Désaffiliation
Robert Castel
Robert Castel
Les Métamorphoses de la question sociale
1995
Robert Castel est un sociologue français (1933 - 2013) qui a analysé la construction de la société salariale puis son effritement à partir des années 1970. Il a notamment étudié les conséquences de cette dislocation du lien social sur l'intégration sociale, mettant en évidence l'apparition de l'insécurité sociale que génèrent la précarité et le chômage de masse.
Selon Robert Castel, le développement de l'urbanisation et les transformations dans les modes de vie représentent un bouleversement majeur des formes de la cohésion sociale. À partir du XIXe siècle, les sociétés occidentales étaient devenues des "sociétés salariales" : la situation de référence (la situation "normale" pour le citoyen) était celle de salarié. Le salarié est un travailleur qui reçoit, en échange de son travail, un salaire et une garantie de revenu sous la forme de protection sociale.
Le salariat s'est développé dans un contexte dynamique : accès à la consommation de masse, accès à la propriété, améliorations des conditions de vie, espoir de la promotion sociale (même si les inégalités n'ont pas été résolues). Mais à partir des années 1970 et 1980, la crise économique ainsi que le virage libéral des gouvernements ont provoqué un affaiblissement de la fonction intégratrice de l'emploi, devenu de plus en plus incertain. C'est le phénomène du chômage massif et de la précarisation croissante de l'emploi, c'est-à-dire une incertitude de plus en plus grande face à l'avenir et aux revenus qu'un travailleur peut espérer. C'est ce que Robert Castel nomme la désaffiliation sociale.
La désaffiliation est la forme limite de ce processus. J'ai utilisé ce terme pour éviter un abus de l'usage du mot exclusion à propos de situations complètement hétérogènes. Dire d'un sans-abri, d'un jeune de banlieue ou encore d'un cadre au chômage qu'ils sont des exclus, cela ne veut plus rien dire à part qu'ils seraient dehors, dans le "hors-social". Il faut plutôt comprendre les processus qui y mènent. Avant d'en arriver là, on est vulnérable. Ces situations doivent être analysées : elles mènent à la limite d'être déconnecté des rapports de travail, des échanges et des réseaux de sociabilité familiaux, de voisinage, de territoire…
Robert Castel
Interview dans L'Humanité
Mars 2013
Disqualification sociale
Serge Paugam
Serge Paugam
La Disqualification sociale
1991
Serge Paugam est un sociologue français né en 1960 qui s'intéresse particulièrement à la sociologie des inégalités et des ruptures sociales.
Pour Paugam, la société désigne ses pauvres : il y a un phénomène d'étiquetage, de stigmatisation, induit par les prestations sociales et qui conduit les individus disqualifiés à avoir conscience de cette étiquette. L'humiliation associée à ce statut "d'assisté" conduit les individus à entretenir des relations plus distendues avec leur entourage et les empêche de développer un sentiment d'appartenance à un groupe.
Ainsi, les prestations ciblées sur ces populations à risque participent à ce processus d'exclusion qu'est la disqualification sociale.
Les populations en situation de précarité économique et sociale, connues des travailleurs sociaux, font l'expérience de la disqualification sociale en ce sens qu'elles ont conscience de l'infériorité de leur statut et qu'elles se savent désignées comme des "pauvres", des "cas sociaux" ou des "inadaptés" de la civilisation. La disqualification sociale est donc avant tout une épreuve, non pas seulement en raison de la faiblesse des revenus ou de l'absence de certains biens matériels, mais surtout en raison de la dégradation morale que représente dans l'existence humaine l'obligation de recourir à l'appui de ses semblables et des services d'action sociale pour obtenir de quoi vivre dans des conditions décentes.
Serge Paugam
La Disqualification sociale
1991, préface à la nouvelle édition