Sommaire
ILes sources pour Les Faux-Monnayeurs AUne inspiration autobiographiqueBLes faits-diversCLes sources littérairesIIUne genèse laborieuse bien documentéeALes documents pour suivre la genèseBUne genèse lente et fastidieuseIIILa publication et la réception du roman et du journalLa genèse du roman Les Faux-Monnayeurs est longue et complexe. Elle est marquée par les hésitations d'André Gide. Il s'inspire de différentes sources, autobiographiques ou journalistiques. Il n'hésite pas à mentionner les auteurs ou les œuvres qu'il admire et qui l'aident à former son projet romanesque. Plusieurs documents existent permettant de documenter la genèse, mais le plus important reste le Journal des Faux-Monnayeurs.
La publication du roman a lieu en 1925 et celle du journal en 1927 (la publication du JFM commence le 1er août 1926 dans la revue de la NRF avant une publication complète par Gallimard en 1927). Dans l'ensemble, la critique est plutôt mauvaise. On reproche à André Gide d'avoir composé une œuvre trop intellectuelle, obscure et prétentieuse.
Les sources pour Les Faux-Monnayeurs
Une inspiration autobiographique
André Gide écrit son autobiographie, intitulée Si le grain ne meurt, qu'il publie en 1918. Il lui vient alors à l'idée de rédiger Les Faux-Monnayeurs. Il l'écrit d'ailleurs dans le Journal des Faux-Monnayeurs qui accompagne l'écriture du roman.
Resté nombre de mois sans rien écrire dans ce cahier ; mais je n'ai guère arrêté de penser au roman, encore que mon souci le plus immédiat fût pour la rédaction de Si le grain ne meurt, dont j'ai écrit cet été l'un des plus importants chapitres (voyage en Algérie avec Paul). Je fus amené, tout en l'écrivant, à penser que l'intimité, la pénétration, l'investigation psychologique peut, à certains égards, être poussée plus avant dans le "roman" que même dans les "confessions".
André Gide
Journal des Faux-Monnayeurs
1925
Cette entrée dans le journal correspond au 21 novembre 1920. André Gide lie son autobiographie au roman Les Faux-Monnayeurs. L'écriture de sa propre vie le pousse à réfléchir à ce récit.
Le roman semble être une sorte d'introspection de l'auteur. Il évoque des lieux de sa jeunesse :
- La rue de Tournon où il a habité avec sa famille : les Profitendieu habitent en effet rue de T.
- La rue Notre-Dame des Champs qu'il empruntait pour aller à l'école : les Molinier y habitent.
- Le temple rue Madame dans le quartier de sa famille : le personnage de Laura s'y marie.
Certains personnages s'inspirent de personnes réelles :
- La Pérouse rappelle Monsieur de Lanux, ancien professeur de piano d'André Gide.
- Madame Sophroniska, qui fait suivre une thérapie à Boris, doit son nom à la disciple de Freud, Eugénie Sokolnicka qui a soigné Gide.
- Laura rappelle la cousine Madeleine d'André Gide.
De plus, André Gide avait un jeune protégé, Marc Allégret, pour lequel il nourrissait des sentiments amoureux. On peut d'ailleurs voir dans la relation entre Édouard et Olivier celle qui existait entre André Gide et Marc Allégret. Passavant pourrait être inspiré de Jean Cocteau, écrivain dont Gide était jaloux.
Les faits-divers
J'ai ressorti ce matin les quelques découpures ayant trait à l'affaire des faux monnayeurs.
André Gide
Journal des Faux-Monnayeurs
1926
André Gide s'inspire en partie de faits divers pour la rédaction de son roman :
- Le naufrage du bateau Bourgogne : le personnage de Lady Griffith raconte ce naufrage qui a eu lieu le 4 juillet 1898 et a fait 500 victimes.
- Un fait divers relaté dans Le Figaro du 16 septembre 1906 : il s'agit d'étudiants impliqués dans une histoire de fausse-monnaie se faisant appeler "la bande du Luxembourg".
- Un fait divers relaté dans le Journal de Rouen qui remonte au 5 juin 1909 : un jeune lycéen s'est suicidé dans un lycée de Clermont-Ferrand.
Les jeunes gens mêlés à l'histoire de la fausse monnaie ont également été appelés "des faux-monnayeurs anarchistes".
Il s'inspire également d'autres événements ou relate d'autres anecdotes ayant trait à son époque :
- Le scandale provoqué par Alfred Jarry lors d'une soirée littéraire
- Des œuvres contemporaines de Man Ray et Marcel Duchamp
- Le vol d'un livre par un jeune homme : André Gide évoque cette scène dans son journal et en fait un élément important de son roman. C'est Georges qui vole le livre dans le roman, personnage perfide et menteur. Il se lance d'ailleurs avec ses camarades dans le trafic de fausse monnaie suite aux conseils de Strouvilhou.
Les sources littéraires
À la lecture du Journal des Faux-Monnayeurs, on réalise qu'André Gide était très fortement inspiré par d'autres auteurs et ouvrages lors de la rédaction de son roman. On peut citer :
- Tom Jones d'Henry Fielding
- Guerre et Paix de Léon Tolstoï
- Des écrits de Samuel Richardson
- Des écrits de Charles Browning
Il s'agit d'auteurs anglo-saxons, à l'exception de Tolstoï. André Gide tente de se démarquer du réalisme du XIXe siècle, et donc de Gustave Flaubert ou Honoré de Balzac. Toutefois, il mentionne également dans son journal de nombreux auteurs français dont il admire les œuvres comme :
- Tartuffe de Molière
- La Princesse de Clèves de Madame de Lafayette
- Les Pensées de Pascal
- Les Pensées de La Rochefoucauld
- Les Pensées de Fénélon
André Gide utilise de nombreux épigraphes en début de chapitres dans Les Faux-Monnayeurs. Il cite notamment : Paul Desjardins, William Shakespeare, Sainte-Beuve, La Rochefoucauld, Gustave Flaubert, Fénelon ou Pascal.
Par ailleurs, l'apparition de l'ange à la fin du roman, qui lutte contre Bernard, rappelle des œuvres comme :
- Mariage du Ciel et de l'Enfer de William Blake
- Les romans de Dostoïevski dont Gide avait traduit des ouvrages.
Une genèse laborieuse bien documentée
Les documents pour suivre la genèse
On peut suivre la genèse des Faux-Monnayeurs grâce à plusieurs documents :
- Le Journal des Faux-Monnayeurs
- Le journal personnel d'André Gide
- La correspondance d'André Gide avec son ami Martin du Gard
- Des fiches (André Gide n'utilise pas de brouillon)
À Roger Martin du Gard
je dédie mon premier roman
en témoignage d'une amitié profonde
A.G
André Gide
Les Faux-Monnayeurs
1925
André Gide dédie son roman à son ami Roger Martin du Gard avec lequel il a correspondu lors de la genèse de l'ouvrage.
Le Journal des Faux-Monnayeurs constitue la source la plus importante et intéressante pour suivre l'évolution de la genèse, André Gide lui-même insiste sur ce point. Il publie d'ailleurs ce Journal en même temps que le roman pour souligner leur proximité voire le fait qu'ils ne font qu'une seule et même œuvre.
Une genèse lente et fastidieuse
La genèse des Faux-Monnayeurs n'est pas rapide ou évidente. André Gide pense d'abord à un projet qui se rapproche des Caves du Vatican, "sotie" comme l'appelle l'auteur publiée en 1914. En effet, il veut faire raconter son récit par le personnage de Lafcadio.
J'hésite depuis deux jours si je ne ferai par Lafcadio raconter mon roman.
André Gide
Journal des Faux-Monnayeurs
1926
Entrée du 17 juin 1919 dans laquelle André Gide pense encore à inclure Lafcadio dans son roman.
André Gide envisage également de suivre l'histoire de deux sœurs.
Le roman des deux sœurs. L'aînée qui épouse, contre le grè de ses parents (elle se fait enlever) un être vain, sans valeur, mais d'assez de vernis pour séduire la famille après avoir séduit la jeune fille. Celle-ci, cependant, tandis que la famille lui donne raison et fait amende honorable, reconnaissant dans le gendre des tas de vertus dont il n'a que l'apparence, celle-ci découvre peu à peu la médiocrité foncière de cet être auquel elle a lié sa vie. Elle cache aux yeux de tous le mépris et le dégoût qu'elle éprouve, prend à cœur et tient à honneur de faire briller son mari, de couvrir son insuffisance, de réparer ses maladresses, de sorte qu'elle est seule à connaître sur quel néant repose son "bonheur". [...] Il n'est pas nécessaire qu'il y ait deux sœurs. Il n'est pas bon d'opposer un personnage à un autre, ou de faire des pendants (déplorables procédés des romantiques).
André Gide
Journal des Faux-Monnayeurs
1926
Entrée du 17 juin 1919 dans laquelle André Gide change rapidement d'idée concernant l'histoire des sœurs.
Il est intéressant de noter qu'André Gide pense d'abord à centrer son histoire sur des personnages féminins, alors qu'ensuite ce sont les personnages d'Olivier, Édouard et Bernard qui sont au premier plan.
André Gide décide ensuite de faire un récit s'inspirant du fait divers sur la fausse-monnaie en juillet 1919, date à laquelle il retombe sur des coupures de presse traitant du sujet, et adopte le thème de la sincérité et de l'honnêteté.
Pour son roman, Gide hésite entre une composition binaire et une composition ternaire. Il trouve différents noms pour les livres qui composent son récit :
- Livre I : "Les Subtils"
- Livre II : "Le Vin neuf et les vieux vins"
- Livre III : "Le Dépositaire infidèle"
Finalement, il ne garde pas cette idée. C'est seulement au mois de mai 1925 qu'il est certain d'une division en trois parties, avec la première et la dernière intitulée "Paris" et celle du milieu "Saas-Fée".
Si le projet romanesque met du temps à se dessiner, André Gide est rapidement convaincu par l'importance de faire un roman qui repose sur la mise en abyme. C'est en écrivant le Journal des Faux Monnayeurs qu'André Gide a l'idée d'utiliser ce qu'il écrit dans ces deux cahiers pour rédiger son roman. Il sait alors qu'il va également faire rédiger à Édouard un journal : la structure prend forme.
De nombreuses scènes du roman sont développées d'abord dans son Journal, particulièrement dans le second cahier, dans lequel on trouve de nombreux dialogues. André Gide précise petit à petit le caractère de ses personnages et leurs noms.
On peut suivre chronologiquement les étapes importantes de la gestation et de la rédaction du roman :
- 16 septembre 1906 : article dans Le Figaro sur le trafic de la fausse monnaie
- 5 juin 1909 : article dans le Journal de Rouen sur le suicide d'un lycéen de l'établissement Blaise Pascal à Clermont-Ferrand
- 1914 : réflexions d'André Gide sur les problèmes posés par l'écriture romanesque, intérêt pour la fugue de Bach
- décembre 1921 : rédaction des trente premières pages du roman
- octobre 1922 : reprise et abandon de la rédaction
- été - automne 1923 : reprise de la rédaction
- mai 1925 : adoption d'un plan en trois parties
- 8 juin 1925 : roman achevé et publié
Il est intéressant de souligner que la gestation du projet est longue, mais une fois qu'André Gide a décidé de la structure du roman, il rédige très rapidement. Cela s'explique d'une part car il a prévu un voyage au Congo, d'autre part car son éditeur a annoncé la publication prochaine de son récit. André Gide lui-même note dans son Journal que la fin de la rédaction est précipitée.
Celui-ci s'achèvera brusquement, non point par épuisement du sujet, qui doit donner l'impression de l'inépuisable, mais au contraire, par son élargissement et par une sorte d'évasion de son contour. Il ne doit pas se boucler, mais s'éparpiller, se défaire...
André Gide
Journal des Faux-Monnayeurs
1925
Entrée du 8 mars 1925
La rédaction du roman est marquée par de nombreuses hésitations. Le travail est acharné mais André Gide improvise parfois au dernier moment semble-t-il, à l'image du plan en trois parties décidé peu avant la publication. Il hésite longuement sur certains détails, comme le nom des personnages qu'il nomme d'abord X ou Y.
La publication et la réception du roman et du journal
Les Faux-monnayeurs est publié le 8 juin 1925 dans la Nouvelle Revue française (NRF) alors que le Journal des Faux-Monnayeurs est publié à partir d'août 1926, soit presque un an après, une fois qu'André Gide est rentré du Congo. Les deux œuvres sont considérées comme une seule par l'auteur, elles fonctionnent ensemble et doivent être lues ensemble, mais les lecteurs et la critique découvrent d'abord le roman.
La réception du roman est assez mitigée. On lui reproche :
- Son immoralité : le personnage d'Édouard est homosexuel et en couple avec son neveu Olivier, ce qui est considéré comme un vice pervers.
- Sa confusion : la multiplication des intrigues rend le roman obscur.
- Son abstraction : les réflexions intellectuelles semblent trop abstraites.
Dans le journal L'Opinion du 13 février 1926, André Thérive écrit que le livre n'est pas "touffu mais confus".
Toutefois, certains critiques défendent l'ouvrage d'André Gide, louant justement :
- Sa réinterprétation du genre romanesque
- Sa composition ingénieuse
- Son style
Je trouve, contrairement à quelques opinions éminentes, Les Faux-Monnayeurs fort bien composés, avec un sens des relations organiques tout à fait remarquable.
Ramon Fernandez
Journal L'Europe
20 février 1926
Ce critique littéraire défend la composition du roman.
La réception critique mitigée de l'œuvre souligne la crise que traverse le genre romanesque. Les critiques qui attendent du renouveau saluent le talent d'André Gide, ceux qui défendent encore les esthétiques du XIXe siècle sont déconcertés.