Sommaire
IUne structure complexeAUne division ternaire possibleBUne division binaire possible1Les deux grandes parties2Les analogies entre les deux partiesCUne structure symboliqueIILes techniques cinématographiquesALe génériqueBLe prologue et l'épilogueCLa partie sur ŒdipeLa structure du film de Pasolini est particulièrement complexe. On peut estimer que la division est binaire ou ternaire, en fonction de l'approche qu'on a du film. Le réalisateur lui-même a commenté la structure d'Œdipe roi, étonné par la confusion du public.
Pasolini crée des liens entre les différentes parties de son film en soulignant les analogies. Il a surtout recours à de nombreuses techniques cinématographiques qui permettent d'assurer la cohérence de l'œuvre.
Une structure complexe
Je ne comprends pas comment, devant la moindre difficulté, le public s'énerve. J'ai, du reste, remarqué que la transgression du temps chronologique dans la narration le désoriente totalement. En réalité, la chose est extrêmement simple. Le premier épisode présente un petit enfant d'aujourd'hui, entre son père et sa mère, cristallisant ce qui est communément appelé le "complexe d'Œdipe". Il réalise, à un âge où rien n'est encore conscient, la première expérience de la jalousie. Et son père, pour le punir, le pend par les pieds - accomplissant à travers le "symbole" du sexe (les pieds) une sorte de castration. Après quoi, dans la deuxième partie, commence la projection du mythe de ce fait psychanalytique. Œdipe roi se présente donc, dans cette deuxième partie, comme un énorme rêve du mythe qui se termine par un réveil, avec le retour à la réalité.
Pier Paolo Pasolini
Les Dernieres paroles d'un impie, Entretiens avec Jean Duflot
1981
Une division ternaire possible
Le film peut être divisé en trois parties. On peut ainsi distinguer :
- D'abord le prologue qui se situe dans l'Italie des années 1920
- Puis l'histoire d'Œdipe dans la Grèce antique,
- Enfin l'épilogue avec l'aveugle et son guide dans l'Italie des années 1960
Pasolini lui-même considère son film en trois parties :
- L'enfant et ses parents au début, scène qui symbolise le complexe d'Œdipe.
- La projection du mythe, qui est conçu par le réalisateur comme un rêve.
- Le retour à la réalité avec le vagabond et son guide.
Ainsi, l'histoire antique d'Œdipe est encadrée par deux parties qui se déroulent dans l'Italie moderne.
Une division binaire possible
Les deux grandes parties
Justement, en considérant le film comme étant constitué de deux époques, l'Italie moderne et la Grèce antique, on peut diviser le film en deux parties :
- Dans l'Italie moderne : l'histoire de l'enfant italien (son enfance et sa vieillesse) qui ouvre et ferme le film.
- Dans la Grèce antique : l'histoire d'Œdipe
Par ailleurs, et pour accentuer la structure binaire, chacune de ces deux parties comporte également deux chapitres :
- L'Italie contemporaine comprend le prologue (enfance) et l'épilogue (vieillesse).
- La Grèce antique met en scène la jeunesse d'Œdipe, puis son règne avec l'enquête pour trouver le meurtrier.
Les analogies entre les deux parties
Il y a des analogies dans le film entre l'époque contemporaine et l'époque antique :
- L'actrice Silvana Mangano est à la fois la mère du prologue et Jocaste dans l'histoire d'Œdipe. Elle paraît éternellement jeune. Elle est présentée comme immaculée (maquillage très blanc) et rieuse, joueuse et grave.
- L'acteur Luciano Bartoli, qui joue le père dans le prologue, est aussi celui qui joue Laïos dans l'histoire d'Œdipe. Il est métamorphosé par la barbe et la couronne. Ses apparitions sont rapides.
- L'acteur Ninetto Davoli, qui joue le messager dans l'histoire d'Œdipe, apparaît dans l'épilogue sous le nom d'Angelo, guide de l'aveugle.
- Le pré qui apparaît dans le prologue réapparaît à la toute fin du film.
- Pasolini utilise une plongée puis une contre-plongée pour mettre en scène les regards entre la mère et l'enfant. Il reprend cette technique lors de l'échange entre Jocaste et Œdipe dans le jardin pour souligner le lien familial qui les unit.
- Le film glisse de l'Italie moderne à la Grèce antique grâce à la même image, celle des pieds de l'enfant. De la même façon, il quitte la Grèce antique avec Œdipe aveuglé, pour se focaliser sur le vagabond aveugle de l'Italie moderne.
- On trouve un rideau rouge dans la chambre à coucher des parents dans le prologue, que l'on retrouve dans le palais d'Œdipe.
- La musique est également importante. Des cigales chantent au début et à la fin du film.
- La flûte apparaît en arrière-fond sonore dès le prologue dans la chambre de l'enfant. Elle permet d'assurer la transition avec le passage à l'époque antique. Le son est alors strident. À la fin du film, la flûte est de retour, mais de façon plus mélodieuse.
Une structure symbolique
La structure du film peut enfin être analysée de façon plus symbolique.
On peut estimer que le film développe l'idée du complexe d'Œdipe :
- Le nourrisson qui se voile les yeux dans le prologue est une référence explicite à Freud et ses théories psychanalytiques.
- L'histoire d'Œdipe est l'illustration du rêve du nourrisson, qui veut prendre la place de son père auprès de sa mère.
- L'épilogue est un retour à l'enfant devenu adulte, qui n'a pas pu assouvir son complexe d'Œdipe.
On peut estimer que le film est une fantaisie autobiographique :
- L'enfant du prologue est Pasolini bébé.
- Le mythe d'Œdipe symbolise le côté créatif de Pasolini. Cette partie a pour décor le Maroc, le réalisateur mélange des chants roumains à des musiques traditionnelles africaines. C'est l'univers du rêve et de la création.
- L'épilogue représente le futur de Pasolini, artiste rejeté et incompris.
On peut également estimer que le film est l'histoire de tous les hommes :
- La première partie symbolise la naissance de l'humanité. Cette partie est muette, ce qui la distingue des autres. Pasolini utilise des cartons, rappelant l'origine du cinéma. La naissance du cinéma est ici associée à la naissance d'un bébé, donc à la naissance de l'Homme.
- Le mythe d'Œdipe représente la jeunesse de l'Homme et sa quête d'identité.
- L'épilogue représente la vieillesse et la mort, mais aussi l'idée d'éternel recommencement. L'humanité continue.
Les techniques cinématographiques
Pour structurer son film, Pasolini n'utilise pas les mêmes moyens que Sophocle. Ce sont les techniques cinématographiques qui lui permettent de rythmer son récit, de le découper.
Le générique
Dès le générique, on relève plusieurs techniques cinématographiques qui permettent de comprendre l'œuvre, sa structure. Ces techniques seront réutilisées par la suite, pour créer des liens entre les différentes parties.
- Le générique est constitué de cartons qui se succèdent, avec en caractères d'imprimerie noirs sur fond blanc la liste des personnes ayant participé au film. Cette technique rappelle le cinéma muet. Ici, Pasolini procède à une analogie entre le début du cinéma et le début de la vie. La technique des cartons permet donc de donner au film un aspect universel.
- La musique est tout de suite utilisée. On entend le son des grillons puis une musique militaire. Ces musiques seront reprises plusieurs fois. La musique militaire rappelle le père, soldat. Le chant des grillons rappelle le pré qu'on verra ensuite, la liberté de l'enfance, le bonheur.
Carton
Le carton, au cinéma, est un texte filmé, en référence au support utilisé aux débuts du cinéma.
Le prologue et l'épilogue
Dans le prologue, on relève plusieurs techniques cinématographiques structurantes :
- Insert sur une borne indiquant Thèbes.
- Plan général que l'on cadre sur un champ.
- Après l'accouchement de la mère, fondu au noir rapide, puis l'image s'obscurcit complètement.
- Gros plan sur le bébé, des femmes s'éloignent en courant.
- Fondu enchaîné sur la mère nourrissant l'enfant.
- Long panoramique que l'on cadre sur les arbres.
- Musique jouée à la flûte et au tambour quand le père s'approche du berceau.
Pasolini utilise souvent le fondu enchaîné pour passer d'un plan à l'autre. C'est un des éléments qui structure le film et permet de passer d'une scène à l'autre. La musique apporte aussi une unité, et rappelle les tambours militaires du générique. Les autres techniques seront réutilisées par la suite dans le film, apportant une cohérence à l'ensemble.
La technique du gros plan : à plusieurs reprises, Pasolini cadre le visage des personnages. Il peut les filmer longtemps, comme la mère qui regarde pendant un moment la caméra en face. Cela crée un effet de mystère.
La musique jouée à la flûte et au tambour est le thème musical du destin dans le film.
Dans l'épilogue, on retrouve les mêmes techniques cinématographiques structurantes :
- Le travail sur le son est important, avec les bruits de la ville, suivis par les bruits de la zone industrielle.
- La musique revient de nouveau, on entend l'air de flûte du début, mais aussi les grillons.
- Le plan d'ensemble est utilisé, Pasolini filme les arbres comme au début.
- Les gros plans sur Œdipe et Angelo sont répétés.
- Un carton est de nouveau utilisé avec le mot "fin" écrit dessus.
Le carton revient. Il ouvrait le film, il le ferme, la boucle est bouclée. La musique reprend le dessus, avec la flûte, son de la liberté, et les grillons. Début et fin se répondent. Il y a une cohérence.
La partie sur Œdipe
La structure de la partie mythique est beaucoup plus heurtée que dans le prologue et l'épilogue. La partie sur Œdipe, étant la plus longue, elle est celle où on trouve le plus de techniques cinématographiques :
- Raccord entre l'épilogue et l'histoire d'Œdipe grâce aux pieds de l'enfant et aux pieds d'Œdipe.
- Musique : le réalisateur utilise des chants roumains.
- La technique du champ/contrechamp est utilisée lorsque le serviteur de Laïos et le berger de Corinthe se croisent. Le champ permet de donner l'impression qu'ils avancent l'un vers l'autre. Le contrechamp donne l'impression qu'ils s'éloignent.
- Postsynchronisation de la voix de l'oracle : cela crée un décalage chez le personnage, comme s'il était désincarné. Le corps de l'oracle est féminin, mais sa voix rauque rappelle plutôt une voix d'homme.
- Les gros plans sont de nouveau très utilisés lorsque Œdipe quitte l'oracle. La caméra s'arrête à plusieurs reprises sur lui. Il hésite, tourne sur lui-même, se mord la main. Cette technique permet de souligner son désarroi.
- Les travellings avant et arrière, des contre-plongées et de nouveau de nombreux gros plans sur Œdipe sont utilisés pour la scène du meurtre. Cela permet de décupler l'impression de violence.
- Musique : à la fin de la scène, le réalisateur utilise de nouveau le thème musical du destin (flûte et tambour).
- Gros plan utilisé également lors de la première rencontre entre Œdipe et Jocaste, ce qui donne l'impression qu'ils se reconnaissent. Pasolini a plusieurs fois recours à cette technique quand il s'agit de Jocaste et Œdipe. Cela permet de souligner leur intimité.
- Utilisation de la voix off lorsque Tirésias se retire, préméditant ce qui va suivre.
Pasolini utilise de nombreuses techniques qui déstabilisent le spectateur. Le but est de le placer dans une position de gêne, de malaise. Il réutilise toutefois les mêmes techniques dans toutes les parties du film pour souligner le lien entre son complexe d'Œdipe et le mythe d'Œdipe.
Raccord
Le raccord en cinéma est la cohérence entre deux plans.
Postsynchronisation
La postsynchronisation est une technique permettant de réenregistrer en studio le dialogue ou la voix off d'un film.
Voix off
La voix off est un procédé narratif utilisé dans les films, qui consiste à faire intervenir au cours du déroulement d'un plan, d'une séquence ou d'une scène, la voix d'un personnage qui n'est pas vu dans ce plan, cette séquence ou cette scène.