Sommaire
IQuels liens sociaux dans des sociétés où s'affirme le primat de l'individu ?ALes formes de la solidarité socialeBLa remise en cause des liens sociaux par l'individualismeCLes transformations des instances de socialisation1L'évolution de la structure familiale et de son rôle socialisateur2Le rôle complexe de l'école3Le travail et son rôle intégrateurIILa conflictualité sociale : pathologie, facteur de cohésion ou moteur de changement social ?ALe conflit : un dysfonctionnement social ?BLe conflit : un vecteur de changement social ?CLes mutations contemporaines des conflits sociaux1Le rôle des syndicats et la régulation des conflits2Les mutations de l'emploi et l'affaiblissement des revendications collectives3Les Nouveaux mouvements sociaux (NMS) et leurs limitesIIISchéma bilan de l'intégration, conflit et changement socialQuels liens sociaux dans des sociétés où s'affirme le primat de l'individu ?
La sociologie se constitue en tant que discipline scientifique à la fin du XIXe siècle. Elle se donne pour objectif d'établir une connaissance scientifique des mécanismes de la société et étudie les bouleversements liés à la révolution industrielle qui introduisent de nouveaux rapports sociaux, économiques et politiques. En France, les travaux d'Émile Durkheim (1858 - 1917), père fondateur de la sociologie française, permettent de construire un cadre théorique qui explique les mécanismes selon lesquels ces bouleversements se déroulent et d'étudier les problèmes qu'ils posent. Ces travaux définissent notamment la société par la forme et l'évolution des liens sociaux qui s'y établissent entre les individus.
Les formes de la solidarité sociale
Les sociologues héritiers des catégories d'analyse élaborées par Émile Durkheim cherchent à analyser les différentes formes de liens sociaux qui à travers l'intégration et la cohésion sociale, la division sociale du travail et la solidarité sociale contribuent à expliquer le fonctionnement des sociétés.
Lien social
Le lien social désigne l'ensemble des relations entre les individus et les groupes au sein d'une collectivité qui assurent la cohésion de la collectivité et l'intégration des individus dans cette collectivité. Le lien social relie les individus les uns aux autres suffisamment solidement pour que la cohésion de la société soit assurée et se reproduise dans le temps. Il est aussi ce qui permet l'identification des individus à la collectivité, et donc le sentiment d'appartenance collective.
Dans son ouvrage intitulé De la division du travail social Durkheim montre que les sociétés modernes se différencient des sociétés traditionnelles par l'existence d'une division technique du travail entre les agents. Cette division du travail a non seulement une fonction économique (la spécialisation du travail permet une meilleure productivité) mais aussi une fonction sociale (elle détermine une partie des relations que les individus vont avoir entre eux au sein de la société). Pour Durkheim, la division du travail produit donc une forme de lien social. Il voit dans la modernité et la division du travail l'émergence d'une nouvelle forme de solidarité nécessaire pour assurer d'une part la cohésion sociale, c'est-à-dire l'intensité, la stabilité et la force des liens sociaux et d'autre part l'intégration des individus dans la société.
Intégration sociale
L'intégration sociale est le processus par lequel un ensemble d'individus ou de groupes sociaux tend à constituer ou à devenir partie d'une entité sociale.
L'intégration sociale a cependant deux significations en sociologie :
- L'intégration de la société est une caractéristique qui s'applique à la collectivité tout entière. C'est la capacité systémique du groupe social à produire une cohésion sociale suffisante. Une société est dite intégrée quand il existe des liens stables et forts entre les individus qui la composent.
- L'intégration dans la société désigne la situation d'un individu ou d'un groupe au sein d'une collectivité plus large. C'est la capacité d'un individu ou d'un groupe à se considérer comme partie prenante de la société et à s'en faire reconnaître. Un individu est donc intégré lorsqu'il occupe une place reconnue dans la société.
Durkheim se penche notamment sur les règles en vigueur dans les groupes et sur la façon dont elles sont énoncées et appliquées. Il opère la distinction "solidarité mécanique" et "solidarité organique". Pour lui, le passage des communautés primitives aux sociétés modernes se caractérise par le changement de forme du lien social, qui passe de la solidarité mécanique à la solidarité organique.
- Dans les sociétés où le lien social prend surtout la forme de la solidarité mécanique, la conscience collective impose à tous des pratiques uniformes, et ceux qui s'en écartent sont violemment sanctionnés.
- Dans les sociétés où le lien social prend la forme de la solidarité organique, la conscience individuelle l'emporte, les individus ne sont plus liés par leurs ressemblances, mais par leurs différences liées à la division du travail social.
Solidarité mécanique
La solidarité mécanique désigne le type de relations sociales caractérisant les groupes sociaux traditionnels. Les relations entre les individus reposent sur leur similitude. Tous les membres du groupe ont des croyances et des comportements semblables et la conscience collective (croyances et sentiments communs) est forte.
Solidarité organique
La solidarité organique caractérise le type de relations qu'entretiennent entre eux individus et groupes dans les sociétés modernes, marquées par la division du travail. Celle-ci attribue à chacun une place spécifique, les individus se différencient et sont interdépendants. La conscience collective est plus faible.
La remise en cause des liens sociaux par l'individualisme
Les transformations modernes du lien social entraînent, selon Émile Durkheim et les sociologues qui se revendiquent de son héritage, des situations sociales d'anomie.
Anomie
L'anomie est une notion sociologique introduite par Durkheim pour caractériser l'état d'une société dans laquelle la régulation sociale n'est plus assurée par des règles sociales guidant les conduites des individus.
Quand la solidarité mécanique disparaît, les individus sont moins régulés par la conscience collective et les règles, normes et valeurs traditionnelles s'affaiblissent. Elles sont remplacées par de nouveaux faits sociaux, plus souvent définis au sein de sous-groupes que les individus peuvent choisir (groupes d'amis, associatifs, etc.). Au niveau des individus, l'anomie peut se traduire par une perte de repères et un manque d'orientation et l'anomie peut prendre le sens d'une contradiction entre la montée croissante des aspirations individuelles et l'impossibilité de les satisfaire.
L'individu moderne peut alors appartenir à divers "cercles sociaux" vers lesquels ses aspirations et ses intérêts le conduisent. Plus le nombre de cercles est élevé et varié (appartenances familiale, politique, religieuse, professionnelle, locale, associative, etc.), plus il prend conscience de son individualité et mieux celle-ci se réalise. On parle de l'émergence de l'individualisme.
Individualisme
L'individualisme caractérise le comportement des individus qui tendent à s'émanciper des contraintes collectives édictées par les autorités dites traditionnelles : religion, village, famille, école, etc.
Le développement de l'individualisme et ses effets sur le lien social sont complexes. Dans une certaine mesure, il contribue à accroître l'anomie mais il peut également permettre le progrès des libertés et des droits. Il est en ce sens au fondement de la démocratie représentative.
Pour Durkheim, l'individualisme est un accroissement de l'autonomie de l'individu par rapport aux règles collectives mais transforme le lien social plus qu'il ne le rompt. L'individualisme peut certes engendrer des retraits de la part des individus, voire de l'isolement vis-à-vis de la collectivité, mais il peut aussi être créateur de lien social, en reposant non plus sur la contrainte mais sur le libre choix. Dans les sociétés où la solidarité est organique, les liens sociaux sont en effet multiples, et les individus cultivent la diversité de ces liens.
Les transformations des instances de socialisation
L'émergence de l'individualisme s'appuie également sur les transformations et évolutions des principales instances de socialisation qui assure la transmission des normes et valeurs dans une société (famille, école, le travail et l'emploi).
L'évolution de la structure familiale et de son rôle socialisateur
La famille est une instance fondamentale de la socialisation à travers le modèle fournit par les parents. Les processus d'inculcation, d'incorporation et d'imitation permettant aux enfants d'acquérir les normes et valeurs qui leur permettent d'adapter leur comportement à ce qui est attendu dans la société. Depuis les années 1970, la structure et les normes familiales se transforment :
- Recul des mariages et augmentation des divorces
- Nombre croissant de couples vivant sans être mariés et enfants hors-mariage
- Nombre croissant de familles monoparentales, recomposées et homoparentales
Les mutations qui frappent la famille s'expliquent par un certain nombre de facteurs :
- L'émancipation des femmes (droit de vote, taux d'activité) qui leur a permis de trouver d'autres lieux et groupes de socialisation, et d'acquérir d'autres statuts sociaux que ceux de mère ou d'épouse.
- L'individualisme et la diminution de l'influence des grandes instances de socialisation traditionnelles comme l'Église qui modifient les valeurs et les comportements des individus (modification de la place de la famille, du couple, recherche de l'épanouissement personnel et non plus collectif).
Le rôle complexe de l'école
L'école contribue à la cohésion sociale et est la seconde instance de socialisation primaire. L'école diffuse des savoirs et des qualifications qui permettent aux individus de trouver une place dans la division du travail (intégration professionnelle), mais elle est aussi une instance socialisatrice, car elle transmet des normes et des valeurs qui servent de base à la culture commune et à l'apprentissage de la vie en collectivité. Cette instance se heurte cependant à des difficultés qui remettent en question son rôle dans l'intégration sociale :
- La démocratisation scolaire n'a pas mis fin à la reproduction sociale des élites, ce qui remet en cause son rôle dans l'intégration de la société. Si de plus en plus d'élèves ont pu se rendre à l'école et poursuivre leurs études jusqu'au niveau du baccalauréat ce sont toujours les enfants issus des milieux favorisés qui réussissent le mieux à l'école, font les études les plus longues et obtiennent les diplômes les plus prestigieux.
- Le lien entre diplômes et emploi s'est distendu, affaiblissant son rôle dans l'intégration individuelle dans la société. Le paradoxe d'Anderson montre ainsi que l'obtention de diplômes supérieurs ne permet pas toujours d'occuper une position supérieure aux générations précédentes et les difficultés d'insertion professionnelle touchent durement les jeunes, ceux-ci subissant souvent une déqualification (déclassement).
Ces phénomènes se sont opposés à l'image de l'école comme facteur d'intégration, et ont mis en doute sa capacité à préparer à l'emploi et l'insertion sociale, ainsi qu'à assurer l'égalité des chances.
Le travail et son rôle intégrateur
Le travail est une sphère privilégiée de l'intégration sociale et tient un rôle particulièrement important dans la socialisation secondaire. Le travail semble être indispensable à l'intégration des individus, jouant un rôle dans :
- L'identité sociale (statut social et position reconnue de l'individu dans la société)
- Les relations sociales (sociabilité de travail)
- La conformité aux normes (les revenus permettent de s'intégrer)
- La citoyenneté (le travail ouvre le droit à la protection sociale)
En attribuant un statut social aux individus, le travail concourt à leur reconnaissance sociale, à leur dignité et à leur autonomie, il rend compatible le processus d'individualisation et la cohésion sociale.
L'essor du chômage de longue durée, l'apparition des formes d'emplois précaires et atypiques (CDD, intérim, etc.), les modifications de l'organisation du travail (flexibilité, mobilité, intensification du travail et individualisation de la gestion des ressources humaines) affectent cependant irrémédiablement la fonction d'intégration du travail. Les sociologues soulignent deux principales fractures :
- La désaffiliation sociale, au sens où l'emploi ne garantit plus un statut pour l'individu. Le chômage est ainsi un facteur important d'exclusion sociale car la privation d'un emploi entraîne des conséquences à la fois économiques (perte de revenus) et sociales (dislocation des relations professionnelles) le tout pouvant aboutir à un sentiment d'inutilité sociale.
- La disqualification sociale, mis en lumière par le sociologue Serge Paugam, c'est-à-dire l'attribution par la société d'une identité négative et stigmatisée à l'individu qui se trouve dans une situation de pauvreté ou d'isolement lié au travail et l'absence d'emploi reconnu.
Les nouvelles formes d'emplois, les transformations internes que connaissent les entreprises et la précarisation de l'emploi sont autant de raisons qui peuvent expliquer que le travail ne permet plus autant qu'avant de se forger une identité sociale.
La conflictualité sociale : pathologie, facteur de cohésion ou moteur de changement social ?
La notion de conflit fait l'objet de différentes approches parmi les sociologues du XIXe siècle.
- Pour Marx, le conflit est au cœur des rapports de production et de la société capitaliste. Pour augmenter son revenu, chaque classe doit diminuer celle de l'autre (les travailleurs veulent une augmentation des salaires, la bourgeoisie leur diminution). Il y a donc un fondement économique au conflit.
- Pour Durkheim, le conflit est pathologique et dysfonctionnel. Il est une rupture de la cohésion sociale. Il n'est pas au cœur du fonctionnement des relations sociales, mais au contraire, il menace ce fonctionnement.
Les conflits sociaux peuvent donner lieu à une action collective de la part d'un groupe social qui a des revendications. Cette action collective prend la forme d'un "mouvement social" lorsqu'elle a pour but d'imposer un changement dans la structure de pouvoir de la société.
Conflits sociaux
Les conflits sociaux sont des situations dans lesquelles des collectifs d'individus ont des intérêts divergents ou rivaux.
Le conflit : un dysfonctionnement social ?
Pour passer d'une situation de conflit à une action collective, il doit exister :
- Un groupe d'individus occupant une position analogue dans la structure sociale et partageant des intérêts communs.
- Un groupe d'individus partageant un sentiment d'appartenance au groupe et la volonté d'une revendication.
- Enfin, il est nécessaire que ce groupe ait une certaine capacité d'organisation.
Le conflit peut être vu comme un dysfonctionnement social et la conséquence de l'anomie dans les sociétés contemporaines. Durkheim et ses héritiers distingue trois situations qui peuvent conduire à l'anomie dans une société où le travail se divise entre les agents :
- Une absence de règles collectives fortes engage les acteurs sociaux dans une concurrence entre eux et dans des conflits sociaux.
- À l'inverse, un excès de règles entraîne le conflit car avec trop de régulation, le travail est trop divisé et perd son sens pour le travailleur, qui entre en conflit avec les décideurs de cette division du travail.
- La perception des règles de la division du travail comme injuste (absence d'égalité des chances, reproduction sociale trop forte, écarts de richesse et de patrimoine fort, absence de perspectives futures).
Le travail ne réalise pas toujours sa fonction d'intégration : la division du travail peut ne pas produire de la solidarité organique, mais au contraire du conflit, lorsque cette division est pathologique. Le conflit est un indicateur du manque de cohésion de la société, car une augmentation du nombre et de l'intensité des conflits signale un défaut d'intégration de la société.
Les effets du conflit sur le lien social sont ambigus car les conflits peuvent aussi contribuer à renforcer le lien social et la solidarité mécanique ou bien engendrer la création de nouvelles relations sociales.
Le fait de militer ou d'adhérer à un groupe de pression, une organisation syndicale, etc., permet de générer de l'intégration sociale. Le partage d'objectifs et de moyens pour défendre une cause permet de créer de la cohésion et ainsi de former un groupe social uni.
Pour le sociologue Georg Simmel, le conflit n'est pas le contraire d'une relation sociale mais bien un type particulier de relation. Le conflit est vu comme une relation sociale qui peut être positive, c'est-à-dire créatrice de liens et de solidarité. Le conflit social rend en effet nécessaire l'instauration d'un dialogue avec les adversaires et la définition de nouvelles relations sociales.
Le conflit : un vecteur de changement social ?
Les conflits sociaux sont générateurs de changement social car ils permettent avant tout de révéler les tensions sociales dans la société ou entre certains groupes. Le conflit social peut inciter les décideurs politiques à prendre conscience des problèmes et à chercher à les résoudre :
- Les conflits du travail des XIXe et XXe siècles ont permis d'aboutir à l'élaboration de grandes lois sociales (protection sociale, code du travail)
- Les conflits sociétaux ont permis des changements dans les valeurs et normes de la société (mouvements des droits civiques, écologistes, féministes ou encore homosexuels).
La sociologie de courant Marxiste a ainsi mis en lumière la permanence des conflits dans la société comme moteur principal de l'histoire sociale : c'est le conflit qui aurait fait passer du mode de production esclavagiste (où des hommes exploitent et possèdent d'autres hommes) au mode de production féodal (les serfs ont un peu plus d'indépendance, tout en étant exploités par les seigneurs) puis au mode de production capitaliste (les ouvriers sont exploités par les bourgeois mais bénéficient d'une liberté formelle). Le conflit amène ainsi des transformations sans pour autant faire cesser l'exploitation. Ces analyses ont été très débattues, notamment dans leur dimension historiques, mais permettent d'attirer l'attention sur le fait que le conflit social peut être facteur de changement mais aussi d'une certaine continuité dans la forme des rapports sociaux.
Cependant les conflits peuvent également aller à l'encontre du changement social en cherchant à maintenir la société traditionnelle. Les individus peuvent s'opposer au changement parce qu'il menace leurs intérêts économiques ou sociaux, et par peur de l'inconnu. Les conflits qui cherchent à éviter le changement sont des conflits conservateurs. Il s'agit de défendre des intérêts particuliers mais également de lutter contre ce qui est perçu comme une déviance de la société (évolution de la famille, de l'emploi, des modes de consommation alimentaire ou culturelle).
Les mutations contemporaines des conflits sociaux
Les conflits du travail ont occupé une place prépondérante en France de la fin du XIXe siècle à nos jours. De nombreux sociologues ont porté leur attention sur la nature et l'évolution de ces conflits. Ils retiennent trois principales caractéristiques :
- Le rôle des syndicats et leur évolution
- Les mutations de l'emploi (forme et organisation)
- L'apparition de nouveaux acteurs dans les conflits de travail
Le rôle des syndicats et la régulation des conflits
Les syndicats
Un syndicat est une organisation chargée de défendre les intérêts d'un groupe professionnel. Avec les représentants de l'entreprise et ceux de l'État, les syndicats font partie des partenaires sociaux qui négocient les conventions collectives s'appliquant aux branches professionnelles ou aux salariés d'une entreprise.
Les syndicats ont exclusivement pour objet la défense des intérêts de leurs membres. Ce sont des groupes de pression et des forces de mobilisation sociale. Ils jouent un rôle majeur dans les conflits du travail et concourent ainsi à l'institutionnalisation des conflits, c'est-à-dire l'inscription des conflits dans des formes pacifiques et cadrées d'interaction. Cette institutionnalisation permet d'éviter les actes de violence et de privilégier les négociations aux affrontements physiques entre des groupes aux intérêts antagoniques.
Les syndicats sont aussi un vecteur de régulation des conflits car ils sont un relai entre les agents sociaux et les institutions (institutions de l'entreprise et de l'État). Les syndicats permettent un certain consensus social en défendant les intérêts des salariés dans les différentes instances de négociation. À ce titre, ils négocient les conventions collectives avec les partenaires sociaux afin de déterminer notamment les grilles salariales et de qualification.
Régulation des conflits
La régulation des conflits correspond à la mise en place de normes, d'organisations, de procédures et d'institutions ayant pour fonction d'assurer l'expression des mouvements sociaux dans des cadres clairement délimités.
Les mutations de l'emploi et l'affaiblissement des revendications collectives
Depuis les années 1970, les conflits changent de forme et le rôle des syndicats se réduit. Les grévistes sont de plus en plus des salariés du secteur public tandis que les conflits sociaux peuvent prendre une forme spectaculaire à travers les mouvements de blocage, plus que les grèves (blocage des autoroutes, arrêt du trafic ferroviaire, etc.). Plusieurs phénomènes expliquent ces transformations :
- Des explications structurelles : la transformation de la structure des emplois joue en la défaveur du taux de syndicalisation. La désindustrialisation provoque une diminution de la part des ouvriers dans la population active, or le syndicalisme trouve son origine dans les mouvements ouvriers.
- Des éléments conjoncturels : l'augmentation du chômage et le développement des formes atypiques d'emplois sont moins favorables au conflit, les salariés craignant pour leurs emplois. La précarité et l'existence d'un parcours dans l'emploi plus instable favorisent également l'effritement du collectif du travail. Cela peut également expliquer que les grèves sont désormais surtout le fait des salariés du secteur public, qui sont dans une situation souvent moins précaire que les salariés du secteur privé.
- La remise en cause des syndicats eux-mêmes : les syndicats apparaissent progressivement comme des organisations bureaucratiques, coupées des militants. Ils peuvent ainsi apparaître comme des organisations défendant les intérêts de salariés privilégiés, et en particulier ceux qui sont embauchés avec un contrat à durée indéterminée plutôt que les précaires.
La précarisation des emplois et le déclin des syndicats qui structuraient la protestation entraînent une diminution apparente des conflits liés au travail. Les difficultés à trouver un emploi freinent la mobilisation de salariés qui ont peur pour le leur. Cependant, on constate aujourd'hui un regain de revendication collective à travers la contestation de certaines mutations de l'emploi (par exemple, contestation des retraites).
Les Nouveaux mouvements sociaux (NMS) et leurs limites
Les transformations du monde du travail ont mis en scène de nouveaux acteurs, de nouvelles formes d'action et de nouveaux objets de conflit.
- De nouveaux acteurs : les mouvements de "classe" liés à une position socio-économique se sont affaiblis au profit de mouvements identitaires liés à une identité particulière et revendiquée. Les nouveaux acteurs se réunissent sur la base d'un rejet commun d'une situation qu'ils jugent préjudiciable soit à leurs propres intérêts (mouvements féministes, régionalistes par exemple), soit aux intérêts des générations futures (mouvements écologistes, par exemple).
- Des valeurs nouvelles, repérables par les objets de conflits : les conflits ont pour objet des intérêts qui sont post-matérialistes selon le sociologue français Alain Touraine. En effet, ces conflits n'ont pas uniquement un objectif matériel (richesse, pouvoir) mais aussi un objectif symbolique (reconnaissance sociale comme les mouvements des "sans", sans-papiers, sans-logement, etc.).
- Des formes d'action nouvelles et variées : l'expression du conflit prend des formes différentes comme le boycott, les marches de protestation, les barrages routiers, les occupations de locaux, les destructions matérielles, les grèves de la faim, le sit-in, les pétitions, etc. Le registre est varié mais vise souvent à occuper l'espace public de manière à être visible. Ces actions permettent de développer la conscience collective et sont destinées à faire pression sur les autorités politiques.
La plupart de ces nouveaux mouvements sociaux sont marqués par une méfiance vis-à-vis des organisations traditionnelles (syndicats, partis politiques) et de leurs méthodes, souvent dénoncées comme étant centralisatrices et comme étant des freins à la spontanéité et à l'initiative individuelle.
Pour le sociologue Alain Touraine, ces nouveaux mouvements sociaux sont définis par le modèle "identité, opposition, totalité" :
- Principe d'identité ("qui entre en conflit ?") : les NMS sont le fait d'un groupe clairement identifié, qui a conscience de son existence et de ses spécificités.
- Principe d'opposition ("contre qui entre-t-on en conflit ?") : les NMS naissent d'une opposition aux valeurs dominantes de la société à un moment donné.
- Principe de totalité ("quel est le projet porté par le mouvement social ?") : les NMS sont toujours porteurs d'un nouveau projet de société, c'est-à-dire qu'ils veulent un changement profond dans la structure de la société. Les revendications des NMS ont une portée universaliste, elles visent à améliorer le bien-être collectif en changeant de façon définitive un élément constitutif de l'organisation de la société.
Il existe plusieurs limites à l'importance que l'on accorde à la spécificité de ces nouveaux mouvements sociaux :
- Certains mouvements existaient déjà et ne sont pas si novateurs en matière de revendications et de modalités d'actions (mouvements féministes et écologiques, par exemple).
- On observe avec le ralentissement économique une permanence/résurgence des préoccupations économiques et sociales liée aux difficultés économiques et financières (salaire, pouvoir d'achat, pauvreté, etc.) qui rapprochent ces mouvements des contestations traditionnelles portées par les syndicats.