Sommaire
IObjectifs et modalités de la politique de concurrenceAPrincipes généraux1Les institutions2Assurer l'efficacité des mécanismes de marché3Protéger le consommateurBLes modalités de la politique de concurrence1Empêcher les ententes entre entreprises2Contrôler les concentrations sur les marchés3Contrôler les aides publiquesIILa politique de concurrence en débatAPolitique de concurrence et politique industrielleBPolitique de concurrence et services publicsLa politique de la concurrence cherche à assurer les conditions d'une libre concurrence entre entreprises sur les marchés afin de protéger les intérêts des consommateurs. En Europe, cette politique est définie par les institutions européennes, et vise à empêcher la constitution de cartels et les abus de position dominante. L'UE surveille également les opérations de concentration et limite les aides publiques afin de favoriser l'ouverture à la concurrence des services publics. Ces objectifs peuvent être débattus, notamment au regard de l'interaction entre politique de la concurrence et politique industrielle.
Objectifs et modalités de la politique de concurrence
Principes généraux
Les institutions
Politique de concurrence
La politique de concurrence recense l'ensemble des mesures et des lois visant à contrôler ou modifier les conditions de la concurrence sur un marché, c'est-à-dire la façon dont s'opère la confrontation entre offreurs et demandeurs, mais aussi entre les offreurs eux-mêmes.
En Europe, la politique de concurrence est une compétence européenne depuis le traité de Rome de 1957. Cela a été réaffirmé depuis le traité sur le fonctionnement de l'UE (TFUE, 1992). La Commission européenne définit les principes du droit de la concurrence en vigueur dans les pays membres et l'application est partagée avec les autorités nationales (en France, il s'agit de l'Autorité de la concurrence).
Assurer l'efficacité des mécanismes de marché
La politique de la concurrence cherche à assurer les conditions du bon fonctionnement de la concurrence sur les marchés, afin de profiter de l'efficacité des mécanismes de marché. Le marché est alors censé assurer plusieurs types d'efficience, c'est-à-dire réaliser sur plusieurs plans la meilleure allocation possible des ressources.
La concurrence doit engendrer :
- Une efficience productive : les entreprises vont chercher à réduire leurs coûts et à les utiliser au mieux.
- Une efficience allocative : l'existence d'entreprises disposant d'un pouvoir de marché provoque des moindres quantités et des prix plus élevés, c'est une situation sous-optimale par rapport à la concurrence et désavantageuse pour les consommateurs.
- Une efficience dynamique : la concurrence est source de compétition, elle incite à l'effort et à l'innovation pour obtenir davantage de compétitivité, elle est stimulante.
La politique de concurrence européenne vise également la création d'un marché commun intérieur et à assurer la transparence et le bon fonctionnement de ce marché. Elle empêche par exemple que certaines entreprises soient avantagées au sein du marché européen en raison de leur appartenance nationale.
Protéger le consommateur
La politique de concurrence cherche en dernier ressort à assurer l'exercice d'une libre concurrence afin d'assurer le bien-être des consommateurs.
Le fait de dynamiser la concurrence entre les entreprises doit en théorie avoir des effets favorables pour les consommateurs : prix moins élevés, les biens et services plus nombreux et diversifiés.
Les modalités de la politique de concurrence
Empêcher les ententes entre entreprises
Cartel
Un cartel est une situation dans laquelle il existe une entente entre firmes pour se partager le marché et fixer le prix de vente.
L'article 101 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne interdit les cartels.
Les cartels nuisent à la concurrence car ils faussent son libre jeu : ils limitent la compétition par les prix. Les producteurs se mettent d'accord sur un prix ou échangent des informations leur permettant de fixer un prix plus élevé que le prix qui résulterait de la libre confrontation de l'offre et de la demande, afin de bénéficier d'une marge plus importante. Ils peuvent également s'entendre sur un prix temporaire plus faible pour éliminer un concurrent ou conserver leurs clients.
En 2011, l'Autorité française de la concurrence a sanctionné un cartel de fabricants de lessive. Quatre grands fabricants avaient coordonné leurs stratégies commerciales en décidant d'un prix de vente commun et des promotions qu'ils entendaient proposer aux consommateurs.
Contrôler les concentrations sur les marchés
L'une des modalités de la politique de la concurrence est le contrôle de la concentration sur les marchés, c'est-à-dire de l'importance respective des firmes sur le marché. Si une entreprise concentre beaucoup de parts de marché, elle acquiert une situation dominante et se rapproche d'une situation de monopole, ce qui peut fausser la concurrence et nuire aux consommateurs. En effet, une entreprise en position dominante sur un marché peut abuser de cette position.
Abus de position dominante
L'abus de position dominante est une situation dans laquelle une entreprise en position dominante exerce son pouvoir de marché et limite l'exercice de la concurrence.
L'abus de position dominante est sanctionné par la politique de concurrence. Il peut prendre des formes différentes :
- Prix prédateurs : fixer des prix en dessous des coûts de production pour évincer les concurrents et revenir ensuite à des prix permettant de dégager une marge
- Clauses commerciales limitatives : par exemple des accords d'exclusivité
- Services ou ventes liés : vente de plusieurs produits dans un même ensemble
L'une des plus importantes affaires d'abus de position dominante a été celle de Microsoft, condamné dès 2004 (plusieurs affaires se sont poursuivies par la suite, jusqu'en 2013 au moins pour non-respect des engagements). Microsoft a été condamné en 2004 pour avoir refusé de livrer des informations à un prix "raisonnable" aux éditeurs de logiciels qui cherchaient à éditer des logiciels compatibles avec le système. Microsoft a fait l'objet d'autres condamnations pour abus de position dominante, notamment par rapport à sa suite logicielle et son navigateur Internet (installé automatiquement).
L'autorité française de la concurrence a mis en garde l'entreprise productrice de pneumatiques Michelin car elle était en situation d'abus de position dominante. Étant donné sa position dominante sur le marché, elle avait pu passer des contrats d'exclusivité avec des clients, posant ainsi une barrière à l'entrée à ses concurrents.
L'Union européenne agit donc de façon préventive en contrôlant les projets de fusions, et en interdisant les fusions entre entreprises si cela a pour résultat une concentration trop forte du marché. Pour cela, elle doit définir un "marché pertinent", c'est-à-dire le marché sur lequel il risque d'y avoir une position dominante. La délimitation de ce marché permet d'identifier les concurrents, les marchés en aval ou en amont, connexes ou complémentaires sur lesquels la firme est susceptible d'avoir une influence.
Marché pertinent
Un marché pertinent est un marché sur lequel porte le soupçon d'un risque de position dominante. Il est délimité géographiquement et porte sur des produits considérés comme substituables en raison de leurs caractéristiques, prix et usages.
Si deux grandes entreprises productrices de soda veulent fusionner, l'Autorité de la concurrence doit se pencher sur le risque d'abus de position dominante. Si les entreprises produisent un bien proche et substituable, par exemple si elles produisent toutes les deux un soda gazeux à l'orange, le marché pertinent est celui des sodas gazeux à l'orange, et la concentration augmenterait sur ce marché suite à la fusion. En revanche, si l'une produit un soda au cola et l'autre un soda à l'orange, la concentration se produit sur le marché des sodas, mais l'Autorité de la concurrence peut considérer que ce n'est pas un marché pertinent car tous les sodas ne sont pas substituables entre eux.
L'Autorité de la concurrence peut autoriser une fusion mais la soumettre à un certain nombre de conditions.
En 2006, l'Autorité de la concurrence avait autorisé une fusion entre Canal+ et TPS, renforçant la position dominante du groupe Canal+ sur le marché aval de la distribution. Cette fusion était soumise à des engagements (59 au total). En 2011, le constat de non-respect des engagements pris pousse l'Autorité de la concurrence à annuler cette opération, et conduit deux groupes (Vivendi et groupe Canal+) à déposer à nouveau une demande.
Contrôler les aides publiques
Aides publiques
Les aides publiques correspondent aux aides financières ou institutionnelles accordées par les pouvoirs publics à certains acteurs économiques nationaux.
La politique de concurrence concerne également l'intervention des pouvoirs publics.
Les aides publiques sont en principe interdites dans l'Union européenne, car elles pourraient créer des distorsions sur le marché européen. Elles ne sont autorisées qu'après accord de la Commission européenne et lorsqu'elles ont comme objectif l'aide à un secteur ou une région en difficulté, la favorisation de la R&D ou encore la protection de l'environnement.
En effet, une entreprise française qui reçoit une subvention de la France pourrait diminuer d'autant le prix de vente de ses produits et ainsi évincer du marché les concurrents étrangers.
La politique de concurrence incite par ailleurs les États à libéraliser des services publics (qui ont souvent été historiquement des monopoles publics). En effet, la fourniture d'un service par l'État peut s'apparenter à une aide publique, car la production peut être financée par l'impôt. Plusieurs secteurs ont ainsi été libéralisés depuis les années 1980.
C'est le cas de la fourniture d'électricité en France. EDF était une entreprise publique en monopole sur la fourniture d'électricité en France, qui a été en partie privatisée et introduite en bourse en 2004. Le marché de la fourniture d'électricité en France a été ouvert à la concurrence au même moment.
Dans le domaine du transport aérien, les lignes internationales entre États membres puis les lignes internes ont été ouvertes à la concurrence.
La politique de concurrence en débat
Politique de concurrence et politique industrielle
La politique de concurrence peut rentrer en conflit avec d'autres politiques économiques, notamment la politique industrielle, qui consiste pour un pays à développer son industrie et à avoir de grandes entreprises nationales, suffisamment grandes pour être compétitives au niveau international.
Cette politique industrielle peut consister pour un État à aider des entreprises à grandir et à devenir des champions nationaux. Pour cela, les États accordent des aides publiques à des entreprises ou des secteurs, ce qui entre en contradiction avec une politique de concurrence au niveau international. La politique de la concurrence peut alors être considérée comme trop restrictive, parce qu'elle empêche certaines entreprises nationales ou certains segments de l'entreprise nationale de se développer.
À partir des années 1960, le développement économique de la Corée du Sud a été encouragé par une politique étatique d'aide aux entreprises et de protectionnisme. L'État a encouragé le financement de grandes entreprises, notamment dans le secteur de l'électronique, et a protégé ce secteur de la concurrence internationale en posant des barrières aux importations afin que les entreprises puissent se développer et acquérir des savoir-faire.
La concurrence peut profiter au développement industriel en sélectionnant les firmes les plus efficaces. Dans ce cas, la firme la plus innovante élimine ses partenaires et peut se retrouver en situation de monopole. C'est le paradoxe de la concurrence, selon lequel une situation de monopole peut émerger d'une situation de libre concurrence et même être le résultat d'une concurrence efficace.
L'économiste William Baumol a ainsi théorisé la notion de contestabilité des marchés. Cette théorie énonce que ce n'est pas tant le degré effectif de concurrence sur les marchés qui doit importer (c'est-à-dire le nombre de concurrents sur un marché ou le nombre de parts des entreprises). La politique de la concurrence doit plutôt prendre en compte uniquement la libre entrée et la libre sortie du marché (c'est-à-dire qu'un concurrent potentiel doit pouvoir entrer sur le marché et en sortir sans coûts). En effet, si celles-ci sont garanties, alors même une firme en situation de monopole a intérêt à innover et à maintenir des prix bas afin que les concurrents ne puissent pas entrer sur le marché et en capter des parts.
La politique de la concurrence peut aussi entrer en conflit avec la politique industrielle car certaines ententes entre entreprises favorisent l'échange d'informations nécessaires au développement de nouveaux produits. Ce sont des ententes "technologiques", favorables au développement d'un secteur économique performant dans un pays.
Pour toutes ces raisons, la politique européenne se voit reprocher de subordonner la politique industrielle à la politique de la concurrence. L'application des simples règles concurrentielles ne suffit pas à favoriser la compétitivité. Pour qu'émergent des entreprises européennes compétitives au niveau mondial, il faut encourager la coopération au niveau européen, notamment autour de projets innovants.
La suppression des aides publiques modifie par ailleurs les conditions de soutien aux secteurs industriels nationaux ce qui peut constituer, comparativement aux autres pays, un handicap pour les entreprises européennes.
Politique de concurrence et services publics
La libéralisation progressive des services en réseaux (télécommunications, énergies, transports, services postaux) est largement débattue. Dans la plupart des pays européens, la gestion du réseau est majoritairement restée en monopole mais la fourniture de service a fait l'objet d'une mise en concurrence. Des craintes et des réticences sont apparues, notamment en France, quant à la menace que cela fait peser sur la fourniture de service public.
Les monopoles publics ont souvent été jugés inefficaces, car ils ne sont pas incités à réduire leurs coûts de production. Cependant, un certain nombre de services sont considérés comme relevant du service public, et doivent être assurés aux citoyens quoi qu'il arrive. Le droit de l'Union européenne a alors intégré la notion de service public à travers deux notions compatibles. Il distingue :
- Les services d'intérêts économiques général (SIEG), qui sont soumis à la régulation marchande. Les producteurs peuvent être privés ou publics (télécommunications par exemple). L'État peut intervenir pour aider une entreprise à favoriser l'accès au réseau, mais cela ne doit pas remettre en cause les règles de concurrence.
- Les services d'intérêts général (SIG) qui autorisent l'intervention de l'État (justice, éducation, défense, protection de l'environnement) : ce sont souvent des services non économiques.
Cette conception du service public est cependant jugée trop étroite et peut remettre en cause l'intérêt général des services publics, c'est-à-dire l'égalité et la cohésion sociale et territoriale. En effet, un certain nombre de services sont jugés essentiels par les citoyens, et doivent pouvoir être accessibles à tous au même prix (quels que soient les revenus des individus, leur situation géographique, etc.). L'ouverture à la concurrence de la fourniture de ces services peut amener à remettre en cause les conditions d'accès à certains services, par exemple pour les consommateurs les plus pauvres, ou ceux qui sont situés dans des zones géographiques peu denses.
Sous un régime de stricte concurrence, des lignes de chemin de fer peu empruntées pourraient être fermées, l'accès à la téléphonie mobile dans des zones reculées pourrait être limité, etc. En effet, ces services seront probablement non rentables, en conséquence de quoi les entreprises devront soit cesser ces services, soit augmenter le prix moyen qu'elles font payer à tous (ce qui nuit à leur compétitivité), soit discriminer par les prix en faisant payer plus cher aux usagers des zones reculées. C'est une remise en cause de la péréquation tarifaire, qui garantit l'égalité de traitement en fixant un prix unique déconnecté de son coût réel (ce tarif génère un bénéfice dans les zones solvables qui compense les pertes dans les zones non rentables).
En 2010, La Poste, opérateur historique de la distribution de courrier, est devenue une SA pour répondre aux exigences européennes de libéralisation du marché. Les capitaux sont restés publics.
Si La Poste s'est engagée dans une politique active d'innovation et si sa qualité de service s'est améliorée, de nombreuses inquiétudes demeurent. La décroissance de la demande d'envois de courriers a été compensée par une hausse des tarifs, des emplois ont été perdus (en 2012, le nombre d'emplois à La Poste a diminué de 2500) et des agences fermées, notamment dans les zones peu peuplées ou éloignées. Les nouveaux entrants pourraient s'approprier les activités les plus rentables et laisser le service universel à l'opérateur historique, qui deviendrait alors encore moins rentable.