Sommaire
IL'homme et les dieuxALa fatalité : les MoiresBLa fatalité : la TuchêCLa tragédie, conflit entre l'humain et les forces divinesDLa justice divineIIUne tragédie politiqueALa place de la Cité dans la pièceBŒdipe, un homme d'ÉtatCUne réflexion sur la tyrannieDLe rôle de CréonIIIL'originalité de SophocleALe naturel chez SophocleBLes invraisemblancesCŒdipe ou la naissance du conflit entre le sujet et sa conscienceSophocle écrit une tragédie qui s'inscrit dans la continuité des œuvres de ses contemporains. En effet, il insiste sur le lien entre l'homme et les dieux en mettant en scène l'idée de fatalité. Œdipe ne peut pas échapper à son destin.
Mais Sophocle écrit aussi une pièce politique. Il insiste sur la liberté de l'homme, sur sa responsabilité au sein de la Cité. Œdipe est un homme d'Etat qui semble sombrer dans la tyrannie. L'originalité de Sophocle tient particulièrement à la façon dont il utilise ce qu'on appelle le "naturel", malgré les relatives invraisemblances de la pièce.
L'homme et les dieux
La fatalité : les Moires
La fatalité est évoquée à plusieurs reprises dans la pièce par le chœur, qui cite la Moira, divinité qui contrôle le destin des hommes. Elle devient ensuite triple : les Moires. Elles décident d'avance de l'heure de la mort de tous les hommes.
Ah ! fasse le Destin que toujours je conserve la sainte pureté dans tous mes mots, dans tous mes actes. Les lois qui leur commandent siègent dans les hauteurs : elles sont nées dans le céleste éther, et l'Olympe est leur seul père ; aucun être mortel ne leur donna le jour ; jamais l'oubli ne les endormira : un dieu puissant en elles, un dieu qui ne vieillit pas.
Sophocle
V av. J.-C.
Le chœur ici parle de la fatalité. Les Moires font respecter l'ordre divin. Le chœur cite le "céleste éther", qui est l'endroit où l'air serait le plus pur. Il évoque aussi l'Olympe, le mont des dieux, et enfin un "dieu puissant", c'est-à-dire la force divine.
La fatalité : la Tuchê
Il existe aussi chez les Grecs la notion de hasard liée au destin. La Tuchê est ainsi le nom d'une divinité qui peut agir sur le destin des hommes de manière complètement aléatoire, de façon juste ou injuste.
Jocaste évoque cette divinité dans la pièce, notamment dans la réplique suivante :
Et qu'aurait donc à craindre un mortel, jouet du destin, qui ne peut rien prévoir de sûr ? Vivre au hasard, comme on le peut, c'est de beaucoup le mieux encore.
Sophocle
Œdipe roi
Ve siècle av. J.-C.
La destinée humaine est insondable. Jocaste ne croit pas aux prophéties des devins car elle estime que l'homme ne peut pas maîtriser le monde qui l'entoure, ni en comprendre tous les mystères.
La fatalité est source d'angoisse. La question posée par la pièce est la suivante : pourquoi naître si l'homme ne peut pas maîtriser sa propre existence, s'il ne peut pas être libre ?
La tragédie, conflit entre l'humain et les forces divines
Dans la pièce, Sophocle met en scène l'idée d'un conflit entre les hommes et les dieux. C'est la distance entre ces deux entités qui crée le tragique. Les dieux ne cessent de tenter de communiquer avec Œdipe, mais il ne les entend pas.
Les oracles sont un intermédiaire entre les hommes et les dieux. Le plus célèbre est l'oracle de Delphes. Il s'agissait d'une femme appelée la Pythie, souvent citée dans Œdipe roi. L'oracle est ici la source du tragique :
- Créon envoyé par Œdipe pour consulter l'oracle, qui dit qu'il faut punir le tueur de Laïos. C'est la réponse de la Pythie qui motive la sanction d'Œdipe : mort ou exil pour le criminel. Œdipe, sans le savoir, se condamne lui-même.
- Jocaste rappelle que Laïos avait consulté la Pythie, et explique à Œdipe en quoi ses visions se sont révélées fausses. Ces aveux ébranlent Œdipe.
- Œdipe raconte également l'épisode dans lequel il a consulté l'oracle et la prophétie qu'on lui a faite.
L'autre personnage qui parle pour les dieux dans la pièce est le devin Tirésias. L'affrontement entre Œdipe et le devin est source de tension. Les hommes et les dieux ne communiquent pas bien.
Œdipe est un homme révolté contre les dieux. Le chœur ne cesse de rappeler qu'il faut respecter la volonté divine. Il affirme qu'il faut avoir confiance. Mais les dieux ne s'expriment pas clairement, et c'est cette ambiguïté qui est au cœur de la tragédie.
La justice divine
On peut parler de lutte entre les hommes et les dieux. La question de la justice devient alors primordiale. Les dieux, en imposant leur volonté, leur ordre, privent les hommes de liberté, leur ôtent tout pouvoir.
Les dieux ont puni Laïos car, alors qu'il était l'hôte de Pélops, il a violé son fils. Il doit payer pour son crime.
Mais Œdipe n'avait rien fait. Il n'est pas conscient du parricide et de l'inceste dont il s'est rendu coupable. C'est cette justice aussi qu'Œdipe remet en cause. Pourquoi Œdipe doit-il payer pour les crimes de son père ? La loi des dieux est une loi non écrite, elle fixe des règles fondamentales. Mais la punition qu'ils infligent à une famille entière peut paraître disproportionnée.
Une tragédie politique
La place de la Cité dans la pièce
Sophocle est réputé pour ses partis pris. Il se pose souvent la question de ce qu'est un bon roi.
Dans la pièce Antigone, Sophocle critique le pouvoir de Créon, qui est devenu aussi tyrannique (voire plus) qu'Œdipe.
Tragique et politique sont liés dans la pièce. C'est en gérant les affaires de la polis, c'est-à-dire les affaires de la Cité, qu'Œdipe s'engage à trouver le coupable du meurtre de Laïos.
Le chœur représente la collectivité. C'est lui qui rappelle les devoirs du citoyen : valeurs nationales, religieuses ou civiques. Il rappelle surtout que l'homme est soumis à la volonté des dieux.
L'épidémie de peste qui ravage la ville de Thèbes rappelle celle qui toucha Athènes et dans laquelle Périclès mourut.
Œdipe, un homme d'État
Œdipe est d'abord le sauveur de la Cité, l'élu qui a su délivrer Thèbes. Il est monté sur le trône grâce à un exploit mythologique. Il semble être un bon roi. Il est aimé de son peuple, qui rappelle les bienfaits qu'il lui a apportés. Il assure qu'il souffre comme eux :
Mon cœur à moi gémit sur Thèbes et sur toi et sur moi tout ensemble.
Sophocle
Œdipe roi
Ve siècle av. J.-C.
La position d'Œdipe n'est pas facile : en tant que roi, il est celui qui prend tout sur lui.
Œdipe est un homme d'action :
- Lorsqu'il voit que son peuple souffre, il envoie Créon voir l'oracle.
- Il prend tout de suite des initiatives pour retrouver le meurtrier.
Si Œdipe est puni par les dieux, le châtiment qu'il reçoit est finalement celui qu'il a lui-même édicté : l'exil. Il obéit à lui-même, il purifie la Cité, le trône, et le peuple de Thèbes, comme il l'avait promis.
Une réflexion sur la tyrannie
Tyrannie
La tyrannie est un système politique dans lequel un seul homme ou un groupe d'hommes exercent un pouvoir absolu sur les autres.
Dans la pièce, Sophocle propose une réflexion sur la tyrannie. Œdipe vit dans l'illusion de son pouvoir. Il est trop sûr de sa légitimité, il ne la remet jamais en cause. La punition qu'il formule à l'encontre du coupable est violente. L'exil est presque pire que la mort pour la Grèce antique : c'est l'interdiction d'une vie citoyenne, l'homme est privé de ce qui fait son humanité et sa liberté.
Le chœur dit ainsi : "la démesure enfante le tyran". Il met en garde contre les dérives auxquelles Œdipe n'échappe pas.
Le rôle de Créon
Créon est un protagoniste qui s'inscrit essentiellement dans l'intrigue politique de la pièce. Son face-à-face avec Œdipe est constitué de stichomythies, ce qui souligne la virulence de la scène.
La dispute porte essentiellement sur la légitimité du pouvoir. Œdipe accuse Créon de vouloir s'emparer du trône, d'être un usurpateur. Œdipe légitime sa place en rappelant qu'il a sauvé le peuple du Sphinx. Créon rappelle qu'autre chose légitime le pouvoir d'Œdipe : son mariage avec Jocaste. On accède aussi au pouvoir par alliance.
L'affrontement entre Créon et Œdipe entraîne une dégradation de la situation d'Œdipe. Il se montre injuste et violent, tyrannique. En punissant Créon, qui est un bon sujet loyal, il provoque un déséquilibre.
L'originalité de Sophocle
Le naturel chez Sophocle
Sophocle est connu pour avoir introduit trois acteurs dans la tragédie, mais aussi des décors peints. On parle du "naturel" de Sophocle, qui cherche à s'approcher le plus possible de la réalité.
Les unités de temps et de lieu sont respectées dans Œdipe roi. Le spectateur a ainsi l'impression de suivre l'intrigue "en temps réel".
Le naturel est aussi lié aux réactions des personnages. Sont-elles crédibles ? Le besoin de savoir chez Œdipe est naturel. Il veut savoir de qui il est le fils lorsqu'il apprend que Polybe n'est pas son père biologique. On comprend aussi le conflit entre Œdipe et Tirésias car le roi est d'un naturel colérique et impulsif.
La question du naturel est donc liée à la vraisemblance. Il faut que l'intrigue paraisse plausible, crédible.
Les invraisemblances
Il existe toutefois de nombreuses invraisemblances dans Œdipe roi :
- Artifices du langage : au début de la pièce, pour rappeler la grandeur d'Œdipe, il est dit : "toi que tous nomment l'illustre Œdipe".
- Œdipe condamne Créon, mais Sophocle laisse tout de même le personnage se défendre et argumenter, ce qui paraît peu vraisemblable. Si la décision d'Œdipe est prise, Créon ne devrait pas pouvoir s'exprimer. La tirade de Créon est informative pour le spectateur.
- Au début de la pièce, Œdipe rappelle que la descendance de Laïos est marquée par la fatalité, mais logiquement il ne doit pas connaître cette information. Jocaste ne lui a encore rien révélé.
- On peut qualifier l'arrivée du berger d'artificielle. Elle sert à révéler la véritable filiation d'Œdipe, mais cette coïncidence paraît peu vraisemblable.
Les invraisemblances dans la pièce garantissent la cohérence de l'œuvre et son organisation. Surtout, cela donne l'impression que les événements s'enchaînent naturellement.
Œdipe ou la naissance du conflit entre le sujet et sa conscience
Avec Œdipe roi, Sophocle ouvre une nouvelle ère du tragique, dont les conflits ne surviennent plus seulement entre l'humain et des forces divines, mais aussi entre le sujet et sa propre conscience, faisant surgir ainsi l'individu au cœur de la Cité.
Œdipe n'est plus seulement celui qui est le jouet du destin. Il est celui qui doit rendre des comptes à la justice humaine, à ses concitoyens. Il est celui qui a des devoirs envers les hommes.