Le rôle de la monnaie
Aristote
Aristote
La Politique
IVe siècle av. J.-C.
Aristote
Éthique à Nicomaque
IVe siècle av. J.-C.
Aristote s'intéresse au rôle que joue la monnaie dans les échanges. En effet, montrant les limites du troc, il souligne que le rôle de la monnaie est de mesurer les rapports de valeur entre des biens à échanger, afin de rendre des biens de natures différentes commensurables entre eux. La monnaie est donc un moyen terme entre des choses à échanger : elle permet de mesurer chaque bien et ainsi de déterminer les termes de l'échange. La monnaie permet donc de rendre l'échange égal.
Pour Aristote, le rôle que doit jouer l'argent dans une société est donc clair : c'est un moyen en vue d'une fin, à savoir se procurer les biens et services nécessaires à la vie. Aristote souligne ainsi que l'argent ne doit pas être recherché et accumulé comme s'il constituait une fin en soi : il doit rester le moyen de se procurer des biens, sous peine d'être détourné de sa fonction. En effet, cette dénaturation de l'argent, qui consiste à l'accumuler comme un bien désirable pour lui-même, fait de ce qui au départ n'est qu'un intermédiaire une fin en soi. S'esquisse donc une critique de la recherche du profit.
Par exemple, la monnaie nous dira à combien de chaussures équivalent une maison ou bien telle quantité de nourriture.
La monnaie, dès lors, jouant le rôle de mesure, rend les choses commensurables entre elles et les amène ainsi à l'égalité : car il ne saurait y avoir de communauté d'intérêts sans échange, ni échange sans égalité, ni enfin égalité sans commensurabilité.
Aristote
Éthique à Nicomaque, trad. Jules Tricot, Paris, éd. Vrin, coll. "Bibliothèque des Textes philosophiques" (1990) (1re éd. 1959)
IVe siècle av. J.-C.
Aristote souligne d'une part que la monnaie, permettant de comparer entre eux des biens de nature et de valeur différentes, rend l'échange égal. Mais il souligne aussi que l'échange lui-même est l'un des piliers d'une communauté : car les hommes s'assemblent aussi en vue d'assurer leur survie en mettant en commun les résultats de leur travail.
L'échange-don
Marcel Mauss
Marcel Mauss
Essai sur le don. Forme et raison de l'échange dans les sociétés archaïques
1923 - 1924
Pour l'anthropologue Marcel Mauss, l'échange dans les sociétés "primitives" a des implications sur l'ensemble du fonctionnement de la société. Pour cette raison, il les appelle des "faits sociaux totaux". Les échanges impliquent différentes institutions, aussi bien religieuses, politiques que morales. Il estime que l'échange permet d'étudier la façon dont des groupes sociaux fonctionnent entre eux. L'échange en effet est une matérialisation des relations sociales. Pour Mauss, l'économique traduit donc le social.
Mauss étudie particulièrement le don, forme archaïque, primitive de l'échange. Il remarque que cet échange-don n'existe pas dans les économies utilitaristes, où seule compte la notion d'intérêt personnel. Pourtant, c'est un principe positif. La morale du don est universelle. Dans toutes les sociétés le don existe, sous différentes formes : la charité, les étrennes. Il existe dans les sociétés actuelles sous la forme d'assurances sociales. Mauss insiste pour que l'échange-don ne soit pas oublié, et soit mieux valorisé dans les sociétés marchandes.
La genèse des échanges
Platon
Platon
La République
IVe siècle av. J.-C.
Platon avance que l'Homme ne peut pas vivre en autarcie, ce qui signifie qu'il ne se suffit pas à lui-même : il a besoin des autres hommes pour vivre. C'est la répartition des tâches et la division du travail qui est à l'origine de toute communauté. Chaque homme a un métier qui lui est attribué en fonction de ses compétences. Exerçant une fonction particulière, les hommes ne peuvent pas tout faire. Ainsi, un agriculteur n'aura pas le temps de se faire des chaussures. Il a donc besoin d'un cordonnier pour se chausser. De la même façon, le cordonnier a besoin de l'agriculteur pour se nourrir. Ainsi, c'est en échangeant qu'ils peuvent vivre : l'un donne des fruits et légumes à l'autre, l'autre donne des chaussures. Les échanges marchands constituent l'origine de la société, car aucune communauté ne peut se fonder autrement que sur l'échange.
Fondement économique du lien social
Adam Smith
Adam Smith
Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations
1776
Pour Adam Smith, l'échange économique est au fondement de la société car il permet de lier l'intérêt de chaque individu particulier à celui des autres membres de la société. En effet, si les hommes échangent pour subvenir à leurs besoins, la condition pour que l'échange ait lieu est néanmoins que chaque individu ait besoin de ce qui est produit par un autre. Chaque individu doit donc se dire la chose suivante : si je veux pouvoir échanger, il faut que je produise assez de biens à échanger. Car plus j'aurai de choses à échanger, plus je pourrai ensuite me procurer de biens. Pour Smith, c'est donc bien l'intérêt égoïste qui motive l'échange. C'est pourquoi ma propre survie dépend du soin que les autres apportent à la poursuite de leurs intérêts : si le boulanger veille à la qualité de son pain, ce n'est pas premièrement pour satisfaire ses clients, mais pour s'assurer de pouvoir vendre son pain. C'est donc d'abord pour son propre intérêt. Selon Smith, cette recherche égoïste de l'intérêt, qui se concrétise dans l'échange, tisse un réseau de liens entre les individus, qui deviennent ainsi interdépendants.
Cette recherche égoïste de l'intérêt est ce qui, pour Smith, permet le plus sûrement d'amener les individus à œuvrer pour le bien de la communauté. C'est ce qu'il nomme "la main invisible" : il est bien plus probable qu'un individu, ne cherchant que son succès, aide la société dans son ensemble, que s'il se donnait consciemment comme but l'intérêt commun. Dans la sphère des échanges économiques, l'État n'a pas à intervenir : la liberté et l'autonomie des individus, poursuivant leur intérêt égoïste, suffisent à assurer le bien commun.
Tout en ne cherchant que son intérêt personnel, [l'individu] travaille souvent d'une manière bien plus efficace pour l'intérêt de la société, que s'il avait réellement pour but d'y travailler.
Adam Smith
Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations
1776
La prohibition de l'inceste
Claude Lévi-Strauss
Claude Lévi-Strauss
Les Structures élémentaires de la parenté
1949
Dans son étude des sociétés dites primitives, Claude Lévi-Strauss a mis en évidence le rôle déterminant de l'échange des femmes dans les structures sociales. Recherchant ce qui pourrait être commun à toutes les formes de sociétés connues, Lévi-Strauss montre en effet le caractère universel de la prohibition de l'inceste, c'est-à-dire la répression sociale des pratiques sexuelles entre individus de même parenté. La société naîtrait donc de la mise au point de cette règle. S'interrogeant alors sur le rôle de cette règle dans la vie en communauté, il propose de dire que l'interdiction de l'inceste, obligeant les groupes à l'exogamie, permet d'une part une pacification des relations entre les membres d'un groupe (supprimant les rivalités pour les femmes), et d'autre part la création d'alliances entre les diverses communautés. La prohibition de l'inceste marquerait ainsi le passage de la nature à la culture, dans la mesure où cette règle ne constitue pas un phénomène naturel. Elle est en fait le premier interdit, le premier phénomène culturel, et le premier fondement du lien social. Le principe de prohibition de l'inceste est donc générateur de lien social, par l'échange des femmes, c'est-à-dire l'exogamie. En ce sens on peut dire que les échanges sont à l'origine de la société et permettent de la maintenir.
La prohibition de l'inceste n'est, ni purement d'origine culturelle, ni purement d'origine naturelle […]. Elle constitue la démarche fondamentale grâce à laquelle, par laquelle, mais surtout en laquelle, s'accomplit le passage de la nature à la culture. En un sens, elle appartient à la nature, car elle est une condition générale de la culture.
Claude Lévi-Strauss
Les Structures élémentaires de la parenté, s.l., éd. De Gruyter Mouton (2002)
1949
Si la règle de la prohibition de l'inceste n'est ni tout à fait naturelle, ni tout à fait culturelle, c'est qu'elle constitue précisément le point de passage, dans les communautés humaines, de la nature à la culture. En ce sens, elle est universelle.
Le fétichisme de la marchandise
Karl Marx
Karl Marx
Le Capital
1867
Dans Le Capital, Marx part de la distinction d'Aristote entre la valeur d'usage et la valeur d'échange, selon laquelle une marchandise s'évalue d'une part en fonction de son utilité pratique, et d'autre part en fonction des biens qu'elle permet d'acquérir dans l'échange. Il précise alors la nature de la valeur d'échange : elle correspond à la quantité de travail humain nécessaire pour produire un bien, ainsi qu'au contexte historique dans lequel cet objet est produit, car le temps moyen pris pour produire un objet dépend des technologies disponibles à une époque donnée. Mais le développement du mode de production capitaliste tend à objectiver la valeur d'échange, en la déconnectant du travail nécessaire à la production d'un objet. Marx montre ainsi que dans ce mode de production, les objets échangés s'offrent au consommateur comme s'ils possédaient une valeur objective. Or, ce prix supposé objectif d'une marchandise efface le fait que sa valeur tient aussi au travail humain fourni pour la produire. Le fétichisme de la marchandise consiste donc à évaluer les objets produits les uns par rapport aux autres, en effaçant complètement le lien que ces objets entretiennent avec le travail que des hommes ont fourni pour les produire. La production de marchandises se fait en vue du marché de l'échange, et donc, ultimement, en vue du profit qui pourra être réalisé par la vente d'une marchandise. Le prix se trouve ainsi entièrement déconnecté de la quantité et de la qualité du travail fourni pour le réaliser : il est fixé en fonction des règles du marché.
Les deux fonctions de l'argent
Georg Simmel
Georg Simmel
La Philosophie de l'argent
1900
Georg Simmel montre que les deux principales fonctions de l'argent sont d'être transportable et divisible. En effet, l'argent peut :
- Donner une idée de la juste valeur d'échange d'une chose
- Rendre les marchandises commensurables
L'argent permet l'"objectivisation" de l'échange. Tout produit a un prix. Cela permet de favoriser les échanges entre les hommes, et de relativiser la valeur des objets.