations.
Pourquoi la singularité des génocides des Juifs et des Tsiganes n'a-t-elle été que tardivement prise en compte ? Comment l'histoire du génocide des Juifs et des Tsiganes s'est-elle construite et s'inscrit-elle dans la mémoire collective ?
Les historiens face au génocide des Juifs et des Tsiganes
S'interroger sur l'histoire et les mémoires des Juifs et des Tsiganes permet de comprendre la mise en place du génocide par les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale. Pour cela, il faut comprendre la conception du monde d'Hitler, partagée par les nazis : selon Hitler, il existe des races au sein de l'humanité, certaines sont au-dessus des autres et doivent se défendre des autres races qui pourraient leur nuire. Les historiens ont cherché à reconstituer la mise en place du génocide des Juifs et des Tsiganes par les nazis.
Génocide
Un génocide est l'extermination méthodique d'un peuple pour le faire disparaître totalement.
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, de nombreuses questions se posent. Comment un État européen a pu mettre en place une politique d'extermination d'une catégorie de population à l'échelle du continent si rapidement ? Hitler avait-il programmé l'extermination des Juifs dès les années 1920 ou est-elle le résultat d'une évolution ? La question est d'autant plus importante qu'il ne reste aucun document signé de Hitler donnant l'ordre d'exterminer les Juifs. Tout s'est fait oralement et dans le plus grand secret. Plusieurs courants se développent au sein des historiens pour répondre à ces questions.
Deux grands courants d'historiens ont essayé d'expliquer le génocide :
- Les intentionnalistes, qui estiment que le génocide était dans les intentions de Hitler dès les années 1920.
- Les fonctionnalistes, qui pensent que le génocide est le résultat du fonctionnement du régime nazi et de l'évolution de la guerre.
Enfin, un troisième courant se développe : certains pensent que Hitler entretenait l'intention d'exterminer les Juifs, toutefois celle-ci n'était pas absolue, mais conditionnelle, donc dépendaient de certaines conditions, comme l'échec de ses conquêtes à l'est. Comme les fonctionnalistes, ces historiens pensent que la conjoncture (notamment les échecs sur le front est) a été essentielle dans la mise en place du génocide.
En réalité, il n'y avait pas de programme, mais seulement une obsession : libérer le Reich des Juifs qui s'y trouvaient et dont chaque conquête territoriale des armées allemandes accroissait le nombre. La politique nazie envers les Juifs est une illustration de l'absence d'un programme défini par avance de l'extermination des Juifs. Jusqu'à la guerre et même jusqu'en 1941, le départ des Juifs est l'objectif premier des nazis. Après 1941, ce sont ces mêmes Juifs, incités à émigrer, que les nazis vont reprendre pour les tuer.
On ne peut pas comprendre l'intention de Hitler de tuer les Juifs si l'on ne comprend pas son antisémitisme et donc sa conception du monde. Au fondement de la vision du monde de Hitler, il y a deux éléments :
- la division de l'humanité en plusieurs races ;
- le principe de lutte où la race la plus forte impose sa volonté aux autres.
Hitler estime que l'Allemagne, depuis sa défaite de 1918, est sur la voie de la décadence. La défaite allemande de la Première Guerre mondiale a été un véritable traumatisme pour Hitler. Elle a augmenté, donné une nouvelle virulence à son antisémitisme. Il a fait un amalgame entre la défaite et la responsabilité des Juifs, qui n'ont pourtant joué aucun rôle dans cette défaite. Pour Hitler, les Juifs veulent dominer le monde, Hitler croit au complot mondial. Les Juifs constituent un danger, il faut donc se défendre. La politique antisémite de Hitler n'est pas une attaque à ses yeux, mais une défense face à la menace juive. Il faut donc épurer l'Allemagne.
La guerre contre l'URSS à partir du 22 juin 1941 marque une radicalisation de la violence des troupes allemandes, et notamment des Einsatzgruppen.
Einsatzgruppen
Les Einsatzgruppen sont des groupes mobiles chargés de massacrer des civils, principalement des Juifs, après le passage de l'armée allemande en Pologne et sur le front de l'est.
Depuis des années, la propagande nazie a présenté les Juifs et les Slaves comme faisant partie d'une race inférieure. Les troupes allemandes sont préparées psychologiquement à ne faire preuve d'aucune pitié.
En 1941, environ 500 000 Juifs sont tués, par fusillade pour la plupart par les Einsatzgruppen.
Au fur et à mesure du prolongement de la campagne de Russie et de l'augmentation des pertes allemandes, l'attitude de Hitler envers les Juifs marque un durcissement. L'échec de la première phase de la campagne contre l'URSS signifie aussi la prolongation de la guerre et éloigne l'issue victorieuse de Hitler. Dans son esprit, le sang allemand doit être vengé par celui de ceux qu'il considère comme ses pires ennemis : les Juifs.
La décision d'exterminer les Juifs est donc prise au cours de l'automne et au début de l'hiver 1941. Une réunion à Wannsee est organisée le 20 janvier 1942 et officialise la « solution finale » (Endlösung en allemand), c'est-à-dire l'extermination de masse des juifs.
Les moyens sont divers et méritent une analyse à plusieurs échelles :
- Tout d'abord, l'extermination a été permise par la présence d'une force armée acquise et soumise à Hitler, la SS, qui applique les ordres, mais aussi grâce à une organisation spécifique à l'intérieur des camps (hiérarchie au sein des détenus).
- Ensuite, la recherche de l'efficacité maximale dans l'extermination est le reflet d'une société industrielle marquée par la planification et la rapidité : minutage, utilisation du gaz, construction de plus grandes salles de gazage pour accueillir un plus grand nombre de détenus, division du travail, récupération des objets des morts et utilisation des détenus les plus solides comme main-d'œuvre.
- Par ailleurs, tout est fait pour déshumaniser les détenus.
La destruction des Juifs d'Europe et des Tsiganes a été effectuée par les fusillades des Einsatzgruppen, par des privations diverses puis par la mise à mort systématique dans les camps de concentration et surtout dans les six camps d'extermination en Pologne, comme ceux d'Auschwitz ou de Treblinka.
Camps de concentration et camps d'extermination
Les camps de concentration et les camps d'extermination sont des camps où les nazis déportaient tous ceux qu'ils estimaient « nuisibles » : opposants au régime nazi, Juifs, Tsiganes, homosexuels, etc. On distingue les camps de concentration qui n'étaient, théoriquement, pas destinés à la mort des prisonniers, même si les conditions de détention y étaient tellement rudes qu'elles devenaient mortelles, des camps d'extermination, construits à partir de 1941, pour une mort programmée des Juifs et des Tsiganes d'Europe.
Le génocide a causé la mort d'entre 5 et 6 millions de personnes. À eux seuls, les camps d'extermination représentent 58 % de ce massacre. La « solution finale » ou Shoah est véritablement un événement unique dans l'histoire et révèle toute l'horreur d'une idéologie meurtrière.
Lieux de mémoire du génocide des Juifs et des Tsiganes
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la priorité des populations européennes est la reconstruction des pays et le changement des dirigeants, le silence règne autour du génocide. Il y a une méconnaissance des mécanismes de la « solution finale ». Toutefois, progressivement, la mémoire va s'éveiller et l'intérêt des populations grandir, contribuant à une meilleure connaissance du génocide et à une volonté de ne pas oublier. Des lieux de mémoire, musées et centres de recherche, sont investis d'une fonction historique et mémorielle dont les enjeux sont majeurs.
Le silence autour du génocide
Le génocide est d'abord ignoré, on traite tous les déportés de la même façon, qu'ils soient Juifs ou non. Le sort des Tsiganes est complètement ignoré. Les témoignages sont pourtant nombreux mais peu entendus. On peut parler de véritable génocide autour du génocide.
Le retour des déportés et la découverte de l'atrocité des camps nazis sont un choc pour les opinions publiques de l'après-guerre. Les déportés, pour des raisons d'appartenance à la religion juive, ne sont pas distingués des déportés politiques comme les résistants. Les Juifs rescapés ne revendiquent pas un statut à part. Un certain nombre d'entre eux, notamment d'Europe centrale, émigre rapidement en Palestine et leur témoignage n'est pas entendu.
Le sort des Tsiganes est totalement ignoré. Il demeure longtemps méconnu car les Tsiganes sont un peuple nomade par essence et une population dont les sociétés européennes se méfient. Par ailleurs, les Tsiganes ont subi une persécution dispersée et localisée. Il faut attendre 1982 pour que l'Allemagne de l'Ouest reconnaisse sa responsabilité dans le génocide des Tsiganes, et 2011 pour que l'Union européenne reconnaisse le génocide.
Les survivants ont cherché à réunir des preuves et des témoignages sur le génocide des Juifs :
- Un centre de documentation juive est fondé dès 1943 à Grenoble par Isaac Schneersohn dont l'objectif est d'« amasser des preuves et des archives, constituer des dossiers aisément accessibles, préparer le travail des historiens ». Ce centre devient en 1946 le Centre de documentation juive contemporaine (CDJC).
- Le Journal d'Anne Frank, écrit par une jeune juive d'origine allemande, installée aux Pays-Bas, déportée à Auschwitz et morte à Bergen-Belsen, est publié par son père et connaît un immense succès international.
Mais on observe aussi un certain désintérêt ou une incompréhension du génocide.
Le livre de Primo Levi, relatant sa vie à Auschwitz-Birkenau, Si c'est un homme, est d'abord publié en 1947 sous un tirage confidentiel.
« Nous étions des victimes honteuses, des animaux tatoués. »
Simone Veil
Une vie
© Stock, 2007
Les pays vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale cultivent une mémoire héroïque de leur résistance aux nazis. Cela permet la reconstruction et la réconciliation nationale. Progressivement, la mémoire va s'éveiller et l'intérêt des populations va grandir, contribuant à une meilleure connaissance du génocide.
Des lieux du génocide aux lieux de mémoire
Lorsqu'ils comprennent qu'ils vont perdre la guerre, les nazis cherchent à supprimer les preuves de leurs crimes en détruisant les ghettos et les camps. Toutefois, certains lieux demeurent et deviennent des lieux de mémoire et de commémoration. Des musées et des centres de recherche à la mémoire des victimes sont mis en place.
Dès la mise en place de la « solution finale », les nazis ont cherché à cacher la réalité de leur programme d'élimination en détruisant les ghettos, les charniers des exécutions par les Einsatzgruppen, les chambres à gaz, les fours crématoires et les camps d'extermination de Belzec, Sobibor et Treblinka en Pologne.
Ghetto
Un ghetto est un quartier fermé et surveillé par les forces nazies où les Juifs et les Tsiganes sont obligés de résider.
Néanmoins, les recherches archéologiques du camp de Sobibor ont permis de découvrir des charniers, des centaines d'objets ainsi que les fondations des chambres à gaz.
Auschwitz-Birkenau, à la fois camp de concentration et d'extermination, a échappé à la destruction. Il est devenu le symbole de la barbarie nazie dans la mémoire collective mondiale. Il est transformé en musée en 1947 : le musée met d'abord l'accent sur les conditions de vie des détenus puis, à partir des années 1990, sur les génocides.
Les anciens ghettos et autres lieux d'exécution sont investis d'une fonction mémorielle :
- Dès 1948, sur le lieu du ghetto de Varsovie, le monument aux héros de l'insurrection est inauguré. C'est d'ailleurs le lieu choisi en 1970 par le chancelier de l'Allemagne de l'Ouest, Willy Brandt, lui-même ancien opposant au nazisme, pour se recueillir et exprimer le pardon du peuple allemand.
- Des plaques commémoratives sur des lieux d'exécution ou de rassemblement des victimes sont instituées à Berlin puis dans le reste de l'Allemagne et de l'Europe.
- Des Stolpersteine, des pavés recouverts d'une plaque de laiton fabriqués par l'artiste berlinois Gunter Demnig, sont placés devant les maisons des victimes de la « solution finale » en Allemagne et dans d'autres pays européens.
Des moments de commémoration sont instaurés :
- En France, depuis 1993, le 16 juillet est la journée consacrée à la mémoire « des persécutions racistes et antisémites » en référence à la rafle du Vél' d'Hiv en 1942.
- Le 16 juillet 1995, le président de la République française, Jacques Chirac, a reconnu la responsabilité de l'État français dans la déportation des Juifs.
Des musées et des centres de recherche à la mémoire des victimes sont ouverts un peu partout :
- en Israël, en 1953, le Mémorial de la Shoah et centre de recherche Yad Vashem à Jérusalem ;
- en France, en 1956, le Mémorial du martyr juif inconnu à Paris qui devient avec le CDJC le Mémorial de la Shoah en 2005 ;
- aux États-unis, en 1993, à Washington, le musée du mémorial de l'Holocauste qui entreprend de numériser toutes les archives concernant le génocide juif ;
- en Allemagne en 2005, à Berlin, le Mémorial aux juifs assassinés d'Europe et un centre d'information.
Juger les crimes après Nuremberg
Après la Seconde Guerre mondiale, du 20 novembre 1945 au 1er octobre 1946 se tient le procès de Nuremberg, pour juger vingt-quatre des principaux responsables du IIIe Reich. Après ce procès, d'autres responsables des crimes de la Seconde Guerre mondiale sont jugés en Allemagne, puis dans le reste du monde où d'anciens criminels nazis sont arrêtés. La connaissance et la mémoire du génocide ont été ravivées, nourries et enrichies par ces procès.
Les procès en Allemagne
Après le procès de Nuremberg, d'autres procès ont lieu en Allemagne dans le but de punir les criminels nazis.
De nombreux procès militaires sont organisés dans les différentes zones d'Allemagne (le pays est divisé depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale).
Le procès d'Ulm, en 1958, juge 10 membres des Einsatzgruppen.
Après la Seconde Guerre mondiale, 5 000 personnes sont jugées, 794 sont condamnées à mort et 486 sont exécutées, mais la guerre froide complique le travail judiciaire, certains nazis étant recrutés par la CIA.
En 1958, le Centre national d'enquêtes sur les crimes de guerre nazis est créé à Ludwigburg. Il est à l'origine de nombreuses enquêtes et de procès.
En 1963-1965, le procès de Francfort-sur-le-Main permet le jugement de 22 anciens surveillants d'Auschwitz. Ce procès provoque un grand retentissement et une meilleure connaissance du génocide.
Ces procès participent à la reconstruction politique et morale de la société allemande. Ils font resurgir, notamment auprès des jeunes générations nées après 1945, la question de la culpabilité et l'interrogation sur l'attitude des parents pendant le IIIe Reich. Ces procès ont plusieurs dimensions :
- une dimension explicative de l'histoire ;
- une dimension pédagogique ;
- une dimension commémorative ;
- une dimension politique et morale.
Comme de nombreux nazis ont réussi à fuir après 1945, notamment en Amérique latine et dans certains États du Moyen-Orient, certains décident de les traquer et de les retrouver pour les juger. Simon Wiesenthal, juif autrichien, survivant de 12 camps de concentration, fonde un centre d'information et de documentation sur les criminels nazis. Il est reconnu pour sa recherche de nazis dans le monde entier.
« Simon Wiesenthal se souvenait, selon le New York Times, d'un dîner de shabbat chez un autre survivant de Mauthausen, devenu un riche joaillier. L'homme lui disait qu'il serait devenu millionnaire s'il était revenu à l'architecture, au lieu de chasser les nazis. "Quand nous arriverons dans l'autre monde, lui avait répondu Wiesenthal, et que nous retrouverons les millions de juifs qui sont morts dans les camps, ils nous demanderont 'qu'avez-vous fait ?' 'Tu leur diras, 'je suis devenu joaillier'. Un autre dira, 'j'ai fait de la contrebande de café et de cigarettes américaines'. Moi je dirai, 'je ne vous ai pas oubliés'." »
Le Monde
2005
Les procès dans le reste du monde
Dans le reste du monde, d'autres procès ont lieu et permettent une meilleure compréhension du génocide. Le procès d'Eichmann en 1961 en Israël est un tournant historique majeur : un haut responsable nazi est jugé et condamné par l'État juif. En France, d'autres procès majeurs ont lieu.
Dans les procès après Nuremberg, la jurisprudence de Nuremberg est appliquée par les tribunaux nationaux. On retrouve la qualification des crimes et l'imprescriptibilité des crimes contre l'humanité.
Jurisprudence
La jurisprudence est l'ensemble des décisions de justice relatives à un problème juridique donné.
Imprescriptibilité
En droit, l'imprescriptibilité désigne l'absence de limite dans la durée pour une action en justice.
La Pologne inaugure les procès dans d'autres pays que l'Allemagne. Le procès des responsables d'Auschwitz à Cracovie a lieu en 1947. Il y a 40 accusés, et au final 23 condamnations à mort et 16 peines de prison. La même année, le tribunal suprême de Pologne juge Rudolf Höss, principal commandant d'Auschwitz, et le condamne à mort dans le camp d'Auschwitz.
Le procès d'Eichmann est un événement mondial. Grâce à des renseignements de Simon Wiesenthal, les services secrets israéliens enlèvent Adolf Eichmann en Argentine. C'est l'organisateur de la déportation des juifs européens vers les camps d'extermination. Eichmann est ramené en Israël où il est jugé. Le procès s'ouvre à Jérusalem en avril 1961. Eichmann est jugé pour 15 chefs d'accusation dont crimes contre l'humanité et crimes de guerre. Il est déclaré coupable, condamné à mort et exécuté en mai 1962.
Le procès est marqué par l'importance du témoignage, avec la déposition de 111 témoins. Il est filmé et retransmis par les télévisions du monde entier, provoquant un retentissement mondial. C'est un tournant du fait de l'affirmation d'une mémoire spécifiquement juive de la Seconde Guerre mondiale. Cela permet aussi une réflexion sur « la banalité du mal » par la philosophe Hannah Arendt : dans Eichmann à Jérusalem, elle tente d'expliquer comment un homme ordinaire se transforme en bourreau.
En France, d'autres procès importants ont lieu :
- Les époux Klarsfeld permettent l'arrestation en 1983 en Bolivie de Klaus Barbie, chef de la Gestapo de Lyon, qui a notamment torturé Jean Moulin. Il est extradé en France, jugé et condamné à la prison à perpétuité en 1987. C'est le premier procès pour crimes contre l'humanité en France.
- René Bousquet, ancien secrétaire général de la police du gouvernement de Vichy entre 1942 et 1943, est jugé en 1991.
- Paul Touvier, ancien chef de la Milice lyonnaise, est jugé en 1994.
- Maurice Papon, ancien secrétaire général de la préfecture de Gironde entre 1942 et 1944, est jugé en 1998 et condamné à 10 ans de réclusion criminelle.
De nombreux criminels nazis ont échappé à la justice, révélant les difficultés de juger des crimes de cette nature.
Le génocide dans la littérature et au cinéma
La mémoire du génocide a également été transmise dans la littérature et au cinéma sous des formes documentaires ou fictionnelles.
La littérature sur le génocide
La littérature sur le génocide concerne les témoignages des morts ou des survivants, mais aussi des fictions, surtout à partir des années 1970.
Les témoignages sont une source de connaissances essentielles sur le génocide. Ils sont très nombreux. On peut citer deux ouvrages qui sont parmi les premiers publiés :
- Le Journal d'Anne Frank : Anne Frank est jeune juive d'origine allemande, installée aux Pays-Bas, déportée à Auschwitz et morte à Bergen-Belsen. Son journal est publié par son père, seul rescapé de la famille, et connaît un succès international lors de sa parution aux Pays-Bas en 1947, puis en France et en Allemagne en 1950. Depuis lors, il a été traduit dans 70 langues et vendu à 30 millions d'exemplaires dans le monde.
- Le livre de Primo Levi, Si c'est un homme, relatant sa vie à Auschwitz-Birkenau, est d'abord publié en 1947 sous un tirage confidentiel. Le succès du livre arrive avec sa réédition en 1963. Le livre n'est traduit en français qu'en 1987.
Cette littérature vise à reconstituer la réalité et à rendre leur humanité aux victimes. Au-delà du sentiment de culpabilité qui peut être présent, elle interroge aussi la condition humaine et l'impossibilité de faire son deuil.
La génération suivante passe par la fiction pour évoquer le génocide.
« Je n'ai pas de souvenirs d'enfance. Jusqu'à ma douzième année à peu près, mon histoire tient en quelques lignes : j'ai perdu mon père à quatre ans, ma mère à six ; j'ai passé la guerre dans diverses pensions de Villard-de-Lans. En 1945, la sœur de mon père et son mari m'adoptèrent.
Cette absence d'histoire m'a longtemps rassuré : sa sécheresse objective, son évidence apparente, son innocence, me protégeaient, mais de quoi me protégeaient-elles, sinon précisément de mon histoire, de mon histoire vécue, de mon histoire réelle, de mon histoire à moi qui, on peut le supposer, n'était si sèche, ni objective, ni apparemment évidente, ni évidemment innocente ?
[…] L'on n'avait pas à m'interroger sur cette question. Elle n'était pas inscrite à mon programme. J'en étais dispensé : une autre histoire, la Grande, l'Histoire avec sa grande hache, avait déjà répondu à ma place : la guerre, les camps. »
Georges Perec
W ou le Souvenir d'enfance
© Gallimard, coll. L'imaginaire, 1975
C'est un récit croisé, alternant fiction et autobiographie sans lien apparent entre les deux. Il s'agit d'une tentative du personnage pour transmettre son expérience d'enfant juif caché et orphelin. W est une île fictive qui lui permet de décrire un univers d'horreur. L'œuvre est aussi un moyen pour exprimer l'indicible : la mort des parents (sa mère a été déportée à Auschwitz en 1943) et l'absurdité de leur perte.
© Flickr
Art Spiegelman publie Maus entre 1980 et 1991. Cette bande dessinée raconte, par le biais de la biographie de son père, l'histoire de la transmission de la mémoire de la Shoah. La trame narrative se développe à deux époques, le présent de l'auteur et le passé de son père des années 1930 à la libération en 1945. L'artiste a fait le choix d'un univers animalier où les Juifs ont l'apparence de souris (Maus en allemand), les Polonais, de cochons, et les nazis, de chats. L'œuvre est un mélange de plusieurs genres : biographie, autobiographie, fiction, récit historique.
Les documentaires sur les génocides
Les premiers documents filmés sont les images tournées par les armées alliées lors de la libération des camps. Deux documentaires importants sont à signaler : Nuit et Brouillard d'Alain Resnais en 1956 et Shoah de Claude Lanzmann en 1985.
Nuit et Brouillard d'Alain Resnais dénonce le système concentrationnaire nazi mais reflète la société de l'époque :
- Aucune distinction n'est faite entre les différents camps : camp de concentration, d'extermination, d'internement.
- Le mot « juif » n'est prononcé qu'une seule fois.
- L'image d'un gendarme français gardant le camp d'internement de Pithiviers est censurée.
Le documentaire Shoah de Claude Lanzmann, sorti en 1985, est un tournant historique. Lanzmann n'utilise pas d'images d'archives mais uniquement des témoignages. L'objectif du documentaire est de raconter l'histoire du génocide juif par les témoignages des victimes, mais aussi des bourreaux. Il se veut pédagogique et refuse l'idée d'une reconstitution. Fruit d'un travail d'enquête de 12 ans, le documentaire dure près de 9 heures et 30 minutes. En ce sens, il s'oppose totalement aux cinéastes, créateurs de fictions, et pose une question intéressante : le génocide peut-il être l'objet d'un traitement cinématographique fictionnel ?
Le génocide au cinéma
Le succès mondial de la série américaine Holocauste en 1978 ouvre la voie à une multitude de films sur le sujet. Le génocide devient un thème de film grand public avec La Liste de Schindler de Steven Spielberg en 1993.
La série américaine Holocauste est un succès mondial en 1978. Elle relate la vie de deux familles allemandes, l'une adhérant à l'idéologie nazie et l'autre étant juive. Elle a marqué de nombreuses générations au point d'avoir fait entrer dans le vocabulaire courant le terme « holocauste ».
Shoah ou holocauste
La Shoah ou l'holocauste sont des termes utilisés pour qualifier la politique d'extermination des Juifs. Le terme « holocauste » est d'origine anglo-saxonne. C'est sans doute le moins rigoureux des deux puisqu'en grec il signifie « sacrifice par le feu ». Le terme « Shoah » (« catastrophe » en hébreu) inscrit ce drame dans l'histoire juive en général.
La liste de Schindler de Steven Spielberg, sorti en 1993, relate à partir d'une histoire vraie le parcours ambivalent d'Oscar Schindler, qui a sauvé la vie à des Juifs. Ce film connaît un succès mondial.
Il ouvre la voie à de nombreux autres films :
- La vie est belle, sorti en 1997, de Roberto Begnini : déporté dans un camp d'extermination, un père fait croire à son fils qu'ils participent à un jeu dont le but est de gagner un char d'assaut.
- Train de vie, sorti en 1998, de Radu Mihaileanu : il raconte l'organisation par un village juif d'Europe centrale (un shtetl) de son propre convoi de déportation afin d'échapper à l'extermination.
- Le Pianiste, sorti en 2002, de Roman Polanski : il raconte la survie du pianiste juif Wladyslaw Szpilman dans les décombres de Varsovie.
- Le Fils de Saul, sorti en 2015, de Laszlo Nemes : il met en scène la vie quotidienne dans un camp et suscite de vives réactions, son réalisme étant particulièrement éprouvant.