Sommaire
ILe mythe et la légende : définitionsALe mytheBLa légendeIIŒdipe, un mythe fondateur en perpétuelle adaptationALe mythe d'ŒdipeBUn mythe fondateurCLes sources du mythe1Les sources épiques2Les sources dramaturgiquesDŒdipe dans les arts1Dans les beaux-arts2À l'opéra3Au cinémaIIISophocle, Pasolini et ŒdipeAŒdipe chez SophocleBŒdipe chez PasoliniLes termes "mythe" et "légende" sont souvent confondus, alors qu'il définissent deux concepts différents. Œdipe n'est pas une légende, c'est un mythe. Il raconte l'histoire du fils de Laïos et Jocaste, qui tua son père et épousa sa mère sans le savoir.
Le mythe d'Œdipe est fondateur dans la culture occidentale. Il a bénéficié d'une postérité incroyable. Il trouve sa source dans les récits épiques et a été développé à travers le théâtre. Il a souvent été repris dans les beaux-arts, mais aussi à l'opéra ou au cinéma. Sophocle et Pasolini proposent des versions assez différentes du mythe d'Œdipe.
Le mythe et la légende : définitions
Les termes "mythe" et "légende" sont souvent utilisés comme synonymes, alors qu'ils désignent deux concepts différents. S'ils font tous deux référence à la tradition orale et sont transmis de génération en génération, ils diffèrent par leur intention : le mythe cherche à expliquer le monde, la légende exagère des faits souvent historiques.
L'histoire d'Œdipe est un mythe, et non pas une légende. Il interroge sur les limites de l'homme, sa destinée, et la fragilité du bonheur humain.
Le mythe
Mythe
Le terme "mythe" est issu du grec muthos qui signifie "récit" et "fable". Il s'agit d'un récit imaginaire mettant en scène des personnages hors norme. Les événements racontés sont fictifs.
Le récit de Prométhée qui apporte le feu aux hommes est un mythe.
Le récit de la création du monde dans la Bible est un mythe.
La destruction de l'île Atlantide est un mythe.
Le mythe symbolise un aspect de la condition humaine. Il peut expliquer les mystères de l'univers (origine du monde, phénomènes naturels), certains aspects religieux ou de civilisation d'une certaine communauté.
La mythologie regroupe tous les mythes d'une communauté ou d'une civilisation déterminée. La mythologie grecque et la mythologie romaine sont particulièrement fondatrices de la culture européenne, et même occidentale. L'histoire d'Œdipe est un mythe.
La légende
Légende
Le terme "légende" est issu du latin legenda et signifie "ce qui doit être lu". C'est un récit traditionnel dans lequel il y a des faits extraordinaires.
Le Flying Dutchman, vaisseau fantôme néerlandais condamné à naviguer sur les océans pour toujours, est une légende du XVIIe siècle.
L'histoire de Guillaume Tell, un célèbre tireur à l'arbalète qui aurait assassiné le préfet tyrannique Gessler, est une légende.
La légende est un récit folklorique qui peut se baser sur de véritables événements historiques. En général, une légende se construit sur plusieurs années, s'enrichissant au fur et à mesure. Elle se nourrit du bouche-à-oreille, et les événements paraissent de plus en plus invraisemblables à mesure que le temps passe. La légende s'adapte aux codes de chaque communauté. Elle a souvent aussi un caractère littéraire, c'est pourquoi il est possible de trouver des livres qui transmettent ces histoires.
Contrairement au mythe, la légende n'est pas un récit des origines, elle ne cherche pas à expliquer le monde.
Œdipe, un mythe fondateur en perpétuelle adaptation
Le mythe d'Œdipe
Le mythe d'Œdipe est né dans la Grèce antique. Laïos, roi de Thèbes et époux de Jocaste, apprend de l'oracle de Delphes qu'il ne doit pas avoir d'enfant, car s'il a un fils, ce dernier le tuera et épousera sa mère. Malgré la prophétie, Laïos et Jocaste ont un enfant. Pour échapper au destin, Laïos décide d'abandonner son fils. Il attache les pieds de son enfant en les perçant, et ordonne à un serviteur de l'abandonner sur le mont Cithéron.
Mais des bergers de Polybe, roi de Corinthe, trouvent l'enfant et l'amènent à leur souverain. Polybe et sa femme Mérope, ne pouvant avoir d'enfant, adoptent le bébé qu'ils nomment Œdipe, "celui qui a les pieds enflés", à cause de ses blessures aux pieds.
Œdipe grandit sans savoir qu'il a été recueilli. Un jour, il va voir l'oracle de Delphes qui lui annonce qu'il tuera son père et épousera sa mère. Alarmé, il préfère ne pas revenir à Corinthe, persuadé que Polybe et Mérope sont ses vrais parents. En chemin, il croise un vieil homme sur son char, qui lui ordonne de s'écarter de son chemin. Une violente dispute éclate, et Œdipe tue le vieil homme. Il ignore alors que c'est Laïos. Il a donc tué le roi de Thèbes, mais aussi son propre père.
Œdipe arrive à Thèbes, ville décimée par le Sphinx, monstre avec un corps de chat, des ailes d'oiseau et un buste de femme. Il parvient à résoudre son énigme, et débarrasse la ville de ce fléau. Il épouse la reine Jocaste, sans savoir qu'elle est sa mère.
Des années plus tard, alors que Jocaste et Œdipe ont quatre enfants (Polynice, Étéocle, Ismène et Antigone), la peste ravage Thèbes. L'oracle de Delphes fait savoir qu'il faut punir le tueur de Laïos pour sauver la ville. Œdipe cherche le criminel, et découvre qu'il est lui-même coupable. Il apprend aussi qu'il est le fils de Laïos et Jocaste. Celle-ci se pend, et Œdipe se crève les yeux avant de partir en errance, laissant la ville à son beau-frère Créon.
Un mythe fondateur
Le mythe d'Œdipe est un des mythes fondateurs de la culture occidentale. Il a eu un très fort impact sur la société, qu'il continue d'avoir aujourd'hui.
De sa naissance jusqu'à nos jours, il a subi de nombreuses transformations. Souvent utilisé en art, il a également été repris par Freud pour fonder certaines de ses théories psychanalytiques.
Aujourd'hui, le mythe d'Œdipe est sans doute aussi célèbre que le complexe d'Œdipe, théorisé à la fin du XIXe siècle, et largement débattu et assimilé au siècle suivant.
Les sources du mythe
Les sources épiques
De nombreuses œuvres permettent d'étudier le mythe d'Œdipe. Avant Sophocle déjà, les données sont nombreuses. Le personnage apparaît chez Homère dans l'Odyssée. C'est dans la partie où Ulysse descend aux Enfers qu'il rencontre le fantôme de Jocaste, qui lui apprend les crimes d'Œdipe.
Je découvris aussi la mère d'Œdipe, la belle Épicaste, qui par ignorance commit un exécrable forfait, et s'unit à son fils ; ce héros, ayant tué son père, épousa sa mère ; les dieux révélèrent ce crime aux hommes. Œdipe, souffrant de grands maux dans la sacrilège ville de Thèbes, régna sur les Cadméens par la cruelle volonté des dieux. Épicaste descendit dans les fortes demeures d'Hadès ; elle suspendit une longue corde à la poutre élevée, et périt dans les tourments, laissant après elle au malheureux Œdipe toutes les souffrances qu'exercèrent sur lui les Érinyes de sa mère.
Homère
Odyssée
VIIIe av. J.-C.
Le mythe d'Œdipe est également présent dans les œuvres, aujourd'hui perdues, de Cinéthon. Les fragments récupérés permettent toutefois de réaliser que l'inceste n'existe pas dans cette version. On retrouve également Œdipe chez Eschyle ou Euripide, où les yeux d'Œdipe sont crevés à la suite d'un règlement de comptes, et non par autopunition.
Les sources dramaturgiques
Les dramaturges antiques ont repris le mythe d'Œdipe, qu'ils ont davantage dramatisé et enrichi. C'est Eschyle le premier qui consacre une trilogie au mythe avec les pièces suivantes :
- Laïos
- Œdipe
- Les Sept contre Thèbes
Dans ces pièces, Eschyle insiste sur la faute de Laïos. En effet, malgré les recommandations divines de l'oracle qui lui interdit d'avoir un fils, il partage la couche de Jocaste qui met au monde Œdipe. Si la fatalité s'acharne sur Œdipe puis ses enfants (Polynice, Étéocle, Antigone et Ismène) c'est d'abord à cause de Laïos.
Euripide consacre également une tragédie à Œdipe, qu'il intitule simplement Œdipe. Dans cette pièce, le héros ne s'automutile pas, ce sont les serviteurs de Laïos qui lui crèvent les yeux pour venger leur maître. Dans une autre pièce, Les Phéniciennes, le personnage d'Œdipe apparaît. Il est alors enfermé par ses fils.
Le mythe d'Œdipe a toujours eu du succès, comme en témoignent les nombreuses adaptations à différentes époques, et particulièrement au XXe siècle. En effet, au XXe siècle, de très nombreuses réécritures du mythe, notamment théâtrales, ont été faites.
Œdipe de Voltaire en 1718 : dans cette pièce, c'est le fantôme de Laïos qui vient informer la cité de Thèbes que son meurtrier est responsable de la peste à Thèbes. Lorsqu'Œdipe réalise qu'il est coupable, il demande à Jocaste de le tuer, mais elle refuse. Dans le dernier acte, Œdipe prend conscience du parricide et de l'inceste et se crève les yeux.
Œdipe de Corneille en 1659 : dans la préface, Corneille explique qu'il a voulu prendre une autre route que celles des auteurs grecs. Il mêle l'histoire d'Œdipe à celle de Dircé et Thésée, et supprime l'automutilation du héros. L'auteur insiste surtout le drame politique d'Œdipe, forcé d'abdiquer son trône.
La Machine infernale de Cocteau en 1927 : Cocteau propose une réécriture de tout le mythe d'Œdipe. Il insiste sur la relation entre Œdipe et Jocaste. Il s'intéresse particulièrement à l'idée du mécanisme tragique. Il y a un aspect comique dans la pièce.
Œdipe de Gide en 1932 : Gide met ici en scène un Œdipe qui ne craint pas les dieux. Il revendique sa liberté. S'il se mutile, c'est par orgueil, pour défier les dieux. Une fois aveugle, il découvre la foi. C'est une vision très chrétienne du mythe.
Œdipe dans les arts
Dans les beaux-arts
Dans les beaux-arts, Œdipe apparaît fréquemment. Des scènes de sa vie sont peintes sur des amphores dès l'Antiquité. Au XVIIIe siècle, en France, plusieurs sculptures le représentent. Dans la peinture, à partir du XIXe siècle, le mythe devient un sujet de prédilection. On peut citer :
- De nombreuses illustrations d'Œdipe et du Sphinx sur des objets antiques : amphore, sarcophage.
- Des enluminures ou des gravures datant du Moyen Âge et représentant des scènes de la vie d'Œdipe sont également consultables.
- Des peintures, qui se développent à partir du XVIIIe siècle. Les peintres s'inspirent de plus en plus de ce mythe : Œdipe aveugle recommande ses enfants aux dieux de Bénigne Gagneraux en 1784, Œdipe maudissant son fils Polynice de Johann Heinrich Fussli en 1786, Œdipe explique l'énigme du Sphinx d'Ingres en 1827, Œdipe et le Sphinx de Gustave Moreau en 1864, ou encore Œdipe et le sphinx d'après Ingres de Francis Bacon en 1983.
- Plusieurs sculpteurs ont également repris le mythe : Théodore Louis Auguste Rivière, Jean-Baptiste Hugues ou encore Jean-Séraphin Besson.
Œdipe à Colone de Jean-Baptiste Hugues
Wikimédia
Œdipe explique l'énigme du Sphinx d'Ingres
À l'opéra
Plusieurs compositeurs ont également travaillé à mettre en scène le mythe :
- Œdipe, op. 23 est une tragédie lyrique en quatre actes et six tableaux de Georges Enesco, sur un livret original en français d'Edmond Fleg jouée pour la première fois en 1936.
- Oedipus Rex est une œuvre écrite par Stravinsky jouée pour la première fois en 1927.
Au cinéma
Pasolini n'est pas le premier à adapter le mythe d'Œdipe à l'écran. Entre la télévision et le cinéma, il y a eu de nombreuses adaptations, dont :
- Le court-métrage Œdipe roi d'André Calmettes en 1910
- Œdipus Rex de Tyrone Guthrie en 1957
- Le Roi Œdipe de Philip Saville en 1968
- King Œdipus d'Alan Bridges en 1972 (TV)
- Œdipo alcalde de Jorge Alí Triana en 1996
Sophocle, Pasolini et Œdipe
Œdipe chez Sophocle
Chez Sophocle, la resserrement dramatique et tragique est primordial. Œdipe passe du bonheur au malheur en une seule journée. Les situations se succèdent rapidement pour arriver à la fin tragique. Sophocle se concentre sur la fin du règne d'Œdipe.
Pour les Grecs, les mythes incarnent le passé, et il faut s'en démarquer. Le mythe concrétise la dualité entre le tempérament de l'homme (êthos) et son destin (daimon, génie attaché à l'homme qui symbolise sa destinée).
Sophocle fait d'Œdipe un héros, qui mérite sa position royale car il a vaincu un monstre (le Sphinx), et qu'il a des origines divines (son aïeule est Harmonie, fille d'Arès et Aphrodite). Sauveur de Thèbes, il est un homme hors norme, que Sophocle va présenter en proie au doute et au malheur.
Œdipe chez Pasolini
Contrairement à Sophocle, Pasolini s'intéresse à la vie entière d'Œdipe, homme marqué par le destin. La première partie du film évoque l'enfance du personnage, on le voit ensuite jeune homme, puis marié et roi. Il est en quête de lui-même pendant tout le film.
Œdipe a des défauts. Ce n'est pas un héros au sens antique du terme. Il est colérique, il est tricheur, il est violent. Il apparaît comme un enfant jalousé par son père, mais aussi comme un mendiant à la fin du film. Si Pasolini reprend les questionnements sur la condition humaine (liberté, responsabilité, quête d'identité), il s'analyse aussi lui-même dans ce film très personnel et autobiographique.