Sommaire
ILes ressorts de la participation électoraleALes modèles explicatifs du vote1L'approche écologique2L'approche sociologique par les variables lourdes3L'approche psychosociologiqueBLa volatilité du vote1Le modèle de l'électeur rationnel2La mobilité électoraleIIVers une démocratie de l'abstention ?AL'absence de participation électorale1Définitions2La mesure de la participation électorale3Le profil sociologique des non-votantsBLes explications1Des explications structurelles2Des explications conjoncturellesIIIComment les médias influencent-ils la vie politique ?AL'importance des médias dans le jeu politique1L'influence des médias2Une influence relative3Des effets indirectsBLes sondages d'opinions1L'omniprésence des sondages2Légitimité et intérêt démocratiqueLa participation électorale est au cœur du fonctionnement des systèmes démocratiques, qui semblent remis en cause par le développement d'un phénomène d'abstention. Il faut alors comprendre quels sont les déterminants du vote, au-delà des opinions politiques d'un individu à un moment donné. Des variables sociales ont une influence forte sur le vote, de même que l'identification partisane de l'individu. On assiste à une montée de la volatilité électorale, faisant émerger l'existence de votes sur enjeux. L'abstention électorale peut s'expliquer par des facteurs sociaux, mais également par un abstentionnisme militant. L'impact des médias sur la vie politique est par ailleurs discuté.
Les ressorts de la participation électorale
Les modèles explicatifs du vote
L'approche écologique
L'écologie électorale cherche à établir des liens entre les préférences électorales et les caractéristiques économiques, démographiques, culturelles et religieuses d'un espace donné. L'impact géographique sur les comportements électoraux a été étudié une première fois par le sociologue André Siegfried en 1913 (Tableau politique de la France de l'Ouest sous la Troisième République). Les caractéristiques physiques d'une région influenceraient le type d'habitat, donc les formes de propriété et le mode de vie. L'ensemble aurait un impact sur les rapports sociaux et les comportements électoraux. Il résume sa thèse en une phrase : "le granit vote à droite, le calcaire vote à gauche". En effet, les zones granitiques favorisent des habitats dispersés où la grande propriété foncière domine, et où les notables traditionnels et le clergé conservent une forte influence. Au contraire, la plaine calcaire favorise un habitat regroupé urbain, où l'influence de la religion recule et où l'on vote plus à gauche.
L'approche sociologique par les variables lourdes
Une première explication sociologique réside dans l'approche par les variables lourdes explicatives du vote.
Variables lourdes du comportement électoral
Les variables lourdes du comportement électoral sont les variables identifiées comme étant les plus prédictives du comportement électoral d'un individu.
La religion, l'appartenance sociale, le niveau de patrimoine ou encore le genre sont des éléments prédictifs du vote.
Cette approche par les variables lourdes est souvent reliée à l'analyse opérée par Paul Lazarsfeld, et plus généralement le courant de sociologie électorale de l'université de Columbia. Paul Lazarsfeld, dans The people's choice (1944) étudie l'évolution des opinions des individus au cours d'une campagne électorale, et montre que ces positions ne bougent pas. Dans leur grande majorité, les électeurs avaient déjà fait leur choix avant la campagne, et ce choix est souvent le même que celui de nombreux membres de leur entourage (famille et milieu social). Lazarsfeld montre qu'on peut prédire le vote d'un individu en connaissant quelques-unes de ses caractéristiques sociales (statut social, lieu de résidence, religion). Les électeurs protestants aisés qui vivent en milieu rural votent à 75 % pour le parti républicain, et les électeurs catholiques issus de milieux urbains défavorisés votent à 75 % pour le parti démocrate. Pour Lazarsfeld, "les gens pensent politiquement comme ils sont socialement". C'est un modèle déterministe, qui laisse peu de place aux choix individuels des électeurs. Lazarsfeld montre que ces effets sont renforcés par des effets de réseaux. Au sein d'un milieu social, les gens échangent des avis et s'influencent les uns les autres, ce qui concourt au maintien de préférences stables dans les milieux sociaux homogènes.
Dans la continuité de cette approche, on parle des variables lourdes explicatives du comportement électoral : il s'agit de l'ensemble des facteurs sociaux et culturels les plus explicatifs du vote. On relève en particulier la religion qui implique un système de valeurs influençant les choix et préférences politiques, ainsi que la classe sociale. La connaissance de ces variables et de leur poids permet de dresser des régularités statistiques, bien qu'il ne s'agisse pas de relations mécaniques et absolues. Les variables lourdes du vote en France sont :
- La religion : les catholiques pratiquants votent traditionnellement à droite.
- La classe sociale les ouvriers ont voté majoritairement à gauche jusqu'à la fin du XXe siècle.
- Le patrimoine et le statut professionnel : un patrimoine élevé est prédictif d'un vote à droite, tout comme le fait d'être indépendant.
- Le genre : les femmes ont longtemps été abstentionnistes et ont voté plus à droite que les hommes, mais ce n'est plus vrai. Cependant, elles semblent voter moins pour les partis situés aux extrêmes de l'échiquier politique que les hommes.
- L'âge et la génération : l'âge affecte le degré de participation électorale, et les jeunes votent souvent plus pour des formations politiques radicales que les personnes âgées. La génération peut aussi avoir un effet sur l'orientation idéologique, notamment parce que les différentes générations n'ont pas connu les mêmes événements politiques déterminants dans leur jeunesse, comme la génération étudiante en mai 1968.
Il existe différents types de comportements électoraux et de choix de l'électeur. On peut mesurer les choix que fait un votant entre différents partis, mais aussi le choix que fait un électeur potentiel d'aller voter ou non. Ce dernier phénomène est celui de la participation électorale, qui est le fait qu'un électeur potentiel va effectivement voter.
On mesure la participation électorale par le taux de participation :
\text{Taux de participation}=\dfrac{\text{Nombre de votants effectifs}}{\text{Nombre de personnes inscrites sur les listes électorales}}
Ce taux de participation électorale présente cependant une limite fondamentale : il ne comptabilise pas les électeurs potentiels qui ne sont pas inscrits sur les listes électorales de leur commune de résidence. Il sous-estime donc la proportion d'électeurs potentiels qui ne votent pas.
L'approche psychosociologique
Sans récuser les résultats que mettent en évidence les variables lourdes du comportement électoral, une seconde approche mène une explication différente en partant de variables psychologiques individuelles. Cette approche est nommée d'après l'université du Michigan aux États-Unis où elle s'est développée, notamment avec les travaux d'Angus Campbell. Cette approche, dite du "paradigme de Michigan", conteste la dimension déterministe des analyses de l'école de Columbia. Au contraire, elle met l'accent sur le choix de l'électeur, qui répond à une "identification partisane". Les électeurs ont un attachement affectif durable à certaines formations politiques qui est le déterminant principal de leur vote. Les électeurs acquièrent cet attachement au travers de la socialisation politique et le maintiennent dans le temps. Ils se préoccupent alors plus de voter pour un parti que pour des propositions concrètes ou des idées. L'acte de vote cesse d'être un acte aveugle et devient un "acte de foi" lorsque l'identification partisane est forte.
Les conclusions des modèles de Columbia et de Michigan convergent, malgré leurs divergences d'interprétations : le vote dépend de la socialisation et de variables lourdes qui situent l'individu dans la société. À ces modèles s'oppose un troisième mode de compréhension des comportements électoraux, le paradigme de l'électeur rationnel.
La volatilité du vote
Le modèle de l'électeur rationnel
L'acte électoral peut être envisagé comme une situation de choix sur le marché dans laquelle les électeurs sont des consommateurs. L'offre politique consiste en l'ensemble des choix politiques possibles au moment du vote. Elle est influencée par les modes de scrutins. Le succès de ces analyses vont de pair avec le développement d'un marketing politique, ensemble de stratégies de communication inspirées des entreprises privées et appliquées à l'univers politique.
Les candidats aux différentes élections ont de plus en plus souvent recours aux services de professionnels de la communication, issus de la sphère commerciale privée.
Dans cette approche, les électeurs cherchent à optimiser leurs choix par un calcul rationnel (de type coûts/avantages). L'électeur devient donc un stratège qui doit maximiser sa satisfaction en choisissant le candidat ou la proposition pour laquelle il vote. Un vote sur enjeu peut alors émerger.
Vote sur enjeu
Le vote sur enjeu désigne le choix électoral d'un électeur qui porte sur un enjeu précis soulevé dans la campagne présidentielle et sur lequel l'électeur se positionne. Il s'agit donc d'un choix réalisé dans un contexte particulier, en fonction de la position d'un candidat sur un certain nombre de questions et non de son étiquette politique. Cette théorie du vote s'oppose aux explications du vote par des variables lourdes déterminantes, selon lesquelles les électeurs auraient tendance à toujours voter de la même façon, indépendamment des enjeux du moment.
La mobilité électorale
Chronologiquement, il semble que l'émergence du modèle du vote sur enjeu corresponde à une évolution du comportement des électeurs. Ceux-ci sont de plus en plus mobiles, c'est-à-dire qu'ils ont de plus en plus tendance à ne pas systématiquement voter pour les mêmes partis. On mesure cette mobilité par un indice de volatilité électorale.
Indice de volatilité électorale
L'indice de volatilité électorale permet de saisir les modifications de comportements entre deux votes. Il mesure les variations nettes (absolues) du nombre d'électeurs pour l'ensemble des partis entre deux consultations :
\text{Indice de volatilité électorale}=\dfrac{\text{Somme des variations entre les résultats des partis entre deux élections}}{2}
L'indice de volatilité électorale varie entre 0 (volatilité nulle, personne n'a changé de comportement électoral) et 100 (changement extrême de clivage partisan entre les deux élections, tous les électeurs ayant voté pour un parti à la première élection ont voté pour l'autre à la deuxième et vice-versa).
Depuis les années 1960, on constate un effritement de la stabilité du comportement électoral, et notamment une diminution de l'aspect prédictif des variables lourdes explicatives du comportement électoral. Ce phénomène a été observé dans de nombreuses démocraties occidentales. On observe notamment un déclin du vote de classe au fil du temps.
Vote de classe
Le vote de classe est l'idée que les choix électoraux des individus seraient principalement déterminés par leur appartenance à une classe sociale et leur identité de classe (dimension objective et subjective).
L'indice d'Alford a été mis en place en 1963 par Robert Alford. C'est un indicateur rudimentaire du vote de classe qui ne retient que deux classes (les ouvriers et les non-ouvriers) et deux votes (gauche et droite). L'indice d'Alford se calcule en faisant la différence entre les ouvriers ayant voté à gauche et les non-ouvriers ayant voté à gauche, en partant du présupposé que les ouvriers, et eux seuls, ont intérêt à voter pour la gauche qui défend leurs intérêts.
Un indice proche de 100 % serait un vote de classe parfait (tous les électeurs ouvriers ont voté à gauche et les non-ouvriers n'ont pas voté à gauche). Lorsque l'indicateur vaut 0 c'est qu'il n'y a pas de vote de classe : la proportion d'ouvriers ayant voté à gauche est identique à celle des non-ouvriers ayant voté à gauche. L'indice d'Alford diminue au cours du temps, mais cela peut signifier que le vote de classe ouvrier s'est transformé, par exemple qu'il ne consiste plus à voter à gauche.
La part des électeurs stables reste importante, mais celle des électeurs volatiles semble augmenter depuis les années 1980. La volatilité électorale prend en outre la forme d'une alternance entre le vote et l'abstention (et pas seulement une alternance entre les partis pour qui un électeur vote), c'est l'"abstentionnisme intermittent".
Les transformations structurelles de la société (augmentation du niveau de diplôme, désindustrialisation et disparition de l'identité ouvrière, crise de représentation des partis politiques, etc.) peuvent expliquer le moindre impact des variables lourdes et l'accroissement de la volatilité.
Vers une démocratie de l'abstention ?
L'absence de participation électorale
Définitions
Participation électorale
La participation électorale est le comportement d'un électeur inscrit qui exerce son droit de vote.
Certains individus sont exclus du vote par le droit : la Constitution de 1958 prévoit que "sont électeurs, dans les conditions déterminées par la loi, tous les nationaux français majeurs des deux sexes, jouissant de leurs droits civils et politiques". Ainsi, ne peuvent voter :
- Les ressortissants étrangers (sauf ceux de l'Union européenne pour les scrutins municipaux et européens)
- Les individus de moins de 18 ans
- Les individus qui sont sous tutelle ou privés de leurs droits civils (c'est une sanction judiciaire)
Il faut ensuite distinguer deux cas parmi les non-votants :
- Ceux qui ne sont pas inscrits sur les listes électorales (notamment s'ils n'ont pas fait la démarche de se réinscrire suite à un déménagement), ou mal inscrits (problème d'adresse par exemple). Ils représentent environ 10 % des électeurs potentiels. On parle alors d'abstention passive.
- Ceux qui ne se déplacent pas pour voter. Ils représentent l'abstention électorale. On parle d'abstention active, c'est-à-dire résultant d'un acte motivé.
Abstention électorale
L'abstention électorale désigne le fait pour un électeur régulièrement inscrit sur les listes électorales de ne pas se rendre aux urnes lors d'un scrutin légalement organisé.
La mesure de la participation électorale
- Taux de participation électorale : rapport entre le nombre de suffrages exprimés (blancs et nuls compris) et le nombre d'inscrits. Il sous-estime les électeurs potentiels, il n'indique donc pas parfaitement le taux réel de participation.
- Taux d'inscription électorale : rapport entre le nombre d'inscrits sur les listes et les électeurs potentiels (93 % en 2012)
- Taux d'abstention électorale : rapport entre le nombre d'abstentionnistes et le nombre d'inscrits
- Taux de mobilisation électorale : rapport entre le nombre de suffrages exprimés et le nombre d'électeurs potentiels
On constate une augmentation du taux d'abstention en France depuis la fin du XXe siècle. En 2012, au premier tour des présidentielles, le taux d'abstention était de 20,5 %, et un record de plus de 36 % est atteint pour les municipales 2014 (au premier et second tour des élections).
Le profil sociologique des non-votants
Plusieurs éléments permettent de caractériser le profil des non-votants (abstention électorale et abstention passive) :
- Le niveau de diplôme : le taux d'inscription augmente avec le niveau de diplôme.
- La nationalité : les électeurs nés à l'étranger et disposant de la nationalité française sont moins inscrits que les Français nés en France.
- L'âge : le taux d'inscription augmente avec l'âge. Le taux d'abstention est plus élevé chez les jeunes (qui ont souvent une moindre implication politique) et les personnes âgées (qui se déplacent moins pour voter du fait d'une moindre mobilité).
- L'activité : plus l'emploi est stable, plus la participation est active. En revanche, plus l'individu est concerné par la précarité ou le chômage, plus il s'abstient.
- Le statut professionnel : l'abstention est moins élevée chez les salariés du secteur public.
- Le lieu de résidence : l'abstention est plus élevée dans les pôles urbains.
Enfin, il faut distinguer l'abstention systématique de l'abstention occasionnelle ou intermittente :
- L'abstention systématique désigne le comportement d'électeurs inscrits sur les listes qui ne se déplacent jamais pour voter. Cela concerne environ 10 à 12 % de l'abstention à chaque élection.
- L'abstention intermittente désigne le comportement d'électeurs qui participent à certaines élections et pas à d'autres. Il s'agit de la majorité de l'abstention constatée aux diverses élections. Seuls 56 % des Français reconnaissent ne s'être jamais ou presque jamais abstenus.
Les explications
Des explications structurelles
Une première explication structurelle de l'absence de participation électorale insiste sur les variables sociales pour expliquer l'abstentionnisme. En effet, l'abstention est souvent le fait d'individus socialement fragilisés et faiblement diplômés. Le défaut d'intégration sociale est ainsi une variable clé.
Le taux de participation est plus faible chez les précaires, les chômeurs et les jeunes peu ou pas qualifiés. Cela s'explique notamment par les compétences politiques et le degré d'intérêt pour la politique, fortement corrélés à la position sociale et au niveau de diplôme.
Anne Muxel distingue deux types d'abstentionnistes :
- Les abstentionnistes "hors du jeu" politique : en retrait, soit par un défaut d'intégration sociale, soit par un manque d'intérêt et une faible politisation. Ce sont notamment des femmes, en milieu urbain et populaire, faiblement instruites.
- Les abstentionnistes "dans le jeu" politique : plus stratégiques, ce sont des personnes bien intégrées et politisées, qui s'abstiennent (souvent par intermittence) lorsqu'elles considèrent qu'elles ne peuvent pas se reconnaître dans l'offre politique. Leur abstention est ainsi un signe de protestation contre la structure du champ politique qu'ils ne jugent pas satisfaisante.
Un individu qui s'engage dans plusieurs organisations et qui se sent membre d'un ou plusieurs groupes sociaux a plus de chances de se déplacer pour voter qu'un individu qui se sent en marge de la société.
L'abstentionnisme est moins fort dans les zones rurales, probablement grâce à la proximité d'élus et d'un contrôle social plus serré dans de petites communautés où les gens se connaissent plus qu'en ville.
Des explications conjoncturelles
Seul un tiers des électeurs vote à toutes les élections. L'abstention intermittente touche tous les groupes sociaux et peut avoir des facteurs explicatifs conjoncturels, c'est-à-dire qui dépendent du contexte particulier de chaque élection. Ces facteurs peuvent être :
- La fréquence des élections : les élections législatives suivent les présidentielles, et sont bien moins médiatisées que ces dernières. Cela tend à limiter la mobilisation pour les législatives.
- L'enjeu du scrutin : la participation diffère entre les élections présidentielles, européennes et municipales, selon que les individus perçoivent un intérêt réel pour eux au fait d'aller voter.
- La prédictibilité du résultat de l'élection : les individus se mobilisent moins lorsque le résultat de l'élection leur semble déjà acquis et qu'ils pensent que leur vote n'y changera rien.
- Des variables externes : la temporalité de l'élection, notamment, peut avoir une influence sur la participation électorale. Les élections tenues en périodes de vacances scolaires ou lorsque le temps est beau connaissent une participation électorale souvent moindre.
Comment les médias influencent-ils la vie politique ?
L'importance des médias dans le jeu politique
L'influence des médias
Les médias désignent l'ensemble des moyens de diffusion de l'information. En tant que sources principales d'accès à l'information, ils participent à la formation des représentations politiques. Du fait d'une forte audience auprès des électeurs potentiels, ils sont au cœur des campagnes électorales, et les hommes et femmes politiques tâchent de s'en servir comme d'une ressource au service de la diffusion de leurs idées.
Les médias ne font cependant pas que diffuser un ensemble neutre d'informations. Nécessairement, ils imposent et sélectionnent certaines informations et questions au détriment des autres, aussi bien dans leur fonctionnement quotidien que lors des campagnes électorales. Certains thèmes sont mis en avant et font l'objet de débats, occultant ainsi d'autres phénomènes. Or, les électeurs s'informent massivement par les médias, les faits qui ne sont pas sélectionnés ne sont souvent donc pas accessibles.
En sélectionnant certains sujets, les médias poussent les acteurs politiques à orienter en retour leur communication sur ces sujets. La sélection des thèmes traités est un élément important, mais la façon dont l'information est traitée l'est aussi. Dès les années 1920, plusieurs chercheurs ont mis en évidence le fait que les médias permettaient un conditionnement des attitudes et opinions politiques, notamment en limitant l'univers des positionnements possibles en n'en montrant qu'une partie. De la sorte, les médias participent à la socialisation politique des individus.
On peut enfin observer que les médias tendent à personnifier les problèmes politiques, et renforcent souvent la mise en scène de l'image des candidats en tant que personnes au détriment de l'analyse de leurs idées.
Une influence relative
Dès les années 1940 - 1950, Paul Lazarsfeld souligne qu'il faut relativiser la crainte d'une influence trop forte, voire d'une manipulation de l'opinion de la part des médias. Selon lui, les médias ont plutôt un effet limité. Lazarsfeld explique en effet que les récepteurs du message sélectionnent l'information diffusée. Les individus auraient ainsi tendance d'une part à ne sélectionner que les informations et opinions qui les confortent dans leurs idées et, d'autre part à s'orienter vers des médias qui correspondent à leurs préférences idéologiques. Cette capacité de filtrage dépend notamment de la socialisation politique et de la quantité de capital social et culturel dont disposent les individus. Plus qu'ils ne modifient les préférences des électeurs, les médias renforcent donc les préférences des électeurs politisés.
Des effets indirects
À partir des années 1970, les politologues mettent en avant les effets indirects des médias. Ils notent trois effets :
- L'effet d'agenda : la sélection des informations par les médias permet de focaliser les enjeux sur certains points. En ce sens, ils indiquent aux électeurs les questions auxquelles ceux-ci peuvent penser, mais non les opinions qu'ils doivent avoir sur ces questions.
- L'effet de cadrage : la façon dont les sujets sont traités dans les médias joue un rôle sur la façon dont le public va percevoir le sujet, ainsi que sur les solutions qui paraîtront adéquates au problème soulevé.
- L'effet d'amorçage : la visibilité d'un sujet ou d'une proposition dans les médias le rend important en tant que critère d'évaluation des candidats. Les électeurs jugent les candidats à travers leurs position sur les sujets valorisés par les médias.
En 2002, la prépondérance du thème de la sécurité dans les médias en a fait un thème central des campagnes. C'est un effet d'agenda qui est devenu un effet d'amorçage lorsque la prépondérance de ce thème a bénéficié aux candidats qui l'avaient mis au cœur de leur programme électoral.
La présentation du chômage par les médias tend à orienter vers des explications individuelles (par exemple le manque de volonté de la part des chômeurs) et non collectives (par exemple l'inadéquation structurelle entre l'offre et la demande d'emploi au niveau national). C'est un effet de cadrage.
Les sondages d'opinions
L'omniprésence des sondages
Les sondages ont un cadre légal depuis 1977 en France, date de création de la Commission des sondages, laquelle définit ces derniers comme étant une "opération visant à donner une indication quantitative de l'opinion d'une population au moyen d'un échantillon représentatif de la population".
Les sondages sont omniprésents aujourd'hui lors des campagnes électorales et en dehors. Les sondages permanents sur la satisfaction des électeurs envers diverses personnalités politiques contribuent à politiser l'ensemble des enjeux du débat public et à produire une situation de compétition électorale permanente. On accorde aux sondages un rôle prédictif, c'est-à-dire qu'ils devraient permettre de prévoir les résultats des élections. Cependant, ils sont eux-mêmes de nature à orienter les votes. Par exemple, un scrutin que l'on pense "joué d'avance" favorisera l'abstention électorale, ce qui peut avoir une influence sur son résultat.
Légitimité et intérêt démocratique
La multiplication des sondages pose la question de leur légitimité et de la véracité de leurs affirmations.
En premier lieu, la fiabilité des sondages peut être remise en cause. En effet, la formulation des questions peut influencer les réponses, ces réponses ne reflètent pas forcément l'opinion de ceux qui les donnent et requièrent un traitement spécifique des données, etc. Les sondages sont un reflet immédiat de l'opinion des citoyens, et les résultats obtenus peuvent donc différer énormément dans le temps, par exemple selon les sujets d'actualité. Or, le choix des électeurs pour une élection peut se faire sur un temps long et correspond à une décision mûrie, pas nécessairement à un état d'esprit à un instant précis.
Par exemple, après les attentats de Paris de novembre 2015, les sondages montraient une hausse de la cote de popularité de François Hollande, les Français estimant que le chef d'État avait bien réagi. Toutefois, un mois plus tard, cette cote avait de nouveau chuté. Les chiffres des sondages sont donc manipulables puisqu'ils dépendent de l'actualité et du ressenti des personnes interrogées à un moment donné.
De plus, on peut considérer que les sondages sont un outil d'information supplémentaire, ce qui permet un meilleur fonctionnement démocratique. Cependant, ils influencent le fonctionnement de la sphère politique, et ne sont pas qu'un moyen d'information sans influence sur ce qu'il permet d'observer. Être bien positionné dans les sondages devient un enjeu primordial pour les personnalités politiques, puisque c'est notamment en fonction de cette position qu'ils seront consultés et auront accès à une visibilité médiatique. Les personnalités politiques acceptent donc les règles du jeu imposées par les sondages, et notamment les thèmes que les faiseurs de sondage choisissent de mettre en avant.
Une critique sociologique plus radicale a été formulée à l'égard des enquêtes d'opinion. Celles-ci ne refléteraient pas une opinion publique moyenne préexistante, mais ils créent de toutes pièces une opinion qu'ils désignent comme opinion publique. Pierre Bourdieu a publié un article intitulé "L'opinion publique n'existe pas" dans lequel il détaille ces arguments.
- Premièrement, les sondages éliminent les non-réponses. Or, celles-ci ne sont pas le fait de n'importe qui, mais par exemple notamment des populations les plus défavorisées, avec un faible niveau d'éducation, qui ne s'estiment pas compétents pour répondre. Dire que les sondages reflètent l'opinion publique, c'est donc considérer que ceux qui refusent de répondre aux instituts de sondage ne comptent pas comme membres de la société.
- Ensuite, pour Bourdieu, toutes les opinions ne sont pas à placer sur le même plan. En fonction de leur position sociale notamment, les individus ne perçoivent pas les questions de la même façon, et donc formulent des réponses qui ne peuvent être mises sur le même plan. Par exemple, si une question politique dans un sondage porte sur la "gauche" en France, des militants d'extrême droite, du Parti socialiste ou du Parti de gauche n'auront pas la même définition de la gauche et des partis qui appartiennent à cette catégorie.
- Enfin, les questions posées par les instituts de sondage sont souvent des questions que les agents ne s'étaient pas posées eux-mêmes avant d'y répondre. L'opinion publique est donc inventée par le sondage, elle ne lui préexiste pas.