Sommaire
ILes thèses freudiennesALe complexe d'ŒdipeBL'enquête : une analyse psychanalytiqueIIL'importance de JocasteAUn personnage déterminéBJocaste victime de son destinCUne belle femme mystérieuseIIILe thème de la sexualitéALe couple Œdipe / JocasteBFilmer l'incesteIVLes thèses freudiennes dans le film de PasoliniALes déclarations de Pasolini1Sur l'inceste et le parricide2Sur son père3Sur FreudBLa représentation symbolique de la sexualité1Les éléments liés à la sexualité2L'importance du chapeau, accessoire hautement symboliqueCTirésias, un analyste ?À l'époque de Sophocle, la psychanalyse n'existe pas. L'auteur livre plutôt une réflexion philosophique sur le pouvoir et le bonheur. En revanche, Pasolini insiste particulièrement sur l'influence de Freud dans son film. En effet, c'est du mythe et de certains éléments de la tragédie que découlent certaines théories freudiennes. Elles ont donné naissance au célèbre "complexe d'Œdipe".
Pasolini s'est livré à de nombreux commentaires sur sa relation avec ses parents, et la façon dont certains moments de sa vie ont influencé son film. Mais c'est Sophocle le premier qui donne un rôle prépondérant à Jocaste. Si la relation incestueuse n'est pas le crime le plus mis en avant dans la pièce, Pasolini en fait le sujet même du film. La sexualité tient alors une place primordiale.
Les thèses freudiennes
Le complexe d'Œdipe
Le complexe d'Œdipe a été développé par Freud de 1897 à 1936. C'est un des fondements de sa théorie psychanalytique. Il est d'abord parti de son expérience personnelle avant de conclure que l'histoire de l'humanité est fondée sur ce complexe. Pour élaborer ses idées, Freud s'est inspiré en partie de la tragédie de Sophocle.
Complexe d'Œdipe
Le complexe d'Œdipe se définit comme "l'ensemble des désirs amoureux et hostiles que l'enfant éprouve à l'égard de ses parents", écrit Freud dans Introduction à la psychanalyse.
Le petit garçon aime sa mère et voit son père comme un rival à évincer. La petite fille aime son père et voudrait écarter sa mère. Ce complexe se situerait à un jeune âge, ce qui explique que les enfants ne s'en souviennent pas.
Sigmund Freud est né le 6 mai 1856 en Autriche et mort le 23 septembre 1939 à Londres. Médecin neurologue, il fonde la psychanalyse. Il a redéfini les concepts d'inconscient, de rêve et de névrose. Il a participé à mettre au point une thérapie, la cure psychanalytique.
La psychanalyse repose sur de nombreuses thèses et concepts qu'il a théorisés. Il a notamment souligné l'importance de l'inconscient dans le psychisme.
L'enquête : une analyse psychanalytique
Freud s'inspire de la pièce de Sophocle pour différentes raisons. En particulier, il voit l'enquête que mène Œdipe pour trouver son identité comme un processus de reconnaissance. Ce dernier lui rappelle le processus de l'analyse psychanalytique. L'analyse doit permettre au patient de mettre à jour ce qu'il a refoulé de façon inconsciente.
En effet, le but d'une analyse psychanalytique est de faire parler le patient. Ce dernier vient consulter car il est névrosé. Il a besoin de comprendre pourquoi il va mal. Le rôle du psychanalyste est de questionner le patient, de l'écouter, de l'amener à trouver ce qui ne va pas. Le patient doit plonger dans son inconscient. D'après Freud, c'est là que se trouve la réponse à ses problèmes, à ses traumatismes. Le but d'une analyse est de libérer la parole afin de libérer l'homme.
La quête d'Œdipe est bien similaire à cette analyse. Il y a un problème à Thèbes, la peste. Œdipe doit résoudre un problème pour soigner la ville. Pour cela, il doit remonter le fil de son passé, qui peut être vu comme l'inconscient. Pour Freud, Œdipe sait déjà ce qu'il a fait, sait déjà qu'il est coupable. Le tout est de l'accepter, de le formuler enfin, de le dire : il a tué son père, il a épousé sa mère. Œdipe n'est libre et Thèbes soignée que lorsque la vérité éclate.
L'importance de Jocaste
Un personnage déterminé
Si Freud s'intéresse à Œdipe roi, c'est entre autres parce que Sophocle développe le rôle de la mère. Jocaste n'intéressait guère avant lui. C'est Sophocle qui lui donne une place prépondérante. Le rôle de Jocaste était interprété par le deutéragoniste, qui assumait aussi le rôle du grand prêtre et celui du serviteur de Laïos. Il est fortement concentré : elle apparaît pour la première fois au milieu du second épisode ; ensuite elle est présente pendant tout le troisième épisode, pour disparaître définitivement peu avant la fin de celui-ci.
Dans la pièce, Jocaste n'a pas le rôle secondaire traditionnellement attribué aux femmes. Son rôle sur scène est primordial, puisqu'elle est celle qui convainc Œdipe de ne pas tuer Créon, et le réconforte au fur et à mesure de l'enquête.
C'est une femme qui se montre sûre d'elle et n'hésite pas à mettre en avant les révélations qui confirment ses idées. Œdipe est très respectueux à son égard, elle est une véritable confidente.
Je te respecte, toi, plus que tous ceux-là.
Sophocle
Œdipe roi
Ve siècle av. J.-C.
Œdipe place Jocaste sur un pied d'égalité.
Quel confident plus précieux pourrais-je donc avoir que toi, au milieu d'une telle épreuve ?
Sophocle
Œdipe roi
Ve siècle av. J.-C.
Œdipe donne à Jocaste le rôle de confidente.
Jocaste décide elle-même d'aller chercher de l'aide auprès des dieux avant de croiser le Corinthien. C'est une femme qui prend des initiatives.
Sophocle
Chefs de ce pays, l'idée m'est venue d'aller dans les temples des dieux leur porter de mes mains ces guirlandes, ces parfums.
Œdipe roi
Ve siècle av. J.-C.
Jocaste victime de son destin
Comme Œdipe, Jocaste est trop sûre d'elle, trop certaine de son destin. Elle n'est qu'un instrument des dieux, et va devoir s'en rendre compte. Elle est un outil très important dans l'ironie tragique, celle qui confirme Œdipe dans son erreur, qui lui assure que devins et oracles sont des charlatans.
Coupable d'hybris, Jocaste meurt d'une atroce façon, sévère punition pour son crime. Elle est irrémédiablement souillée par son union avec son propre fils.
Une belle femme mystérieuse
Pasolini donne encore plus d'importance à Jocaste. Plusieurs éléments permettent de mettre en avant le personnage :
- Il choisit l'actrice Silvana Mangano, très belle et aimée à son époque.
- Il choisit également un maquillage complètement blanc. Jocaste est très pâle, ses sourcils sont inexistants. Elle est mystérieuse, exotique, sans âge.
- Il insiste sur l'amour interdit de Jocaste pour Œdipe. Il la filme à la fenêtre, l'observant amoureusement, filme leur intimité et leurs gestes tendres, etc.
- Il n'hésite pas à filmer des scènes charnelles entre les deux amants.
- Il fait dire à Œdipe "mère" avant l'une de leurs unions.
- Il insiste sur le côté refoulé de leur histoire. Jocaste crie : "Je ne veux pas entendre". Tout se passe comme s'ils savaient ce qu'ils avaient fait.
Une femme belle comme une reine, aux yeux obliques et longs, tartares, et pleins d'une douceur cruelle.
Pier Paolo Pasolini
Scénario d'Œdipe roi
Il s'agit de la description que Pasolini fait de Jocaste dans le scénario du film.
Le thème de la sexualité
Le couple Œdipe / Jocaste
La sexualité est au cœur des thèses freudiennes. Le couple formé par Œdipe et Jocaste prend de l'importance avec Sophocle. Il fait de leur mariage l'incarnation du bonheur. Ils sont montrés comme deux confidents. Toutefois, Sophocle reste pudique, il n'évoque pas le désir charnel entre les époux.
La relation entre Œdipe et Jocaste est particulièrement ambiguë chez Pasolini. Œdipe a vaincu le Sphinx, c'est pour cela qu'il épouse Jocaste dans le mythe originel. Cela est d'ailleurs rappelé dans la pièce. Mais Pasolini insiste sur leur désir mutuel. Sourires et regards appuyés accompagnent leur première rencontre.
Le réalisateur choisit également de mettre en scène leurs amours, ce que Sophocle ne faisait naturellement pas.
Même lorsqu'Œdipe rejoint Jocaste en pleine journée dans le jardin, c'est pour l'entraîner dans l'ombre d'une colonne afin de l'embrasser.
La lumière est plus vive lorsqu'Œdipe révèle à Jocaste qui sont ses parents et la prophétie qu'on lui a faite. C'est le moment où il commence à comprendre ce qu'il a fait.
Les gestes d'amour entre les deux amants traduisent la passion, mais aussi une profonde tendresse qui est toute maternelle du côté de Jocaste : ils se caressent souvent la joue doucement.
Œdipe est toujours à l'initiative des ébats amoureux dans le film. Une seule fois, Jocaste est celle qui l'embrasse en premier. Ils échangent ensuite un long regard.
Filmer l'inceste
Filmer l'inceste pose problème pour plusieurs raisons, mais surtout car la censure italienne peut frapper. Pasolini choisit de ne jamais montrer clairement les ébats de Jocaste et Œdipe. La caméra se fait très pudique. C'est le montage qui permet de dire ce qui se passe. Pasolini les filme toujours dans une semi-obscurité.
La mère du prologue et Jocaste portent la même robe bleue. Elles font les mêmes gestes avec le père du prologue et avec Œdipe.
Au fur et à mesure du film, le regard de Jocaste s'assombrit. Le dernier qu'elle lance à la caméra avant son suicide est déterminé et désespéré. Elle prend conscience de l'inceste.
Dans la pièce, la peste est la punition d'Œdipe pour avoir tué son père. Pasolini, lui, choisit, après chaque ébat entre Jocaste et Œdipe, de filmer les conséquences de la peste. Ainsi, la peste devient ici la punition pour l'inceste. En subtilisant aux scènes d'amour des scènes de maladie, Pasolini en montre toute la monstruosité. C'est donc le montage que choisit le réalisateur qui permet la condamnation de ce crime.
Les thèses freudiennes dans le film de Pasolini
Les déclarations de Pasolini
De nombreuses déclarations de Pasolini permettent d'affirmer qu'il s'est inspiré très fortement des théories freudiennes pour réaliser son film.
Sur l'inceste et le parricide
Pasolini a fait plusieurs déclarations pour définir l'inceste et le parricide.
Dans le film, le parricide émerge davantage de l'inceste (bien sûr émotionnellement, sinon quantitativement), mais je crois que c'est assez naturel, parce que, historiquement, je me suis placé dans un rapport de rivalité et de haine envers mon père, et donc je suis plus libre dans ma manière de représenter mon rapport avec lui, alors que mon amour pour ma mère est resté quelque chose de latent.
Pier Paolo Pasolini
Entretien avec Oswald Stack
1967
Pasolini évoque ici clairement la haine qu'il nourrit à l'égard de son père et l'amour qu'il porte à sa mère. Il décrit ici son complexe d'Œdipe.
Pier Paolo Pasolini
L'enfant du prologue, c'est moi, son père est mon père, officier d'infanterie, et sa mère, une institutrice, est ma mère. Je raconte ma vie, mythifiée.
Cahiers du cinéma, entretien avec Jean-André Fieschi
1967
Pasolini se montre très marqué par son complexe d'Œdipe, dont il semble bien se souvenir. Le film Œdipe roi est donc une façon d'exorciser ce complexe, de le mettre en scène pour mieux s'en libérer.
Autour d'elle il y a le parfum de primevères de ma mère jeune.
Pier Paolo Pasolini
Pasolini évoque ici Silvana Mangano, l'actrice qui joue la mère dans le film. Il l'a donc choisie car elle lui rappelle sa mère.
Sur son père
Pasolini a fait une série de déclarations sur son père, et la relation conflictuelle qu'il entretient avec lui. Il explique ainsi en quoi il a été marqué par sa violence et son désamour.
La rancœur du père envers son fils est quelque chose que j'ai ressenti plus distinctement que le rapport entre le fils et sa mère, parce que le rapport entre un fils et sa mère n'est pas un rapport historique : c'est un rapport purement intérieur, privé, en dehors de l'histoire, en réalité métahistorique et pour cette raison idéologiquement improductif, alors que ce qui fait l'histoire est le rapport de haine et d'amour entre père et fils. [...] En fait, tout ce qu'il y a d'idéologique, de volontaire, d'actif et de pratique dans mes actions en tant qu'écrivain dépend de ma lutte avec le père.
Pier Paolo Pasolini
Interview d'Oswald Stack
1967
Sur Freud
Pasolini commente l'épilogue de son film en utilisant les théories freudiennes.
C'est le moment de la sublimation, comme l'appelle Freud. Une variante du mythe, c'est qu'Œdipe finit par se retrouver au même point que Tirésias : il s'est sublimé comme font le poète, le prophète, l'homme d'exception, d'une manière ou d'une autre. Devenant aveugle, à travers l'autopunition, et donc à travers une certaine forme de purification, il atteint la dimension de l'héroïsme, ou de la poésie.
Pier Paolo Pasolini
Dans Pier Paolo Pasolini, de Nico Naldini
1989
La représentation symbolique de la sexualité
Les éléments liés à la sexualité
Pasolini inscrit son film dans le sillage de la psychanalyse et du complexe d'Œdipe. Plusieurs éléments permettent de l'affirmer :
- Le pré est un symbole du corps maternel.
- Dans le prologue, l'enfant voit ses parents faire l'amour. En psychanalyse, on appelle cela la "scène primitive".
- Il y a une haine réciproque entre le père et le fils.
- Les pieds sont un symbole phallique. Lorsque le père attrape les pieds du bébé, c'est d'une certaine façon pour l'émasculer.
L'homosexualité de Pasolini est plusieurs fois évoquée. Certains critiques analysent la scène avec la prostituée dans le labyrinthe comme un rejet de la sexualité hétérosexuelle. Œdipe se mord la main, il n'est pas à l'aise. Par ailleurs, Œdipe part traditionnellement avec sa fille Antigone, qui n'est pas du tout mentionnée dans le film. À la place, Pasolini choisit de le faire errer avec Angelo, joué par l'acteur Ninetto Davoli, amant du réalisateur.
L'importance du chapeau, accessoire hautement symbolique
Le chapeau a une valeur symbolique dans le film de Pasolini. Il représente le parcours incestueux et parricide d'Œdipe :
- Dans le prologue, le chapeau est associé à la mère. Elle le laisse près du bébé, comme pour le rassurer.
- Lors de son départ pour Delphes, Œdipe porte un large chapeau qui ressemble à celui du prologue.
- Œdipe donne ce chapeau à de jeunes garçons et tombe nez à nez avec la jeune femme nue dans le labyrinthe. Il se mord le poing. On le retrouve ensuite jetant rageusement son chapeau au sol en signe d'échec. Il le reprend ensuite.
- Œdipe abandonne définitivement son chapeau après le meurtre de Laïos. On peut considérer qu'il abandonne alors la protection maternelle.
Par la suite, Œdipe porte la coiffe royale de son père. Symboliquement, il a refusé la protection de la mère. Il voulait prendre la place du père. En abandonnant le chapeau, il rejette son identité de fils. En s'appropriant la coiffe royale, il usurpe la place de son père au côté de sa mère.
Dans l'épilogue, Œdipe est tête nue. Il n'est plus ni protégé ni usurpateur.
Tirésias, un analyste ?
La scène entre Tirésias et Œdipe est une interprétation psychanalytique de l'affrontement. Pasolini fait des changements par rapport à la pièce de Sophocle.
- Sophocle fait dire à Tirésias : "Tu me reproches mon furieux entêtement, alors que tu ne sais pas voir celui qui loge chez toi".
- Pasolini fait dire : "Tu me reproches ma nature… et tu ne veux pas connaître la nature qui est en toi."
- Plus loin dans le film, Pasolini insiste sur la nature d'Œdipe : "Tu ne veux pas voir le mal qui est en toi."
Pasolini insiste donc sur le degré de nature profonde. Il parle ici d'inconscient. Œdipe ne réalise pas ce qui est caché en lui. Tirésias devient alors une sorte d'analyste qui tente de mettre au jour les maux du patient.