Sommaire
IHistoire de l'argumentationAL'art oratoire dans l'AntiquitéBLa scolastiqueCLa rhétorique humanisteDEntre essor et censure : les XVIIe et XVIIIe sièclesELa presse et l'engagement postrévolutionnaireFL'argumentation au XXe siècleIILes formes d'argumentationAL'argumentation directe1L'art oratoire antique2L'essai et le dialogue philosophique3Le pamphlet et la satire4Le sermon et la littérature moraleBL'argumentation indirecte1La fable, le conte merveilleux et le conte philosophique2La parabole3L'utopieHistoire de l'argumentation
L'art oratoire dans l'Antiquité
Dans l'Antiquité grecque, l'argumentation (ou rhétorique) est au cœur de la vie de la cité. Dans la République athénienne (Ve et IVe siècles avant Jésus-Christ), tous les citoyens (hommes libres nés à Athènes de père et de mère tous les deux athéniens, soit environ 500 personnes) se réunissent une fois par semaine au forum pour débattre de la vie de la cité. Cette activité est obligatoire et rémunérée. L'art oratoire se développe donc beaucoup mais on en garde peu de traces. Un auteur cependant a traversé le temps : Aristote témoigne dans sa Rhétorique de cette pratique régulière et appliquée de l'argumentation.
À Rome, la République reprend ce système politique grec. Elle est régie par un Sénat, auquel les généraux doivent rendre des comptes. On en garde des textes très célèbres : les heures de procès retentissants, des plaidoyers brillants, des débats historiques. Certains orateurs se mettent aussi à consigner directement leurs discours par écrit.
Cicéron est un homme politique romain qui est connu pour avoir accusé le gouverneur Verrès de détournement de fonds. Ses discours ont été réécrits après leur déclamation et nous en avons gardé une trace.
La scolastique
Au Moyen Âge, la culture française est chrétienne. Les lettrés sont pour la plupart des clercs et des religieux. Naturellement, les premiers textes argumentatifs portent donc sur la Bible. Toute la philosophie doit s'y conformer, sous peine d'hérésie. Les autres types de discours argumentatifs disparaissent.
Mais au Xe siècle, quelques philosophes chrétiens déterminent que l'argumentation de l'Homme peut exister en parallèle des écritures saintes et que l'Homme peut, parfois, penser par lui-même, même s'il est païen. C'est la naissance de la scolastique, qui valide les argumentations grecques et romaines, jusqu'alors écartées.
L'argumentation est alors un enchaînement logique d'arguments, nés de l'interprétation et de la traduction de textes antiques en langues anciennes (latin, grec ancien, hébreu).
Le plus célèbre des scolastiques est Thomas d'Aquin, qui propose une conciliation des philosophies chrétiennes, grecques et romaines.
Toutefois, cette argumentation reste limitée à l'interprétation des textes et refuse d'autres types d'arguments. Par ailleurs, beaucoup des textes produits sont encore écrits en latin, considéré comme la langue des érudits.
La rhétorique humaniste
Au XVIe siècle, des philosophes humanistes contestent cette limitation du domaine philosophique. Selon eux, l'Homme peut penser par lui-même, sans faire référence à Dieu. Ils s'opposent à la scolastique vieillissante, toujours enseignée dans les universités.
Les humanistes réclament la possibilité d'argumenter en faisant appel à l'exemple, à l'expérience et à l'observation. Dans un monde en mutation (c'est la période des grandes découvertes et des explorateurs du Nouveau Monde), ils dénoncent une pensée qui reste tournée vers le passé.
Ils prônent également l'utilisation de la langue française qu'ils estiment nécessaire à la transmission des savoirs.
Entre essor et censure : les XVIIe et XVIIIe siècles
Dans une société toujours dominée par le clergé, la scolastique persiste. Par ailleurs le pouvoir a instauré la pratique du privilège : tout ouvrage est envoyé aux lecteurs mandatés par le roi pour être contrôlés. Si l'ouvrage convient, un privilège est donné à l'imprimeur pour l'édition de celui-ci. En revanche, si l'ouvrage est contraire aux idées du roi ou du dogme chrétien, l'ouvrage est définitivement interdit à la publication.
Toutefois, la Réforme a accordé aux auteurs la possibilité de publier hors de France, notamment en Hollande, où des argumentations nouvelles font leur apparition.
Descartes publie son Discours de la méthode en Hollande en 1637.
L'argumentation se développe. Elle est soit l'enjeu essentiel du texte, soit incluse dans la démarche de l'auteur.
Bossuet écrit des sermons dans lesquels il défend le dogme chrétien.
Dans ses pièces, Molière cherche non seulement à plaire, mais aussi à instruire, notamment par le débat argumentatif.
L'utilisation du récit comme moyen argumentatif se fait évident.
Dans "Le Pouvoir des fables", Jean de La Fontaine prouve au lecteur l'efficacité du récit comme moyen de persuasion.
Par la suite, de nombreux auteurs du XVIIIe siècle ont recours au récit pour argumenter. Cette argumentation indirecte est très utilisée par les philosophes des Lumières. Mais ceux-ci proposent également des argumentations directes, souvent publiées à l'étranger ou de manière clandestine.
Voltaire fait publier à Bâle ses Lettres philosophiques.
La presse et l'engagement postrévolutionnaire
La presse française est apparue au début du XVIIe siècle dans les grandes villes. Elle est produite et distribuée de manière ponctuelle et limitée : il faut imprimer manuellement, obtenir une autorisation (souvent refusée) et le lectorat reste limité.
Au XIXe siècle, grâce à la révolution industrielle, elle se développe très vite : l'utilisation de rotatives permet de produire davantage et le développement des transports rend la zone de distribution plus étendue. Les journaux se multiplient et certains se spécialisent. Ils deviennent la tribune de discours engagés.
En 1862, Victor Hugo fait publier dans plusieurs journaux belges une lettre qu'il adresse au roi des Belges pour la grâce de neuf condamnés à mort. Sept seront sauvés.
Émile Zola publie dans L'Aurore le 13 janvier 1898 une célèbre lettre ouverte intitulée "J'accuse" qui défend Dreyfus, accusé d'un crime qu'il n'a pas commis simplement car il est juif. Zola dénonce la manière dont le dossier a été instruit.
La presse reste ensuite, tout au long du XXe siècle, un moyen d'édition de l'argumentation directe. Les deux guerres mondiales connaissent la naissance et la suppression de beaucoup d'entre eux. Nos journaux actuels sont massivement apparus pendant, puis après la Seconde Guerre mondiale. En effet, conscient de l'intérêt que leur porte le lectorat français, le régime de Vichy fait fermer les maisons de presse qui ne lui sont pas fidèles. Par la suite, les locaux des journaux proches du régime de Vichy sont fermés au moment de la Libération. Ils laissent la place à d'autres journaux, souvent nés clandestinement dans les réseaux de résistants, sous l'Occupation.
L'argumentation au XXe siècle
Dans notre Ve république qui reconnaît le droit de chacun à l'expression, toutes les formes d'argumentation sont autorisées, dans la mesure où elles n'entravent ni les droits de l'Homme, ni la sécurité nationale, ni le droit français.
On lit et publie toutes formes de textes argumentatifs :
- Les heures de procès (après un délai de confidentialité), les discours oraux et écrits d'hommes politiques
- Des débats, tant philosophiques que scientifiques, législatifs ou judiciaires
- Des essais théoriques, philosophiques, littéraires, etc.
En 1981, Robert Badinter prononce à l'Assemblée nationale un discours pour l'abolition de la peine de mort.
Par ailleurs, la rhétorique de l'image est pleinement reconnue et exploitée, en particulier dans la photographie et la publicité.
La sécurité routière française propose régulièrement une campagne publicitaire par affiches pour dénoncer des comportements dangereux au volant.
Les formes d'argumentation
L'argumentation directe
L'art oratoire antique
L'argumentation directe est héritée d'un art oratoire ancestral. Déjà dans l'Antiquité grecque, le philosophe Aristote avait édité des principes d'organisation du discours rhétorique, afin que celui-ci soit efficace et agréable.
Il dénombre trois types de discours rhétoriques :
- Le discours judiciaire
- Le discours politique
- Le discours épidictique (éloge et blâme)
À sa suite, dans l'Antiquité romaine, l'orateur Quintilien reprend ses théories et ajoute que tout rhétoricien doit faire preuve :
- D'invention (en latin inventio) : il définit des priorités du discours argumentatif : que dire ? dans quel but ?
- De disposition (dispositio) : l'organisation du discours est réfléchie, afin d'être efficace, stratégique.
- D'action (actio), ce qui rend le discours formulé personnel, vivant : l'auditeur est ainsi persuadé que le locuteur formule un discours inédit et personnel, que ce qu'il exprime le touche.
- De mémoire (memoria) : l'orateur ne doit surtout pas lire mais déclamer son propos.
- D'élocution (elocutio) : l'orateur doit s'exprimer en choisissant ses mots de manière cohérente et efficace.
Par ailleurs, les rhéteurs romains s'accordent globalement sur une organisation du discours argumentatif. Celui-ci peut contenir (dans un ordre plus ou moins fixe) :
- Un exorde, c'est-à-dire l'interpellation de l'auditoire.
- Une narration, qui expose les faits qui ont conduit au débat.
- Une confirmation, qui rappelle les preuves.
- Une péroraison, qui fournit un jugement final, la thèse soutenue par l'orateur. Celle-ci suscite très régulièrement des sentiments de pitié ou de révolte chez l'auditoire.
L'essai et le dialogue philosophique
L'essai est une forme d'argumentation directe qui apparaît en France à la Renaissance. Ce genre, censé rester personnel et confidentiel, est lancé par Montaigne, dont le projet était initialement de regrouper ses considérations personnelles sur des sujets divers.
C'est ici un livre de bonne foi, lecteur. Il t'avertit dès l'entrée, que je ne m'y suis proposé aucune fin, que domestique et privée.
Michel de Montaigne
Essais, Livre I, "Au lecteur"
1582
Cette citation rappelle la démarche personnelle de Montaigne et prouve que l'essai est un discours subjectif.
Le locuteur se parle à lui-même, il est aussi le lecteur. Toutefois, l'argumentation n'en est pas moins présente. Le texte cite bon nombre d'exemples et de citations tirés d'autres ouvrages, souvent en langue latine ou italienne : l'essai est une œuvre d'érudit. Peu à peu, l'essai, d'abord composé d'une mosaïque de sujets divers, va s'orienter vers un sujet unique.
Dans De l'esprit des lois, publié en 1772, Charles de Montesquieu compare les systèmes politiques et judiciaires de plusieurs états d'Europe pour proposer un système idéal.
Le pamphlet et la satire
Certains textes peuvent également défendre une opinion en critiquant un fait, une situation, une personne.
Pamphlet
Le pamphlet est un texte, souvent poétique, qui critique ou dénonce de manière violente.
Voltaire publie en 1765 "De l'horrible danger de la lecture" qui dénonce la censure faite sur les productions littéraires.
Satire
La satire est une description exagérée et critique d'une personne ou d'une situation.
Les Caractères de La Bruyère sont autant de satires de défauts humains.
Le sermon et la littérature morale
Sermon
Un sermon est un discours, destiné à être déclamé, qui donne une leçon d'ordre moral ou religieux.
Bossuet prononce devant le roi en 1662 un "Sermon sur la mort".
De manière plus étendue, la littérature morale est publiée de manière importante aux XVIIe et XVIIIe siècles. Il s'agit de traités d'inspiration religieuse qui cherchent, d'une part, à édifier des chrétiens lettrés désireux de connaissances, d'autre part à convertir les protestants.
C'est le temps des salons et des cafés littéraires, où hommes et femmes de lettres lisent en public des extraits d'œuvres en création ou de publication récente puis en débattent.
Dans ces salons, on lit les Maximes de La Rochefoucauld, mais aussi certaines lettres de Voltaire.
L'argumentation indirecte
La fable, le conte merveilleux et le conte philosophique
Fable
La fable est un cours récit, en prose ou en vers, qui suscite une morale. Le récit est une mise en exemple de la morale, qui peut être implicite ou explicite.
Dans la fable "Les Animaux malades de la Peste", La Fontaine dénonce une justice partiale.
Conte merveilleux
Le conte merveilleux est un récit dont le cadre spatio-temporel est coupé de la réalité du lecteur, si bien que l'incursion du surnaturel y est complètement admise.
En littérature, c'est un héritage d'une tradition orale ancestrale. Les auteurs des XVIIe et XVIIIe siècles transcrivent et réécrivent des récits connus depuis la nuit des temps.
En 1698, Charles Perrault publie "Le Petit Chaperon rouge" dans ses Contes de Ma mère l'Oye. Mais le conte existe dans les campagnes depuis très longtemps.
Conte philosophique
Le conte philosophique est un récit qui a recours au merveilleux pour faire réfléchir le lecteur sur des enjeux philosophiques.
Zadig de Voltaire fait réfléchir sur la définition du bonheur.
La parabole
Parabole
La parabole est un récit dont la portée morale est implicite. Les éléments constitutifs du récit ont pour beaucoup une portée symbolique.
Dans l'Évangile de Luc, Jésus raconte l'histoire du "Fils prodigue". Derrière le père se cache Dieu, derrière le fils prodigue le pécheur. Cette histoire lui permet de faire comprendre à son auditoire l'amour de Dieu pour son peuple.
L'utopie
Utopie
L'utopie est la description détaillée d'un univers idéal.
Dans Gargantua de François Rabelais, le narrateur fait la description de l'abbaye de Thélème, cité idéale tournée vers l’égalité des hommes et le culte de la connaissance.