Sommaire
ILe merveilleux pour créer des univers nouveauxALes éléments du merveilleux propres au conteBLa double fonction du conte merveilleux : plaire et faire réfléchirCLe merveilleux dans le romanIILa création d'univers nouveaux dans le roman d'anticipationIIILa création d'univers nouveaux dans la poésieALes moyens de la poésie pour créer des univers nouveauxBLa poésie du XXe comme réinvention du mondeLa littérature permet de créer des univers nouveaux. Dans le conte merveilleux, le roman d'anticipation ou encore la poésie, de nouveaux lieux sont inventés, imaginés. Les mondes imaginaires s'inspirent du monde réel mais le transforment. Les auteurs utilisent différentes images, travaillent avec les mots. Les textes invitent le lecteur à rêver, à réfléchir sur ces transformations de la réalité.
En quoi la littérature révèle-t-elle le pouvoir de l'imagination ? Dans quelle mesure la littérature invite-t-elle à s'interroger sur la réalité par la recréation et la reconfiguration d'univers nouveaux ?
Le merveilleux pour créer des univers nouveaux
Le merveilleux se définit par la présence d'éléments surnaturels dans un cadre typique propre au conte. Le conte merveilleux a une double fonction : plaire et faire réfléchir. On trouve également du merveilleux dans certains romans.
Les éléments du merveilleux propres au conte
Le conte est une histoire qui se déroule dans un univers imaginaire. Les personnages sont hors du commun. On trouve des créatures fabuleuses, des lieux extraordinaires, des situations improbables ou encore des objets magiques.
Entre le XVIIe siècle et le XIXe siècle, plusieurs écrivains comme Madame d'Aulnoy, Perrault, les frères Grimm ou Andersen, ont écrit des contes. Les contes sont ainsi devenus des textes littéraires propices à mettre en place un nouvel univers. Toutefois, le conte a toujours existé. Il se transmettait à l'oral, de génération en génération, dans tous les pays du monde.
Le conte se déroule dans un monde merveilleux dont les limites temporelles et spatiales sont indéfinies : on ne sait pas où ni quand se déroule l'histoire.
Merveilleux
Le merveilleux est tout ce qui étonne par son caractère inexplicable, surnaturel et magique.
Dans le conte merveilleux, tout est possible.
On retrouve plusieurs caractéristiques propres au conte. Les personnages sont hors du commun. Les héros sont souvent des êtres parfaits physiquement et moralement. Certains personnages sont doués de pouvoirs magiques.
Blanche-Neige est une princesse d'une très grande beauté physique. Sa peau blanche et ses cheveux noirs font d'elle une femme magnifique. Elle est également très gentille et prend soin des sept nains. Elle ne comprend pas les pièges qui lui sont tendus par la reine tant elle est étrangère à la méchanceté. Elle aime de tout son cœur le prince qui la délivre de son mauvais sort.
Des créatures fabuleuses peuvent intervenir dans le conte merveilleux comme des géants, des fées et des sorcières.
La Marraine de Cendrillon est une fée qui transforme la pauvre jeune fille sale et laide en une magnifique demoiselle pour aller au bal.
Les lieux du conte sont imaginaires, ils peuvent faire rêver ou faire peur.
- Le palais dans La Belle aux cheveux d'or de Madame d'Aulnoy (1697) fait rêver, il est rempli de diamants, de beaux habits, d'argent.
- Dans Les Mille et Une Nuits, la caverne dans laquelle Aladin doit prendre la lampe magique fait peur. Son entrée est fermée et ne peut s'ouvrir qu'à l'aide d'une formule magique et d'un tremblement de terre.
Le conte propose des situations qui ne sont pas possibles dans la réalité. Ainsi, on y trouve fréquemment des animaux qui parlent.
Dans La Belle aux cheveux d'or, Avenant parle avec son chien Cabriole et rencontre trois autres animaux qui lui parlent également : une carpe, un corbeau, un hibou.
La magie intervient souvent dans le conte merveilleux, notamment par le biais d'objets : des philtres et des flacons magiques, des lampes magiques, des miroirs magiques, etc.
Tout au long du conte de Blanche-Neige, la Reine ne cesse d'interroger son miroir pour savoir si elle demeure la plus belle du royaume. Le miroir lui répond.
La double fonction du conte merveilleux : plaire et faire réfléchir
La création d'un univers imaginaire et merveilleux dans le conte apporte beaucoup de plaisir au lecteur. Les aventures des personnages font rêver. L'univers imaginaire du conte merveilleux invite également à réfléchir sur le monde réel. Le conte donne une autre vision de la réalité et du comportement des hommes. La création de l'univers merveilleux permet de délivrer une leçon sur le monde réel.
Par la présence de ces univers imaginaires, le conte transporte le lecteur dans un ailleurs qui lui fait découvrir des horizons imaginaires et surprenants comme des palais gigantesques ou des grottes. Le conte fait rêver le lecteur par sa richesse, par ses originalités architecturales. Les aventures merveilleuses et nombreuses créent du suspense et invitent le lecteur à poursuivre sa lecture.
« Aladin et le magicien marchèrent encore longtemps. Le soir tombait lorsqu'ils arrivèrent dans une étroite vallée entre deux hautes montagnes. Le magicien alluma un feu, y jeta un parfum qu'il avait sur lui et prononça une formule magique. Il y eut une épaisse fumée, la terre trembla un peu et s'ouvrit à cet endroit. Aladin découvrit alors l'entrée d'une caverne, bouchée par une lourde pierre […]
— Descends les marches. Tu traverseras trois grandes salles en enfilade ; chacune contient d'énormes vases remplis d'or et d'argent, mais surtout ne touche à rien, tu risquerais de mourir. Au bout de la troisième salle se trouve un jardin aux arbres chargés de fruits merveilleux. Avance jusqu'au fond, un escalier te mènera à une terrasse. Là, tu verras, dans une petite niche, une lampe allumée. Prends-la, éteins-la et apporte-la-moi. Au retour, si les fruits du jardin te font envie, tu pourras les cueillir. »
Antoine Galland
Aladin ou la Lampe merveilleuse dans Les Mille et une Nuits
1704-1717
La grotte, avec ses trois grandes salles, constitue un lieu imaginaire et fascinant : y entrer nécessite la présence du magicien et les salles sont remplies de trésors (« d'énormes vases remplis d'or et d'argent », « un jardin aux arbres chargés de fruits merveilleux »). Aladin doit découvrir ces salles et ramener la « lampe ». Le lecteur suit avec plaisir Aladin dans sa découverte des lieux.
Le conte merveilleux crée un univers imaginaire en utilisant des éléments de la réalité. Le conte cherche ainsi à interroger la réalité et à faire réfléchir le lecteur. Il transmet une leçon, un enseignement moral sur le comportement des hommes. Le conte merveilleux délivre souvent sa leçon sous la forme d'une morale que l'on peut identifier.
« MORALITÉ
Ce que l'on voit dans cet écrit,
Est moins un conte en l'air que la vérité même ;
Tout est beau dans ce que l'on aime,
Tout ce qu'on aime a de l'esprit »
Charles Perrault
« Riquet à la houppe », Les Contes de ma mère l'Oye
1697
Ce conte délivre une morale et donne une leçon au sujet de l'amour : l'amour possède une force incroyable. Cette leçon est valable dans le monde réel. L'amour peut rendre intelligent la personne qui n'a pas d'esprit, c'est le cas de la princesse. Il peut rendre beau celui qui est laid, c'est le cas de Riquet à la houppe.
Le merveilleux dans le roman
Dans certains romans, on trouve des éléments du merveilleux qui permettent de créer un nouvel univers. Dans ces romans, le monde réel cohabite avec un monde imaginaire. Les héros vivent des aventures qui les font grandir.
Dans certains romans, le monde réel cohabite avec un monde imaginaire, un monde merveilleux. Le passage de l'un à l'autre se fait par la traversée d'un objet qui transporte dans le monde imaginaire. Cet univers imaginaire devient un refuge qui permet de fuir une réalité décevante et ennuyeuse.
Dans De l'autre côté du miroir publié par Lewis Caroll (1871), Alice traverse le miroir et trouve, de l'autre côté, un monde qui ressemble à un échiquier étrange car les objets semblent immobiles. Dans ce monde, courir ne fait ni avancer ni changer de place mais permet de rester au même endroit.
Dans ces romans, les héros affrontent des épreuves, leur caractère change et évolue. Grâce au monde merveilleux, les personnages apprennent à mieux comprendre le monde réel dans lequel ils vivent et à mieux se comprendre eux-mêmes.
Nils, réduit à la taille d'un écureuil à cause de sa méchanceté envers les hommes et les animaux, se dépasse et fait tout pour sauver une oie blessée qui ne peut plus voler.
« On imagine la surprise du garçon lorsqu'il vit le museau pointu de Smirre qu'il avait poursuivi et entendit sa voix rauque et furieuse. Mais en même temps, il fut si outré d'entendre le renard se moquer de lui qu'il ne lui vint pas à l'idée d'avoir peur. Il agrippa plus fermement la queue, prit appui sur une branche de hêtre et, au moment où le renard ouvrait la gueule au-dessus de la gorge de l'oie, il tira brusquement de toutes ses forces. Smirre, totalement pris au dépourvu, se sentit reculer de plusieurs pas, ce qui permit à l'oie sauvage de se dégager, et de s'envoler lourdement. »
Selma Lagerlöf
Le Merveilleux Voyage de Nils Holgersson à travers la Suède
1906-1907
Avant sa transformation merveilleuse en écureuil, Nils était méchant avec les animaux. Là, même s'il est un tout petit écureuil, il se surpasse et réunit toutes ses forces pour libérer l'oie de la gueule du renard. En sauvant l'oie, Nils fait preuve de courage et de bonté. Lorsqu'il redevient un garçon, son tempérament a changé, ce n'est plus une brute.
La création d'univers nouveaux dans le roman d'anticipation
Sous-genre de la science-fiction, le roman d'anticipation décrit un futur imaginaire en s'appuyant sur le réel et en utilisant le développement des sciences et des nouvelles techniques. Le récit d'anticipation propose une réflexion sur le progrès et sur le présent.
Les auteurs de romans d'anticipation livrent une réflexion sur le progrès. Ils montrent les bienfaits des inventions humaines mais aussi les dangers qu'elles peuvent représenter.
Le XIXe siècle connaît plusieurs progrès techniques, scientifiques, technologiques qui améliorent le quotidien des gens comme les moyens de transport, l'électricité, les recherches scientifiques.
Jules Verne est passionné par la littérature et les sciences. Il s'empare des découvertes astronomiques et des inventions de son siècle comme l'électricité, les moteurs à vapeur, les tramways parisiens, les voitures à moteur à explosion, l'éclairage électrique urbain, etc. Il les utilise dans ses romans et anticipe les bienfaits que peut apporter le progrès à l'humanité.
Jules Verne s'inspire des inventions de son temps pour imaginer Paris en 1960.
« Quatre cercles concentriques de voies ferrées formaient donc le réseau métropolitain ; ils se reliaient entre eux par des embranchements […]. On pouvait circuler d'une extrémité de Paris à l'autre avec la plus grande rapidité.
Ces railways existaient depuis 1913 ; ils avaient été construits aux frais de l'État, suivant un système présenté au siècle dernier par l'ingénieur Joanne. […]
Les maisons riveraines ne souffraient ni de la vapeur ni de la fumée, par cette raison bien simple qu'il n'y avait pas de locomotive. Les trains marchaient à l'aide de l'air comprimé. […]
Ces diverses améliorations convenaient bien à ce siècle fiévreux, où la multiplicité des affaires ne laissait aucun repos et ne permettait aucun retard. »
Jules Verne
Paris au XXe siècle
© Hachette/Le Cherche midi, 1994 (publication à titre posthume)
Pour inventer le Paris du futur, Jules Verne se fonde sur le développement des moteurs à air comprimé qui évite la pollution et les dérangements occasionnés par « la vapeur » ou « la fumée ». L'auteur souligne que le développement des tramways permet la traversée rapide de Paris et soutient le développement économique en renforçant l'activité professionnelle. Jules Verne montre l'avancée positive du progrès. Il prévoit le développement futur des tramways à Paris.
Le roman d'anticipation pose également la question des limites du progrès scientifique et technologique. Il imagine les conséquences négatives du progrès sur l'homme et la société. Le roman d'anticipation donne alors une vision inquiétante du futur qui tend à déshumaniser l'homme.
René Barjavel imagine le monde en 2053. Son personnage, François Deschamps, originaire de la campagne, vient à Paris pour connaître les résultats du concours qu'il a passé.
« François poussa la porte de la Brasserie 13, trouva une table vide près d'un palmier nain, et s'assit. Le garçon surgit, posa d'autorité devant lui un plan fumant. […] Fils de paysan, il préférait les nourritures naturelles, mais comment vivre à Paris sans s'habituer à la viande chimique, aux légumes industriels ? […] L'humanité ne cultivait presque plus rien en terre. Légumes, céréales, fleurs, tout cela poussait à l'usine, dans des bacs.
Les végétaux trouvaient là, dans de l'eau additionnée des produits chimiques nécessaires, une nourriture bien plus riche et plus facile à assimiler que celle dispensée par la marâtre Nature. Des ondes et des lumières de couleurs et d'intensité calculées, des atmosphères conditionnées accéléraient la croissance des plantes et permettaient d'obtenir, à l'abri des intempéries saisonnières, des récoltes continues, du premier janvier au trente et un décembre. »
René Barjavel
Ravage
© Denoël, 1943
Barjavel imagine comment les hommes du futur cultivent les végétaux. Tout se fait de manière artificielle et chimique (« l'eau additionnée des produits chimiques nécessaires ») avec l'ajout d'engrais et de lumière artificielle. Les progrès scientifiques et techniques vont à l'encontre de la nature et d'une alimentation de qualité, bonne pour la santé. Cette vision du progrès donne à voir un avenir inquiétant.
Même si le roman d'anticipation crée un univers en anticipant sur un temps futur, il invite à réfléchir sur le présent. Le XXIe siècle accorde une place importante au développement de l'informatique et des robots. La presse parle souvent de robots capables de remplacer les hommes ou de robots pourvus de cerveaux humains. On peut se demander si un jour le robot remplacera l'homme et si l'homme sera dépassé par ses propres inventions.
La création d'univers nouveaux dans la poésie
La poésie, par ses jeux sur les mots et sur le langage, est capable d'inventer des mondes nouveaux en partant de la réalité. Au XXe siècle particulièrement, la poésie propose une réinvention du monde quotidien grâce à son langage poétique.
Les moyens de la poésie pour créer des univers nouveaux
Le mot « poésie » vient du grec poïeïn qui signifie « faire, créer, fabriquer ». Le langage poétique, avec ses caractéristiques et ses différentes possibilités, donne à voir un monde nouveau en utilisant des jeux sur les sonorités et sur les mots.
Pour créer un univers imaginaire, les poètes utilisent le langage de façon parfois inattendue. Le poète peut jouer avec les sonorités en utilisant des allitérations et des assonances.
Allitération
L'allitération est la répétition d'un son consonne.
« le tatou tâte sa tatin»
(Jacques Roubaud, « Le Tatou », Les Animaux de tout le monde, © Ramsay, 1983)
Le poète utilise ici une allitération en [t].
Assonance
L'assonance est la répétition d'un son voyelle.
« le tatou tâte sa tatin »
(Jacques Roubaud, « Le Tatou », Les Animaux de tout le monde, © Ramsay, 1983)
Le poète utilise ici des assonances en [a] et [u].
Le poète peut créer des anagrammes ou des calembours.
Anagramme
L'anagramme est un mot formé en changeant de place les lettres d'un autre mot.
Dans le poème « Anagrammes » publié dans Jaffabules en 1990, Pierre Coran donne des exemples d'anagrammes en jouant sur les inversions des lettres dans les mots suivants : « neige »/« génie » ; « chien »/« niche » ; « harpe »/« phare ».
Calembour
Le calembour est un jeu de mots qui détourne le sens d'une expression en jouant sur des mots qui ont une sonorité identique.
« Je te promets qu'il n'y aura pas d'i verts
Il y aura […] des i cônes, des i nattentions. »
(Luc Bérimont, « Les points sur les i », La poésie comme elle s'écrit, © Éditions Ouvrières, 1979)
Le calembour joue sur le son des mots. L'expression « i verts » est à comprendre comme « hivers », « i cônes » comme « icônes » et « i nattentions » comme « inattentions ».
Le poète peut inventer des formes nouvelles comme le calligramme.
Calligramme
Le calligramme est un poème en forme de dessin.
Le poème « La Cravate et la Montre » de Guillaume Apollinaire (1918) est un exemple de calligramme. En suivant la disposition des mots sur la page et en lisant le poème, il est possible de reconnaître facilement la montre avec le cadran principal, les aiguilles, le bouton. Pour la cravate, on distingue le morceau du tissu qui entoure le cou et le reste qui pend sur la poitrine.
La poésie du XXe comme réinvention du monde
Au XXe siècle, de nombreux poètes choisissent des objets du quotidien comme sujet poétique. Ils souhaitent donner une nouvelle vision du monde qui nous entoure et le réinventent ainsi.
Les poètes créent un nouveau monde en jouant avec les mots et les sons. Ils partagent leur vision imaginaire des choses de la réalité avec le lecteur. Pour cela, les poètes s'écartent de la tradition de la poésie lyrique basée essentiellement sur l'expression des sentiments pour s'intéresser au quotidien et aux objets. Le poète donne ainsi à voir toutes les caractéristiques de l'objet que l'on ne voit pas, que l'on ne voit plus.
« L'huître, de la grosseur d'un galet moyen, est d'une apparence plus rugueuse, d'une couleur moins unie, brillamment blanchâtre. C'est un monde opiniâtrement clos. Pourtant on peut l'ouvrir : il faut alors la tenir au creux d'un torchon, se servir d'un couteau ébréché et peu franc, s'y reprendre à plusieurs fois. Les doigts curieux s'y coupent, s'y cassent les ongles : c'est un travail grossier. Les coups qu'on lui porte marquent son enveloppe de ronds blancs, d'une sorte de halos.
À l'intérieur l'on trouve tout un monde, à boire et à manger : sous un firmament (à proprement parler) de nacre, les cieux d'en-dessus s'affaissent sur les cieux d'en dessous, pour ne plus former qu'une mare, un sachet visqueux et verdâtre, qui flue et reflue à l'odeur et à la vue, frangé d'une dentelle noirâtre sur les bords.
Parfois très rare une formule perle à leur gosier de nacre, d'où l'on trouve aussitôt à s'orner. »
Francis Ponge
« L'Huître », Le Parti pris des choses
1942
Dans ce poème, Francis Ponge décrit précisément l'huître. Il donne les caractéristiques extérieures et intérieures des deux coquilles. Il décrit l'animal « huître » qui vit à l'intérieur. En décrivant ainsi l'huître, le poète recrée un monde : il décrit les deux coquilles comme étant deux parties de l'univers, le monde d'en haut (« les cieux d'en-dessus ») et le monde d'en bas (« les cieux d'en-dessous »).
Dans les poèmes, les objets ne demeurent pas inanimés : ils deviennent vivants et peuvent susciter différents sentiments comme la joie, la peur, la tendresse. Ils peuvent aussi former un univers étrange, secret, mystérieux qui suscite la curiosité du lecteur.
« La nuit, dans le silence en noir de nos demeures,
Béquilles et bâtons qui se cognent, là-bas ;
Montant et dévalant les escaliers des heures,
Les horloges, avec leurs pas ;
Émaux naïfs derrière un verre, emblèmes
Et fleurs d'antan, chiffres maigres et vieux ;
Lunes des corridors vides et blêmes,
Les horloges, avec leurs yeux ;
Sons morts, notes de plomb, marteaux et limes,
Boutique en bois de mots sournois,
Et le babil des secondes minimes,
Les horloges, avec leurs voix ;
Gaines de chêne et bornes d'ombre,
Cercueils scellés dans le mur froid,
Vieux os du temps que grignote le nombre,
Les horloges et leur effroi ;
Les horloges
Volontaires et vigilantes,
Pareilles aux vieilles servantes
Boitant de leurs sabots ou glissant sur leurs bas.
Les horloges que j'interroge
Serrent ma peur en leur compas. »
Émile Verhaeren
« Les Horloges », Les Bords de la route
1895
Les horloges ressemblent à des créatures étranges qui font peur (« serrent ma peur »). Le champ lexical de l'obscurité (« nuit », « en noir », « ombre »), celui de la mort et de la vieillesse (« béquilles », « bâtons », « d'antan », « blêmes », « cercueils », « vieux os du temps », « vieilles servantes »), les personnifications (« Les horloges, avec leurs pas ; » ; « Les horloges, avec leurs yeux ; » ; « Les horloges, avec leurs voix ; ») et la comparaison (« Pareilles aux vieilles servantes ») font des horloges, des personnes inquiétantes, source d'angoisse par le rappel du temps qui passe et de la mort qui approche.