La parole comme expression de la pensée en l'homme
René Descartes
René Descartes
Discours de la méthode
1637
René Descartes
« Lettre au marquis de Newcastle du 23 novembre 1646 »
1646
Pour Descartes, le langage est le seul signe certain de la présence d'une pensée et d'une raison dans un corps. Comparant les hommes et les animaux, il montre ainsi que malgré le fait que ces derniers possèdent les organes nécessaires à la parole (puisqu'ils émettent des sons articulés), ils sont incapables de constituer un langage qui exprimerait des pensées. À l'inverse, dit Descartes, tous les hommes, « même le plus stupide », utilisent le langage comme instrument d'expression, parce qu'ils pensent. C'est ce que prouve le fait que le muet, bien que privé de l'organe de la parole, utilise néanmoins un système de signes pour exprimer ses pensées. En tant qu'être humain, c'est un être pensant. Le langage est une faculté qui ne dépend pas du corps, mais de l'esprit : on ne la retrouve que chez l'homme.
Dans sa « Lettre au Marquis de Newcastle », Descartes prend l'exemple du perroquet pour illustrer le fait que l'absence de langage chez les animaux ne tient pas à un manque corporel. En effet, il est possible d'apprendre au perroquet à répéter des paroles humaines, notamment à l'aide d'un système de récompenses. Toutefois, le perroquet n'est jamais capable d'exprimer des pensées : il ne fait que réaliser une action d'imitation des sons, ayant pour but d'être récompensée.
Le langage pour exprimer la pensée
Thomas Hobbes
Thomas Hobbes
Léviathan
1651
Hobbes pense que le langage joue un rôle dans l'expression de la pensée. En effet, il estime que la fonction première des mots est de servir de marques aux pensées humaines. En mettant des mots sur ses idées, l'homme peut s'en souvenir, les fixer, et surtout les réutiliser. Être capable de dire sa pensée, de nommer sa pensée, c'est aussi être capable de revenir dessus et de l'enrichir.
Les mots permettent donc de développer des raisonnements. Le langage permet aussi de transmettre ces raisonnements. Ainsi, au lieu de tomber dans l'oubli, la pensée est transmise. Les mots donnent une forme fixe aux idées et permettent d'échanger avec les autres hommes. Le langage « matérialise » la pensée.
« L'usage général de la parole est de transformer notre discours mental en un discours verbal, ou l'enchaînement de nos pensées en un enchaînement de mots, et ceci pour deux utilisations : l'une est l'enregistrement des consécutions de nos pensées qui, étant susceptibles de s'échapper de notre mémoire, et de nous faire faire un nouveau travail, peuvent être de nouveau rappelées à l'aide de mots par lesquels elles furent désignées. »
Thomas Hobbes
Léviathan
1651
Le langage comme structure
Ferdinand de Saussure
Ferdinand de Saussure
Cours de linguistique générale
1916
Selon le linguiste Ferdinand de Saussure, le langage doit être compris comme une structure. Autrement dit, pour comprendre comment celui-ci fonctionne, il faut tenter de mettre en évidence les relations qu'entretiennent les différents éléments du langage entre eux. C'est de cette étude du langage compris comme système qu'il a tiré trois principes généraux de son fonctionnement :
- Premièrement, les signes linguistiques sont constitués par l'association d'un signifié (un contenu de pensée) et un signifiant (une suite de sons).
- Deuxièmement, cette association entre un signifiant et un signifié est conventionnelle et arbitraire. Le mot n'entretient donc pas de lien de ressemblance avec la chose qu'il désigne.
- Troisièmement, le langage comme ensemble est une structure, c'est-à-dire un système de signes, et ces signes n'ont pas de valeur indépendamment les uns des autres mais par leurs relations d'opposition et d'association.
L'adéquation du langage et de la réalité
Émile Benveniste
Émile Benveniste
Problèmes de linguistique générale
1966
Dans son travail sur le langage, Benveniste a souligné que, dans l'expérience du sujet qui parle, il y a adéquation complète entre le mot et la chose qu'il exprime. Autrement dit, pour le sujet qui utilise le langage, le mot ne constitue pas un signe arbitrairement choisi pour signifier une chose. Au contraire, le mot correspond à la réalité elle-même. En montrant cela, Benveniste a donc souligné le fait que les mots n'ont de sens qu'en tant qu'ils sont intrinsèquement liés à des pensées. C'est parce qu'un sujet investit les mots de sens qu'ils peuvent être compris. Il y a donc un lien essentiel entre la pensée et le langage. À cet égard, Benveniste souligne que le langage est non seulement la condition de transmissibilité d'une idée, mais surtout la condition de réalisation de la pensée. Sans langage, il n'y aurait donc pas de pensée possible. En ce sens, le langage ne fait pas qu'exprimer la pensée : il est constitutif de l'élaboration de toute forme de pensée.
« Pour le sujet parlant, il y a entre la langue et la réalité adéquation complète : le signe recouvre et commande la réalité, mieux, il est cette réalité. »
Émile Benveniste
Problèmes de linguistique générale
© Gallimard, collection Bibliothèque des Sciences humaines, 1966
Les actes de langage
John Langshaw Austin
John Langshaw Austin
Quand dire, c'est faire
1962
John Austin s'est intéressé à la capacité du langage d'avoir des effets directs sur le monde extérieur. Il a ainsi mis en évidence que le langage possède une force qui permet au locuteur d'agir. On appelle ces énoncés des actes de langage. Précisant cette idée, Austin a montré que certains énoncés, au lieu de rapporter un événement, sont en eux-mêmes des événements. Ce type d'énoncés s'appelle « performatifs », et s'oppose aux énoncés « constatifs », lesquels se contentent de décrire un certain état du monde.
Contrairement aux énoncés constatifs, les énoncés performatifs ne sont ni vrais ni faux. En revanche, ils peuvent être malheureux, c'est-à-dire ne pas parvenir à réaliser leur action. Un performatif peut être inefficace :
- Si la situation n'est pas adaptée : le « oui » du mariage ne fait advenir quelque chose que s'il est prononcé au cours de la cérémonie du mariage. Il a alors valeur de serment et rend effective l'union.
- S'il n'est pas prononcé par une personne habilitée à le faire : il sera sans effet si la personne qui le prononce n'est pas reconnue comme étant celle en charge de le faire.
- S'il n'est pas prononcé avec sincérité : une promesse qui n'est pas sincère aura une valeur d'engagement pour la société mais sera sans effet sur la personne qui la prononce.
Le langage platonicien contre la rhétorique sophistique
Platon
Platon
Le Sophiste
388 av. J.-C.-387 av. J.-C.
C'est dans Le Sophiste que Platon élabore une théorie philosophique du langage. Il entend montrer en quoi sa pensée est originale, mais aussi dénoncer l'utilisation que les sophistes font du langage. Les sophistes sont des intellectuels qui arrivent à Athènes à l'époque de Platon et font payer très cher les cours qu'ils donnent. Ce but mercantile déplaît à Platon, qui estime que la sagesse ne doit pas être vendue. Par ailleurs, il déplore la pensée sophiste, qui pousse à utiliser le langage pour son propre intérêt, notamment pour faire une brillante carrière politique. Ils enseignent l'art de manipuler, ce qui paraît contraire à la morale philosophique pour Platon.
Les sophistes voient le langage comme un moyen pour élaborer des raisonnements construits. Ils choisissent un thème et défendent une idée, puis son contraire. Le but est donc moins de construire une pensée que de maîtriser l'art du discours et de la persuasion. Pour Platon, il s'agit donc d'une mauvaise utilisation du langage, puisqu'elle n'est pas tournée vers la sagesse. Le discours n'a pas pour vocation d'être simplement efficace. Pour Platon, le discours doit tendre à la vérité.
De plus, Socrate remet en cause l'idée sophistique selon laquelle l'homme peut parler de toutes choses même sans en avoir une connaissance approfondie. Platon pense au contraire qu'il faut parler de ce que l'on maîtrise. Pour lui, le langage ne doit jamais être vain. Ainsi, c'est une remise en cause de la rhétorique, de l'art de convaincre que propose Platon. Pour ces différentes raisons, Platon s'oppose à l'enseignement sophistique.
« Mais parlons des réfutations sophistiques, c'est-à-dire des réfutations qui paraissent en être de véritables, mais qui n'en sont pas réellement, sans être pour autant de simples erreurs. Le sophisme est délibéré et vise à égarer l'auditeur. »
Platon
Le Sophiste
IVe siècle av. J.-C.
Les jeux de langage
Ludwig Wittgenstein
Ludwig Wittgenstein
Investigations philosophiques
1953
Wittgenstein pense d'abord qu'il y a une logique cachée dans le langage, qui représenterait le monde. Mais il abandonne bientôt cette idée en se confrontant à la diversité des emplois du langage. Il nomme ces différents emplois possibles des « jeux de langage ». Il finit par penser que la logique du langage est non pas cachée, mais visible dans le langage ordinaire. C'est dans ce langage que l'on peut trouver le langage sensé, celui du « monde de la vie » humain. Le rôle de la philosophie prend alors un nouveau sens. Il s'agit non plus de trouver le sens caché et énigmatique du langage, mais de traquer les non-sens des philosophes qui ont recouvert le sens primitif du langage.
Dans Investigations philosophiques, Wittgenstein développe l'idée de « jeux de langage ». Ce concept lui permet d'élaborer l'idée d'un langage sensé qui se trouve dans le langage ordinaire. Le langage est un jeu, il permet divers usages :
- donner un ordre ;
- exprimer un sentiment ;
- décrire un objet ;
- décrire un événement ;
- rapporter un souvenir.
La signification d'un mot dépend de son usage dans le langage. Le langage est donc vivant, il existe dans la société des hommes, il sert d'abord à échanger.
Mais le langage, pour Wittgenstein, ne peut pas dire l'intime. Certaines émotions restent donc en dehors du jeu de langage.
En effet, un homme qui dit « j'ai mal » exprime sa souffrance, mais personne ne peut comprendre cette souffrance ou vivre cette souffrance. Le cri traduit mieux la douleur que l'expression « j'ai mal ».