La perfectibilité
Jean-Jacques Rousseau
Jean-Jacques Rousseau
Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes
1755
Dans son Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes, Rousseau montre que l'homme, contrairement aux animaux, ne possède pas d'instinct naturel inné. Néanmoins, l'homme n'est pas dépourvu de toute qualité puisqu'il possède la capacité de faire usage de sa raison et de développer des techniques. De ce point de vue, l'homme n'a pas de nature déterminée, mais peut se développer d'une infinité de manières différentes. Cette capacité de se développer indéfiniment est appelée perfectibilité par Rousseau. C'est elle qui fait que l'homme est susceptible de progrès et d'innovation, alors que l'animal, déterminé par l'instinct, ne peut que reproduire ce qui est propre à sa nature.
L'absence d'instinct chez l'homme est donc comblée par la perfectibilité, qui est d'abord comprise comme faculté d'appropriation des instincts des autres animaux. Pour Rousseau, c'est par le biais de cette faculté qu'émergent le langage, l'agriculture, puis la technique, la science, et les arts. Ainsi, même si l'homme n'a pas de nature définie, il possède néanmoins la faculté de se perfectionner.
C'est la faculté de se perfectionner, faculté qui, à l'aide des circonstances, développe successivement toutes les autres, et réside parmi nous tant dans l'espèce que dans l'individu ; au lieu qu'un animal est au bout de quelques mois ce qu'il sera toute sa vie, et son espèce au bout de mille ans ce qu'elle était la première année de ces mille ans.
Jean-Jacques Rousseau
Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes, Paris, éd. GF Flammarion (2016)
1755
Le mythe de Prométhée
Platon
Platon
Protagoras
Ve siècle av. J.-C.
Platon, dans Protagoras, rapporte un mythe qui décrit comment les hommes sont devenus des êtres de culture, contrairement aux animaux. En effet, ce mythe décrit la façon dont les dieux, au moment de la création des races mortelles, confient à deux frères la tâche de répartir les qualités entre les espèces. L'un des frères, Épiméthée, distribue ainsi diverses qualités entre les animaux : la force, la rapidité, la possession de griffes, d'ailes, etc. Mais, au cours de ce partage, il oublie l'homme, qui reste le singe nu, c'est-à-dire un être sans qualités. L'espèce humaine ne possède donc pas l'équipement naturel nécessaire à assurer sa propre survie. C'est afin de réparer cette erreur que son frère, Prométhée, intervient : comme toutes les qualités ont été distribuées, il dérobe aux dieux le feu qui est le symbole de l'intelligence technicienne. L'espèce humaine obtient alors les moyens d'assurer sa survie, au même titre que les autres animaux. Toutefois, dans la mesure où l'intelligence qu'elle obtient provient directement des dieux, elle obtient en même quelque chose de plus que les animaux : la technique est synonyme d'invention, et c'est par elle que vont apparaître la religion, le langage, ou bien encore l'agriculture.
Ce mythe permet à Platon de montrer que la culture est avant tout une réponse à un défaut de l'homme. En effet, l'homme est une espèce démunie face aux autres animaux puisqu'il ne possède pas d'instinct : l'espèce humaine n'a donc pas les moyens de survivre. L'homme reçoit donc une part du divin pour combler ce manque : c'est son intelligence technique qui, en le rapprochant des dieux, le sépare radicalement des animaux.
Habitus et capital culturel
Pierre Bourdieu
Pierre Bourdieu
La Distinction. Critique sociale du jugement
1979
Le sociologue Pierre Bourdieu s'est particulièrement intéressé à la notion de culture, entendue comme culture savante ou culture légitime. C'est au cours de ce travail sur la fabrication sociale des normes du bon goût qu'il a forgé les concepts d'habitus et de capital culturel. Ce que met en évidence Bourdieu, c'est que cette distinction entre culture savante et culture populaire suppose qu'il existe une forme de culture « légitime » : la culture légitimée par des institutions. En ce sens, la culture et les styles de vie fonctionnent comme des moyens de produire des différences et des hiérarchies sociales. Ainsi, la classe dominante est celle qui possède un capital culturel, c'est-à-dire celle qui maîtrise parfaitement les codes et les références propres à la culture dite savante. C'est par la possession de ce capital, qui n'est pas partagé par tous les membres de la société, que la classe dominante culturellement se distingue comme étant supérieure.
Néanmoins, Bourdieu souligne qu'il ne s'agit pas d'une recherche explicite de distinction : les jugements esthétiques, relatifs au beau et au laid, sont le résultat de l'habitus, c'est-à-dire des manières de penser et d'agir qui sont intériorisées par l'individu par le biais de son éducation et de son milieu familial. L'habitus va donc être ce qui guide les choix des individus de façon inconsciente.
Il s'agit bien pour Bourdieu de montrer que les inégalités culturelles jouent un rôle au moins aussi important que les inégalités socio-économiques, sans toujours les recouvrir.
La prohibition de l'inceste
Claude Lévi-Strauss
Claude Lévi-Strauss
Les Structures élémentaires de la parenté
1949
Dans Les Structures élémentaires de la parenté, Claude Lévi-Strauss développe ses idées sur l'interdit de l'inceste. Il affirme que cet interdit a permis de construire la société. En effet, l'individu étant forcé de trouver un partenaire dans un cercle autre que celui de la famille, il s'est lié à d'autres groupes sociaux. Ce phénomène s'appelle l'exogamie.
Lévi-Strauss pense que l'interdit de l'inceste relève à la fois de la culture et de la nature.
La prohibition de l'inceste n'est ni purement d'origine culturelle, ni purement d'origine naturelle ; et elle n'est pas, non plus, un dosage d'éléments composites empruntés partiellement à la nature et partiellement à la culture. Elle constitue la démarche fondamentale grâce à laquelle, par laquelle, mais surtout en laquelle, s'accomplit le passage de la nature à la culture. En un sens, elle appartient à la nature, car elle est une condition générale de la culture, et par conséquent il ne faut pas s'étonner de la voir tenir de la nature son caractère formel, c'est-à-dire l'universalité. Mais en un sens aussi, elle est déjà la culture, agissant et imposant sa règle au sein de phénomènes qui ne dépendent point, d'abord d'elle.
Claude Lévi-Strauss
Les Structures élémentaires de la parenté, s.l., éd. De Gruyter Mouton (2002)
1949
À travers l'interdit de l'inceste, Lévi-Strauss pose la question de ce qui distingue l'homme de l'animal, c'est-à-dire la culture. Pour lui, est naturel chez l'homme ce qui est universel, tandis que ce qui relève de la règle est culturel. L'homme en effet est le seul animal qui s'impose des règles. L'interdiction de l'inceste est la seule règle à la fois culturelle et universelle, ce qui en fait un paradoxe.
Lévi-Strauss n'est pas le premier anthropologue à s'intéresser à l'inceste. Plusieurs l'ont fait avant lui. Les chercheurs sont intrigués par le fait que l'interdit de l'inceste est universel. En effet, l'inceste n'est accepté dans aucune culture. Par son caractère universel, la prohibition de l'inceste semble plutôt être liée à la nature. Toutefois, en fonction des peuples, les modalités de la prohibition de l'inceste diffèrent.
Lévi-Strauss s'intéresse moins à l'interdit de l'inceste qu'à ce qu'il entraîne : si l'homme ne peut épouser une femme de sa famille, il est forcé d'aller la chercher ailleurs. L'union, le mariage entre l'homme et la femme, devient alors un échange qui, pour Lévi-Strauss, est le fondement de la société.