Sommaire
IL'évolution des villes : rappel historiqueIILa ville en poésieAUne vision lumineuse de la villeBUne vision angoissante de la villeCLe vocabulaire de la ville en poésieIIILa ville dans le romanALa ville dans les romans du XIXe siècleBLa ville dans les romans du XXe siècleCLa ville dans le roman policierDLe vocabulaire de la villeLa ville est un lieu réel, facilement identifiable et représentable. Elle a inspiré les écrivains (poètes, romanciers, auteurs de romans policiers) surtout aux XIXe et XXe siècles, ainsi que les artistes (peintres, photographes, cinéastes). La ville est représentée dans sa diversité, dans sa complexité et dans ses contradictions. Elle est ambivalente car elle est à la fois un lieu d'évasion, de liberté, de découvertes multiples, de rencontres et un lieu de perdition, de solitude, de désillusions. La ville peut faire rêver ou cauchemarder, incarner la modernité par excellence ou ce qu'il y a de pire dans notre société.
En quoi les poètes, les romanciers et les artistes parviennent-ils à représenter la ville en tenant compte de ses inspirations et images multiples ?
L'évolution des villes : rappel historique
L'évolution des villes est liée à l'histoire. Les villes ont pris beaucoup d'importance au XIXe siècle, notamment en France, avec l'industrialisation. Paris devient une grande agglomération avec une importante banlieue.
Paris connaît un essor particulier au XIXe siècle grâce à Napoléon III et au baron Haussmann, préfet de la ville sous le Second Empire (1852-1870). Tous deux souhaitent améliorer les conditions de vie dans la capitale.
La ville évolue et propose beaucoup d'atouts à ses habitants. La révolution industrielle permet le développement des travaux de voirie et d'égouts, la création de grands axes et l'ouverture de grandes avenues, l'embellissement de la ville par une architecture plus raffinée et par le développement de lieux culturels. La tour Eiffel, symbole de la modernité de la capitale, est érigée en 1889. Ces différents travaux d'aménagement, nommés projet du Grand Paris, marquent une étape importante pour l'évolution de la ville qui devient de plus en plus moderne et dynamique.
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La ville en poésie
À partir du XIXe siècle, les poètes s'inspirent de la ville pour écrire leurs poèmes. En poésie, la ville est un véritable objet poétique, une source d'inspiration inépuisable et moderne. Les poètes décrivent la ville comme étant lumineuse ou angoissante. Pour évoquer la ville, ils utilisent un vocabulaire spécifique.
Une vision lumineuse de la ville
Certains poètes présentent la ville dans ce qu'elle a de lumineux. Ils mettent en avant ses qualités et présentent même les quartiers les plus pauvres comme des lieux de poésie.
Le dynamisme de la vie quotidienne dans les villes inspire les poètes : les marchands, les commerces, les gens qui vont au travail, etc. La ville est un bel endroit plein de vie.
« J'ai vu ce matin une jolie rue dont j'ai oublié le nom
Neuve et propre du soleil elle était le clairon
Les directeurs les ouvriers et les belles sténo-dactylographes
Du lundi matin au samedi soir quatre fois par jour y passent
Le matin par trois fois la sirène y gémit
Une cloche rageuse y aboie vers midi
Les inscriptions des enseignes et des murailles
Les plaques les avis à la façon des perroquets criaillent
J'aime la grâce de cette rue industrielle
Située à Paris entre la rue Aumont-Thiéville et l'avenue des Ternes »
Guillaume Apollinaire
« Zone », Alcools
1913
Dans son poème en vers libres, Apollinaire situe précisément la rue dont il parle. Il donne des noms : « Située à Paris entre la rue Aumont-Thiéville et l'avenue des Ternes ». Il l'inscrit dans une réalité géographique. Cette rue est belle et lumineuse comme le montrent les termes mélioratifs : « jolie », « neuve et propre ». Elle est remplie de vie et de dynamisme par les allées et venues des travailleurs (« Les directeurs les ouvriers et les belles sténo-dactylographes / Du lundi matin au samedi soir quatre fois par jour y passent »).
Poème en vers libres
Un poème en vers libres comporte des vers de longueur variable, avec ou sans rimes, parfois sans ponctuation.
Le poète peut exprimer le bonheur que la ville lui procure, comme si elle était un être aimé.
« Marseille, écoute-moi, je t'en prie, sois attentive,
Je voudrais te prendre dans un coin, te parler avec douceur,
Reste donc un peu tranquille que nous nous regardions un peu
Ô toi toujours en partance
Et qui ne peux t'en aller,
À cause de toutes ces ancres qui te mordillent sous la mer. »
Jules Supervielle
« Marseille », Débarcadères
1922
Supervielle propose une vision exaltée et remplie de joie de la ville Marseille. Il s'adresse directement à la ville avec l'emploi de l'impératif : « écoute-moi », « sois attentive ». Il la considère comme une personne vivante et s'adresse à elle comme si elle était la femme aimée : « Je voudrais te prendre dans un coin, te parler avec douceur / Reste donc un peu tranquille que nous nous regardions un peu ». Le poète propose une personnification de la ville à qui il déclare son amour.
Personnification
La personnification est une figure de style qui donne des attributs humains à un objet.
Les poètes transforment les plus vilains quartiers de la ville en beaux objets poétiques.
« Le bruit des cabarets, la fange du trottoir,
Les platanes déchus s'effeuillant dans l'air noir,
L'omnibus, ouragan de ferraille et de boues,
Qui grince, mal assis entre ses quatre roues,
Et roule ses yeux verts et rouges lentement,
Les ouvriers allant au club, tout en fumant
Leur brûle-gueule au nez des agents de police,
Toits qui dégouttent, murs suintants, pavé qui glisse ;
Bitume défoncé, ruisseaux comblant l'égout,
Voilà ma route – avec le paradis au bout. »
Paul Verlaine
« Le bruit des cabarets, la fange du trottoir », La Bonne Chanson
1870
Verlaine tire son inspiration des bas quartiers de la ville. Il utilise des termes péjoratifs : « fange », « déchus », « dégouttent », « suitants » « défoncé ». Ce quartier semble laid, très bruyant comme le suggèrent le champ lexical du bruit (« bruit », « ouragan », « grince ») et les allitérations en [b], [d], [r]. Les couleurs sont sombres : « noir », « verts », « rouges ». Pourtant, la ville est transformée sous la plume de Verlaine, elle devient un lieu de vie et s'ouvre sur le bonheur et la lumière comme en témoignent les derniers mots « avec le paradis au bout ».
Une vision angoissante de la ville
La ville est aussi décrite par les poètes comme un lieu angoissant.
La ville est inquiétante, elle est trop grande, il y a trop de monde, la hauteur des immeubles fait peur, on s'y sent oppressé.
« La ville au loin s'étale et domine la plaine
Comme un nocturne et colossal espoir ;
Elle surgit : désir, splendeur, hantise ;
Sa clarté se projette en lueurs jusqu'aux cieux,
Son gaz myriadaire en buissons d'or s'attise,
Ses rails sont des chemins audacieux
Vers le bonheur fallacieux
Que la fortune et la force accompagnent ;
Ses murs s'enflent pareils à une armée
Et ce qui vient d'elle encore de brume et de fumée
Arrive en appels clairs vers les campagnes.
C'est la ville tentaculaire,
La pieuvre ardente et l'ossuaire
Et la carcasse solennelle. »
Émile Verhaeren
« La Ville », Les Campagnes hallucinées
1893
La métaphore « ville tentaculaire » associe la ville à un monstre, à une pieuvre dont les tentacules parviennent à s'étendre sur de longues distances : « s'étale et domine la plaine ». Cette première image fait peur et elle est complétée par des comparaisons inquiétantes : « Comme un nocturne et colossal espoir », « Ses murs s'enflent pareils à une armée ». La ville est gigantesque et peuplée par de nombreuses personnes, en l'occurrence des soldats, comme si elle pouvait attaquer. Sa modernité (« ses rails ») n'est pas synonyme de joie car elle amène à un bonheur connoté péjorativement (« audacieux »). Cette ville semble angoissante.
Métaphore
Une métaphore est une figure de style qui assimile, qui rapproche deux réalités différentes sans outil de comparaison.
Dans le poème « La Ville » d'Émile Verhaeren, « ville tentaculaire » est une métaphore.
Comparaison
La comparaison est une figure de style qui rapproche deux réalités différentes mais qui se ressemblent sur certains points. Pour cela, elle utilise un mot de comparaison (« comme », « pareil à », « ainsi que », etc.).
Dans le poème « La Ville » d'Émile Verhaeren, « Comme un nocturne et colossale espoir » est une comparaison.
Le vocabulaire de la ville en poésie
Il existe de nombreux mots pour dire la ville et ses caractéristiques en poésie.
Parties de la ville | « quartier », « cité », « passage », « magasin », « place », « boulevard », « avenue », « ruelle », « impasse », « piste », « arrondissement », « agglomération », « capitale », « métropole », « mégalopole », etc. |
Mots formés sur la racine latine urbs qui signifie la ville | « urbain », « urbanisme », « urbaniser », « urbanité », etc. |
Verbes d'exploration de la ville | « glisser », « aller », « voler », « sillonner », « traverser », « enjamber », « parcourir », « errer », « flâner », « arpenter », etc. |
Adjectifs liés aux sons de la ville | « strident », « sifflant », « lancinant », « entraînant », « doux », « assourdissant », « mélodieux », « abrutissant », etc. |
La ville dans le roman
La ville est le décor de nombreux romans à partir du XIXe siècle, surtout dans les récits réalistes et naturalistes. Elle reste un sujet d'inspiration pour les écrivains du XXe siècle. Elle est particulièrement importante dans les romans policiers. Pour évoquer la ville, les écrivains utilisent un vocabulaire spécifique.
La ville dans les romans du XIXe siècle
La ville est décrite dans de nombreux romans réalistes et naturalistes du XIXe siècle. Les écrivains étudient la façon dont leurs personnages s'adaptent à cet espace nouveau, dynamique, en pleine expansion. La ville est aussi décrite comme ambivalente.
Les auteurs réalistes et naturalistes racontent des vies entières de personnages ou au moins une partie de leurs existences.
C'est le cas dans le cycle naturaliste des Rougon-Macquart d'Émile Zola, constitué de plusieurs romans dans lesquels on suit les personnages d'une même lignée.
La ville devient un lieu privilégié pour illustrer les ambitions des personnages, les possibilités de métiers, de divertissements, d'habitations, etc. La ville exerce une véritable fascination sur l'homme. Dans de nombreux romans, il est question d'un provincial qui souhaite rejoindre la ville pour réussir.
Dans les Illusions perdues de Balzac (1837-1843), Lucien de Rubempré quitte sa campagne natale pour Paris, il souhaite travailler dans le domaine du journalisme.
La ville est décrite comme dynamique, c'est un lieu animé qui a beaucoup à offrir. Les écrivains du courant réaliste ou du courant naturaliste en proposent une description fidèle et précise.
« Florent regarda les Halles. Elles flambaient dans le soleil. Un grand rayon entrait par le bout de la rue couverte, au fond, trouant la masse des pavillons d'un portique de lumière ; […] C'était la marée, c'étaient les beurres, c'était la volaille, c'était la viande. Des volées de cloche passaient, secouant derrière elles le murmure des marchés qui s'ouvraient. […] Les cœurs élargis des salades brûlaient, la gamme du vert éclatait en vigueurs superbes, les carottes saignaient, les navets devenaient incandescents, dans ce brasier triomphal. »
Émile Zola
Le Ventre de Paris
1873
La métaphore de la lumière qui ouvre le passage (« flambaient ») donne immédiatement une connotation positive aux Halles. La description positive se poursuit avec la palette de couleurs des légumes : « les cœurs […] brûlaient », « la gamme du vert éclatait », « les carottes saignaient », « les navets devenaient incandescents ». Cette description est vivante. Tout est donc lumière : « ce brasier triomphal ». L'énumération des denrées à vendre avec la répétition de « c'était » ajoute abondance et diversité à cette description des Halles : « C'était la marée, c'étaient les beurres, c'était la volaille, c'était la viande. »
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La ville peut être vue comme ambivalente. Elle a des points positifs et des points négatifs.
« Paris est le plus délicieux des monstres : là, jolie femme ; plus loin, vieux et pauvre ; ici, tout neuf comme la monnaie d'un nouveau règne ; dans ce coin, élégant comme une femme à la mode. Monstre complet d'ailleurs ! Ses greniers, espèce de tête pleine de science et de génie ; ses premiers étages, estomacs heureux ; ses boutiques, véritables pieds ; de là partent tous les trotteurs, tous les affairés. Eh ! quelle vie toujours active a le monstre ? […] À midi, tout est vivant, les cheminées fument, le monstre mange ; puis il rugit, puis ses mille pattes s'agitent. Beau spectacle ! Mais, ô Paris ! qui n'a pas admiré tes sombres paysages, tes échappées de lumière, tes culs-de-sac profonds et silencieux ; qui n'a pas entendu tes murmures, entre minuit et deux heures du matin, ne connaît encore rien de ta vraie poésie, ni de tes bizarres et larges contrastes. […] Pour les autres, Paris est toujours cette monstrueuse merveille, étonnant assemblage de mouvements, de machines et de pensées, la ville aux cent mille romans, la tête du monde. »
Honoré de Balzac
Ferragus
1833
La ville de Paris est assimilée à « un monstre ». Cette métaphore se double d'une antithèse. En effet, le mot « monstre » renvoie à quelque chose de plutôt négatif mais il est associé à l'adjectif « délicieux ». Le contraste de la ville se retrouve dans des associations antithétiques : « jolie femme / vieux et pauvre ». On retrouve ce contraste dans la description des intellectuels, des clients de restaurants et des gens pervertis : « Ses greniers, espèce de tête pleine de science et de génie ; ses premiers étages, estomacs heureux ; ses boutiques, véritables pieds ». Entre le jour et la nuit, Paris n'offre pas la même vision d'elle-même. Balzac termine sur une image positive de la ville en soulignant son dynamisme, sa beauté et la source d'inspiration qu'elle peut être pour les romanciers.
Antithèse
L'antithèse est une figure de style qui rapproche dans une même phrase, dans un même paragraphe, dans une même strophe, deux idées contraires.
Dans l'extrait précédent, « monstre » et « délicieux » sont associés, c'est une antithèse.
La ville dans les romans du XXe siècle
La ville est aussi représentée dans les romans du XXe siècle : elle peut être admirée et impressionnante, source d'illusions et objet de critiques.
L'architecture de la ville est démesurée, la géométrie de ses rues construites de manière très régulière impressionne. Elle fascine par sa grandeur et l'impression de s'étendre à l'infini. Elle fait rêver celui qui la voit, celui qui la visite.
« Mes regards […] filent tout de suite à l'horizon chercher les buildings perdus dans la brume, qui ne sont plus rien que des volumes, plus rien que l'encadrement austère du ciel. Quand on sait regarder les deux rangées d'immeubles qui, comme des falaises, bordent une grande artère, on est récompensé. »
Jean-Paul Sartre
« New York, ville coloniale », Situations III
© Gallimard, coll. Blanche, 1949
Jean-Paul Sartre relève la construction très géométrique de la ville de New York, l'immensité et la modernité de son architecture.
Au XXe siècle, la ville est souvent perçue comme un lieu de désillusions. En effet, on s'y installe dans l'espoir d'une vie meilleure (travail, argent, confort des habitations, sociabilité, etc.) mais finalement elle est synonyme d'échecs. Des inégalités se creusent entre les citadins.
Ferdinand Bardamu, après avoir vécu les horreurs de la Première Guerre mondiale, est vendu comme rameur sur un bateau qui le conduit en Amérique.
« Pour une surprise, c'en fut une. À travers la brume, c'était tellement étonnant ce qu'on découvrait soudain que nous nous refusâmes d'abord à y croire et puis tout de même quand nous fûmes en plein devant les choses, tout galérien qu'on était on s'est mis à bien rigoler, en voyant ça, droit devant nous…
Figurez-vous qu'elle était debout leur ville, absolument droite. New York c'est une ville debout. On en avait déjà vu nous des villes bien sûr, et des belles encore, et des ports et des fameux même. Mais chez nous, n'est-ce pas, elles sont couchées les villes, au bord de la mer ou sur les fleuves, elles s'allongent sur le paysage, elles attendent le voyageur, tandis que celle-là l'Américaine, elle ne se pâmait pas, non, elle se tenait bien raide, […] raide à faire peur. […]
Pour un miteux, il n'est jamais bien commode de débarquer nulle part mais pour un galérien c'est encore bien pire, surtout que les gens d'Amérique n'aiment pas du tout les galériens qui viennent d'Europe. »
Louis-Ferdinand Céline
Voyage au bout de la nuit
© Denoël et Steele, 1932
Le premier mot de l'extrait, « surprise », marque l'étonnement du personnage. Bardamu s'attendait à une ville moins haute et à taille plus humaine. Là, il découvre l'immensité de New York et la hauteur effrayante de ses bâtiments. Cela donne à la ville un aspect très froid et repoussant : « elle se tenait bien raide, (…) raide à faire peur. » Il pressent également que sa vie ne sera pas facile : il note le manque d'accueil des Américains et leur détestation des galériens européens.
La ville devient alors un objet de critiques. Certains écrivains la considèrent comme un lieu contre-nature, bâti sur des constructions artificielles et mauvaises pour l'équilibre naturel et écologique de la planète.
« L'air, le sol, les murs vibraient d'un bruit continu, bruit des cent mille usines qui tournaient nuit et jour, des millions d'autos, des innombrables avions qui parcouraient le ciel, des panneaux hurleurs de la publicité parlante, des postes de radio qui versaient par toutes les fenêtres ouvertes leurs chansons, leur musique et les voix enflées des speakers. Tout cela composait un grondement énorme et confus auquel les oreilles s'habituaient vite. »
René Barjavel
Ravage
© Denoël, 1943
Barjavel critique les progrès scientifiques en lesquels il n'a pas confiance. Cette critique passe notamment par une description négative de la ville. Il imagine Paris en 2052. C'est une ville technologique où l'espace urbain est optimisé. Le roman dénonce cette vie contre-nature. Ravage met d'ailleurs en scène l'effondrement de cette société et un retour à une vie beaucoup plus simple, sans villes.
La ville ne favorise pas les échanges humains et sociaux. Au contraire, elle est finalement artificielle et isole l'être humain.
Lalla refuse le mariage arrangé par sa tante. Elle quitte le Maroc et arrive à Marseille.
« Partout il y a la faim, la peur, la pauvreté froide, comme de vieux habits usés et humides, comme de vieux visages flétris et déchus.
Rue du Panier, rue du Bouleau, traverse Boussenoue, toujours les mêmes murs lépreux, le haut des immeubles qu'effleure la lumière froide, le bas des murs où croupit l'eau verte, où pourrissent les tas d'ordures. Il n'y a pas de guêpes ici, ni de mouches qui bondissent librement dans l'air où bouge la poussière. Il n'y a que des hommes, des rats, des blattes, tout ce que vit dans les trous sans lumière, sans air, sans ciel. Lalla tourne dans les rues comme un vieux chien noir au poil hérissé, sans trouver sa place. »
Jean-Marie Gustave Le Clézio
Désert
© Gallimard, 1980
L'énumération (« il y a la faim, la peur, la pauvreté froide ») et les deux comparaisons (« comme de vieux habits usés et humides, comme de vieux visages flétris et déchus ») donnent une vision négative de la ville. Marseille apparaît comme une ville sale et désagréable : « le bas des murs où croupit l'eau verte, où pourrissent les tas d'ordures ». C'est une ville sans vie : « Il n'y a pas de guêpes ici, ni de mouches qui bondissent librement », « Il n'y a que des hommes, des rats, des blattes, tout ce que vit dans les trous sans lumière, sans air, sans ciel ». La ville est symbole d'enfermement. Le personnage ne parvient pas à « trouver sa place. »
La ville dans le roman policier
La ville occupe une place particulière dans le roman policier. En effet, c'est au XIXe siècle, alors que les villes se développent, que le genre policier est créé. La ville est un lieu rempli de mystères, c'est un cadre idéal pour installer une scène de crime.
Le genre policier se développe surtout au XIXe siècle. La nouvelle d'Edgar Allan Poe, Double assassinat dans la rue Morgue, parue en 1841, marque les débuts de ce genre. Poe met en scène un détective amateur possédant un excellent esprit de déduction et de logique. Son nom est le chevalier Auguste Dupin.
Les affaires criminelles prennent de plus en plus d'importance au XIXe siècle. Les noms des grands criminels sont dans la tête de tout le monde.
Vidocq est un ancien malfrat devenu chef de la police ; Lacenaire est un escroc, un criminel et un poète.
Les affaires criminelles favorisent le développement du genre policier.
Le personnage Rocambole, dans Les Drames de Paris (1857) de Ponson du Terrail, connaît un grand succès.
Durant les XIXe et XXe siècles, des policiers ou des détectives deviennent des figures mythiques de la littérature.
Sherlock Holmes, personnage créé par Sir Arthur Conan Doyle, et Hercule Poirot créé par Agatha Christie, sont des détectives qui connaissent un grand succès.
La ville est le cadre idéal de l'intrigue policière avec ses rues sombres parfois petites et étroites, ses bruits étranges, ses lieux malfamés. La nuit est le moment idéal, les personnes qui marchent dans la rue se résument souvent à des ombres ou à des êtres que l'on distingue mal, on ne distingue plus leurs caractéristiques physiques. Le mystère et la peur se développent facilement.
« De Honfleur la nuit, je ne connaissais que les nuits d'été, la douceur bienfaitrice des ruelles pleines de rires, de cris joyeux, les terrasses où traînent les derniers Parisiens […] Mais le Honfleur des tempêtes de novembre, toutes portes closes, me rejetait dans de vieilles peurs venues du fond des siècles que je n'arrivais plus à refouler. […] J'étais arrivée près de la rue du Dauphin quand un bruit de pas me poussa dans l'ombre d'une porte, on venait !
Un homme massif, sous un large parapluie noir, faisait résonner le trottoir en cadence. »
Martine Delerm
Meurtre à Honfleur
© Magnard Jeunesse, 1997
La ville de Honfleur est perçue sous deux visages différents et opposés entre l'été et l'automne. L'été, elle respire la vie et la gaieté : « les nuits d'été, la douceur bienfaitrice des ruelles pleines de rires, de cris joyeux, les terrasses où traînent les derniers Parisiens ». L'automne, elle devient synonyme de peur et de malaise : « le Honfleur des tempêtes de novembre, toutes portes closes, me rejetait dans de vieilles peurs venues du fond des siècles que je n'arrivais plus à refouler. » Cette atmosphère sombre, pluvieuse, permet au bruit d'être démultiplié et rend les personnes qui empruntent les rues suspectes et étranges : « Un homme massif, sous un large parapluie noir, faisait résonner le trottoir en cadence. »
Avec la configuration de ses rues parfois étroites et sombres, retirées et à l'abri des regards, la ville est le lieu idéal pour installer la scène du crime. Le lecteur suit la scène de près comme s'il la vivait, cela fait monter le suspense. Il peut voir la scène :
- soit directement par les yeux du personnage (c'est un point de vue interne) ;
- soit par l'intermédiaire du narrateur qui sait tout, qui voit tout (c'est un point de vue omniscient).
Point de vue interne
Dans un texte avec un point de vue interne, le narrateur en sait autant que le personnage car la scène et les événements sont perçus comme à travers le regard du personnage. Le narrateur ne dit que ce que le personnage sait, voit ou pense.
Point de vue omniscient
Dans un texte avec un point de vue omniscient, le narrateur en sait davantage que les personnages car il connaît tout, le passé, le présent, le futur de tous les personnages, et même leurs pensées secrètes et intimes.
Le commissaire Maigret mène une de ses premières enquêtes à Concarneau, petit port de pêche breton.
« Maigret traversa le pont-levis, franchit la ligne des remparts, s'engagea dans une rue irrégulière et mal éclairée. Ce que les Concarnois appellent la ville close, c'est-à-dire le vieux quartier encore entouré de ses murailles, est une des parties les plus populeuses de la cité.
Et pourtant, alors que le commissaire avançait, il pénétrait dans une zone de silence de plus en plus équivoque. Le silence d'une foule qu'hypnotise un spectacle et qui frémit, qui a peu ou qui s'impatiente. […]
Un tournant encore et le commissaire découvrit la scène : la ruelle étroite, avec des gens à toutes les fenêtres ; des chambres éclairées au pétrole ; des lits entrevus ; un groupe barrant le passage ; et, au-delà de ce groupe, un grand vide d'où montait un râle. […]
Le chien était sale, ses poils drus maculés de sang. Il avait le ventre boueux, la truffe sèche et brûlante. »
Georges Simenon
Le Chien jaune
© Fayard, 1931
Le cadre de la scène est décrit dès le début par différents groupes nominaux : « le pont-levis », « la ligne des remparts », « une rue irrégulière et mal éclairée ». Le lecteur se représente facilement le lieu de la scène. Puis, il suit les pas du commissaire : « une rue irrégulière et mal éclairée ». Le lecteur est sensible à ce silence sourd et étrange. Les précisions apportées sur la scène du crime permettent au lecteur de bien visualiser ce massacre : « la ruelle étroite, avec des gens à toutes les fenêtres ; des chambres éclairées au pétrole ; des lits entrevus ; un groupe barrant le passage ». La vue exacte de la victime est retardée jusqu'au bout afin de ménager le suspense, « Le chien était sale, ses poils drus maculés de sang. Il avait le ventre boueux, la truffe sèche et brûlante ». La peur monte et s'accentue avec le mot « râle ».
Le vocabulaire de la ville
Il existe de nombreux mots pour dire la ville et ses caractéristiques en poésie. Il existe un vocabulaire spécifique au genre policier en lien avec la ville.
Adjectifs pour caractériser le type de lumière | « blafarde », « éblouissante », « franche », « hivernale », « estivale », « automnale », « printanière », « tamisée », « artificielle », « vive », etc. |
Adjectifs pour qualifier le lieu | « laid », « époustouflant », « superbe », « étonnant », « épouvantable », etc. |
Vocabulaire de l'enquête | « crime », « délit », « suspect », « indice », « enquête », « rapport », « compte rendu », « empreinte », « victime », « témoignage », « coupable », « arme », « projectile », « balle », « arrestation », « meurtre », « assassinat », « interroger », « interrogatoire », « questionner », « avouer », « soupçonner », etc. |
Mots ou expressions pour décrire l'atmosphère urbaine | « crépuscule », « heure de la sieste », « nuit noire », « entre chien et loup », « brouillard », « changeant », « maussade », « couvert », « morose », « serein », etc. |
Adjectifs pour renseigner sur les températures | « glaciale », « polaire », « fraîche », « douce », « clémente », « étouffante », « caniculaire », « excessive », « lourde », « anormale », « basse », « élevée », etc. |
Vocabulaire lié à la météo | « neige », « grêle », « gel », « givre », « flocon », « pluie », « averse », « ondée », « bruine », « crachin », « giboulée », « brume », « brouillard », « foudre », « orage », « tonnerre », « éclair », « pluie fine », « pluie torrentielle », « pluie diluvienne », « pluie battante », « vent rafale », « bourrasque », « tempête », « bourrasque », etc. |