Sommaire
ILa composition complexe du romanAUne composition symétrique en trois partiesBUne composition musicale : l'art de la fugueCUne composition reposant sur une multitude d'intrigues et de voixDUne composition originale : la mise en abymeIILa composition chronologique du journalLa composition des Faux-Monnayeurs est complexe. André Gide tente de redéfinir le genre romanesque et il n'hésite pas à proposer différentes structures. Ainsi, il est possible de voir le récit comme une composition symétrique en trois parties, une composition musicale reprenant l'art de la fugue, une composition reposant sur une multitude d'intrigues et de voix ou encore une composition s'appuyant sur la mise en abyme. La composition du Journal, quant à elle, suit une structure essentiellement chronologique et permet de suivre les réflexions et évolutions d'André Gide dans la rédaction de son ouvrage.
La composition complexe du roman
Une composition symétrique en trois parties
Le roman d'André Gide est divisé en trois parties :
- Première partie : 18 chapitres
- Deuxième partie : 7 chapitres
- Troisième partie : 18 chapitres
La construction du roman est donc rigoureuse et symétrique. On peut estimer que ces trois parties représentent respectivement :
- L'exposition des intrigues
- L'apogée des intrigues
- Le dénouement
Dans la première partie, des couples se forment :
- Édouard et Bernard
- Olivier et Passavant
Ils se défont dans la deuxième partie. Dans la troisième partie, le couple "parfait" et "heureux" se forme, Édouard et Olivier sont ensemble. Ainsi, la deuxième partie du roman peut être vue comme une sorte d'axe de symétrie qui divise le roman. D'ailleurs, il s'agit de la partie qui ne se situe pas à Paris en France mais à Saas-Fée en Suisse. Courte, elle permet d'accélérer l'intrigue et de révéler des vérités.
J'en viens à considérer l'avantage qu'il y aurait à diviser le livre en trois parties. La première (Paris) s'arrêtant au chapitre XVI. La seconde comprenant les huit chapitres de Saas-Fée. Ce qui ferait l'emporter en importance la troisième.
André Gide
Journal des Faux-Monnayeurs
1926
Le thème de la symétrie se retrouve dans le roman lui-même avec :
- Deux écrivains : Édouard et Passavant
- Deux lycéens : Olivier et Bernard
- Deux secrétaires : Olivier et Bernard
- Deux juristes : Profitendieu et Molinier
On peut appeler cette symétrie le thème du miroir.
Il n'y a pas, à proprement parler, un seul centre à ce livre, autour de quoi viennent converger mes efforts ; c'est autour de deux foyers, à la manière des ellipses, que ces efforts se polarisent.
André Gide
Journal des Faux-Monnayeurs
1926
Cette composition en trois parties est thématique. Chaque partie se concentre sur un sujet particulier :
- Première partie : l'ambivalence des sentiments
- Deuxième partie : les contradictions humaines
- Troisième partie : l'échec des relations (à l'exception du couple formé par Édouard et Olivier)
Une composition musicale : l'art de la fugue
Ce que je voudrais faire, comprenez-moi, c'est quelque chose qui serait comme l'Art de la fugue. Et je ne vois pas pourquoi ce qui fut possible en musique serait impossible en littérature...
André Gide
Les Faux-Monnayeurs
1925
C'est le personnage d'Édouard qui exprime ainsi son projet littéraire dans le roman.
Fugue
La fugue est une forme de composition musicale. On donne en général la définition du compositeur Marcel Dupré qui la définit comme "une forme de composition musicale dont le thème, ou sujet, passant successivement dans toutes les voix et dans diverses tonalités, semble sans cesse fuir."
André Gide aime beaucoup la musique, particulièrement le piano et Jean-Sébastien Bach. Pour écrire Les Faux-Monnayeurs, il semble s'être inspiré de l'art de la fugue de ce compositeur. Alors qu'il écrit son roman, l'auteur travaille justement sur les Suites pour orgue et Art de la fugue de Bach. Il compare d'ailleurs l'écriture à la pratique du piano dans Journal des Faux-Monnayeurs : "Il en est de mes Faux-Monnayeurs comme de l'étude du piano".
En musique, la fugue repose sur la reprise de certains éléments. On retrouve bien cette idée dans le roman d'André Gide où plusieurs événements se font écho :
- La formation des couples d'Édouard et Bernard et Olivier et Passavant
- La séparation des couples d'Olivier et Passavant et Laura et Vincent
Le rythme du roman rappelle également une composition musicale. Les trois parties suivent un tempo différent :
- La première partie est rapide
- La deuxième partie est calme
- La dernière partie est à la fois rapide et progressive
Une composition reposant sur une multitude d'intrigues et de voix
Je voudrais que les événements ne fussent jamais racontés directement par l'auteur, mais plutôt exposés (et plusieurs fois sous des angles divers) par ceux des acteurs sur qui ces événements auront eu quelque influence.
André Gide
Journal des Faux-Monnayeurs
1926
La construction du roman se fait autour de nombreuses intrigues. André Gide ne cesse de multiplier les voix narratives. Les principales sont :
- L'apprentissage du héros Bernard
- L'intrigue policière avec la fausse monnaie
- L'intrigue amoureuse (ou les intrigues amoureuses) avec au centre Édouard et Olivier
- Les intrigues secondaires (tous les autres personnages qui apparaissent plus ou moins brièvement et sur lesquels le lecteur apprend quelque chose).
Plusieurs modalités sont utilisées par André Gide pour relater les événements :
- Dialogue
- Récit
- Lettre
- Journal
- Discours
- Monologue intérieur
Plusieurs personnages peuvent également raconter des récits. Le lecteur a alors accès à différents points de vue.
Le lecteur apprend lors d'un dialogue entre Bernard et Olivier que Laura et Vincent se sont disputés.
Le lecteur apprend que Laura et Douviers se sont mariés à la pension Vedel dans le journal d'Édouard.
Le lecteur apprend dans une lettre d'Armand que Lilian a été tué et que Vincent est devenu fou.
Le roman semble construit comme un arbre : il y a un tronc solide et une multitude de branches.
Tout ce que je vois, tout ce que j'apprends, tout ce qui m'advient depuis quelques mois, je voudrais le faire entrer dans ce roman, m'en servir pour l'enrichissement de sa touffe.
André Gide
Journal des Faux-Monnayeurs
1925
André Gide évoque ici la "touffe" qu'est son roman, terme qu'il faut rapprocher de l'arbre et de ses multiples branches.
Une composition originale : la mise en abyme
Mise en abyme
La mise en abyme est un procédé littéraire qui consiste à représenter dans un récit une réflexion ou une représentation du récit lui-même.
La construction du roman repose sur une mise en abyme. En effet, le roman Les Faux-Monnayeurs suit le parcours de l'écrivain Édouard qui cherche à écrire un roman s'intitulant Les Faux-Monnayeurs. De plus, André Gide publie son roman en même temps que Journal des Faux-Monnayeurs dans lequel il raconte l'écriture de son œuvre, un peu comme Édouard dans son propre roman.
À la lecture du roman, c'est le journal qu'écrit Édouard qui a la fonction principale de mettre en abyme le récit. Ce journal correspond à 1/3 du roman, ce qui est très important. Il propose surtout des réflexions sur :
- Le roman pur
- Le jugement du lecteur
- Le passage du temps et son lien avec le genre romanesque
- L'attitude de l'écrivain par rapport au réel
Il s'agit de réflexions menées par André Gide lui-même dans Journal des Faux-Monnayeurs. Le roman traite donc d'un écrivain qui s'inspire de la réalité pour écrire un roman qui s'appelle Les Faux-Monnayeurs : la mise en abyme est indéniable. André Gide traite de la création romanesque elle-même.
La composition chronologique du journal
Le Journal des Faux-Monnayeurs suit une composition chronologique. En effet, si les deux cahiers se chevauchent partiellement sur l'année 1921, on peut retracer la rédaction d'André Gide. Le premier cahier suit les dates suivantes :
- 17 juin 1919 - 16 août 1919 : l'auteur mène des réflexions sur le genre romanesque et sur l'intrigue de son livre.
- 9 septembre : l'auteur admet n'avoir rien écrit depuis un mois dans son carnet.
- 21 novembre 1920 : l'auteur admet n'avoir rien écrit dans le cahier depuis des mois mais avoir pensé au roman.
- 1er janvier 1921 - 7 décembre 1921 : l'auteur reprend l'écriture du journal.
Le second cahier suit les dates suivantes :
- août 1921 - 28 novembre 1921 : l'auteur mène des réflexions sur la littérature et sur le personnage d'Édouard.
- 20 août 1922 - 1er novembre 1922 : l'auteur éprouve des difficultés à avancer et réfléchit sur l'art.
- 23 février 1923 - 27 décembre 1923 : l'auteur relate l'avancement de l'écriture.
- 3 janvier 1924 - 20 novembre 1924 : l'auteur évoque l'avancement du roman ainsi que des souvenirs personnels.
- 3 janvier 1925 - 9 juin 1925 : l'auteur termine son roman.
Si la composition est chronologique, il est à noter que les deux cahiers sont très courts. Ils couvrent six ans pendant lesquels André Gide n'écrit pas pendant des mois. Parfois, les entrées sont extrêmement courtes.
Coxyde, 6 juillet.
Profitendieu est à redessiner complètement. Je ne le connaissais pas suffisamment, quand il s'est lancé dans mon livre. Il est beaucoup plus intéressant que je ne le savais.
André Gide
Journal des Faux-Monnayeurs
1925
Parfois le journal relate des éléments autobiographiques ou sert à citer d'autres auteurs ou ouvrages. La composition du journal n'est pas pensée. Elle permet de suivre l'évolution de la pensée d'André Gide, mais en six ans il écrit à peine une centaine de pages.