Sommaire
IUne dénonciation de la fausseté et de l'hypocrisie de la sociétéALe thème de la contrefaçon : le titre du romanBL'impossible authenticitéCL'impossibilité de croireIIUne dénonciation des normes socialesALe rejet des conventions socialesBUne dénonciation de la place des femmes dans la sociétéCLe rejet des institutionsDans Les Faux-Monnayeurs, André Gide livre une vive critique de la société du XXe siècle. Il dénonce la fausseté et l'hypocrisie qui règnent. C'est la raison pour laquelle il a choisi le thème de la contrefaçon, que l'on retrouve dès le titre du roman. Les personnages expriment leur regret de ne pas pouvoir atteindre une authenticité véritable, de ne pas pouvoir croire véritablement en quelque chose. André Gide dénonce surtout une société où les normes empêchent l'Homme d'être libre. Il rejette les conventions et la place accordée aux femmes. Il dénonce également les institutions traditionnelles comme la religion, la justice et l'éducation.
Une dénonciation de la fausseté et de l'hypocrisie de la société
Le thème de la contrefaçon : le titre du roman
Le thème de la contrefaçon est lié à celui de la fausseté et de l'hypocrisie. La contrefaçon est le fait de reproduire un objet en faisant croire qu'il est authentique. Le titre même de l'œuvre suggère que le roman traite de cette question. S'inspirant d'un fait divers qui relate un trafic de fausse monnaie, André Gide choisit d'appeler le roman Les Faux-Monnayeurs davantage pour mettre en avant ceux qui fabriquent, ceux qui trichent et créent des objets inauthentiques. André Gide se concentre davantage sur l'Homme : c'est sa fausseté qui l'intéresse.
Une fausse pièce de monnaie peut acquérir une certaine valeur, identique à celle d'une pièce véritable, dès lors que l'imitation est suffisamment bien faite. Elle peut alors être utilisée comme une vraie pièce. Cette définition s'applique aux personnages du roman et à leurs sentiments : certains sont honnêtes, d'autres sont hypocrites. Les faux-monnayeurs sont les menteurs, les trompeurs, les tricheurs qui feignent l'amour véritable.
L'impossible authenticité
Oh ! Laura ! je voudrais tout le long de ma vie, au moindre choc, rendre un son pur, probe, authentique.
André Gide
Les Faux-Monnayeurs
1925
Bernard associe pureté et authenticité.
Les héros des Faux-Monnayeurs, et particulièrement Bernard, sont en quête de pureté. Les valeurs bourgeoises des parents ne répondent pas au besoin d'authenticité des jeunes gens. Toutefois, ces derniers ne symbolisent pas forcément l'authenticité. André Gide met en scène Georges et ses compagnons qui sont pervers et n'hésitent pas à se lancer dans un trafic de fausse monnaie, des orgies ou à pousser au suicide le jeune Boris qui incarne l'innocence et la douceur.
Deux autres personnages adultes incarnent particulièrement la fausseté et le mensonge :
- Passavant : il est prêt à tout pour séduire le jeune Olivier.
- Strouvilhou : il souhaite diviser et se complaît dans son nihilisme.
La pureté est impossible à atteindre car ce sont les apparences qui triomphent :
- La justice est partiale : Profitendieu et Molinier font passer leurs intérêts avant tout.
- La famille est une tromperie : le mariage répond à des intérêts financiers (mariage de Laura).
- L'éducation est un mensonge : la pension Vedel est avant tout une affaire commerciale.
Je sens je ne sais quoi d'insuffisant chez Douviers, d'abstrait et de jobard. Il prend toujours les choses et les êtres pour ce qu'ils se donnent ; c'est peut-être parce que lui se donne toujours pour ce qu'il est.
André Gide
Les Faux-Monnayeurs
1925
Ces propos sont ceux d'Édouard à propos du mari de Laura.
L'impossibilité de croire
À mesure qu'une âme s'enfonce dans la dévotion, elle perd le sens, le goût, le besoin, l'amour et la réalité.
André Gide
Les Faux-Monnayeurs
1925
La croyance éloigne de la réalité.
La fausseté et l'hypocrisie poussent à vouloir croire en quelque chose de plus grand que soi. André Gide est toutefois pessimiste sur l'existence possible d'un dieu qui pourrait soulager des tromperies du monde et insiste même sur le fait qu'il est impossible de croire.
Les deux personnages qui espèrent trouver Dieu sont des modèles de pureté dans le roman :
- Boris
- Bronja
Leur sort est tragique. Bronja meurt et Boris, désespéré, accepte de participer à une macabre mise en scène de suicide au cours de laquelle il perd vraiment la vie.
La Pérouse est un personnage qui finit par remettre en cause le Dieu auquel il croit. Il finit même par douter de l'immortalité de l'âme. Au cours du roman, il dit :
- "Dieu m'a roulé."
- "Dieu s'est moqué de moi."
- "Je crois qu'il joue avec nous comme un chat avec une souris."
- C'est son vilain jeu."
Dieu ne serait donc qu'une tromperie, un mensonge. La figure du diable apparaît dans le roman. Le narrateur le mentionne plusieurs fois :
- "La famille respectait sa solitude ; le démon pas."
- "Laissons-le tandis que le diable amusé le regarde glisser la petit clef dans la serrure."
- "Le diable n'aura raison de lui qu'en lui fournissant des raisons de s'approuver."
Même l'ange qui apparaît à Bernard ne croit en aucun dieu : "Laisseras-tu disposer de toi le hasard ?"
Au final, on peut affirmer qu'il est impossible de croire car il est impossible d'atteindre une pureté, une authenticité absolue.
Une dénonciation des normes sociales
Le rejet des conventions sociales
Les préjugés sont les pilotis de la civilisation.
André Gide
Les Faux-Monnayeurs
1925
Édouard dénonce la société qui repose sur les préjugés, donc les apparences et les idées fausses.
André Gide dénonce de nombreuses conventions sociales :
- Le modèle traditionnel de la famille reposant sur un père fort et une femme douce et aimante
- Le mariage comme forme d'amour ultime
- Le cloisonnement des classes sociales
- Le cloisonnement des âges
- Le cloisonnement des sexes
- Le cloisonnement des sentiments
Malgré la différence d'âge, Édouard et Olivier s'aiment.
Le mariage des Profitendieu est une couverture : la femme a trompé son mari.
Une dénonciation de la place des femmes dans la société
André Gide dénonce une société dans laquelle la femme est cantonnée à des rôles réducteurs et où elle est constamment sacrifiée :
- Laura symbolise la condition de la femme dans la bourgeoisie chrétienne : "admirable propension au dévouement chez la femme... l'homme qu'elle aime n'est, le plus souvent pour elle, qu'une sorte de patère à quoi suspendre son amour."
- Madame La Pérouse est devenue paranoïaque.
- Madame Vedel est devenue folle.
- Pauline est trompée et résignée.
- Lilian, belle américaine affranchie, est tuée par Vincent.
- Rachel, dont le prénom signifie "brebis" en hébreu, est constamment sacrifiée.
Contrairement aux personnages masculins, André Gide est moins ironique avec les femmes, comme s'il prenait leur parti. Il offre toutefois de l'espoir avec deux personnages féminins :
- Madame Profitendieu qui finit par quitter le domicile conjugal.
- Sarah, femme libre et heureuse, décrite comme "une fille d'aujourd'hui c'est-à-dire un jeune homme d'autrefois".
La position féministe d'André Gide, qui rejette le modèle féminin traditionnel, est celle qu'il adoptera plus tard dans son essai L'École des Femmes en 1929.
Le rejet des institutions
André Gide critique les institutions traditionnelles. Il dénonce :
- Le milieu de la justice
- La religion
- L'enseignement
La justice n'est pas impartiale, elle n'aide pas réellement. Molinier et Profitendieu souhaitent protéger leurs semblables. En effet, lorsque le scandale des orgies et de la fausse monnaie leur parvient, ils préfèrent fermer les yeux et ne pas "poursuivre" ou "compromettre" des "familles respectables". Par contre, la violence contre les prostituées qui ont été payées pour participer à ces orgies leur paraît justifiée.
Ah ! par exemple, faites coffrer les femmes ! ça, je vous l'accorde volontiers ; il me paraît que nous avons affaire ici à quelques créatures d'une insondable perversité et dont il importe de nettoyer la société. Mais, encore une fois, ne vous saisissez pas des enfants ; contentez-vous de les effrayer, puis couvrez tout cela de l'étiquette "ayant agi sans discernement" et qu'ils restent longtemps étonnés d'en être quittes pour la peur.
André Gide
Les Faux-Monnayeurs
1925
L'institution religieuse est également vivement critiquée par André Gide. Il ne s'oppose pas à la foi, mais il dénonce le protestantisme rigide, le puritanisme qui finit par pervertir : c'est le cas dans la pension Vedel. André Gide rejette tous les donneurs leçons qui pensent mieux savoir que les autres. Il estime qu'il n'y a pas d'épanouissement possible dans la religion.
Enfin, l'école et la façon dont les professeurs enseignent est remise en cause. Dans la pension Vedel, la cruauté et la stupidité des élèves est liée à leur éducation qui les pousse à ces agissements. L'attitude des jeunes gens est elle-même éloignée d'un idéal de savoir et d'intelligence. Ils ne veulent "pas [faire] d'effort inutile" et leur désir est "de briller".