Sommaire
ILes difficiles relations familialesALa famille pour GideBLa représentation du pèreCLa figure du grand-pèreDLa femme et la mère dans Les Faux-MonnayeursIILa confusion dans les relations amoureusesALes différentes formes d'amour au cœur du romanBLa jalousie et l'impossible sincéritéIIIUne éthique des sentimentsAUn lien idéalBLe salut par l'amourLe roman Les Faux-Monnayeurs se concentre particulièrement sur les relations humaines. André Gide ayant choisi de jeunes héros adolescents, à l'image de Bernard et Olivier, il s'intéresse notamment à la famille et aux difficultés de compréhension entre les générations. Les figures parentales sont dénigrées, la famille représente l'hypocrisie et le conservatisme.
Les personnages cherchent la vérité et la liberté dans les relations amoureuses. Toutefois, la quête d'un lien idéal est compliquée, voire impossible. En effet, la confusion des sentiments empêche les hommes de parvenir à se comprendre et s'aimer avec authenticité. Seul le couple formé par Olivier et Édouard y parvient.
Les difficiles relations familiales
La famille pour Gide
André Gide représente les relations familiales complexes dans son roman. Cela s'explique notamment par le fait qu'il met en scène des adolescents comme Bernard et Olivier qui sont en conflit avec leurs parents. À la lecture du récit, le lecteur peut penser à la célèbre formule que l'on trouve dans un autre ouvrage d'André Gide, Les Nourritures terrestres : "Familles, je vous hais !"
André Gide décrit la famille comme une institution mauvaise :
- Elle broie l'individu.
- Elle est corsetée dans son conservatisme.
- Elle est pétrie d'hypocrisie.
Ce que met particulièrement en scène André Gide, c'est l'impossibilité de communiquer entre parents et enfants. Les générations s'affrontent, leurs valeurs s'affrontent. Surtout, la jeunesse, qui a soif de liberté et de découverte, est contrainte par les plus vieux à rentrer dans un moule qui ne lui convient pas. André Gide dénonce donc toute forme d'éducation qui oppresse plus qu'elle n'aide à grandir. Il se place résolument du côté des jeunes gens et peint avec ironie les figures parentales : les pères, les grands-pères et les mères.
La représentation du père
Je signe du ridicule nom qui est le vôtre, que je voudrais pouvoir vous rendre, et qu'il me tarde de déshonorer.
André Gide
Les Faux-Monnayeurs
1925
Il s'agit de la fin de la lettre que Bernard laisse à son père après avoir compris qu'il n'était pas son géniteur biologique.
La figure du père est mise à mal dans le roman Les Faux-Monnayeurs. L'auteur s'attaque surtout à deux représentations paternelles :
- Le père bourgeois
- Le père religieux
Le père bourgeois est représenté par Profitendieu. Pour souligner toute la fausseté de cet homme qui croit être un modèle pour ses enfants, André Gide en fait un "faux père". En effet, il n'est pas le géniteur biologique de Bernard. Comme la fausse monnaie, c'est un menteur, un hypocrite, un mensonge. Bernard lui en veut car il a étouffé l'affaire d'adultère. Ainsi, le roman commence avec un désaveu, celui du fils pour père. Profitendieu perd le respect de Bernard.
André Gide représente Profitendieu comme un homme qui :
- Se comporte avec hypocrisie.
- Respecte les convenances.
- Maintient les apparences.
Plutôt que d'avouer au reste de la famille que Bernard a fugué, Profitendieu annonce qu'il est parti vivre quelque temps chez des proches.
Profitendieu travaille dans la justice, pourtant il est incapable de représenter l'autorité chez lui. Traditionnellement garant de la loi dans sa propre maison, le père est ici incapable de rendre justice au travail et d'être sincère avec son fils. Toutefois, on peut nuancer le propos. André Gide avoue lui-même que le personnage est plus complexe qu'il n'y paraît.
Profitendieu est à redessiner complètement. Je ne le connaissais pas suffisamment [...]. Il est beaucoup plus intéressant que je ne le savais.
André Gide
Jounral des Faux-Monnayeurs
1926
André Gide avoue que Profitendieu n'est pas aussi ridicule ou simpliste qu'il l'avait déjà imaginé.
Malgré la déception, Bernard retourne vivre chez son père à la fin du roman. Par ailleurs, André Gide souligne que Profitendieu est très attaché à Bernard bien qu'il ne soit pas son enfant biologique, justement car c'est l'enfant qu'il a choisi.
La figure du père religieux est représentée par le père de Laura, Sarah et Armand, le pasteur Prosper Vedel qui dirige la pension. Il est moqué par ses enfants :
- Sarah lit dans son carnet qu'il demande de l'aide au Ciel pour arrêter de "fumer" mais est certaine qu'il parle d'une autre tendance plus douteuse.
- Laura rit des liens qu'il entretient avec le perfide Strouvilhou.
- Armand se moque de sa croyance religieuse.
Même sa femme souligne le caractère ridicule de son époux : "Prosper croit toujours qu'il n'y a qu'à prier Dieu pour que tout s'arrange."
Ainsi, les pères sont représentés comme des hypocrites souvent un peu ridicules qui ne parviennent pas à obtenir le respect de leurs enfants.
La figure du grand-père
Dans le roman, les grands-pères peuvent essayer de se subtiliser à l'autorité paternelle absente. C'est le cas de deux personnages :
- Azaïs
- La Pérouse
Ils sont des représentants de la morale puritaine du protestantisme, à l'image de la pension Vedel dans laquelle on croise régulièrement Azaïs. Ce dernier est l'incarnation de la vieille France. Il croit avoir de l'influence sur la jeunesse alors qu'il est aveugle à la perversion qui l'entoure et aux mauvaises actions des enfants.
La Pérouse apparaît plus souvent dans le roman, Édouard va le voir à cinq reprises et d'autres personnages le mentionnent. Il est plus nuancé qu'Azaïs et cherche à réparer ses fautes passées. Toutefois, il a sacrifié son enfant Boris et ne parvient pas à le sauver ensuite. De même, il sacrifie sa femme. C'est un homme égoïste.
Ces deux personnages représentent pour Gide le naufrage de la vieillesse. Ils échouent dans leur tentative pour remplacer le père. Le pasteur Vedel n'est jamais présent quand il le devrait, La Pérouse est moqué par les élèves qui le surnomment "père Lapère" : ils sont des caricatures, ils sont coupés de la jeunesse et de la réalité, dépassés par la nouvelle génération.
Le digne homme n'imagine pas combien il peut raser les élèves avec des propos de ce genre, chez lui si sincères qu'ils découragent l'ironie.
André Gide
Les Faux-Monnayeurs
1925
Le narrateur se moque ici avec ironie d'Azaïs qui est déconnecté de la réalité de ses élèves.
La femme et la mère dans Les Faux-Monnayeurs
Dans le roman, les personnages féminins incarnent surtout deux rôles :
- L'épouse
- La mère
Si André Gide les décrit avec moins d'ironie que les hommes, il n'en fait pas moins de sévères portraits. Souvent, elles sont le reflet de leur mari. À l'image de Laura, elles tentent de préserver les apparences et de maintenir une hypocrite harmonie au sein du domicile conjugal.
La plupart des femmes dans le roman souffrent : elles ont renoncé à leur idéal. C'est le cas de :
- Mme Profitendieu
- Pauline
- Laura
En tant qu'épouses, elles ne connaissent pas l'amour ni même le plaisir physique.
En tant que mères, elles se sacrifient pour leurs enfants. Elles correspondent à des stéréotypes.
La confusion dans les relations amoureuses
Les différentes formes d'amour au cœur du roman
Je voudrais faire l'amitié comme on fait l'amour.
André Gide
Les Faux-Monnayeurs
1925
C'est Édouard qui exprime cette idée dans le roman, soulignant ainsi la confusion qu'il opère entre amour et amitié.
André Gide propose différentes représentations des relations amoureuses dans son roman :
- L'amour réciproque
- L'amour platonique
- L'amour physique
- L'amour contrarié
- L'amour adultérin
- L'amour homosexuel
- L'amour passionnel
Édouard et Laura vivent un amour platonique.
Bernard et Sarah connaissent un amour physique.
L'amour de Laura et Vincent est adultérin.
Les amours d'Olivier et Édouard ou encore de Sarah et l'Anglaise sont homosexuelles.
Les amours de Vincent et Lilian sont passionnelles : Vincent tue Lilian.
Les relations amoureuses sont confuses car plusieurs paramètres sont à prendre en compte :
- Le mensonge
- La déloyauté
- La tromperie
- L'indifférence
- Les fausses apparences
Les personnages ont du mal à exprimer leurs sentiments et préfèrent se tourner autour plutôt que d'avouer la vérité.
Olivier, plutôt que d'avouer à Édouard qu'il l'aime, fuit avec Passavant en Corse alors qu'il souffre cruellement de cette situation.
L'amour est confus car il est impossible de le définir clairement. André Gide toutefois assure qu'une forme d'amour est mensongère : la prostitution. Elle est la fausse monnaie du mariage. Olivier est d'ailleurs dégoûté par son dépucelage avec une professionnelle.
L'amour est également confus car les personnages sont en quête d'un idéal. Ils croient pouvoir trouver cet idéal dans des amitiés amoureuses. C'est ce que cherche Bernard avec Olivier, qui représente tout à la fois pour lui :
- L'ami
- L'amoureux
- Le modèle
La jalousie et l'impossible sincérité
La confusion des sentiments entraîne la jalousie et semble rendre impossible toute forme de sincérité.
La jalousie est vécue par Olivier qui ne supporte pas l'idée de savoir Édouard avec un autre. André Gide insiste ici sur le pouvoir de l'imagination qui trouble les esprits et crée des images mensongères et trompeuses. À plusieurs reprises dans le roman, Olivier est victime de son imagination jalouse :
- "Ils couchent dans la même chambre"
- "Mon cerveau s'emplissait de visions impures"
- "Les démons de l'enfer l'habitèrent"
Dès lors, les personnages se posent des questions sur la sincérité et se demandent si elle est possible.
Vais-je oser vous avouer à vous ce qu'à Félix je ne puis dire ? [...] les lettres que je lui écris depuis quelque temps sont menteuses et celles que je reçois de lui ne parlent que de sa joie de me savoir mieux portante.
André Gide
Les Faux-Monnayeurs
1925
Dans la lettre qu'elle envoie à Édouard, Laura dit l'impossibilité pour elle d'être honnête et sincère avec son mari.
La sincérité est rendue d'autant plus difficile que :
- L'amour agace.
- La dévotion peut être hypocrite.
- La vieillesse pervertit tout.
Bernard s'énerve contre Olivier, l'agacement amoureux semble empêcher des sentiments véridiques et authentiques.
Passavant n'attend qu'une seule chose d'Olivier, le rapport physique. C'est une dévotion hypocrite.
Les personnages plus âgés du roman sont incapables de la moindre sincérité, à l'image de Passavant, La Pérouse ou Azaïs.
Une éthique des sentiments
Un lien idéal
André Gide et ses personnages revendiquent un lien amoureux idéal, ou un lien d'amitié amoureuse idéal. Ils réclament le droit d'aimer un être humain singulier et non un sexe particulier. L'éthique des sentiments n'est possible que par le rejet de l'ordre naturel et social. Dans le roman, les relations hétérosexuelles n'apportent pas de satisfaction. Ce sont les relations homosexuelles qui sont idéalisées.
Les couples de parents sont montrés comme tristes et désunis alors que Sarah est épanouie avec l'Anglaise.
André Gide procède à une idéalisation entre amour platonique et désir charnel. Il s'agit de trouver un juste équilibre entre tendresse et sexualité. En effet, l'auteur fait l'éloge de la volupté amoureuse. Après sa nuit avec Sarah, Bernard se sent "léger, nouveau, calme et frémissant comme un dieu".
Pour André Gide, la jeunesse incarne l'idéal, la possibilité d'un lien idéal. Il écrit en effet dans son journal intime : "On a dit que je cours après ma jeunesse. Il est vrai. Et pas seulement après la mienne. Plus encore que la beauté, la jeunesse m'attire, et d'un irrésistible attrait. Je crois que la vérité est en elle."
À présent, peu s'en faut que je ne voie dans l'irrésolution le secret de ne pas vieillir.
André Gide
Les Faux-Monnayeurs
1925
C'est le personnage d'Édouard qui s'exprime ainsi dans le roman, soulignant que la jeunesse est la réponse.
Le salut par l'amour
Dans le roman, le salut n'est possible que par l'amour. Les seuls personnages qui atteignent un idéal sont Olivier et Édouard. Olivier est même sauvé par l'amour d'Édouard qui le ramène de la soirée où il était dans un état lamentable. La complicité des deux personnages n'est pas seulement amoureuse mais également intellectuelle. Il s'agit d'une liaison entre un homme plus âgé et un jeune homme à qui il peut apprendre des choses importantes sur la vie. Leur relation est authentique et permet la création. Ainsi, Édouard dit clairement ce qu'il pense des écrits d'Olivier.
Deux personnages incarnent des "maîtres à penser" dans le roman :
- Passavant est le mauvais maître qui séduit pour mieux profiter.
- Édouard est le bon maître qui aide à créer.
L'amour idéal apporte :
- Le bonheur
- La sincérité
- La douceur
Je sentais, dans mon agitation même, sa faiblesse, et le berçais, sans rien dire, comme un enfant. [...] je l'entendais enfin murmurer : "Près de toi, je suis trop heureux pour dormir."
André Gide
Les Faux-Monnayeurs
1925
Édouard et Olivier se sentent bien l'un avec l'autre.