Sommaire
ILa question de la morale au XVIIe siècleALa censure et le respect de la moraleBLes débats autour des problématiques de moraleIIL'idéal de vertuAUne éducation féminine centrée sur la vertuBLe sens du devoirIIILa mort de la princesse, fin morale ou injuste ?AUne vertu compromiseBUne fin violente et solitaireCLes liens avec la mort de la princesse de ClèvesMadame de Lafayette écrit à une époque où le respect de la morale et des mœurs est essentiel. Elle traite, dans son œuvre et notamment dans "La Princesse de Montpensier", de la façon dont les passions bouleversent les âmes humaines et détournent du droit chemin. La vertu et le sens du devoir sont des qualités essentielles pour ses héroïnes. Marie ne parvient pas à triompher de son amour pour le duc de Guise, et pour cela elle est punie. Sa fin, isolée et mortelle, semble toutefois démesurée lorsque l'on songe qu'elle n'a pas réellement commis de péché. Toutefois, une comparaison avec l'œuvre majeure de Madame de Lafayette, La Princesse de Clèves, permet de comprendre qu'elle est moralement coupable d'adultère. Néanmoins, la mort semble attendre les deux princesses, comme si la vertu absolue était impossible à atteindre et la mort la seule issue pour ne plus être bouleversé par la passion amoureuse.
La question de la morale au XVIIe siècle
La censure et le respect de la morale
La morale désigne l'ensemble des règles de bonne conduite, plus ou moins rigide selon l'époque, permettant à un individu de respecter les normes de la société dans laquelle il vit.
En France au XVIIe siècle, tout est codifié par des règles précises. Le cardinal de Richelieu crée l'Académie française en 1634, officialisée en 1635. Elle a pour but de normaliser et perfectionner la langue française, mais également d'interdire tout ce qui ne correspond pas à une forme de pureté littéraire, tant sur la forme que le fond. La morale est très importante, et tous les auteurs de ce siècle classique sont confrontés à la censure : ils ne doivent pas écrire des textes ne correspondant pas à la bienséance et à la morale.
Au XVIIe siècle, la pièce Tartuffe de Molière est interdite par la censure. Plusieurs pièces du dramaturge seront ainsi interdites.
Le cardinal de Richelieu est à l'origine de la censure. Le chancelier et le garde des Sceaux sont chargés de lire les ouvrages qui vont être publiés et de leur octroyer, ou non, "le privilège du roi".
Si le roman et la nouvelle ne sont pas sujets à des règles littéraires, ils doivent tout de même répondre aux critères moraux et de bienséance de la censure. Un ouvrage ne peut pas défendre des valeurs allant à l'encontre des conventions et de l'étiquette de la cour de France.
Les héroïnes romanesques de Lafayette mènent des existences dans lesquelles la question de la morale est très importante. Le sentiment amoureux ne peut être vécu librement, puisqu'il doit naître uniquement dans le cadre du mariage et du respect des usages. Les relations sont très guindées. Les héroïnes de Lafayette tombent toujours amoureuses d'hommes qui ne sont pas leurs époux, elles vont donc à l'encontre de la morale.
La princesse de Montpensier tombe amoureuse du duc de Guise alors qu'elle est mariée au prince de Montpensier.
La princesse de Clèves tombe amoureuse du duc de Nemours alors qu'elle est mariée au prince de Clèves.
Le besoin de respecter la morale permet à l'auteur d'écrire une fiction dans laquelle il y a des obstacles, exacerbant les sentiments des personnages ne pouvant être ensemble. La bienséance enseigne aux amants la dissimulation. Toutefois, afin de ne pas être interdits par la censure, les auteurs doivent livrer des récits condamnant les comportements jugés peu vertueux et encensant les êtres gardant leur vertu.
La morale est si importante au XVIIe siècle que l'on utilise souvent l'expression "romanciers moralistes" pour parler des auteurs de ce temps. Souvent, d'ailleurs, les œuvres romanesques des auteurs reprennent des maximes, genre très à la mode.
Maxime
Une maxime est une formule exprimant une règle morale, un principe ou un jugement à la façon d'un proverbe ou d'un dicton.
Les Maximes de La Rochefoucauld est un célèbre ouvrage constitué de nombreuses maximes, publié en 1665.
Moraliste : auteur qui écrit, qui traite de la morale.
Furetière
Dictionnaire
1690
Cette définition de "moraliste" dans le dictionnaire de Furetière prouve bien que l'auteur moraliste est un écrivain traitant de morale. C'est la première fois que l'entrée "moraliste" apparaît dans un dictionnaire.
Les débats autour des problématiques de morale
La société devenant très mondaine et se retrouvant volontiers à la cour et dans les salons, la question du paraître, de l'hypocrisie, est prégnante. Avec Louis XIV, la vie de la noblesse se centre autour du divertissement, il occupe ses sujets pour mieux les contrôler. Le XVIIe siècle, aussi appelé "Grand Siècle", voit la naissance de la conversation, de la discussion : on débat et on échange plus qu'autrefois, on prend le temps de décortiquer des problématiques et d'analyser longuement des sujets très différents touchant divers domaines, mais particulièrement la littérature et les arts.
Les débats sont de plus en plus centrés sur la question de la morale et des mœurs à partir de 1600 ; cela s'explique car de plus en plus d'ouvrages traitent des manières de vivre en société, de la meilleure manière de se conduire avec autrui.
Dans les salons littéraires, on discute volontiers de la morale. De nombreux thèmes y sont liés. Ainsi, on se demande ce qu'il faut choisir entre le devoir et l'amour. La vérité recherchée est plus morale qu'autre chose. Les œuvres sont discutées et analysées dans le but de débattre de la vertu des héros, de leurs choix.
Après la publication de La Princesse de Clèves, on peut parler de véritable "campagne de presse" de la revue Le Mercure galant. On demande alors aux lecteurs de donner leur avis sur la réaction de la princesse et notamment sur la fameuse scène de l'aveu. Un véritable débat mondain se crée. Le fait de savoir s'il est vraisemblable ou non que la princesse admette à son mari qu'elle aime un autre homme devient une véritable controverse littéraire. Certains jugent ce comportement hautement vertueux et moral, d'autres condamnent une scène invraisemblable et amorale.
Toutefois, il convient de noter que de nombreux nobles et courtisans transgressent les règles de la morale. Dans ce monde, tout est basé sur le paraître alors que les apparences sont souvent trompeuses. Elles permettent simplement de maintenir une bonne réputation. La passion, plus que tout, doit être cachée au risque de tout perdre. Ainsi, tout l'enjeu consiste à ne pas être dévoilé et à surveiller son entourage car les trahisons sont nombreuses. Les jeunes ingénues ou les femmes vertueuses en sont souvent les victimes.
En 1782, Choderlos de Laclos mettra en scène dans son roman épistolaire Les Liaisons dangereuses les mécanismes machiavéliques de l'aristocratie.
L'idéal de vertu
Une éducation féminine centrée sur la vertu
Au XVIIe siècle, la vertu devient une mode, une qualité essentielle particulièrement pour les femmes qu'il est bon de proclamer. En littérature, on s'attache à peindre les passions qui obscurcissent l'esprit justement pour prévenir de leurs effets néfastes sur l'âme et la vertu.
Je répondrai que non seulement il n'est pas périlleux, mais qu'il est même en quelque sorte nécessaire que les jeunes personnes du monde connaissent cette passion pour fermer les oreilles à celle qui est criminelle, et pouvoir se démêler de ses artifices, et pour savoir se conduire dans celle qui a une fin honnête et sainte.
Huet
Lettre à monsieur de Segrais, "De l'origine des romans"
1678
L'éducation des jeunes gens, et particulièrement celle des jeunes femmes, est centrée sur l'idée de vertu. On le constate particulièrement dans l'œuvre de Madame de Lafayette.
Dans La Princesse de Clèves, l'héroïne a grandi loin de la cour de France et de ses simagrées. Elle a reçu une éducation très pieuse et morale qui en font un parangon de vertu.
Dans la nouvelle "La Princesse de Montpensier", Marie essaie de rester vertueuse, qualité que les autres personnages lui associent à plusieurs reprises. Elle lutte contre la passion en réalisant qu'une telle attitude la pousse à adopter des comportements contraires à la morale. Son éducation lui interdit de s'écarter de la voie de la vertu.
Elle pensa combien cette action était contraire à sa vertu et qu'elle ne pouvait voir son amant qu'en le faisant entrer la nuit chez elle à l'insu de son mari, elle se trouva dans une extrémité épouvantable.
Madame de Lafayette
"La Princesse de Montpensier"
1662
Le personnage de Chabannes tombe amoureux de Marie pour toutes ses qualités, et particulièrement pour sa vertu et son caractère exemplaire. Il "regardait avec admiration tant de beauté, d'esprit et de vertu qui paraissaient en cette jeune princesse". D'ailleurs, en passant du temps avec elle, il tient à maintenir et développer la vertu de la jeune femme, "se servant de l'amitié qu'elle lui témoignait pour lui inspirer des sentiments d'une vertu extraordinaire et digne de la grandeur de sa naissance". Il lui trouve des "dispositions si opposées à la faiblesse de la galanterie" qu'il en est subjugué.
Marie est donc une jeune femme qui a été élevée pour lutter contre ce qui viendrait entacher sa vertu. D'ailleurs, tout en reconnaissant son ancien amour pour le duc de Guise, elle est certaine d'avoir éteint toute passion pour lui après son mariage, et se persuade qu'elle pourra continuer s'en protéger grâce à sa vertu. Elle déclare ainsi son inclination pour lui "presque éteinte et qu'il ne lui en restait que ce qui était nécessaire pour défendre l'entrée de son cœur à une autre inclination, et que, la vertu se joignant à ce reste d'impression, elle n'était capable que d'avoir du mépris pour ceux qui oseraient avoir de l'amour pour elle". C'est d'ailleurs cette même vertu qui a permis à Marie d'accepter le mariage que ses parents lui imposaient pour s'éloigner de la tentation que représente le duc de Guise.
[...] connaissant par sa vertu qu'il était dangereux d'avoir pour beau-frère un homme qu'elle eût souhaité pour mari.
Madame de Lafayette
"La Princesse de Montpensier"
1662
Le sens du devoir
Les héroïnes de Madame de Lafayette ne sont pas simplement vertueuses, elles ont le sens du devoir mais également du sacrifice puisqu'elles acceptent de sacrifier un bonheur personnel, jugé égoïste, pour leur devoir. Elles connaissent leur place, elles savent ce qu'elles doivent à leurs familles, à leurs époux, à leur rang. Ce sens du devoir les rend résolues. C'est le cas de la princesse de Montpensier qui assure que "rien ne pouvait ébranler la résolution qu'elle avait prise de ne s'engager jamais." Elle donne ainsi des ordres au duc de Guise, notamment au début de la nouvelle lorsqu'elle doit se marier au prince de Montpensier.
[Elle] conjura M. de Guise de ne plus apporter d'obstacle à son mariage.
Madame de Lafayette
"La Princesse de Montpensier"
1662
L'utilisation du verbe "conjurer" souligne la résolution de Marie qui obéit ici à ses parents. Elle reconnaît ses devoirs envers sa famille et se plie à leurs exigences.
La princesse de Montpensier est capable d'un raisonnement très froid pour démontrer les devoirs de chacun. Elle en fait preuve avec "froideur" et "tranquillité" lorsqu'elle explique à Chabannes avec une certaine cruauté qu'il ne peut avoir aucun sentiment pour elle.
Elle lui représenta en peu de mots la différence de leurs qualités et de leur âge, la connaissance particulière qu'il avait de sa vertu et de l'inclination qu'elle avait eue pour le duc de Guise, et surtout ce qu'il devait à l'amitié et à la confiance du prince son mari.
Madame de Lafayette
"La Princesse de Montpensier"
1662
La mort de la princesse, fin morale ou injuste ?
Une vertu compromise
La passion est un thème récurrent dans l'œuvre de Madame de Lafayette. Elle sème le trouble dans les âmes et éloigne du droit chemin, de la vertu. Le thème de la compromission des mœurs se retrouve dans tous les récits de l'auteur :
- Dans "La Princesse de Montpensier" Marie épouse le prince et tombe amoureuse (ou retombe amoureuse) du duc de Guise.
- Dans La Princesse de Clèves l'héroïne tombe amoureuse du duc de Nemours après avoir épousé le prince.
- Dans "La Comtesse de Tende", l'héroïne succombe à une passion adultérine.
Dans "La Princesse de Montpensier", l'héroïne fait preuve, à plusieurs reprises, d'un comportement qui manque de noblesse, peu en accord avec la vertu :
- Elle se montre cruelle avec Chabannes lorsqu'il lui avoue ses sentiments.
- Elle demande à Chabannes de devenir le messager du duc de Guise.
- Elle avoue ses sentiments au duc de Guise.
- Elle accepte une entrevue seule avec le duc de Guise.
- Elle fait entrer son amant dans sa chambre.
Chez Madame de Lafayette, on relève un refus de bâtir le bonheur sur des illusions et des mythes. Elle analyse ce qu'il y a de plus hypocrite et intéressé dans les sentiments les plus purs. Ainsi, même en décrivant la princesse de Montpensier comme étant une jeune femme pleine de qualités, elle finit par montrer ce qu'il y a de moins reluisant en elle. En se comportant comme elle le fait, en acceptant surtout d'entendre la confession d'amour du duc de Guise, en lui répondant et en le recevant chez elle, elle trahit son devoir envers son époux, elle transgresse la morale, elle perd sa vertu. Elle devient alors une princesse perdue.
Une fin violente et solitaire
L'œuvre de Madame de Lafayette a pour but de prévenir les jeunes filles et femmes des dangers de l'amour. En ce sens, on peut affirmer qu'il s'agit d'un récit à thèse. Marie s'étant montrée peu vertueuse, elle "mérite", si on suit la logique implacable de la morale de l'auteur, d'être punie.
La punition est multiple. D'abord, la princesse de Montpensier reconnaît sa faute : "elle se trouva la plus malheureuse du monde d'avoir tout hasardé pour un homme qui l'abandonnait".
Pour avoir aimé Marie, Chabannes trouve la mort également. Ce n'est pas le cas du duc de Guise qui ne semble pas puni de sa passion.
L'ingratitude du duc de Guise lui fit sentir plus vivement la perte d'un homme dont elle connaissait si bien la fidélité.
Madame de Lafayette
"La Princesse de Montpensier"
1662
Après la scène avec le duc de Guise, Chabannes et son mari, la princesse perd "l'estime de son mari, le cœur de son amant, le plus parfait ami qui fut jamais". Le rythme ternaire permet de souligner les différentes conséquences dramatiques des actions de Marie.
Sérieusement malade après la visite de Guise et la confrontation avec son mari, elle se remet avant de sombrer de nouveau dans un "état aussi dangereux que celui dont elle était sortie" en apprenant la mort de Chabannes. Savoir que le duc de Guise aime la duchesse de Noirmoutier achève de la tuer. Elle perd absolument tout.
Ce fut le coup mortel pour sa vie.
Madame de Lafayette
"La Princesse de Montpensier"
1662
La punition ultime est donc la mort. Torturée par l'amour qu'elle porte au duc de Guise, la princesse a abdiqué sa vertu dans le remord et se retrouve ensuite isolée, abandonnée. Son mari et son amant l'abandonnent et son ami Chabannes meurt.
Elle mourut dans la fleur de son âge, une des plus belles princesses du monde, et qui aurait été sans doute la plus heureuse, si la vertu et la prudence eussent conduit toutes ses actions.
Madame de Lafayette
"La Princesse de Montpensier"
1662
La fin de la nouvelle insiste sur l'aspect punitif de la fin de Marie. L'auteur laisse entendre que si elle s'était comportée plus vertueusement, elle ne serait pas morte si malheureuse.
On peut tout de même se poser la question suivante : la punition de la princesse est-elle à la hauteur de sa faute ? Si l'adultère est symboliquement accepté dans la nouvelle, puisque la princesse avoue son amour à son amant, lui écrit et accepte de le voir seule et de l'introduire chez elle, il n'est jamais réellement consommé. Par ailleurs, la jeune femme a lutté pour garder sa vertu. Elle meurt sans avoir péché. Cela augmente l'admiration du lecteur mais pose aussi une autre question : a-t-on envie de suivre cet exemple ? Est-on encouragé à le faire ? En effet, on peut estimer que la punition aurait été la même si elle avait réellement péché, et penser qu'il vaut mieux pécher que lutter, puisque la punition est la mort dans les deux cas.
Dans "La Comtesse de Tende", l'héroïne succombe à sa passion, elle se donne à son amant. Tout comme Marie de Montpensier, elle meurt à la fin de la nouvelle. Les deux héroïnes connaissent donc le même sort pour des fautes différentes, l'une n'ayant pas succombé à la passion charnelle.
Les liens avec la mort de la princesse de Clèves
Le destin de la princesse de Montpensier, déchirée entre son devoir et sa passion amoureuse, a quelque chose de la tragédie. On y trouve déjà ce qui fera le succès et la grandeur de La Princesse de Clèves, quelque chose des tragédies de Racine dans lesquelles les héroïnes sont profondément divisées.
La mort de la princesse de Montpensier peut sembler injuste au sens où elle ne succombe pas charnellement à sa passion. La mort de la princesse de Clèves paraît encore plus terrible. Autant la comtesse de Tende a péché, autant la princesse de Montpensier a moralement accepté l'adultère, autant la princesse de Clèves a lutté et triomphé de la passion amoureuse. Certes, elle s'arrange parfois pour passer du temps avec le duc de Nemours, notamment lorsqu'elle écrit avec lui une lettre. Néanmoins, elle rejette ses avances, ne lui avoue son amour qu'une fois son époux enterré et seulement pour lui fermer la porte pour toujours. On peut lire l'œuvre de Madame de Lafayette comme une réécriture de la même histoire, parfaitement maîtrisée dans La Princesse de Clèves.
La princesse de Montpensier a plusieurs excuses pour défendre son comportement. Tout d'abord, elle est tombée amoureuse du duc de Guise avant d'être mariée. C'est un amour de jeunesse auquel elle a renoncé, obéissant à ses parents. Cela rend sa situation pathétique. Néanmoins, la jeune femme se complaît presque dans cette position. Par ailleurs, elle se montre cruelle, notamment avec Chabannes, ce qui amenuise sa grandeur. Vertueuse par éducation, dans la nouvelle elle fait preuve de vanité, de cruauté et se détourne du droit chemin.
La princesse de Clèves n'a jamais été amoureuse. Contrairement à la princesse de Montpensier, elle ne connaît pas ce sentiment qui l'envahit autant qu'il la surprend. La princesse de Montpensier a l'expérience qui manque à la princesse de Clèves. Pourtant, cette dernière lutte bien plus admirablement contre ses sentiments, bien qu'elle soit incapable de les cacher. Son comportement reste exemplaire lorsque celui de la princesse de Montpensier peut être condamné.
La différence de situation entre les deux héroïnes se trouve également dans leur relation avec leurs maris. Les deux femmes ont épousé des hommes qui sont follement amoureux d'elles. Toutefois, le prince de Montpensier se montre fort jaloux et même violent à l'égard de Marie, ce qui peut expliquer qu'elle soit tentée de vivre une autre relation. La princesse de Clèves quant à elle ne peut rien reprocher à son époux, aussi doux et tendre que possible, fidèle et noble. Sa situation est donc d'autant plus difficile qu'elle aime un homme qu'elle sait peu constant (le duc de Nemours) alors qu'elle est parfaitement aimé par un être digne de tous les égards, son mari.
La princesse de Montpensier est accablée à la fin de la nouvelle, toutefois, elle n'est responsable de la mort de personne (Chabannes est tué par hasard au cours de la Saint-Barthélémy). Alors même qu'elle a fait preuve d'une implacable vertu, la princesse de Clèves est punie par la mort de son époux, incapable de survivre à l'aveu qu'elle lui fait en admettant aimer un autre homme.
Enfin, la situation diffère également dans l'amour chacun des amants porte à chacune des héroïnes. Le duc de Guise aime Marie dès qu'il la voit, mais il ne se montre pas à la hauteur de la passion qu'elle a pour lui. Il est prêt à renoncer à elle, il tombe même amoureux d'une autre femme ensuite et l'oublie complètement. Nemours, lui aussi, finit par oublier la princesse de Clèves, mais contrairement à Guise il est prêt à l'épouser, il fait tout ce qui est en son pouvoir pour la convaincre de vivre avec lui leur amour. À la fin de la nouvelle, ce n'est pas un amour adultère qu'il lui propose, mais une situation noble et convenable qu'elle pourrait socialement accepter, mais qu'elle refuse par une vertu presque monstrueuse, dépassant l'entendement.
Ainsi, la princesse de Montpensier paraît être un personnage plus léger, moins tragique, plus pathétique. L'amour, chez elle, a quelque chose de frivole et vaniteux. Elle prépare néanmoins la grande héroïne que sera la princesse de Clèves, inégalée dans sa vertu, dans sa noblesse, dans sa bonté et sa clairvoyance. Alors que Marie se persuade de l'amour de Guise et perd sa vertu pour un homme qui ne la méritait pas, la princesse de Clèves pressent qu'un mariage avec Nemours la conduirait au malheur, car aussi noble soit sa proposition d'une union, son caractère volage le conduira à aimer d'autres femmes, alors qu'elle attend un amour unique, absolu et triomphant. La princesse de Clèves est une grande héroïque précieuse et tragique, la princesse de Montpensier une jeune femme trompée par ses sentiments et détruite par la passion.