Sommaire
ILes caractéristiques et les formes de l'autobiographieALes caractéristiques de l'autobiographieBLes différentes formes autobiographiques1Les différentes formes autobiographiques en littérature2L'autobiographie en peintureIILes buts de l'autobiographieAMieux se connaîtreBPartager ses souvenirs et ses sentimentsCRaconter sa véritéDTémoignerIIILes difficultés de l'autobiographieL'autobiographie est présente en littérature sous différentes formes : le roman autobiographique, les mémoires, le journal intime, l'essai, l'autoportrait, la lettre, le poème, la bande dessinée. L'autobiographie apparaît également en peinture par le biais de l'autoportrait. L'autobiographie est un genre littéraire dans lequel l'auteur raconte sa vie. Il peut vouloir raconter sa vérité, faire un bilan de sa vie ou raconter un fait important de son existence, témoigner, lutter contre l'oubli, etc. L'écriture autobiographique présente plusieurs difficultés.
Quelles sont les différentes formes d'écriture de soi en littérature et en peinture ? Quelles sont les raisons et les sens de cette entreprise d'écriture qui consiste à se raconter, à se représenter ? Quelles sont les difficultés d'écrire sur soi ou de se représenter ?
Les caractéristiques et les formes de l'autobiographie
Le genre autobiographique, en littérature ou en peinture, répond à des caractéristiques précises. L'autobiographie peut prendre des formes différentes.
Les caractéristiques de l'autobiographie
L'autobiographie est un genre littéraire dans lequel l'auteur raconte sa vie, en général à la première personne. L'auteur passe un pacte avec le lecteur et s'engage à raconter le plus justement possible ses souvenirs.
Autobiographie
L'autobiographie est une œuvre dont l'auteur, le narrateur et le personnage sont une seule et même personne. L'auteur s'engage, avec sincérité et vérité, à raconter sa vie.
Dans Les Confessions, Jean-Jacques Rousseau raconte sa vie en commençant par son enfance.
« Je forme une entreprise qui n'eut jamais d'exemple et dont l'exécution n'aura point d'imitateur. Je veux montrer à mes semblables un homme dans toute la vérité de la nature, et cet homme ce sera moi. »
Jean-Jacques Rousseau
Les Confessions
1782
L'œuvre de Rousseau est souvent considérée comme la première autobiographie moderne.
Le terme « autobiographie » est constitué de plusieurs mots :
- « auto », du grec autos qui signifie « soi » ;
- « bio », du grec bios qui signifie « vie » ;
- « graphie », du grec graphein qui signifie « écrire ».
Dans une autobiographie, l'auteur s'exprime généralement à la première personne. Il est à la fois le personnage et le narrateur.
« Je suis né à Villers-Cotterêts, petite ville du département de l'Aisne, située sur la route de Paris à Laon, à deux cents pas de la rue de la Noüe, où mourut Demoustier, à deux lieues de La Ferté-Milon, où naquit Racine, et à sept lieues de Château-Thierry, où naquit La Fontaine. J'y suis né le 24 juillet 1802, rue de Lormet… »
Alexandre Dumas
Mes Mémoires
1852-1856
Comme l'auteur raconte son passé et ses souvenirs, deux regards coexistent :
- le regard du narrateur adulte ;
- le regard du narrateur enfant.
« À cinquante ans, j'ai jugé que le moment était venu : j'ai prêté ma conscience à l'enfant, à la jeune fille abandonnée au fond du temps perdu, et perdues avec lui. Je les ai fait exister en noir et blanc sur du papier. »
Simone de Beauvoir
Les Mémoires d'une jeune fille rangée
© Gallimard, 1958
Simone de Beauvoir raconte, à l'âge adulte (« À cinquante ans »), la fin de son enfance (« enfant ») et son adolescence.
L'auteur qui écrit son autobiographie s'adresse au lecteur. Un pacte de lecture, appelé « pacte autobiographique », lie étroitement l'auteur et le lecteur. En effet, l'auteur s'engage à retranscrire les faits racontés le plus fidèlement possible, à dire la vérité. Il peut aussi exprimer avec sincérité les difficultés rencontrées pour écrire son autobiographie : les souvenirs un peu vagues, le manque de fiabilité de la mémoire.
« Ce livre, lecteur, est un livre de bonne foi.
Il t'avertit, dès le début, que je ne l'ai écrit que pour moi et quelques intimes, sans me préoccuper qu'il put être pour toi de quelque intérêt, ou passer à la postérité ; de si hautes visées sont au-dessus de ce dont je suis capable. »
Michel de Montaigne
Essais
1580
Dès l'ouverture de son livre, Montaigne s'adresse directement au lecteur en l'interpellant (« lecteur ») et en le tutoyant (« t'avertit »). L'auteur garantit au lecteur sa sincérité (« de bonne foi »).
Les différentes formes autobiographiques
L'autobiographie peut prendre différentes formes en littérature et en peinture.
Les différentes formes autobiographiques en littérature
Il existe différentes formes autobiographiques en littérature : l'autoportrait, l'essai, les mémoires, le journal intime, le roman autobiographique, etc.
Autoportrait
L'autoportrait consiste, en littérature, à brosser son propre portrait, c'est-à-dire à décrire ses traits physiques et moraux en étant le plus proche de la réalité, en étant le plus exact possible.
« […] j'ai horreur de me voir à l'improviste dans une glace car, faute de m'y être préparé, je me trouve à chaque fois d'une laideur humiliante. »
Michel Leiris
L'Âge d'homme
© Gallimard, 1939
Michel Leiris propose un autoportrait de lui-même sans concession, d'une grande dureté.
Essai
L'essai est une œuvre qui consiste à développer une réflexion personnelle sur soi, en abordant les grandes questions de la vie comme l'amour, la mort, le sens de la vie, le pouvoir, etc. Le ton est généralement très libre.
Les Essais de Montaigne (1580) sont l'œuvre qui a donné son nom à ce genre littéraire. Montaigne exprime son opinion sur de nombreux sujets : l'amitié, l'amour, l'esclavage, l'écriture de soi.
Mémoires
Les mémoires sont un autre genre autobiographique dans lequel l'auteur raconte sa propre vie en se concentrant surtout sur les événements historiques qu'il a vécus, auxquels il a pu participer ou desquels il a été tout simplement le témoin.
Dans Mes mémoires (1852-1856), Alexandre Dumas évoque les événements historiques marquants de son époque et notamment Napoléon auquel il vouait une grande admiration et qui le fascinait beaucoup.
Journal intime
Le journal intime est un récit dans lequel une personne raconte sa propre vie au jour le jour. Elle écrit ses réflexions. Elle fait part de ses idées et de ses sentiments sur les faits ou les personnes rencontrées. En général, la personne note la date (le jour, le mois, l'année). Le journal intime n'est normalement pas destiné à être publié.
Hélène Berr, âgée de 21 ans, est une jeune Parisienne qui tient son journal entre 1942 et 1944. Elle y raconte sa vie d'étudiante ainsi que les épreuves qui frappent sa famille juive. Elle écrit jusqu'au moment où elle est déportée avec ses parents dans le camp de Bergen-Belsen, le 15 février 1944.
Roman autobiographique
Le roman autobiographique s'inspire de la vie réelle de l'auteur mais il comporte une part de fiction. L'auteur, le narrateur et le personnage ne forment pas une seule et même personne. Le personnage inventé ressemble à l'auteur et les faits rapportés sont proches de la vie réelle de l'auteur.
« Je me retrouvai seul, à cet endroit de la pièce où était la table autour de laquelle, jadis, nous prenions le repas. Le soleil dessinait des raies orangées sur le parquet. Pas un bruit. L'œil-de-bœuf, à travers lequel on devinait une chambre, était toujours là. Je me rappelais l'emplacement des meubles : les deux grands globes terrestres de chaque côté de l'œil-de-bœuf. Sous celui-ci, la bibliothèque vitrait qui supportait la maquette d'un galion. »
Patrick Modiano
Livret de famille
© Gallimard, 1977
Dans Livret de famille (1977) de Modiano, certains événements racontés sont réels comme la visite de l'appartement dans lequel le narrateur a passé son enfance, quai de Conti, à Paris. Cependant, les souvenirs rapportés sont tellement précis, comme l'emplacement exact des meubles, que le lecteur peut se demander si une partie de ces souvenirs n'est pas imaginée. De plus, le narrateur ne s'appelle pas Modiano, ce n'est pas donc une autobiographie.
Correspondance
La correspondance, appelée aussi littérature épistolaire, est un recueil de plusieurs lettres d'une personne ou de plusieurs personnes qui ont échangé entre elles.
Madame de Sévigné entretient une très grande correspondance avec ses proches, sa fille Madame de Grignan, son cousin.
Il est possible de trouver des poèmes autobiographiques ou des bandes dessinées autobiographiques.
- Raymond Queneau rédige son autobiographie sous la forme d'un poème intitulé Chêne et chien (1937).
- Dans Persepolis (2003), Marjane Satrapi raconte son enfance en Iran sous la forme d'une bande dessinée.
Aujourd'hui, avec le développement d'Internet, on trouve également d'autres textes autobiographiques sur les blogs, les réseaux sociaux, etc.
L'autobiographie en peinture
En peinture, l'autobiographie est également présente sous la forme de l'autoportrait.
Autoportrait
L'autoportrait consiste à se représenter soi. Le peintre se peint lui-même. Il peut se représenter au naturel, seul ou dans un groupe, en train de peindre. Il peut se représenter à plusieurs périodes de sa vie, cela lui permet de voir l'évolution de son physique, les changements liés au temps (de la jeunesse à la vieillesse).
Rembrandt, peintre du XVIIe siècle, a peint un très grand nombre d'autoportraits à différents moments de sa vie.
© Wikimedia Commons
Les buts de l'autobiographie
L'autobiographie peut avoir plusieurs buts : mieux se connaître, partager ses souvenirs et ses sentiments, raconter sa vérité, ou témoigner.
Mieux se connaître
L'autobiographie peut servir à mieux se connaître.
Les écrivains racontent leur vie pour apprendre à mieux se connaître eux-mêmes.
« Le même pas d'un cheval me semble tantôt difficile, tantôt aisé, et le même chemin une fois plus court, une autre fois plus long ; un même comportement me sera, selon l'heure, plus ou moins agréable. Maintenant je peux tout faire, et, à un autre moment, je ne suis plus capable de faire quoi que ce soit ; ce qui m'est aujourd'hui un plaisir me sera une autre fois un ennui. Je suis le siège de mille mouvements inconsidérés et contingents. »
Michel de Montaigne
Essais
1580
Écrire sur lui-même invite Montaigne à réfléchir sur ses goûts, sur ses sensations, sur ses ressentis qui évoluent selon les moments : « selon l'heure », « maintenant », « à un autre moment », « aujourd'hui », « une autre fois ». De même, il n'apprécie pas toujours la même activité de la même façon, comme le prouvent les mots opposés suivants : « difficile »/ « aisé » ; « plus court »/ « plus long » ; « plus ou moins agréable », « un plaisir »/ « un ennui ».
En revenant sur leur passé, sur leur enfance, sur les événements qui ont marqué leur jeunesse, ils comprennent mieux qui ils sont au moment où ils écrivent.
« J'étais fortement constituée, et, durant toute mon enfance, j'annonçais devoir être fort belle, promesse que je n'ai point tenue. Il y eut peut-être de ma faute, car à l'âge où la beauté fleurit, je passais déjà les nuits à lire et à écrire. Étant fille de deux êtres d'une beauté parfaite, j'aurais dû ne pas dégénérer, et ma pauvre mère, qui estimait la beauté plus que tout, m'en faisait souvent de naïfs reproches. Pour moi, je ne pus jamais m'astreindre à soigner ma personne. Autant j'aime l'extrême propreté, autant les recherches de la mollesse m'ont toujours paru insupportables. »
George Sand
Histoire de ma vie
1855
George Sand fait son portrait. Enfant, elle était jolie et on pensait qu'elle deviendrait belle : « j'annonçais devoir être fort belle, promesse que je n'ai point tenue. » George Sand a refusé de se consacrer uniquement aux soins physiques de sa personne : « je ne pus jamais m'astreindre à soigner ma personne. » Elle a préféré nourrir son esprit en lisant et en écrivant. George Sand comprend ici comment, dès l'enfance, elle avait un caractère fort qui a fait d'elle l'écrivaine qu'elle est devenue.
Partager ses souvenirs et ses sentiments
L'écriture autobiographique permet de partager ses souvenirs et ses sentiments.
Les écrivains partagent leurs souvenirs avec les lecteurs.
« Je n'avais lu de Rimbaud jusque-là, comme tous les écoliers français, que « Le Dormeur du val » et les premières strophes du « Bateau ivre ». Mais ce matin-là, n'ayant presque pas ou pas dormi de la nuit à force de lecture […], je m'étais levée en titubant de fatigue dans la maison louée par mes parents à Hendaye pour les vacances. J'étais allée à la plage déserte à huit heures, une plage encore grise sous les nuages basques, filant bas et serrés sur la mer comme une formation de bombardiers. Et j'avais dû m'installer sous « notre » tente et garder un chandail sur mon maillot de bain, le temps n'étant pas un temps de juillet ce matin-là. J'ignore donc pourquoi j'avais pris ce Rimbaud avec moi ; […] Bref, à plat ventre sur une serviette-éponge, la tête sous la tente et les jambes recroquevillées sur le sable froid, j'ouvris au hasard ce livre blanc sur papier fort, nommé Illuminations. Je fus foudroyée instantanément. »
Françoise Sagan
Avec mon meilleur souvenir
© Gallimard, 1984
Françoise Sagan raconte un de ses souvenirs de vacances, la découverte de l'œuvre de Rimbaud qui la marque profondément comme le suggère la dernière phrase : « Je fus foudroyée instantanément. » Le souvenir rapporté est précis comme le montrent les indications de lieu : « Hendaye », « à la plage déserte », « sous « notre » tente ». On relève également des indications de temps : « ce matin-là », « à huit heures », « sous les nuages basques », « le temps n'étant pas un temps de juillet ce matin-là ». L'auteur précise également la manière dont elle se tenait pour lire : « à plat ventre sur une serviette-éponge, la tête sous la tente et les jambes recroquevillées sur le sable froid ».
L'écriture autobiographique permet aussi de livrer ses sentiments.
« Chère Kitty,
Quand je songe aujourd'hui à ma petite vie douillette de 1942, elle me paraît irréelle. Cette idée de rêve était le lot d'une Anne Frank toute différente de celle qui a mûri ici. Oui, une vie de rêve, voilà ce que c'était. Dans chaque recoin cinq admirateurs, une bonne vingtaine d'amies et de copines, la chouchoute de la plupart des profs, gâtée par Papa et Maman, bonbons à foison, assez d'argent, que désirer de plus ? […] Tant d'admiration ne m'aurait-elle pas rendue arrogante ? C'est une chance qu'au milieu, au point culminant de la fête, j'ai été soudain ramenée à la réalité, et il m'a fallu plus d'un an pour m'habituer à ne plus recevoir de nulle part de marques d'admiration. »
Anne Frank
Le Journal d'Anne Frank
1950
Anne Frank se crée une amie imaginaire à qui elle écrit quotidiennement. Elle s'adresse directement à elle en la prénommant : « Chère Kitty ». Elle se confie à elle en lui parlant de sa vie d'avant et de ses joies passées : « Oui, une vie de rêve, voilà ce que c'était. Dans chaque recoin cinq admirateurs, une bonne vingtaine d'amies et de copines, la chouchoute de la plupart des profs, gâtée par Papa et Maman, bonbons à foison, assez d'argent, que désirer de plus ? ». Elle lui avoue ce qu'elle est devenue maintenant, au moment de l'écriture, comment elle a évolué contrainte et forcée par les événements : « C'est une chance qu'au milieu, au point culminant de la fête, j'ai été soudain ramenée à la réalité, et il m'a fallu plus d'un an pour m'habituer à ne plus recevoir de nulle part de marques d'admiration. »
Raconter sa vérité
L'autobiographie exige d'être au plus près de la réalité et de dire la vérité, sa vérité. Les écrivains qui choisissent l'autobiographie veulent dévoiler leur vérité, leur histoire, leur version des faits.
L'écriture autobiographique impose aux écrivains de dire la vérité et d'être au plus près de la réalité. Les écrivains peuvent raconter des faits précis, retracer les différents événements de leur vie dans le but de se justifier, de dévoiler les erreurs ou les injustices dont ils ont été victimes.
« J'étudiais un jour seul ma leçon dans la chambre contiguë à la cuisine. La servante avait mis à sécher les peignes de Mlle Lambercier. Quand elle revint les prendre, il s'en trouva un dont tout un côté de dents était brisé. À qui s'en prendre de ce dégât ? Personne autre que moi n'était entré dans la chambre. On m'interroge : je nie d'avoir touché le peigne. M. et Mlle Lambercier se réunissent, m'exhortent, me pressent, me menacent ; je persiste avec opiniâtreté ; mais la conviction était trop forte, elle l'emporta sur toutes mes protestations, quoique ce fût la première fois qu'on m'eût trouvé tant d'audace à mentir. La chose fut prise au sérieux ; elle méritait de l'être. La méchanceté, le mensonge, l'obstination parurent également dignes de punition ; mais pour le coup ce ne fut pas par Mlle Lambercier qu'elle me fut infligée. On écrivit à mon oncle Bernard ; il vint. […] On ne put m'arracher l'aveu qu'on exigeait. Repris à plusieurs fois et mis dans l'état le plus affreux, je fus inébranlable. […] Enfin je sortis de cette cruelle épreuve en pièces, mais triomphant. Il y a maintenant près de cinquante ans de cette aventure, et je n'ai pas peur d'être aujourd'hui puis derechef pour le même fait ; eh bien, je déclare à la face du Ciel que j'en étais innocent, que je n'avais ni cassé, ni touché le peigne, que je n'avais pas approché de la plaque, et que je n'y avais même pas songé. »
Jean-Jacques Rousseau
Les Confessions
1782
Cet extrait répond essentiellement au besoin de Rousseau de se justifier auprès de ses lecteurs. Il est extrêmement blessé par cette accusation injuste et ressent le besoin de revenir sur ce fait « cinquante ans » après. L'accusation injuste dont il est victime est un véritable traumatisme pour Rousseau enfant et Rousseau adulte. Il est déterminé à clamer son innocence, son absence de mensonge : « je nie d'avoir touché le peigne », « On ne put m'arracher l'aveu qu'on exigeait », « je fus inébranlable ». Il est satisfait, « triomphant », de sortir fort de cette épreuve, de n'avoir pas cédé aux menaces d'aveu comme le suggère la gradation des verbes « m'exhortent, me pressent, me menacent ».
Témoigner
L'autobiographie sert à témoigner des horreurs du passé et aide ainsi à lutter contre l'oubli.
Des écrivains rédigent leur autobiographie pour témoigner des horreurs et des atrocités de l'histoire dont ils ont été victimes. Ils racontent ce qu'ils ont vécu pour laisser une trace dans la mémoire. Témoigner, c'est participer à la mémoire universelle et se soulager du poids de l'horreur vécue.
« J'ai eu la chance de n'être déporté à Auschwitz qu'en 1944 […] Aussi, en fait de détails atroces, mon livre n'ajoutera-t-il rien à ce que les lecteurs du monde entier savent déjà sur l'inquiétante question des camps d'extermination. Je ne l'ai pas écrit dans le but d'avancer de nouveaux chefs d'accusation, mais plutôt pour fournir des documents à une étude dépassionnée de certains aspects de l'âme humaine. […] Le besoin de raconter aux « autres », de faire participer les « autres », avait acquis chez nous, avant comme après notre libération, la violence d'une impulsion immédiate, aussi impérieuse que les autres besoins élémentaires ; c'est pour répondre à un tel besoin que j'ai écrit mon livre ; c'est avant tout en vue d'une libération intérieure. […] Il me semble inutile d'ajouter qu'aucun des faits n'y est inventé. »
Primo Levi
Préface de Si c'est un homme
(Se questo è un uomo), trad. Martine Schruoffeneger, Paris, © Juillard (1987), 1947
Primo Levi est ancien rescapé des camps d'Auschwitz. Il raconte sa déportation ainsi que toutes les horreurs qu'il a vues, qu'il a subies. Dans sa préface, il explique l'importance du témoignage pour que le lecteur ne se fasse pas une fausse image de l'être humain qui est capable d'atrocités : « pour fournir des documents à une étude dépassionnée de certains aspects de l'âme humaine ». Il veut que le lecteur sache et apprenne : « de faire participer les "autres" ». C'est aussi par besoin, par nécessité que Primo Levi écrit : « c'est avant tout en vue d'une libération intérieure. »
Les difficultés de l'autobiographie
Raconter sa vie est compliqué, la mémoire n'est pas toujours fiable. Il faut aussi s'affronter soi-même, son vieillissement, les traces du temps qui passe. Certains souvenirs sont difficiles à raconter. Enfin, il n'est pas toujours simple de trouver les mots pour parler de soi.
« Je me souviens aussi – est-ce vraiment un souvenir ou ce qu'on m'a raconté ? – des jours de fête, Noëls, dimanches ou visites. »
Anny Duperey
Le Voile noir
© Le Seuil, 1992
L'auteur interroge l'existence même du souvenir personnel : se souvient-elle bien ou est-ce ce qu'on lui a rapporté ce fait ?
Le pacte autobiographique implique que l'auteur raconte les faits de sa vie le plus fidèlement possible, mais la mémoire peut lui jouer des tours.
« M. Delavelle devint mon professeur de français quand j'entrai en cinquième. Un matin du premier trimestre, à ma grande stupéfaction, il lut en classe ma rédaction. C'est-à-dire le devoir qu'il nous donnait chaque semaine à faire à la maison. Je regrette de ne pas me rappeler quel en était le sujet. Sans doute quelque chose comme : "Quelle est votre saison préférée ? Dites pourquoi." Ou bien : "Racontez votre partie de pêche avec l'oncle Jules." »
René Barjavel
La Charrette bleue
© Denoël, 1980
La date de ce jour d'école est imprécise : « un matin du premier trimestre ». L'auteur avoue lui-même ne plus se rappeler l'intitulé exact du devoir à écrire : « Je regrette de ne pas me rappeler quel en était le sujet. Sans doute quelque chose comme ».
En rédigeant son autobiographie, l'écrivain se confronte à l'épreuve du temps qui passe. Il réalise à quel point il a vieilli et prend conscience du temps qui passe et qui le rapproche de plus en plus de la mort.
« Très vite dans ma vie il a été trop tard. À dix-huit ans, il était déjà trop tard. Entre dix-huit et vingt-cinq ans, mon visage est parti dans une direction imprévue. À dix-huit ans j'ai vieilli. Je ne sais pas si c'est tout le monde, je n'ai jamais demandé. […] Ce vieillissement a été brutal. Je l'ai vu gagner un à un mes traits, changer le rapport qu'il y avait entre eux, faire les yeux plus grands, le regard plus triste, la bouche plus définitive, marquer le front de cassures profondes. […]
Les gens qui m'avaient connue à dix-sept ans lors de mon voyage en France ont été impressionnés quand ils m'ont revue, deux ans après, à dix-neuf ans. Ce visage-là, nouveau, je l'ai gardé. Il a été mon visage. Il a vieilli encore bien sûr ; mais relativement moins qu'il n'aurait dû. J'ai un visage lacéré de rides sèches et profondes, à la peau cassée. Il ne s'est pas affaissé comme certains visages à traits fins, il a gardé les mêmes contours mais sa matière est détruite.
J'ai un visage détruit. »
Marguerite Duras
L'Amant
© Éditions de Minuit, 1984
Marguerite Duras revient sur les marques que le temps a laissées sur son visage. Le champ lexical du vieillissement est présent et comporte des répétitions : « j'ai vieilli », « Ce vieillissement », « Il a vieilli ». Marguerite Duras énumère aussi les changements physiques de son visage : « faire les yeux plus grands, le regard plus triste, la bouche plus définitive, marquer le front de cassures profondes », « J'ai un visage lacéré de rides sèches et profondes, à la peau cassée. » Elle termine son bilan sur une phrase sans complaisance envers elle-même en soulignant que ce changement est irrémédiable : « J'ai un visage détruit. »
En écrivant son autobiographie, l'auteur peut également souffrir lorsqu'il doit raconter des événements difficiles.
« Il y aura des survivants, certes. Moi, par exemple. […]
Mais peut-on raconter ? Le pourra-t-on ?
Le doute me vient dès ce premier instant.
Nous sommes le 12 avril 1945, le lendemain de la libération de Buchenwald. L'histoire est fraîche, en somme. Nul besoin d'un effort de mémoire particulier. Nul besoin non plus d'une documentation digne de foi, vérifiée. C'est encore au présent, la mort. Ça se passe sous nos yeux, il suffit de regarder. Ils continuent de mourir par centaines, les affamés du Petit Camp, les Juifs rescapés d'Auschwitz.
Il n'y a qu'à se laisser aller. La réalité est là, disponible. La parole aussi.
Pourtant un doute me vient sur la possibilité de raconter. »
Jorge Semprun
L'Écriture ou la Vie
© Gallimard, coll. Blanche, 1994
Jorge Semprun est rescapé du camp de Buchenwald. Il se demande s'il est possible de raconter les horreurs qu'il a vécues comme le suggèrent les deux phrases interrogatives au début de l'extrait : « Mais peut-on raconter ? Le pourra-t-on ? ». Il doute de la possibilité d'écrire : « Le doute me vient dès ce premier instant. », « Pourtant un doute me vient sur la possibilité de raconter. »
Enfin, l'auteur doit trouver les mots justes pour raconter.
« Même lorsqu'il s'agit de mes propres écrits, je ne retrouve pas toujours le sens de ma première pensée ; je ne sais plus ce que j'ai voulu dire, et je me nuis souvent à vouloir corriger et à ajouter une nouvelle signification, pour avoir perdu la première, qui avait plus d'intérêt. »
Michel de Montaigne
Essais
1580
Montaigne explique qu'il faut trouver le bon mot pour traduire sa pensée, son sentiment, son émotion, pour dire qui il est vraiment. C'est pourquoi il doit faire face à des hésitations comme il l'avoue lui-même en utilisant la négation pour montrer l'échec de sa tentative : « je ne retrouve pas toujours le sens de ma première pensée ; je ne sais plus ce que j'ai voulu dire ».