Sommaire
ILa construction de l'opinion publiqueAL'émergence de la notion d'opinion publiqueBL'opinion publique contemporaineIILa mesure de l'opinion publique : les sondages d'opinionALes principes et techniques des sondages d'opinionBLimites et critiques des sondagesIIILes sondages et la « démocratie d'opinion »AL'émergence d'une démocratie d'opinionBLes effets débattus de la démocratie d'opinion sur le système politiqueLa construction de l'opinion publique
L'opinion publique est l'opinion de la population, aujourd'hui surtout exprimée dans les sondages et les médias. Elle apparaît d'abord sous la forme de débats entre intellectuels, avant de se démocratiser et d'être affirmée via la presse ou les mouvements sociaux, puis dans les sondages.
L'émergence de la notion d'opinion publique
Opinion publique
L'opinion publique est l'ensemble des idées et des convictions plus ou moins partagées par une société. Elle est véhiculée notamment par les médias.
La notion d'opinion publique émerge au XVIIIe siècle lorsque les élites bourgeoises se retrouvent dans des salons littéraires ou des cafés et débattent des affaires publiques. On parle d'opinion publique « éclairée » des intellectuels.
Avec la scolarisation, l'enracinement de la démocratie et le développement de la presse, l'opinion publique se développe au XIXe siècle puis au XXe siècle. L'ensemble de la population peut partager ses opinions et chercher à se faire entendre auprès du gouvernement. Les lieux de débats publics se multiplient : le café, la place, et les lieux institutionnels (l'Assemblée nationale) deviennent des laboratoires d'idées où se forme l'opinion publique. L'opinion publique s'exprime aussi via les mouvements sociaux et les manifestations : on parle parfois d'opinion publique « de la rue ».
Le développement de l'opinion publique s'accompagne de :
- l'essor des médias dans la vie sociale : la presse écrite, la radio, puis la télévision ;
- la politisation de la société à travers le clivage politique droite/gauche.
La fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle constituent « l'âge d'or » de la presse écrite : des journaux comme Le Petit Journal, Le Petit Parisien ou L'Aurore sont imprimés à plusieurs millions d'exemplaires et relatent la vie politique de la IIIe République, contribuant à la politisation de la société et à la formation de l'opinion publique.
L'opinion publique contemporaine
Plus récemment, l'opinion publique est surtout créée et exprimée via les sondages. L'opinion publique désigne l'opinion du plus grand nombre, l'opinion de la majorité de la population sur un sujet. Elle est partagée par les médias.
Sondage d'opinion
Le sondage d'opinion est une enquête statistique visant à déterminer les opinions probables des individus d'une population cible à partir de l'étude d'un échantillon de cette population.
L'opinion publique évolue encore avec l'apparition des sondages d'opinion dans les années 1930. À partir des années 1960, les sondages sont de plus en plus précis et se multiplient. Leur usage change la conception de l'opinion publique : celle-ci est maintenant considérée comme objective et chiffrée. On parle d'opinion « sondée ». L'opinion publique est considérée comme l'opinion du plus grand nombre.
L'opinion publique est à la fois :
- l'opinion du public, c'est-à-dire de la population ;
- l'opinion rendue publique, c'est-à-dire partagée publiquement via les médias.
Le sociologue et statisticien John Luke Gallup (1901-1984) élabore les premiers sondages d'opinion lors des élections américaines de 1936. Il analyse statistiquement les opinions politiques d'un petit échantillon d'électeurs représentatif de la population, et prédit la réélection de Franklin Roosevelt.
La mesure de l'opinion publique : les sondages d'opinion
Les sondages consistent à interroger un échantillon d'une population pour en connaître l'opinion. Les sondages d'opinion sont un élément-clé de la construction et de la diffusion de l'opinion publique. Ils sont critiqués pour créer artificiellement une opinion sur un sujet. De plus, la manière dont ils sont formulés et interprétés peut facilement influencer leurs résultats.
Les principes et techniques des sondages d'opinion
Les sondages d'opinion considèrent l'opinion publique comme l'agrégation de réponses individuelles. En interrogeant un échantillon représentatif (souvent grâce à des quotas), ils permettent de donner une vue de l'opinion d'une population sur un sujet à un moment donné. Les résultats sont une estimation, dont on peut mesurer la fiabilité grâce à des marges d'erreur.
Techniquement, les sondages consistent à interroger un échantillon représentatif de la population pour avoir une approximation de l'avis de l'ensemble de la population. Les sondages sont réalisés par des instituts de sondages (Ifop, BVA, etc.), pour des entreprises et des industries, mais aussi pour des associations ou des partis politiques. Les enquêtes sont menées principalement sur Internet ou par téléphone.
Échantillon représentatif
Un échantillon représentatif est une partie d'une population dont les caractéristiques générales lui permettent de représenter la diversité du reste de la population.
Afin de disposer d'un échantillon représentatif, les statisticiens s'appuient sur deux méthodes principales :
- La méthode aléatoire, qui consiste à sélectionner une partie de la population au hasard en utilisant les techniques de probabilité.
- La méthode des quotas, qui consiste à construire un échantillon représentatif en sélectionnant les enquêtés selon certains critères (genre, âge, métier, niveau de diplôme, religion, etc.) de manière à ce que chaque catégorie soit représentée à hauteur de sa proportion réelle dans la population. Dans cette méthode, l'échantillon nécessaire est plus réduit, le plus souvent 1 000 à 2 000 personnes.
En plus d'être basés sur un échantillon représentatif, les sondages doivent poser des questions simples et neutres. L'interprétation des résultats doit aussi tenir compte des non-réponses (comme l'abstention pour un vote) et de l'incertitude des résultats, qui ne sont que des estimations. Cette incertitude est mesurée grâce à des marges d'erreur (les « intervalles de confiance »).
Marge d'erreur
La marge d'erreur est une mesure de la fiabilité des estimations obtenues à l'aide de l'échantillon utilisé. C'est un intervalle autour de l'estimation dans lequel on a X % (souvent 95 %) de chances d'avoir la vraie valeur. Plus la marge d'erreur est étendue, moins les résultats sont fiables.
On cherche à savoir quel pourcentage des votes obtiendra un candidat à une élection. On interroge 1 000 individus et on obtient une estimation de 50 % d'intentions de vote pour ce candidat. Dans cet exemple, la marge d'erreur est de 3 %. Cela signifie que l'on est certain à 95 % que le candidat A obtiendra entre 47 % et 53 % des votes.
L'incertitude varie selon la taille de l'échantillon utilisé : plus l'échantillon est grand, plus la marge d'erreur est petite et l'estimation est fiable. Cependant, pour des raisons de logistique et de coût, il est difficile d'établir des échantillons très larges.
Limites et critiques des sondages
L'usage des sondages d'opinion est critiqué. Les sondages comportent des biais dans leur construction et leur interprétation qui peuvent fausser les résultats. Certains sociologues comme Bourdieu affirment même que « l'opinion publique n'existe pas » : plutôt que de saisir une opinion existante, les sondages créent artificiellement une opinion publique.
Les sondages peuvent comporter des biais. Les sondages par téléphone ou en face à face présentent souvent un biais de désirabilité : les répondants cherchent à donner une réponse qui va plaire à l'enquêteur.
Les sondages en face à face ou par téléphone ont parfois conduit à sous-estimer le vote pour le Front national, que les répondants cachaient à l'enquêteur.
Sur Internet, les échantillons sont souvent moins représentatifs, puisque les différentes catégories de population n'utilisent pas Internet de la même façon et que certaines catégories n'y ont pas accès.
Il existe aussi des biais induits par le questionnaire, car les réponses obtenues peuvent varier selon le type de question (ouverte, fermée) ou de formulation (directe, indirecte). Pour lire un résultat de sondage, il est donc nécessaire de connaître la méthodologie utilisée et d'être attentif aux marges d'erreur ou aux biais de résultats possibles.
Dans le journal Les Échos du 21 mars 2011, un sondage de TNS Sofres pour le compte d'EDF affirme que 55 % des Français sont favorables au nucléaire. Le même jour, l'Ifop publie un sondage effectué pour Europe Écologie - Les Verts, qui donne seulement 30 % de Français favorables au nucléaire. Cette apparente contradiction s'explique facilement : le premier sondage interroge sur « l'abandon du nucléaire » sans préciser à quelle échéance et distingue les réponses favorables ou défavorables (55 % de non-favorables). Le sondage de l'Ifop offre au contraire trois options de réponse : une sortie rapide du nucléaire, une sortie progressive, ou une poursuite du programme nucléaire. Face à ce choix, seuls 30 % des répondants ont choisi la troisième option. Les différences dans les questions posées et les réponses proposées mènent ainsi à des résultats qui semblent en totale opposition.
Au-delà des problèmes de construction et d'interprétation des sondages, la critique principale qui leur est faite est qu'ils créent l'opinion publique au lieu de la représenter.
Dès 1973, le sociologue Pierre Bourdieu, dans son article intitulé « L'opinion publique n'existe pas », attire l'attention sur les limites des sondages d'opinion. Il remet en cause trois affirmations sur lesquelles se basent les sondages :
- Le postulat que tout le monde a une opinion : les personnes interrogées n'ont pas nécessairement d'opinion sur le sujet avant qu'on leur pose la question. Les sondages ne sont donc pas une collecte d'opinion mais une fabrique d'opinion puisque les questions posées et les réponses proposées vont pousser les individus à se positionner.
- La mise à égalité des différentes opinions : sur un sujet médical, l'opinion d'un individu lambda et celle d'un médecin sont traitées à égalité.
- L'importance et la pertinence des questions posées. Les questions posées ne reflètent pas les préoccupations de la population, mais celle des sondeurs et de leurs clients, qui imposent ainsi les sujets qui seront ensuite repris par les médias.
L'opinion publique exprimée sous la forme de pourcentage en réponse à une question est une construction qui ne représente pas la réalité. Même si les chiffres peuvent faire apparaître une majorité, cela ne signifie pas nécessairement qu'il y a en réalité un consensus sur une question.
Les sondages et la « démocratie d'opinion »
Les sondages et les médias ont une influence de plus en plus forte sur le système politique : on parle de démocratie d'opinion. Les sondages influencent l'opinion publique et les acteurs de la vie politique. La prise en compte de l'opinion publique change la manière de gouverner des dirigeants.
L'émergence d'une démocratie d'opinion
Même si les sondages sont critiqués, ils sont aujourd'hui massivement utilisés. Ces sondages ont une influence majeure sur la vie politique et mettent « l'opinion publique » au cœur des débats politiques : c'est ce que l'on appelle la démocratie d'opinion.
Malgré leurs limites, les sondages se sont imposés peu à peu comme un instrument indispensable dans les sociétés démocratiques et un outil de connaissance du monde social.
Les sondages contribuent à faire émerger des sujets et à définir la manière dont on en parle. Ils sont très présents dans les médias et, à travers leur capacité à influencer les politiques adoptées, ils jouent un rôle important dans le système de démocratie d'opinion.
Démocratie d'opinion
La démocratie d'opinion est une forme de démocratie marquée par l'emprise des médias et des sondages sur les décisions politiques.
Le développement récent d'Internet et des réseaux sociaux (Twitter, Facebook) et leur usage à des fins de communication politique est l'une des manifestations de la démocratie d'opinion.
Par rapport à la démocratie représentative, dans laquelle des élus représentent les citoyens, la démocratie d'opinion se démarque par l'influence constante de « l'opinion publique » et crée donc une relation plus directe avec les pouvoirs publics.
Les effets débattus de la démocratie d'opinion sur le système politique
Les effets des sondages et des médias sur la vie politique (démocratie d'opinion) sont ambigus. Ils peuvent influencer les candidats ou les résultats d'une élection. Plus largement, la démocratie d'opinion développe le rôle de la communication en politique.
Les sondages ont un effet sur l'opinion publique. En dégageant une opinion majoritaire, ils peuvent contribuer à la favoriser (effet de consensus).
Leur influence sur l'opinion publique justifie l'interdiction des sondages électoraux le jour qui précède une élection (« période de réserve »). Cependant, l'impact des sondages d'intention de vote sur le comportement des électeurs est ambigu. Des effets opposés peuvent être à l'œuvre : « bandwagon » contre « underdog ».
Effet « bandwagon »
L'effet « bandwagon » est le processus par lequel un candidat en tête des sondages devient plus populaire et augmente ses chances d'obtenir des voix. L'inverse de l'effet « bandwagon » est la démobilisation de certains électeurs qui pensent que le candidat va gagner.
Effet « underdog »
L'effet « underdog » est le processus par lequel des électeurs se remobilisent pour soutenir un candidat en difficulté dans les sondages, qui regagne ainsi des voix.
L'inverse de l'effet « underdog » est la démobilisation des électeurs du candidat en difficulté, qui pensent que l'élection est perdue.
Plus largement, les sondages et les médias influencent le système politique via l'émergence de la démocratie d'opinion.
Les résultats des sondages peuvent aussi influencer les élections en encourageant ou en décourageant des personnalités politiques à se lancer dans une élection.
Dans le système de démocratie d'opinion, les sondages sont utilisés comme des arguments d'autorité : « les Français pensent que… ». Cette prévalence de l'opinion mène au développement de stratégies de communication politique. Elle peut aussi encourager des dérives populistes et pousser les dirigeants à suivre les mesures les plus populaires, sans appliquer de réel programme politique.
Cependant, certains chercheurs considèrent que les sondages permettent de renforcer la démocratie. Ils permettent aux gouvernants d'avoir accès à l'opinion des citoyens, et aux citoyens d'exprimer leur opinion sur l'action des gouvernants en dehors des périodes électorales. La démocratie d'opinion contraint aussi les dirigeants à justifier leur action, voire à en changer lorsqu'une majorité de citoyens y est opposée.
Le sociologue américain Paul Lazarsfeld montre que l'influence des médias sur la formation de l'opinion publique est indirecte. Si la plupart des individus ne construisent pas leur opinion à partir des médias, ceux-ci contribuent en revanche à influencer en profondeur des « leaders d'opinion » qui à leur tour vont influencer durablement leurs proches. Il nomme ce processus « communication à double étage » (Paul Lazarsfeld, Two step flow of communication, 1955).