Sommaire
ILa genèse et la réception critique du filmALa genèse du filmBLa réception critique du filmIILes changements par rapport au texte d'origineIIILa transposition du langage de la nouvelleAL'interprétation de la langue classiqueBL'illustration des blancs du récitIVRestituer la réalité historiqueAUne réalité violenteBUne reconstitution vivanteVL'utilisation de la musique et du paysageALa musique comme catalyseur des passionsBLe paysage, un facteur de dramatisationLorsqu'il décide d'adapter "La Princesse de Montpensier", le réalisateur Bertrand Tavernier se permet plusieurs libertés par rapport au texte de Madame de Lafayette. Les caractères et les destins de personnages principaux tels que Marie ou Chabannes sont par exemple modifiés. De plus, réalisé au XXIe siècle, le film s'affranchit des codes précieux et classiques, teintés de puritanisme, dans lesquels la nouvelle a été rédigée. La modernité de Tavernier par rapport au texte d'origine, qui joue sur l'usage du Cinémascope et de la musique, lui vaudra un accueil contrasté lors de sa sortie en novembre 2010.
La genèse et la réception critique du film
La genèse du film
Dans l'avant-propos de La Princesse de Montpensier, livre présentant le scénario puis la nouvelle de Madame de Lafayette, Bertrand Tavernier explique que la genèse du film commence avec une adaptation, celle de François-Olivier Rousseau écrite à la demande du producteur Éric Heumann. Lorsque le scénario lui est proposé, le réalisateur trouve qu'il y a trop "de filtre" et la conduite du récit lui pose problème. Il trouve certains passages difficiles à mettre en scène, mais son intérêt est éveillé par les différentes "possibilités dramatiques". En effet, il est intéressé par les intrigues amoureuses :
- Henri de Guise et Marie de Mézières
- Philippe de Montpensier et son épouse
- Anjou et Marie de Mézières
- Chabannes et Marie de Mézières
Il trouve également l'itinéraire moral très captivant, particulièrement celui de Chabannes qui devient pour Tavernier le pivot de l'histoire. En effet, il est mêlé à toutes les intrigues, à la fois témoin et acteur qui participe parfois malgré lui.
En décidant de réaliser le film, Bertrand Tavernier choisit de modifier le scénario. Éric Heumann avait fait de Marie une femme fatale alors que dans la nouvelle, elle est déchirée entre ses devoirs, son éducation, sa loyauté à son mari et sa passion amoureuse. Le réalisateur décide de revenir davantage à la source. Il s'entoure d'une solide équipe de cinéma pour mener le projet à bien.
Le script a donc été réalisé par François-Olivier Rousseau. Le co-scénariste est Jean Cosmos, scénariste et dialoguiste avec lequel Bertrand Tavernier avait travaillé sur La Vie et rien d'autre, Capitaine Conan et Laissez-passer.
Les acteurs principaux sont :
- Mélanie Thierry qui joue la princesse de Montpensier.
- Lambert Wilson qui joue Chabannes.
- Gaspard Ulliel qui joue le duc de Guise.
- Grégoire Leprince-Ringuet qui joue le prince de Montpensier.
- Raphaël Personnaz qui joue le duc d'Anjou.
Le compositeur Philippe Sarde s'occupe de la musique du film, Bruno de Keyzer est choisi comme directeur de la photographie. Par ailleurs, le film traitant de faits historiques, Bertrand Tavernier a choisi de suivre les conseils de l'historien Didier Le Fur, spécialiste du XVIe siècle.
Le tournage a duré huit semaines entre octobre et novembre 2009. Les lieux de tournage comprennent :
- Le château de Messilhac, qui est la demeure des Montpensier dans le film.
- L'abbaye de Noirlac, où a été tournée la scène du bal se déroulant normalement au Louvre.
- Le château de Meillant où Henri de Guise et Marie de Montpensier se retrouvent pour la dernière fois.
- La rue Haute Saint-Maurice utilisée comme cadre pour la scène de la Saint-Barthélémy.
- Le château de Blois qui a servi pour filmer les appartements royaux normalement situés au Louvre.
- Le château de Plessis-Bourré qui est la demeure des parents de Marie.
La réception critique du film
La réception critique du film lors de sa sortie en France le 3 novembre 2010 est plutôt positive dans l'ensemble, même si certaines voix acerbes s'élèvent.
La revue Brazil publie la critique la plus positive, le journaliste Sylvain Blanchard ne tarit pas d'éloges sur le film.
Le film s'impose comme un vrai spectacle populaire, épique et profondément honnête, filmé par un des derniers vrais amoureux du cinéma et rythmé par la flamboyante partition d'un Philippe Sarde complètement habité. Tout simplement un grand grand film à voir d'urgence et à apprécier à sa juste et vraie valeur. Merci, Monsieur Tavernier. Comme d'habitude.
Sylvain Blanchard
Brazil
2010
Dans le Pariscope, Virginie Gaucher également propose un éloge du film, reconnaissant sa modernité, appréciant le jeu des acteurs et le "souffle de vie" que Tavernier donne à l'histoire. Thierry Chèze dans Studiociné Live et Jacques Morice dans Télérama reconnaissent de nombreuses qualités au film saluant surtout la réussite de Bertrand Tavernier qui a évité les écueils du film historique académique et "figé".
Des critiques moins élogieuses voient le jour. Jean-Luc Douin écrit dans Le Monde que le film parvient à restituer "l'âme d'une époque" et que les acteurs sont "naturels" alors que le film est historique. Il reconnaît ainsi que le réalisateur échappe à un certain académisme. Toutefois, il parle également d'un "assemblage baroque souvent instable" et trouve parfois les dialogues encombrants. Dans Première, Bernard Achour déplore également le peu de naturel des dialogues "où les virgules semblent prononcées comme des mots", même s'il apprécie les acteurs. Dans Les Inrocks, Léo Soesanto se montre particulièrement virulent, livrant une critique assassine.
L'air frais visé laisse place à une miniature sous cloche et sous vide où le mélo, les sentiments flamboyants et les batailles sont lyophilisés. Tavernier se réfugie en fait dans la position du comte de Chabannes (Lambert Wilson), observateur détaché qui regarde ces jeunes faire les petits cons : un peu lucide, sentencieux, et pas très passionnant.
Léo Soesanto
Les Inrocks
2010
Néanmoins, c'est dans les pages des Cahiers du cinéma, grande revue critique, que l'on peut lire les commentaires les plus déplorables sur le film décrit comme une pièce de théâtre jouée par "une mauvaise troupe de saltimbanques".
Il est intéressant de noter que les critiques élogieuses insistent sur le caractère moderne du film et affirment que Bertrand Tavernier évite les écueils du film historique, alors que de mauvaises critiques trouvent au contraire que le film est trop académique. Philippe Azoury écrit ainsi dans Libération, sous le titre "La faillite Lafayette", que Tavernier est pris "en flagrant délit d'académisme pesant". Ainsi, le même film peut éveiller des idées complètement contraires chez différentes personnes.
Les changements par rapport au texte d'origine
L'adaptation par Bertrand Tavernier de la nouvelle "La Princesse de Montpensier" n'est pas parfaitement fidèle à Madame de Lafayette. En général, une page de scénario correspond à une minute de film. Une adaptation littéraire subit souvent des coupures, car le format du film ne permet pas de tout dire. Ici pourtant, une courte nouvelle de 35 pages donne un film long de 140 minutes.
Les principaux changements sont répertoriés dans le tableau suivant :
Scène | Dans la nouvelle | Dans le film |
---|---|---|
Le bal | Invitée au bal royal, Marie est heureuse de retrouver le duc de Guise. Toutefois, elle craint la jalousie de son mari. Désormais sûre des sentiments de son amant, elle préfère qu'il ne montre pas de façon trop éclatante ce qu'il ressent pour elle. Plusieurs hommes portant le costume des Maures pour une danse, elle s'adresse au duc d'Anjou et non à Guise, confondant les deux hommes en pleine salle de bal. Elle trahit ainsi ses sentiments pour Henri à l'un de ses rivaux. | La scène du bal pose problème à Bertrand Tavernier. Il trouve presque ridicule le fait que Marie se trompe et prenne le duc d'Anjou pour le duc de Guise. Il fait alors le choix de déplacer la scène dans les coulisses du bal. La raison est d'abord budgétaire, une scène de bal étant très chère, mais permet au réalisateur plus d'inventivités et de vraisemblance. En effet, Marie se trouve parmi les jongleurs, les musiciens et les convives, elle n'a pas encore vu que plusieurs hommes portent le même costume pour la danse des Maures. Elle voit Guise qui retire son masque en lui souriant, lorsqu'elle voit Anjou en costume et en masque ; elle croit donc qu'il s'agit de lui. Par ailleurs, d'un point de vue cinématographique, les coulisses du bal permettent des découpages haletants dans les escaliers, des mouvements rapides des appareils traduisant le mouvement intérieur des personnages. |
La relation entre Marie de Montpensier et le duc de Guise | Dans la nouvelle, Marie et Henri s'aiment depuis leur adolescence. La jeune femme parvient, pour un temps, à l'oublier après son mariage, tandis qu'Henri vaque à d'autres occupations. Toutefois, une fois qu'ils se revoient adultes, la passion reprend. Les mots précieux de Madame de Lafayette cachent une attirance surtout physique. Dès qu'ils se voient, les deux amants sont attirés l'un par l'autre. Toutefois, Madame de Lafayette n'écrit jamais sur des moments intimes charnels, la relation reste non consommée, simplement verbalement admise. | Bertrand Tavernier entend résoudre la tension sexuelle et amoureuse dans les rapports entre Marie et Henri. Dans l'histoire réelle, Guise avait fait un enfant à la femme dont Madame de Lafayette s'inspire pour Marie. Le réalisateur juge cette édulcoration de la réalité peu intéressante et préfère satisfaire le spectateur mais également ses personnages. Il estime que Marie a le droit d'aller "au bout de son destin", de ne pas être simplement punie par sa passion amoureuse mais de pouvoir la vivre pleinement. Ainsi, Marie et Henri connaissent dans le film une nuit charnelle, préparée dès le début du film par les nombreuses scènes dans lesquelles ils se cherchent constamment, l'aspect physique dominant leur passion. |
L'intérêt de Marie pour la culture | Dans la nouvelle, Marie est décrite comme une jeune femme accomplie. Toutefois, jamais Madame de Lafayette ne parle de son intérêt pour la culture ni ne décrit d'éventuelles activités studieuses l'occupant en l'absence de son mari. | Bertrand Tavernier choisit de faire de Marie une jeune femme ayant soif de culture et de connaissance, ce qui souligne son caractère rebelle et sa soif de liberté. Son intérêt pour la culture est très présent, elle demande à Chabannes de l'instruire et pose des questions sur la littérature, l'astronomie et la religion. Cet intérêt pour la culture peut faire penser à Madame de Lafayette elle-même. |
La mort de Chabannes | Dans la nouvelle, la mort du comte de Chabannes est associée à un malheureux hasard, il est tué lors de la Saint-Barthélémy : "Le pauvre comte de Chabannes, qui s'était venu cacher dans l'extrémité de l'un des faubourgs de Paris pour s'abandonner à sa douleur, fut enveloppé dans la ruine des huguenots." Chabannes apparaît comme un personnage pathétique, victime de circonstances hasardeuses. | Le film s'ouvre sur l'assassinat d'une femme enceinte par Chabannes. Il s'agit d'un ajout, mais également d'un changement par rapport à la nouvelle : Tavernier n'est pas convaincu par l'explication que Madame de Lafayette donne pour justifier le fait que Chabannes se retire de la guerre (il ne veut pas risquer de se trouver un jour face à Philippe de Montpensier). Il a donc choisi de le faire tuer cette femme afin de rendre sa culpabilité immense. Aimant l'idée de personnages allant au bout de leurs destins, il refuse la mort accidentelle de Chabannes et choisit au contraire de le montrer, lors de la Saint-Barthélémy, revenant délibérément en arrière et s'exposant au danger pour sauver une femme enceinte, comme pour se racheter de son crime passé. Il est tué alors qu'il la sauve, comme la princesse de Montpensier il choisit son destin. |
La fin de la princesse | Dans la nouvelle, la princesse meurt après avoir appris la mort de Chabannes et l'infidélité de son amant. Abandonnée par son mari, elle tombe très malade et ne survit pas. | Bertrand Tavernier a beaucoup de sympathie et d'affection pour son héroïne. Il refuse de la punir. Il la fait aller au bout de son destin, il fallait qu'elle sache si Guise était prêt au même sacrifice qu'elle. Marie retrouve donc le duc qui lui brise le cœur en ne la choisissant pas. La fin du film se focalise sur des plans de la chevauchée de Marie accompagnée par la voix de Chabannes (long travelling). Elle va se recueillir sur sa tombe. En voix off, on l'entend affirmer qu'elle se retire de la vie comme elle s'est retirée de l'amour. Toutefois, la fin reste ouverte, la mort ne l'emporte pas, rien ne paraît inéluctable bien qu'on sache que son mari ne voudra plus la voir et qu'elle a perdu un ami et son amant. |
La transposition du langage de la nouvelle
Le texte classique et précieux de Madame de Lafayette pose la question de la transposition du langage. Cette transposition est double dans le film, puisqu'il faut à la fois interpréter la langue et illustrer les nombreux blancs du récit.
L'interprétation de la langue classique
Pour La Princesse de Montpensier, le travail d'adaptation consiste à la fois à épurer et amplifier le texte. Il faut le libérer de son imprégnation janséniste et précieuse. En effet, Madame de Lafayette écrit à une époque relativement puritaine une histoire du XVIe siècle. Elle ne retranscrit pas l'aspect plus charnel et plus violent de l'époque puisqu'elle doit se conformer à ce que sa société attend d'un ouvrage littéraire. Bertrand Tavernier, filmant au XXIe siècle, peut s'autoriser à montrer le XVIe siècle de façon plus authentique.
Pour la revue L'Express, le réalisateur explique qu'il y avait un mystère du texte, qu'il fallait décrypter le langage : "Un simple mot, a priori anodin, ouvrait ainsi des perspectives inouïes". Il donne l'exemple de la phrase "Marie, tourmentée par ses parents, dut se résoudre à accepter Philippe de Montpensier pour mari." Grâce à l'historien Didier Le Fur, Bertrand Tavernier comprend que l'adjectif "tourmentée" signifie, au XVIIe siècle, "torturée". Un lecteur d'aujourd'hui ne le comprend pas ainsi. Le réalisateur, en adaptant le récit, choisit alors de montrer la violence de cette scène, Marie est violentée par son père, presque battue. Derrière le récit policé se cache donc une forme de brutalité.
L'adjectif "tourmenté" est utilisé dans les textes religieux du Moyen Âge pour décrire les horreurs de l'Enfer.
Par ailleurs, il s'agit également de retrouver la langue que pouvait parler les contemporains du XVIe siècle. Celle de Madame de Lafayette, très précieuse, correspond davantage au XVIIe siècle. Par ailleurs, les personnages ne s'expriment pas souvent au discours direct dans le récit, il faut donc inventer des dialogues qui sont le plus souvent résumés et rapportés dans la nouvelle. Avec Jean Cosmos, Bertrand Tavernier a donc travaillé une langue à la fois ciselée mais naturelle, qui ne serait pas trop littéraire tout en étant maîtrisée et différente de celle utilisée aujourd'hui.
Enfin, il faut pouvoir traduire les figures de style de Madame de Lafayette. Lors de la scène de la rivière par exemple, qui correspond à la rencontre entre le duc d'Anjou, le duc de Guise et Madame de Montpensier, l'auteur utilise de très nombreuses hyperboles :
- "Beauté surnaturelle"
- "Leur parut une chose de roman"
- "Grâce admirable"
- "Charmes de son esprit"
- "Extraordinairement surpris"
Le film retranscrit cette idée de féerie, avec la rivière, un silence presque magique et sur la barque Marie, nimbée de lumière. Les images lumineuses et magnifiques sont l'équivalent du langage hyperbolique.
L'illustration des blancs du récit
L'autre travail de Bertrand Tavernier consiste à développer les implicites et les non-dits que l'on trouve dans la nouvelle. À la place des ellipses, il s'agit de restituer une réalité historique et morale que l'esthétique classique édulcore. Il faut donc effectuer un travail de modernisation. Le premier débroussaillement consiste à repérer ce que l'auteur a caché derrières certaines phrases et certains mots. La difficulté est que le sens du langage peut changer d'une époque à l'autre. Il faut garder à l'esprit que Madame de Lafayette écrit à une époque puritaine, s'inscrit dans le mouvement de la préciosité, et suit le développement du jansénisme.
Dans la nouvelle, l'auteur ne s'attarde pas sur la vie de couple des jeunes mariés, ni sur les duels. Bertrand Tavernier choisit de montrer ces scènes. On voit ainsi Marie et Philippe nus devant des domestiques ou devant Chabannes, le rapport à la nudité étant différent au XVIe siècle.
En mettant en scène les duels, Bertrand Tavernier garde à l'esprit ce qu'Alexandre Dumas a précisé, à savoir que les duels étaient de plus en plus sévèrement réprimés sous Louis XIII, les codes du combat devenant de plus en plus sauvages.
Les ellipses de Madame de Lafayette lui permettent également de ne pas prendre parti sur des questions délicates, notamment sur la religion. Elle doit éviter la censure et ne pas s'attirer les foudres du roi ou des représentants de l'Église. Dans son film, Bertrand Tavernier explique davantage le contexte historique, il a besoin de préciser dans le prologue les raisons pour lesquelles le personnage de Chabannes abandonne la guerre, mais également les motifs qui déchirent catholiques et protestants. Les contemporains de Madame de Lafayette n'avaient pas besoin de ces précisions car les faits historiques étaient proches et avaient encore des répercussions, ils savaient à quoi elle faisait référence. Les spectateurs du XXIe siècle ne sont pas nécessairement aussi bien informés.
Parfois, Madame de Lafayette utilise peu de mots et Bertrand Tavernier développe cela en plusieurs scènes. C'est le cas lorsqu'elle écrit une phrase résumant le mariage de Marie et Philippe. Dans le film, cela donne trois scènes : le dîner, la nuit de noces et le départ des jeunes mariés le lendemain matin.
De la même façon, la scène entre Guise et Marie avant le mariage de cette dernière est inventée à partir de la phrase : "[Elle] conjura M. de Guise de ne plus apporter d'empêchements et oppositions à son mariage."
Tavernier crée également le dialogue entre Marie et sa mère, alors que celle-ci la convainc d'épouser Philippe, à partir du passage suivant : "et connaissant par sa vertu qu'il était dangereux d'avoir pour beau-frère un homme qu'elle souhaitant pour mari, [elle] résolut enfin d'obéir à ses parents."
Dans le dialogue entre Marie et sa mère, Bertrand Tavernier s'inspire d'un courrier que Madame de Lafayette a écrit à son ami Ménage. En effet, la mère dit : "L'amour est la chose la plus incommode du monde. Et je remercie le ciel tous les jours qu'il nous ait épargné cet embarras à votre père et moi." Madame de Lafayette avait écrit : "Je suis si persuadée que l'amour est une chose incommode, que j'ai de la joie que mes amis et moi en soyons exempts."
Tout en voulant rester fidèle à la langue, Bertrand Tavernier a fait le choix de supprimer tout ce qui est trop alambiqué ou précieux dans la nouvelle.
Une exclamation comme "Ah ! c'est trop, il faut que je me venge […] puis je m'éclaircirai à loisir !" a été supprimée.
Une exclamation comme "Ôtez-moi la vie vous-même […] ou tirez-moi du désespoir ou vous me mettez !" a été supprimée.
Restituer la réalité historique
Une réalité violente
Dans le commentaire qu'il fait de son propre film, Bertrand Tavernier explique bien qu'il était important pour lui de restituer la violence de la réalité historique. À l'automne 1567, au moment où commence l'histoire, les guerres de religion divisent la France. Le film s'ouvre sur les morts au champ de bataille. Les mots utilisés dans la nouvelle sont "déchirer", "désordre" : cela traduit la violence. Bertrand Tavernier choisit de montrer la fin de la bataille car il trouve particulièrement insoutenable ce moment où l'on achève les mourants. Le moment qui suit, où Chabannes tue une femme enceinte, est particulièrement choquant et horrifique. La réalité de la guerre est montrée sans édulcoration.
Les scènes de bataille sont représentées comme barbares. Bertrand Tavernier insiste sur le fait qu'à l'époque les soldats ne portaient pas d'uniformes : on ne se reconnaît donc pas. Dans la boue et sous la pluie, le massacre est donc aussi terrifiant qu'absurde.
La violence historique ne passe pas simplement par des scènes de guerre, on peut citer également :
- La nuit de noces : la pratique n'est pas forcément très répandue, mais dans la noblesse, il arrivait que la famille assiste à la nuit de noces afin de vérifier que la jeune fille est vierge et que le jeune homme n'est pas impuissant. Ce genre d'exposition est assez traumatique pour les mariés. Bertrand Tavernier le traduit en montrant Philippe maladroit et déboussolé, découvrant que Marie ne sait pas ce qui va se passer entre eux et lui murmurant de fermer les yeux.
- Le mariage forcé : la scène où Marie est violentée par son père car elle refuse d'épouser Philippe traduit la violence de cette pratique courante au XVIe siècle.
François Ier aurait été aux côtés de son fils Henri et de Catherine lors de leur nuit de noces afin de prodiguer des conseils.
Une reconstitution vivante
Bertrand Tavernier entend restituer l'Histoire de façon vivante. Il ne veut surtout pas se perdre dans une forme d'académisme. Pour les scènes de bataille, il utilise plusieurs trucages pour donner l'illusion de grandeur et de mouvement. Il choisit de tourner en Cinémascope, sans effets spéciaux, sans étalonnage numérique, pour plus de réalisme.
Pour filmer les champs de bataille, Bertrand Tavernier a recours à des plans filmés à la grue.
Pour donner l'illusion d'un camp royal étendu, Bertrand Tavernier privilégie le mouvement. Il n'utilise en effet que sept tentes. De la même façon, il y a assez peu de figurants sur les scènes de bataille, mais comme la caméra bouge sans arrêt le spectateur croit que tout est immense et qu'il y a beaucoup de monde.
Pour les scènes de bataille, Bertrand Tavernier s'inspire particulièrement des films d'Akira Kurosawa et filme cinq ou six actions se déroulant en même temps dans le plan pour mieux restituer la réalité de la guerre.
Le mouvement est présent et important également dans les scènes de chevauchée et de voyage.
Un travelling permet de suivre un vrai carrosse en mouvement, une petite voiture électrique suit ce qui permet de filmer la conversation de Marie (dans le carrosse) et Philippe (à cheval) en un seul plan.
Afin de faire comprendre aux acteurs qu'il n'attend pas d'eux un jeu guindé mais un vrai naturel, Bertrand Tavernier peut donner des conseils surprenants. Ainsi, il décrit à Gaspard Ulliel le personnage d'Henri de Guise comme "un caïd du 93, qui aime affronter des CRS, foncer en scooter".
Toujours par souci de privilégier un aspect "vivant", Bertrand Tavernier refuse de trop respecter les décors ou les costumes. Ce sont des lieux de vie pour les personnages, pas des musées, et les vêtements sont ceux qu'ils portent tous les jours, pas des antiquités.
Avant son duel amical avec Henri, Philippe jette sa cape par terre.
Pour apporter de la légèreté à l'histoire, le réalisateur montre Marie avec son amie, une jeune femme avec laquelle on la voit plaisanter, rire et danser. Cela permet des scènes plus tendres, plus vivantes, et souligne la jeunesse des personnages. L'aspect rigide du film historique est ainsi évité.
Tavernier a gardé un petit moment de danse entre Marie et Jeanne pour symboliser le rire et le bonheur.
Jeanne et Marie échangent de façon complice un moment dans la cuisine en mangeant.
La reconstitution historique passe également par d'autres détails comme :
- Le choix des costumes
- Le choix de la musique
- Des scènes de la vie quotidienne
La scène de mariage de Marie et Philippe est inspirée par les peintures du XVIe siècle.
Lors du dîner suivant le mariage de Philippe et Marie, les pères échangent une recette de cuisine sur les anguilles qui est tirée du roman Les Quarante-cinq d'Alexandre Dumas.
Bertrand Tavernier montre qu'un château au XVIe siècle est autosuffisant dans une scène où Marie discute avec Chabannes. On voit alors la cuisine où tout le monde s'affaire et la buanderie.
À la cour, la musique utilisée est celle d'un branle, danse au mouvement vif que les danseurs exécutaient en se donnant la main au XVIe siècle.
L'utilisation de la musique et du paysage
La musique comme catalyseur des passions
Il faut faire toujours attention à ce que la musique existe par elle-même en tant que musique.
Philippe Sarde
Philippe Sarde a été choisi pour écrire la musique du film. Dès le générique, on entend un air qui va devenir "l'air de Chabannes" et qui s'inspire d'une chanson populaire de l'époque "Une jeune fillette". Cette chanson n'est pas sans rappeler le destin de Marie. En effet, elle évoque l'histoire d'une jeune fille forcée d'aller au couvent alors qu'elle aime un garçon et veut vivre cette passion. Ce thème musical est repris et développé six fois dans le film, lors de scènes clés :
- Dans le générique principal, au moment où Chabannes est introduit pour la première fois.
- Lors de la fin de la course de Chabannes qui vient de déserter.
- Lorsqu'il raconte à Marie pourquoi il a décidé de se retirer de la guerre.
- Lors de l'arrivée au camp royal pendant la guerre.
- Lors de la mort de Chabannes.
- Lorsque Montpensier, à la fin du film, rejoint Marie pour lui apprendre la mort de Chabannes.
On trouve cette chanson dans le film Tous les matins du monde d'Alain Corneau, sorti en 1991.
La musique écrite par Philippe Sarde est une "fausse musique XVIe". Le travail est très moderne, avec des instruments comme le trombone, le violoncelle, la contrebasse et les percussions. Les différentes musiques utilisées dans le film traduisent les sentiments des personnages ou ceux que Bertrand Tavernier veut transmettre aux spectateurs.
Orchestralement parlant, j'ai choisi une formation proche du XVIe, mais avec une écriture d'aujourd'hui. L'outil est d'époque, le langage actuel. Ce n'est pas une combinaison importante, simplement vingt-cinq musiciens qui, dans le grand studio d'Abbey Road, sonnent comme cinquante : des cordes (sans violon, pour éviter l'excès de lyrisme), des trombones, plus trois instruments baroques. Sans oublier quatre pupitres de percussions : le goût de Tavernier pour les rythmes heurtés, remplis de syncopes et contretemps, est l'un des fils rouges de notre collaboration.
Philippe Sarde
Les effets percussifs sont d'ailleurs très utilisés tout le long du film, ils permettent de traduire la violence de la guerre et des sentiments, mais apportent également une dynamique et un lyrisme certain, notamment aux séquences de bataille.
Lors d'une scène où Marie étudie, on entend un morceau de musique à la flûte, au trombone et à la contrebasse qui traduit la quiétude et la sérénité du moment.
Lors du dialogue entre Marie et Chabannes sur la foi, la contrebasse, des cordes et une voix d'enfant sont utilisées, apportant du lyrisme et de l'innocence à la scène.
Pour traduire l'anxiété de Philippe, le trombone est utilisé.
Lors de l'avancée de Guise la nuit dans la cour, avant qu'il ne rejoigne Marie, de sombres accords de violoncelle sont utilisés. Cette musique permet d'accentuer la tension que ressent le spectateur qui a peur pour lui.
Lors du massacre de la Saint-Barthélémy, une musique religieuse résonne, une messe avec des percussions symbolisant la rédemption de Chabannes.
Pour traduire l'anxiété de Philippe, le trombone est utilisé.
Parfois, de la musique d'époque est utilisée par Philippe Sarde.
Au bal du roi, on entend un motif musical de viole de gambe typique de l'époque du XVIe siècle.
Le Psaume de Lassus est utilisé en musique de fin pour le générique.
Bertrand Tavernier souhaitait une musique qui rappelle bien l'époque sans entrer, une fois de plus, dans la reconstitution parfaitement minutieuse et guindée du XVIe siècle.
Je ne voulais surtout pas d'une fausse musique XVIe siècle. Et même si Philippe Sarde s'est inspiré dans deux titres de compositeurs de l'époque comme Roland de Lassus, nous souhaitions que l'orchestration et les harmonies de la musique soient très modernes, en utilisant beaucoup de percussions. Du coup, il a travaillé avec une formation originale composée de trois musiciens baroques, quatre trombones, sept contrebasses et violoncelles, et cinq percussionnistes - mais pas de violons.
Bertrand Tavernier
La musique du film est très souvent d'une grande ampleur orchestrale lorsqu'il s'agit d'accompagner les paysages naturels que Tavernier filme avec un plaisir évident.
Le paysage, un facteur de dramatisation
Bertrand Tavernier cherche à donner du mouvement et de la vie à son film, ce qui passe notamment par l'utilisation qu'il fait des paysages. Ils servent à dramatiser l'histoire. C'est la passion de Tavernier pour les westerns qui le pousse ainsi à intégrer les paysages à l'action dramatique. Le paysage peut traduire les émotions des personnages.
Au début du film, le sous-bois filmé à contre-jour, avec l'arbre isolé, est un paysage qui correspond à l'émotion de Chabannes.
La technique du CinemaScope est utilisée.
CinemaScope
Le CinemaScope est un procédé de prise de vues consistant à comprimer l'image à la prise de vue, pour la désanamorphoser à la projection (la rendre plate).
Les paysages extérieurs sont filmés en plans très larges ou en forte plongée. Cela permet des mouvements plus amples, jusque dans les séquences de chevauchée qui sont tournées en plan séquence et en son direct : le souci de réalisme de Bertrand Tavernier permet de présenter des scènes plus vivantes, donc forcément plus dramatiques. Le spectateur a l'impression de mieux vivre l'histoire, de faire partie du film.
Par ailleurs, j'adore trouver des extérieurs stimulants sur le plan dramatique et qui renvoient aux états d'âme et aux émotions des personnages. Les prolongent. Cette utilisation des espaces est une chose que j'ai vraiment apprise du cinéma américain. Et j'avais une vraie complicité avec le cadreur Chris Squires, rencontré sur Dans la brume électrique, qui partageait mes points de vue, cherchait à être toujours "au contact" avec les émotions des acteurs, au plus près de leurs sentiments.
Bertrand Tavernier
Dossier de presse Studio Canal