Sommaire
ILa résolution du meurtre de LaïosALa forme d'une enquête policièreBUne enquête originaleCLa multiplicité des intriguesIIŒdipe, héros en quête de véritéAL'intelligence d'ŒdipeBUne quête d'identitéCŒdipe, entre savoir et ignoranceDLa fin de l'enquêteŒdipe roi peut être considéré comme une enquête. La question que pose la tragédie, et le film dans une certaine mesure, est la suivante : "Qui a tué Laïos ?" Pour résoudre cette énigme, le roi Œdipe se lance dans une enquête policière. Celle-ci est originale car l'enquêteur est aussi le tueur, mais également car les intrigues sont multiples et que le public connaît déjà l'histoire.
Cette enquête devient une quête de vérité, et surtout une quête d'identité. Œdipe part en effet à la découverte de ses racines, sans en être conscient.
La résolution du meurtre de Laïos
Hé bien ! je reprendrai l'affaire à son début et l'éclaircirai, moi.
Sophocle
Œdipe roi
Ve siècle av. J.-C.
La forme d'une enquête policière
Œdipe roi a pour thème fondamental la quête de la vérité. Elle est une sorte de tragédie initiatique. L'oracle, bien qu'absent de la pièce (mais pas du film), est important. Sa parole oraculaire est à l'origine de l'action.
Plusieurs facteurs peuvent apparenter Œdipe roi à une enquête policière :
- Le thème principal : un meurtre a été commis, il s'agit de retrouver l'assassin. Il y a eu des témoins du meurtre (le vieux serviteur qui accompagnait Laïos), et Jocaste elle-même, mémoire de Thèbes, connaît l'histoire.
- La présence d'un enquêteur : Œdipe a déjà fait ses preuves en résolvant l'énigme du Sphinx, c'est un "enquêteur légendaire".
- La "fausse piste" : Tirésias lui révèle la vérité, mais l'enquêteur ne le croit pas, et part sur une tout autre hypothèse.
- La violence : Œdipe cherche à arracher la vérité à des témoins qui se dérobent, il peut se montrer très violent en interrogatoire.
- La résolution de l'énigme à la fin.
[...] faire place nette ? Mais comment ? De quoi s'agit-il ? Qu'est-il arrivé ? [...] Quelle est la victime ? De qui parle l'oracle ? [...] Mais où sont-ils ? Où donc ? Où trouver leur trace ?
Sophocle
Œdipe roi
Ve siècle av. J.-C.
En véritable enquêteur, Œdipe pose de nombreuses questions au cours de la pièce.
Une enquête originale
On peut considérer qu'Œdipe roi est à l'origine de la littérature policière.
Tout roman policier est bâti sur deux meurtres dont le premier, commis par l'assassin, n'est que l'occasion du second dans lequel il est la victime du meurtrier pur et impunissable, du détective qui le met à mort, non par un de ces moyens vils que lui-même était réduit à employer, le poison, le poignard, l'arme à feu silencieuse, ou le bas de soie qui étrangle, mais par l'explosion de la vérité. [...] Le détective est le fils du meurtrier, Œdipe, non seulement parce qu'il résout une énigme, mais aussi parce qu'il tue celui à qui il doit son titre, celui sans lequel il n'existerait comme tel, parce que ce crime lui a été prédit dès sa naissance...
Michel Butor
L'Emploi du temps
1956
Michel Butor explique dans cet extrait pourquoi il considère que Sophocle est à l'origine de la littérature policière.
Il s'agit toutefois d'une enquête originale, qui s'affranchit du schéma classique de la littérature policière. Elle se démarque pour plusieurs raisons :
- Le public connaît l'identité de l'assassin, et il n'y a donc pas de suspense au niveau de l'intrigue.
- L'assassin et l'enquêteur ne font qu'un.
- Œdipe remonte le temps.
Œdipe détective n'existe que par le crime qu'il a commis, détective et coupable, il devient son propre bourreau et se punit lui-même.
La multiplicité des intrigues
Il y a plusieurs intrigues qui s'imbriquent les unes dans les autres :
- La première intrigue est mise en place dès le prologue : qui est le coupable ? C'est là que débute l'histoire.
- La deuxième intrigue naît de l'affrontement entre Œdipe et Tirésias. En remettant en doute la parole du devin, Œdipe pose la question suivante : faut-il croire en les oracles ? La première intrigue en est affectée. Si les oracles ont tort, cela ne sert à rien de chercher le meurtrier de Laïos.
- La troisième intrigue est celle qui naît après la révélation du Corinthien, qui apprend à Œdipe qu'il a été adopté. Cette intrigue cherche à répondre à la question existentielle "qui suis-je ?".
Le final de la pièce est une résolution de toutes les intrigues, en une seule réponse : le coupable est Œdipe, qui est fils de Laïos, les oracles ont donc bien raison.
Œdipe, héros en quête de vérité
Je saurai tout.
Pier Paolo Pasolini
Œdipe roi
1968
Cette réplique souligne non seulement qu'Œdipe est en quête de vérité, mais qu'en plus il est décidé, fermement résolu, d'où l'utilisation du verbe "savoir" au futur, et l'insistance sur une connaissance totale avec l'adverbe "tout".
L'intelligence d'Œdipe
Les tragédies de Sophocle posent souvent la question de la vérité. Le savoir est transmis à Œdipe par les dieux, mais aussi par sa propre intelligence. C'est la logique d'Œdipe qui l'aide à mener sa quête de vérité jusqu'au bout. L'oracle lui a dit ce que serait son destin, mais il ne lui a pas révélé qui étaient ses parents. C'est une enquête qu'Œdipe doit mener seul.
Œdipe se montre très fier de son intelligence. Il se compare même à un devin.
Car enfin, dis-moi, quand donc as-tu été un devin véridique ? Pourquoi, quand l'ignoble Chanteuse était dans nos murs, ne disais-tu pas à ces citoyens le mot qui les eût sauvés ? Ce n'était pourtant pas le premier venu qui pouvait résoudre l'énigme : il fallait là l'art d'un devin. […] Et cependant j'arrive, moi, Œdipe, ignorant de tout, et c'est moi, moi seul, qui lui ferme la bouche, sans rien connaître des présages, par ma seule présence d'esprit.
Sophocle
Œdipe roi
Ve siècle av. J.-C.
Étymologiquement, Œdipe signifie "pieds enflés". Mais en grec, on entend la racine de oida qui signifie "je sais". Œdipe sait sans savoir.
L'intelligence d'Œdipe et son nom en font un personnage qui est fait pour savoir. Il a en effet soif de connaissance, de vérité.
Une quête d'identité
La question de la vérité est traitée de façon psychologique, dans le sens où la quête du meurtrier de Laïos devient une quête de soi. Ce que cherche Œdipe finalement, c'est la vérité sur lui-même. C'est d'ailleurs ce qui intéresse le plus Pasolini.
Pour lui, le mythe d'Œdipe est une quête d'identité. C'est l'homme singulier qui cherche sa place dans la collectivité. Pasolini s'intéresse à la difficulté pour l'homme d'être lui-même dans la société.
Cette quête de soi a une valeur métaphysique. Le mythe devient l'histoire de tous les hommes : chaque homme cherche sa place dans le monde, tente de comprendre sa condition humaine.
Œdipe, entre savoir et ignorance
Sophocle présente Œdipe comme un personnage qui refuse la vérité mais cherche tout de même à la connaître. Ce paradoxe est ce qui rend le personnage particulièrement ambigu. Il mène son enquête alors même que Jocaste lui conseille d'arrêter.
Ah puisses-tu jamais n'apprendre qui tu es.
Sophocle
Œdipe roi
Ve siècle av. J.-C.
Jocaste ici souligne sa peur qu'Œdipe apprenne qui il est. Elle semble elle-même réaliser qu'il est son fils.
Œdipe se méprend, il croit que Jocaste a honte d'apprendre qu'il est de basse condition. C'est l'orgueil qui le pousse à chercher son identité, car il trouve que cela rend d'autant plus extraordinaire sa destinée.
Je me tiens, moi, pour fils de la Fortune.
Œdipe roi
Ve siècle av. J.-C.
La mise en avant de "moi", encadré par des virgules et faisant office d'apostrophe, souligne l'orgueil d'Œdipe.
Le héros de Pasolini ne veut clairement pas savoir. Contrairement à l'Œdipe de Sophocle, il n'a pas résolu l'énigme du Sphinx, il lui a crié : "je ne veux pas savoir !" Il répète plusieurs fois dans le film qu'il ne veut rien savoir, rien entendre. Œdipe choisit de refouler ses soupçons.
Dans la pièce, Œdipe ne peut croire à ce qu'on lui raconte, mais cherche la vérité. Dans le film, il refuse d'admettre, mais semble déjà savoir. Ainsi, il dit "mère" à Jocaste avant d'être certain de son identité, comme s'il avait déjà compris.
La fin de l'enquête
La scène entre Œdipe et le serviteur de Laïos est la dernière étape de l'enquête. Il y a d'abord un moment d'espoir. En effet, Œdipe croit alors être le fils de la Fortune. C'est l'ultime étape vers la vérité, Œdipe est seul face à son destin.
C'est à ce moment qu'il recherche la vérité à tout prix. Il insiste, il recoupe les faits. Il se montre de nouveau violent, comme il l'a été avec Tirésias, mais cette fois les rôles sont inversés : Œdipe ne cherche plus à faire taire l'homme qui sait, il le force à parler. Dans le film, Pasolini choisit alors la technique du champ-contrechamp. Cela crée une véritable impression de violence.
C'est la réponse que je ne peux pas entendre. Mais il le faut.
Pier Paolo Pasolini
Œdipe roi
1968
Dans le film, Œdipe semble contraint à savoir. Il ne veut pas savoir, mais il n'a pas le choix. Il se résigne.
Dans la pièce et dans le film, la fatalité gagne à la fin. Les deux héros sont obligés de l'accepter. Ils sont obligés de savoir. Mais le héros de Sophocle paraît réellement tout comprendre dans le dernier affrontement avec le berger, alors que le héros de Pasolini paraissait déjà savoir qui était Jocaste.
Dans le film, Pasolini insère une scène où Jocaste devient sombre, tout à coup, alors qu'elle est au jardin. Sa prise de conscience vient avant celle d'Œdipe.