Sommaire
IL'arrière-plan historiqueIIUne peinture satirique de la vie provincialeALe décor provincialBLa satire des bourgeois1Les mœurs bourgeoises2Des noms satiriquesCUne critique des paysans et des aristocratesIIIUne peinture de la "Bêtise"ALa caricature pour se moquer des idiotsBLa parole figée : la bêtise s'exprimeCUn monde ancré dans la bêtiseFlaubert met en scène la vie provinciale des bourgeois. Il crée un microcosme d'êtres humains qui vivent dans des lieux symbolisant leur étroitesse d'esprit et leurs désirs de grandeur. Il se moque particulièrement d'eux en leur donnant des noms ridicules. Mais les bourgeois ne sont pas la seule cible de l'auteur, qui n'hésite pas à rire également des paysans et des aristocrates.
Dans son roman, Flaubert dépeint surtout la bêtise. Il utilise pour cela la caricature, mais aussi une écriture qui retranscrit le caractère figé de la parole. Le monde qu'il met en scène est ancré dans la stupidité. La satire de la société du XIXe siècle, c'est-à-dire sa critique moqueuse, est alors cinglante.
L'arrière-plan historique
Flaubert fait preuve d'un certain mépris pour tout ce qui concerne la politique. Il efface donc les événements politiques dans Madame Bovary. Ils sont pourtant partie intégrante de son roman L'Éducation sentimentale. Leur absence dans Madame Bovary souligne en fait le désintérêt d'Emma pour les affaires politiques, mais aussi le caractère égocentrique de la bourgeoisie, centrée sur sa petite vie, ses petites affaires, aveugle face à l'Histoire.
Dans le roman, Flaubert prend pour cible la bourgeoisie. Au XIXe siècle, la classe sociale bourgeoise a pris une importance considérable. Son essor ne semble pas s'arrêter. Les écrivains méprisent très souvent la bourgeoisie, qu'ils estiment constituée de personnes peu scrupuleuses, assoiffées de pouvoir et d'argent, ayant reçu une éducation médiocre, et faisant preuve d'une grande bêtise.
Flaubert fait toutefois quelques références à la situation politique, notamment au Second Empire, à travers le personnage d'Homais, qui baptise son fils Napoléon. L'allusion est évidemment hautement satirique.
Une peinture satirique de la vie provinciale
Satire
Une satire est une œuvre dont l'objectif est de moquer son sujet.
Dans Madame Bovary, Flaubert se moque de la bourgeoisie, il en fait une satire.
Le décor provincial
Flaubert crée tout un microcosme provincial. Il insiste particulièrement sur :
- Le monde industriel : Flaubert le met en scène avec la visite de la filature d'Emma et Charles, ou les usines de Rouen.
- La pauvreté : l'auteur n'hésite pas à mettre en scène la pauvreté. Lorsque Léon et Emma rendent visite à la nourrice de Berthe, il décrit une maison malpropre et désordonnée.
- La richesse : Flaubert insiste sur la richesse du domaine des Bertaux et la demeure du notaire Guillaumin, riche bourgeois provincial. L'étalement de la richesse de certains est souvent pour Emma une source d'envie, et pour Flaubert une façon de dénoncer la prétention bourgeoise à la noblesse.
Flaubert peint la filature comme étant en chantier, et le bruit des usines est parasite. Le regard sur le monde industriel est donc critique.
Flaubert insiste sur la richesse du domaine des Bertaux. Il utilise de nombreux superlatifs pour souligner l'opulence de l'endroit. On peut ainsi relever : "grandes charrettes", "grand lit", "gros chevaux".
Emma rêve d'ailleurs d'avoir un salon comme celui qu'elle voit dans la demeure du notaire Guillaumin, riche bourgeois provincial.
Dans le château de la Huchette, Rodolphe accumule de nombreux objets luxueux : la pendule incrustée d'écaille, une crosse de fusil argentée, etc.
Le lieu qui fascine le plus Emma est le domaine du marquis d'Andervilliers à la Vaubyessard, car il est très richement meublé.
La satire des bourgeois
Le sous-titre du roman est "Mœurs de province". Flaubert s'attaque à la façon de vivre des personnages en province, mais particulièrement des bourgeois. Ils sont montrés comme des hypocrites conformistes, qui trichent et mentent constamment. La bourgeoisie devient, sous la plume de Flaubert, le triomphe des apparences.
Les mœurs bourgeoises
La satire de la bourgeoisie passe d'abord par une peinture précise des lieux. Ils sont souvent l'occasion de brosser le caractère des personnages.
Héloïse Dubuc, première femme de Charles, a aménagé son intérieur sans aucune fantaisie, de façon très austère. Emma va complètement transformer cela, achetant de belles étoffes et de beaux meubles, ce qui traduit évidemment son goût pour le luxe.
La pharmacie d'Yonville attire les regards, l'enseigne d'Homais est écrite en lettres d'or. Cela traduit l'ambition du personnage.
Flaubert peint l'hypocrisie des bourgeois. Il montre que les façades des bâtiments sont toujours respectables, mais qu'en réalité l'intérieur est différent. Il y a une opposition entre les apparences et la réalité. La bourgeoisie semble être maîtresse dans l'art de tromper, de cacher, de jouer.
Homais a une pièce à lui, où règne un incroyable bazar, et dans laquelle il "se délectait dans l'exercice de ses prédilections."
Lorsqu'il décrit Yonville, Flaubert insiste sur le caractère insignifiant du lieu. Il y a une grande rue bordée de quelques boutiques, mais c'est tout. Les habitants sont ridicules et satisfaits, la vie sociale hypocrite, l'ennui et la monotonie règnent.
Flaubert insiste sur le caractère insignifiant de la vie à Yonville : "bourg paresseux", "contrée bâtarde", "paysage sans caractère".
Les mœurs bourgeoises sont donc caractérisées par l'hypocrisie, la duplicité, le mensonge et l'envie. Les vies des bourgeois sont profondément ennuyeuses, il ont besoin des commérages pour s'occuper un peu.
Des noms satiriques
Flaubert s'amuse aussi avec les noms des bourgeois, qui sont souvent très satiriques. Si les personnages tentent de cacher leur vraie nature, les noms que l'auteur choisit la révèlent.
Charles Bovary est un être caractérisé par sa passivité, sa lenteur d'esprit, sa naïveté. Son nom de famille rappelle évidemment "bovin".
D'autres animaux sont convoqués dans les noms : madame Tuvache, Léocadie Leboeuf.
La bourgeoisie est ainsi associée à du bétail, à des animaux traditionnellement reliés à la bêtise.
D'autres noms rappellent plutôt des objets.
Le nom "Binet" peut rappeler un chandelier ou un outil de jardinage.
D'autres noms sont plus métaphoriques.
Lheureux est l'homme qui promet le bonheur à tous et trouve du plaisir à s'enrichir sur le malheur des autres.
"Bournisien" est un nom qui se rapproche du mot "niaiserie".
On trouve un monsieur "Lieuvain", qui traduit très significativement l'atmosphère du bourg Yonville.
Une critique des paysans et des aristocrates
Si les bourgeois sont les plus attaqués, Flaubert n'épargne pourtant pas les paysans et les aristocrates.
Les paysans sont représentés comme des personnes rustres. Ils ne sont pas à l'aise dans leurs habits du dimanche, se montrent souvent vulgaires. C'est un milieu sans raffinement. Flaubert insiste également sur leur manque d'éducation et de manières. Aucun paysan ne trouve grâce à ses yeux.
Flaubert met particulièrement les paysans en avant lors de la scène des Comices et des noces d'Emma.
Les aristocrates apparaissent également comme des personnages ridicules. Flaubert se moque de leur caractère précieux, de leurs valeurs anciennes et dépassées. Ils éblouissent Emma par leur richesse et leur noblesse, mais Flaubert les présente comme des statues, des vestiges du passé qui n'ont pas su évoluer avec leur société.
Ils avaient le teint de la richesse, ce teint blanc que rehaussent la pâleur des porcelaines, les moires du satin.
Gustave Flaubert
Madame Bovary
1856
Flaubert compare les aristocrates à des objets à regarder, et non des humains.
Le duc de Lavardière est présenté comme gâteux, il appartient à une autre époque. Il symbolise la déchéance de l'aristocratie.
Une peinture de la "Bêtise"
La satire de Flaubert porte essentiellement sur la bêtise, caractéristique qu'il trouve chez tous les hommes, mais particulièrement chez les bourgeois.
La caricature pour se moquer des idiots
Caricature
La caricature est un portrait littéraire qui grossit des traits de caractère souvent drôles, ridicules ou déplaisants.
La caricature permet à Flaubert de peindre avec outrance les travers des bourgeois. Si Emma est un personnage complexe, la grande majorité des autres personnages sont caricaturaux.
Le pharmacien Homais se pique d'être un homme de science. Il est pédant et sûr de tout ce qu'il croit savoir, se moquant avec virulence de la religion alors qu'il se montre lui-même superstitieux (peur de toucher le corps d'Emma à la fin). Comme les autres personnages autour de lui ne brillent pas par leur intelligence, il arrive à faire croire qu'il raisonne mieux que tout le monde, et passe pour un intellectuel. Il écrit des articles avec un style ampoulé dont Flaubert se moque. C'est un profond hypocrite, car s'il critique la religion et ses "mômeries" et "jongleries", il défend toutefois une morale très sévère. Flaubert parfait le portrait en lui ajoutant des prétentions d'écrivain et de chanteur. C'est le personnage qui sort triomphant du roman, Flaubert dénonce ainsi une société où des êtres trompeurs et idiots parviennent au sommet.
Sa figure n'exprimait rien que la satisfaction de soi-même.
Gustave Flaubert
Madame Bovary
1856
Bournisien, quant à lui, représente le curé mal instruit, incapable de mettre en pratique les préceptes catholiques qu'il défend (il se montre notamment très glouton). Pire, il est incapable d'aider ses paroissiens. Lorsque Emma s'adresse à lui, en pleine crise morale, il se montre piètre psychologue. C'est un homme dépassé par la nouvelle société. À travers lui, Flaubert met en scène l'effondrement de l'Église.
Les autres personnages peuvent se résumer facilement, comme les trois suivants :
- Rodolphe est le séducteur.
- Léon est le niais.
- Le notaire Guillaumin un libidineux.
Certains critiques ont d'ailleurs reproché à Flaubert de ne pas être réaliste dans sa peinture des hommes, mais trop caricatural.
La parole figée : la bêtise s'exprime
C'est la parole qui dit le mieux la bêtise dans le roman. En 1850, Flaubert a le projet d'écrire un Dictionnaire des idées reçues, qui listerait tous les lieux communs, tous les clichés de la Bêtise. Il veut montrer que la parole peut être complètement vide, qu'on peut très bien ne rien échanger en parlant. Le langage est toujours social, les phrases sont toujours figées.
Les personnages, dans le roman, illustrent bien cette idée. Homais est l'homme par excellence qui parle sur tout, tout le temps, mais de façon fort convenue. Il étale ses connaissances dans le seul but de briller en société, jamais pour échanger, jamais pour débattre ou analyser.
Il étalait son érudition, il citait pêle-mêle les cantharides, l'upas, le mancenillier, la vipère.
Gustave Flaubert
Madame Bovary
1856
Le langage de l'abbé Bournisien est également truffé de clichés religieux. Il parle sans arrêt de "Dieu", de "péché", de "sacrilège".
Les personnages ne pensent pas par eux-mêmes, ils répètent ce qu'ils ont bêtement assimilé.
"Ensemble de bonnes cultures !" cria le président.
"Tantôt, par exemple, quand je suis venu chez vous…"
"À M. Bizet de Quincampoix."
"Savais-je que je vous accompagnerais ?"
"Soixante et dix francs !"
"Cent fois même j'ai voulu partir, et je vous ai suivie, je suis resté."
"Fumiers."
Gustave Flaubert
Madame Bovary
1856
La scène des Comices est un célèbre moment du roman où Flaubert entrecroise les discours, celui mielleux de Rodolphe pour Emma, celui pompeux de Lieuvain et Derozerays. Le but est de séduire, Emma pour Rodolphe, la foule pour les deux autres. Flaubert se montre très ironique. Le discours officiel de la remise des prix vient miner le discours amoureux. Emma est subjuguée par le discours de Rodolphe, alors que les prix sont de moins en moins élevés.
Emma et Léon sont également prisonniers de clichés, les lieux communs romantiques des romans dont ils se sont abreuvés. Rodolphe, quant à lui, joue avec ces clichés, qui marchent parfaitement bien sur Emma, incapable de prendre du recul et de réfléchir au néant qu'il y a derrière les paroles, car en définitive, c'est cela que rappelle Flaubert : derrière les paroles, il n'y a que du vide. Ainsi, tous les discours dans Madame Bovary sonnent creux, sont convenus.
Un monde ancré dans la bêtise
Dans le roman, aucun personnage vraiment positif ne permet de contrebalancer l'idée d'un monde ancré dans la bêtise. Même la complexité psychologique d'Emma ne la préserve pas d'une certaine idiotie. La médiocrité et l'hypocrisie règnent.
Ainsi, l'un des rares personnages que Flaubert peint positivement, le docteur Larivière, est tout de même plein de fierté, "plein de majesté débonnaire que donne la conscience d'un grand talent".
De plus, les personnages se montrent cruels. En effet, plus Emma est harcelée, plus elle a besoin d'aide, plus elle est rejetée par les autres. Les habitants d'Yonville n'ont aucune compassion pour elle.
La plupart des personnages dans le roman ont ainsi une foi inébranlable en eux-mêmes. Ils sont hautains, persuadés d'avoir raison. Seul Charles Bovary échappe à cette définition, mais c'est parce qu'il manque cruellement d'esprit et qu'il est facilement manipulable.
Madame Bovary est certes un roman sur les mœurs de la province, mais c'est surtout un roman sur le triomphe de la bêtise dans la société bourgeoise du XIXe siècle. Le monde que Flaubert dépeint ne semble être qu'une vaste farce. C'est la mise en scène de la médiocrité, de la vacuité de l'existence. Tout est dérisoire, et pourtant les hommes tentent absolument de faire de tout quelque chose de très sérieux. Voilà, au fond, la vraie bêtise humaine.