Pondichéry, 2014, voie S
Vous répondrez à la question en vous appuyant sur les textes du corpus, les textes que vous avez étudiés en classe et sur vos lectures personnelles.
Dans un essai intitulé L'Acte et le lieu de la poésie, Yves Bonnefoy affirme qu'il ne croit pas "qu'il soit de poésie vraie aujourd'hui qui ne veuille chercher jusqu'à son dernier souffle à fonder un espoir". Dans quelle mesure la poésie peut-elle représenter un espoir pour l'être humain ?
Yves Bonnefoy, "Vrai lieu", Du mouvement et de l'immobilité de Douve
1953
Vrai lieu
Qu'une place soit faite à celui qui approche,
Personnage ayant froid et privé de maison
Personnage tenté par le bruit d'une lampe,
Par le seuil éclairé d'une seule maison.
Et s'il reste recru1 d'angoisse et de fatigue,
Qu'on redise pour lui les mots de guérison.
Que faut-il à ce cœur qui n'était que silence,
Sinon des mots qui soient le signe et l'oraison2,
Et comme un peu de feu soudain la nuit,
Et la table entrevue d'une pauvre maison ?
1 Recru : épuisé
2 L'oraison : la prière
Texte B : Louis Aragon, "Les Mots qui ne sont pas d'amour" (extrait), Le Roman inachevé
1956
Les Mots qui ne sont pas d'amour
(…)
Ce ne sont pas les mots d'amour
Qui détournent les tragédies
Ce ne sont pas les mots qu'on dit
Qui changent la face des jours
Le malheur où te voilà pris
Ne se règle pas au détail
Il est l'objet d'une bataille
Dont tu ne peux payer le prix
Apprends qu'elle n'est pas la tienne
Mais bien la peine de chacun
Jette ton cœur au feu commun
Qu'est-il de tel que tu y tiennes
Seulement qu'il donne une flamme
Comme une rose du rosier
Mêlée aux flammes du brasier
Pour l'amour de l'homme et la femme
Va prends leur main Prends le chemin
Qui te mène au bout du voyage
Et c'est la fin du Moyen Age
Pour l'homme et la femme demain
Cela fait trop longtemps que dure
Le Saint-Empire des nuées1
Ah sache au moins contribuer
A rendre le ciel moins obscur
Qui sont ces gens sur les coteaux
Qu'on voit tirer contre la grêle
Mais va partager leur querelle
Qu'il ne pleuve plus de couteaux
Peux-tu laisser le feu s'étendre
Qui brûle dans les bois d'autrui
Mais pour un arbre ou pour un fruit
Regarde-toi Tu n'es que cendres
Chaque douleur humaine sens-
La pour toi comme une honte
Et ce n'est vivre au bout du compte
Qu'avoir le front couleur du sang
Chaque douleur humaine veut
Que de tout ton sang tu l'étreignes
Et celle-là pour qui tu saignes
Ne sait que souffler sur le feu
1 Saint-Empire : empire fondé par Charlemagne, qui associe pouvoir politique et religieux. C'est la croyance religieuse que récuse Aragon dans cette métaphore.
Texte C : Claude Roy, "Jamais je ne pourrai" (extrait), Poésies
1970
Jamais je ne pourrai
Jamais je ne pourrai dormir tranquillement aussi longtemps
Que d'autres n'auront pas le sommeil et l'abri
Ni jamais vivre de bon cœur tant qu'il faudra que d'autres
Meurent qui ne savent pas pourquoi
J'ai mal au cœur mal à la terre mal au présent
Le poète n'est pas celui qui dit Je n'y suis pour personne
Le poète dit J'y suis pour tout le monde
Ne frappez pas avant d'entrer
Vous êtes déjà là
Qui vous frappe me frappe
J'en vois de toutes les couleurs
J'y suis pour tout le monde
Pour ceux qui meurent parce que les Juifs il faut les tuer1
pour ceux qui meurent parce que les jaunes cette race-là c'est fait pour être exterminé
pour ceux quoi saignent parce que ces gens-là ça ne comprend que la trique
pour ceux qui triment parce que les pauvres c'est fait pour travailler
pour ceux qui pleurent parce qu'ils ont des yeux eh bien c'est pour pleurer
pour ceux qui meurent parce que les rouges ne sont pas de bons Français
pour ceux qui paient les pots cassés du Profit et du mépris des hommes
Dépêche AFP2 de Saïgon De notre correspondant particulier sur le front de Corée
L'Agence Reuter3 mande de Malaisie Le Quartier Général des Forces Armées communique
Le tribunal Militaire siégeant à huis clos De notre envoyé spécial à Athènes
Les milieux bien informés de Madrid
Mon amour ma clarté ma mouette mon long cours
Depuis dix ans je t'aime et par toi recommence
Me change et me défais m'accrois et me libère
Mon amour mon pensif et mon rieur ombrage
En t'aimant j'ouvre grand les portes de la vie
Et parce que je t'aime je dis
Il ne s'agit plus de comprendre le monde
il faut le transformer
Je te tiens par la main
La main de tous les hommes
(…)
1 Dans ce vers et ceux qui suivent (jusqu'au vers 20), Claude Roy rapporte des propos qu'il dénonce.
2 AFP : Agence France Presse. Dans les lignes en italique, Claude Roy énumère des sources d'informations de différentes origines.
3 Agence Reuter : agence de presse anglaise.
Texte D : Emmanuel Merle, "Ce poignet démis de toi", Pierres de folie
2010
Emmanuel Merle consacre son recueil Pierres de folie aux victimes de l'extermination commise par les nazis.
Ce poignet démis de toi
Ce poignet démis de toi
Dans la cohorte1 des poignets
Nus
Poignet aile à palpitation
Ton
Attache vitale
Les pores cautérisés2 d'encre
Bleu enfer
Ta peau s'épèle en chiffres
Poignet bleu nu dans la cohorte
Des poignets dénommés
Je réincarne tes os
Je décode ton nom
Toi seul parmi les seuls
Je te rends ton nom
1 Cohorte : groupe de personnes ayant un comportement commun et, par extension, éléments de même nature constituant un groupe, un ensemble plus ou moins organisé
2 Cautériser : brûler les tissus cutanés au fer rouge (ici, la cautérisation évoque le tatouage du matricule sur le bras des déportés)
Quel est le sujet du poème ?
Yves Bonnefoy, "Vrai lieu", Du mouvement et de l'immobilité de Douve
1953
Vrai lieu
Qu'une place soit faite à celui qui approche,
Personnage ayant froid et privé de maison
Personnage tenté par le bruit d'une lampe,
Par le seuil éclairé d'une seule maison.
Et s'il reste recru1 d'angoisse et de fatigue,
Qu'on redise pour lui les mots de guérison.
Que faut-il à ce cœur qui n'était que silence,
Sinon des mots qui soient le signe et l'oraison2,
Et comme un peu de feu soudain la nuit,
Et la table entrevue d'une pauvre maison ?
1 Recru : épuisé
2 L'oraison : la prière
Que dénonce le poète ?
Texte B : Louis Aragon, "Les Mots qui ne sont pas d'amour" (extrait), Le Roman inachevé
1956
Les mots qui ne sont pas d'amour
(…)
Ce ne sont pas les mots d'amour
Qui détournent les tragédies
Ce ne sont pas les mots qu'on dit
Qui changent la face des jours
Le malheur où te voilà pris
Ne se règle pas au détail
Il est l'objet d'une bataille
Dont tu ne peux payer le prix
Apprends qu'elle n'est pas la tienne
Mais bien la peine de chacun
Jette ton cœur au feu commun
Qu'est-il de tel que tu y tiennes
Seulement qu'il donne une flamme
Comme une rose du rosier
Mêlée aux flammes du brasier
Pour l'amour de l'homme et la femme
Va prends leur main Prends le chemin
Qui te mène au bout du voyage
Et c'est la fin du Moyen Age
Pour l'homme et la femme demain
Cela fait trop longtemps que dure
Le Saint-Empire des nuées1
Ah sache au moins contribuer
A rendre le ciel moins obscur
Qui sont ces gens sur les coteaux
Qu'on voit tirer contre la grêle
Mais va partager leur querelle
Qu'il ne pleuve plus de couteaux
Peux-tu laisser le feu s'étendre
Qui brûle dans les bois d'autrui
Mais pour un arbre ou pour un fruit
Regarde-toi Tu n'es que cendres
Chaque douleur humaine sens-
La pour toi comme une honte
Et ce n'est vivre au bout du compte
Qu'avoir le front couleur du sang
Chaque douleur humaine veut
Que de tout ton sang tu l'étreignes
Et celle-là pour qui tu saignes
Ne sait que souffler sur le feu
1 Saint-Empire : empire fondé par Charlemagne, qui associe pouvoir politique et religieux. C'est la croyance religieuse que récuse Aragon dans cette métaphore.
Pour le poète, quelle est la solution à la haine ?
Texte C : Claude Roy, "Jamais je ne pourrai" (extrait), Poésies
1970
Jamais je ne pourrai
Jamais je ne pourrai dormir tranquillement aussi longtemps
Que d'autres n'auront pas le sommeil et l'abri
Ni jamais vivre de bon cœur tant qu'il faudra que d'autres
Meurent qui ne savent pas pourquoi
J'ai mal au cœur mal à la terre mal au présent
Le poète n'est pas celui qui dit Je n'y suis pour personne
Le poète dit J'y suis pour tout le monde
Ne frappez pas avant d'entrer
Vous êtes déjà là
Qui vous frappe me frappe
J'en vois de toutes les couleurs
J'y suis pour tout le monde
Pour ceux qui meurent parce que les Juifs il faut les tuer1
pour ceux qui meurent parce que les jaunes cette race-là c'est fait pour être exterminé
pour ceux quoi saignent parce que ces gens-là ça ne comprend que la trique
pour ceux qui triment parce que les pauvres c'est fait pour travailler
pour ceux qui pleurent parce qu'ils ont des yeux eh bien c'est pour pleurer
pour ceux qui meurent parce que les rouges ne sont pas de bons Français
pour ceux qui paient les pots cassés du Profit et du mépris des hommes
Dépêche AFP2 de Saïgon De notre correspondant particulier sur le front de Corée
L'Agence Reuter3 mande de Malaisie Le Quartier Général des Forces Armées communique
Le tribunal Militaire siégeant à huis clos De notre envoyé spécial à Athènes
Les milieux bien informés de Madrid
Mon amour ma clarté ma mouette mon long cours
Depuis dix ans je t'aime et par toi recommence
Me change et me défais m'accrois et me libère
Mon amour mon pensif et mon rieur ombrage
En t'aimant j'ouvre grand les portes de la vie
Et parce que je t'aime je dis
Il ne s'agit plus de comprendre le monde
il faut le transformer
Je te tiens par la main
La main de tous les hommes
(…)
1 Dans ce vers et ceux qui suivent (jusqu'au vers 20), Claude Roy rapporte des propos qu'il dénonce.
2 AFP : Agence France Presse. Dans les lignes en italique, Claude Roy énumère des sources d'informations de différentes origines.
3 Agence Reuter : agence de presse anglaise.
Que signifie "Je te rends ton nom" dans ce poème ?
Emmanuel Merle, "Ce poignet démis de toi", Pierres de folie
2010
Emmanuel Merle consacre son recueil Pierres de folie aux victimes de l'extermination commise par les nazis.
Ce poignet démis de toi
Ce poignet démis de toi
Dans la cohorte1 des poignets
Nus
Poignet aile à palpitation
Ton
Attache vitale
Les pores cautérisés2 d'encre
Bleu enfer
Ta peau s'épèle en chiffres
Poignet bleu nu dans la cohorte
Des poignets dénommés
Je réincarne tes os
Je décode ton nom
Toi seul parmi les seuls
Je te rends ton nom
1 Cohorte : groupe de personnes ayant un comportement commun et, par extension, éléments de même nature constituant un groupe, un ensemble plus ou moins organisé
2 Cautériser : brûler les tissus cutanés au fer rouge (ici, la cautérisation évoque le tatouage du matricule sur le bras des déportés)
En quoi la poésie engagée est-elle un espoir pour l'Homme ?
Pourquoi le lecteur peut-il se sentir proche du poète ?
Qu'est-ce que la théorie de l'Art pour l'Art ?