Sommaire
ILa supériorité de l'homme sur l'animalAL'homme : un être jugé supérieur à l'animal1La supériorité de l'homme dans les récits bibliques2La société humaine, preuve de la supériorité humaine3La supériorité intellectuelle et créatrice de l'hommeBL'animal, un être inférieur1La soumission et la domestication de l'animal par l'homme2L'animal-machine : un être dénué d'intelligenceIIUne remise en question de la supériorité humaine sur l'animalALes similitudes entre l'homme et l'animalBLa reconnaissance des facultés animales1Les défenseurs de l'intelligence et de l'ingéniosité des animaux2La remise en question de la théorie de l'animal-machine3La sensibilité animaleCVers une reconnaissance des droits des animauxIIILa figure animale pour questionner l'hommeAL'animal : un miroir de l'hommeBL'animal en opposition à l'homme pour dénoncer les travers humainsDepuis l'Antiquité, la question de l'homme et de son rapport à l'animal fait débat. L'homme est jugé supérieur à l'animal, parce qu'il a plus de facultés que lui. Cette position permet de défendre les mauvais traitements que l'homme inflige à l'animal. Certains intellectuels estiment que même si l'homme est supérieur à l'animal, les animaux ont des qualités et doivent être reconnus comme des êtres intelligents et sensibles. D'autres remettent en cause l'idée que l'homme est supérieur à l'animal et certains vont jusqu'à défendre les droits des animaux. De tout temps, la figure de l'animal a servi aux écrivains à parler de l'homme, soit en associant l'homme et l'animal, soit en opposant l'homme et l'animal.
La supériorité de l'homme sur l'animal
L'homme a été jugé supérieur à l'animal, notamment dans les textes bibliques. La soumission de l'animal, par l'asservissement ou la domestication, en fait un être inférieur. Toutefois, dès l'Antiquité, on trouve une pensée plus nuancée qui est redécouverte à la Renaissance : un nouveau regard est porté sur l'animal.
L'homme : un être jugé supérieur à l'animal
Dans les récits bibliques, l'homme est jugé supérieur à l'animal. La société humaine est, pour certains, une preuve de cette supériorité, tout comme ses capacités intellectuelles et créatrices.
La supériorité de l'homme dans les récits bibliques
Dans les textes bibliques, l'homme est perçu comme une créature privilégiée. C'est cette pensée qui domine au Moyen Âge.
Dieu a créé l'homme à son image, et si les animaux sont également des créatures divines, Dieu a offert la terre et les animaux à l'homme. L'homme est donc jugé supérieur à l'animal.
« Le Seigneur dit à Noé : Entre dans l'arche, toi et toute ta maison ; car je t'ai vu juste devant moi parmi cette génération. Tu prendras auprès de toi sept couples de tous les animaux purs, le mâle et sa femelle ; une paire des animaux qui ne sont pas purs, le mâle et sa femelle ; sept couples aussi des oiseaux du ciel, mâle et femelle, afin de conserver leur race en vie sur la face de toute la terre. Car, encore sept jours, et je ferai pleuvoir sur la terre quarante jours et quarante nuits, et j'exterminerai de la face de la terre tous les êtres que j'ai faits.
Et Noé entra dans l'arche avec ses fils, sa femme et les femmes de ses fils, pour échapper aux eaux du déluge. D'entre les animaux purs et les animaux qui ne sont pas purs, les oiseaux et tout ce qui se meut sur la terre, il entra dans l'arche auprès de Noé, deux à deux, un mâle et une femelle, comme Dieu l'avait ordonné à Noé. Sept jours après, les eaux du déluge furent sur la terre. »
Bible, Genèse, 7:1
Noé, à la demande de Dieu, sauve du déluge quinze couples d'animaux afin qu'ils puissent survivre aux quarante jours et quarante nuits de pluie et repeupler ensuite la Terre. De fait, on peut considérer que les animaux sont des créatures divines, mais dépendantes de l'homme, puisqu'il a le droit de vie et de mort sur eux.
La société humaine, preuve de la supériorité humaine
Pour certains, la société humaine est une preuve de la supériorité de l'homme sur l'animal. L'homme peut vivre en société, discerner le bien et le mal, ce que l'animal ne peut pas.
Dès l'Antiquité, Aristote estime que l'homme est supérieur aux autres espèces. L'homme est un « animal politique » capable de distinguer le bien du mal, le juste de l'injuste, ce qui lui permet de mettre en place une cité (polis) et de la gouverner de manière organisée.
« La cité est au nombre des réalités qui existent naturellement, et […] l'homme est par nature un animal politique. Et celui qui est sans cité, naturellement et non par suite des circonstances, est ou un être dégradé ou au-dessus de l'humanité. Il est comparable à l'homme traité ignominieusement par Homère de : Sans famille, sans loi, sans foyer, car, en même temps que naturellement apatride, il est aussi un brandon de discorde, et on peut le comparer à une pièce isolée au jeu de trictrac. »
Aristote
La Politique, I, 2, trad. Jules Tricot
Pour Aristote, l'homme, contrairement à l'animal, créé une société dans laquelle il peut vivre. La mise en place de la société humaine fait l'homme, qui est en cela supérieur aux animaux. Il ne vit pas selon ses instincts naturels.
La supériorité intellectuelle et créatrice de l'homme
Plusieurs philosophes défendent dès l'Antiquité l'idée que l'homme est supérieur à l'animal par son intelligence et sa capacité à créer.
L'homme est doué d'une pensée qui lui est propre, il est capable de réfléchir et d'utiliser un grand nombre d'outils et de créer. C'est ce qu'illustre le mythe comme Platon le décrit. Prométhée dérobe le feu sacré aux dieux pour en faire don aux hommes. Les humains vont alors avoir accès au savoir et se distinguer des animaux.
« Quand l'homme fut en possession de son lot divin [le feu], d'abord à cause de son affinité avec les dieux, il crut à leur existence, privilège qu'il a seul de tous les animaux, et il se mit à leur dresser des autels et des statues ; ensuite il eut bientôt fait, grâce à la science qu'il avait d'articuler sa voix et de former les noms des choses, d'inventer les maisons, les habits, les chaussures, les lits, et de tirer les aliments du sol. »
Platon
Protagoras
L'homme surpasse l'animal avec l'acquisition du feu, qui lui permet de créer (« d'inventer les maisons, les habits, les chaussures, les lits, et de tirer les aliments du sol »), ce que l'animal ne parviendra jamais à faire.
L'animal, un être inférieur
La soumission et la domestication de l'animal par l'homme semble prouver que l'animal est inférieur à l'homme. Au XVIIe siècle, on considère que l'animal est dénué de toute conscience, puisqu'il ne fait que des gestes machinaux : c'est l'animal-machine de Descartes.
La soumission et la domestication de l'animal par l'homme
Les animaux sont soumis à l'homme, qui est capable de domestiquer certains animaux d'asservir des espèces sauvages. Cette domestication de l'animal peut être perçue de façon négative : l'animal dépend uniquement de l'homme, il est comme un esclave.
L'homme a domestiqué de nombreux animaux comme le chien ou le chat, mais également les vaches, les moutons, les cochons ou encore les chevaux et les poules. Il peut également asservir des espèces sauvages. Aujourd'hui, même des animaux sauvages et dangereux comme l'orque ou le lion peuvent être dans des zoos, des cirques ou des parcs aquatiques.
La domestication des animaux est parfois perçue très négativement. L'animal domestiqué est soumis à l'homme et dépend de lui, il est son esclave, il a perdu sa liberté. Dans la fable « Le Loup et le Chien » de Jean de La Fontaine, le chien, un être domestiqué, est perçu comme un être inférieur au loup, qui est resté sauvage et libre. Le caractère soumis de l'animal en ferait un être inférieur.
« Un Loup n'avait que les os et la peau,
Tant les chiens faisaient bonne garde.
Ce Loup rencontre un Dogue aussi puissant que beau,
Gras, poli, qui s'était fourvoyé par mégarde.
L'attaquer, le mettre en quartiers,
Sire Loup l'eût fait volontiers ;
Mais il fallait livrer bataille,
Et le Mâtin était de taille
À se défendre hardiment.
Le Loup donc l'aborde humblement,
Entre en propos, et lui fait compliment
Sur son embonpoint, qu'il admire.
"Il ne tiendra qu'à vous beau sire,
D'être aussi gras que moi, lui repartit le Chien.
Quittez les bois, vous ferez bien :
Vos pareils y sont misérables,
Cancres, hères, et pauvres diables,
Dont la condition est de mourir de faim.
Car quoi ? rien d'assuré : point de franche lippée :
Tout à la pointe de l'épée.
Suivez-moi : vous aurez un bien meilleur destin."
Le Loup reprit : "Que me faudra-t-il faire ?
— Presque rien, dit le Chien, donner la chasse aux gens
Portants bâtons, et mendiants ;
Flatter ceux du logis, à son Maître complaire :
Moyennant quoi votre salaire
Sera force reliefs de toutes les façons :
Os de poulets, os de pigeons,
Sans parler de mainte caresse."
Le Loup déjà se forge une félicité
Qui le fait pleurer de tendresse.
Chemin faisant, il vit le col du Chien pelé.
"Qu'est-ce là ? lui dit-il. — Rien. — Quoi ? rien ? — Peu de chose.
— Mais encor ? — Le collier dont je suis attaché
De ce que vous voyez est peut-être la cause.
— Attaché ? dit le Loup : vous ne courez donc pas
Où vous voulez ? — Pas toujours ; mais qu'importe ?
— Il importe si bien, que de tous vos repas
Je ne veux en aucune sorte,
Et ne voudrais pas même à ce prix un trésor."
Cela dit, maître Loup s'enfuit, et court encor. »
Jean de La Fontaine
« Le Loup et le Chien », Fables
Cette fable montre que le loup est libre tandis que le chien a été attaché par un homme (« Le collier dont je suis attaché »). Le chien est nourri, mais il a perdu sa liberté avec le collier qu'on lui a mis autour du cou, il doit constamment « Flatter ceux du logis, à son Maître complaire », tandis que le loup a conservé sa liberté individuelle.
L'animal-machine : un être dénué d'intelligence
Au XVIIe siècle, Descartes est le premier à mettre en avant l'idée selon laquelle les animaux sont des machines, des automates qui n'ont pas d'intelligence ou de sentiments.
Dans la « Lettre au Marquis de Newcastle », cinquième partie du Discours de la méthode, Descartes défend sa théorie d'un animal-machine. Selon lui, les animaux ne sont qu'une sorte d'assemblage de pièces. Ils ne possèdent pas de conscience et sont incapables de penser, contrairement à l'homme. Les animaux ne font que répondre à leurs instincts, des stimuli, ce qui en fait des sortes d'automates accomplissant des gestes mécaniques : ils sont soumis au déterminisme.
Déterminisme
Le déterminisme est une doctrine philosophique selon laquelle tous les événements et toutes les actions sont soumis à des causes extérieurs.
« Or, par ces deux mêmes moyens, on peut aussi connaître la différence qui est entre les hommes et les bêtes. Car c'est une chose bien remarquable, qu'il n'y a point d'hommes si hébétés et si stupides, sans en excepter même les insensés, qu'ils ne soient capables d'arranger ensemble diverses paroles, et d'en composer un discours par lequel ils fassent entendre leurs pensées ; et qu'au contraire, il n'y a point d'autre animal, tant parfait et tant heureusement né qu'il puisse être, qui fasse le semblable. »
René Descartes
Discours de la méthode, partie V
Pour Descartes, on ne peut pas prouver que l'animal est capable de penser ou de raisonner. Dans cet extrait, il le justifie en s'appuyant sur l'absence de langage chez les animaux. Descartes estime que même un homme idiot peut parler, alors qu'un animal est incapable de communiquer, ce qui pour lui en fait un être inférieur dénué d'intelligence ou de pensée propre.
Au XVIIIe siècle, Buffon n'est pas d'accord avec l'idée d'un animal « automate ». Toutefois, il estime également que l'animal n'a pas de réelle intelligence.
« Il ne reste plus qu'une chose à éclaircir, c'est la nature de leurs sensations, qui doivent être, suivant ce que nous venons d'établir, bien différentes des nôtres. Les animaux, nous dira-t-on, n'ont-ils donc aucune connaissance ? Leur ôtez-vous la conscience de leur existence, le sentiment ? Puisque vous prétendez expliquer mécaniquement toutes leurs actions, ne les réduisez-vous pas à n'être que de simples machines, que d'insensibles automates ? Si je me suis bien expliqué, on doit avoir déjà vu que, bien loin de tout ôter aux animaux, je leur accorde tout, à l'exception de la pensée et de la réflexion ; ils ont le sentiment, ils l'ont même à un plus haut degré que nous ne l'avons ; ils ont aussi la conscience de leur existence actuelle. »
Georges-Louis Leclerc de Buffon
Histoire naturelle
Buffon ne veut pas considérer les animaux comme des automates, comme l'indique la question rhétorique qu'il pose : « Puisque vous prétendez expliquer mécaniquement toutes leurs actions, ne les réduisez-vous pas à n'être que de simples machines, que d'insensibles automates ? » Cependant, il réfute certaines qualités intellectuelles qu'on peut leur attribuer : « à l'exception de la pensée et de la réflexion ». Selon lui, les animaux sont juste mimétiques, c'est-à-dire qu'ils ne font qu'imiter certaines attitudes humaines, sans les comprendre.
Une remise en question de la supériorité humaine sur l'animal
Dès l'Antiquité, on trouve un regard plus nuancé sur le rapport entre l'homme et l'animal, qui repose notamment sur les similitudes entre l'homme et l'animal. Certains intellectuels reconnaissent des facultés aux animaux, ce qui poussent à imaginer qu'ils pourraient avoir des droits.
Les similitudes entre l'homme et l'animal
Plusieurs intellectuels ont noté des similitudes entre l'homme et l'animal. Ces similitudes permettent de rapprocher l'homme et l'animal.
Diderot rappelle que les médecins comparent l'organisation physiologique des animaux à celle de l'homme.
C'est son mot. Il admirait la sagacité des anciens philosophes. Il disait ou faisait dire à son philosophe, je ne sais lequel des deux : si lorsque Épicure assurait que la terre contenait les germes de tout, et que l'espèce animale était le produit de la fermentation, il avait proposé de montrer une image en petit de ce qui s'était fait en grand à l'origine des temps, que lui aurait-on répondu ?... Et vous l'avez sous vos yeux cette image et elle ne vous apprend rien... Qui sait si la fermentation et ses produits sont épuisés ? Qui sait à quel instant de la succession de ces générations animales nous en sommes ? Qui sait si ce bipède déformé qui n'a que quatre pieds de hauteur, qu'on appelle encore dans le voisinage du pôle un homme, et qui ne tarderait pas à perdre ce nom en se déformant un peu davantage, n'est pas l'image d'une espèce qui passe ? Qui sait s'il n'en est pas ainsi de toutes les espèces d'animaux ? Qui sait si tout ne tend pas à se réduire à un grand sédiment inerte et immobile ? Qui sait quelle sera la durée de cette inertie ? Qui sait quelle race nouvelle peut résulter derechef d'un amas aussi grand de points sensibles et vivants ? Pourquoi pas un seul animal ? Qu'était l'éléphant dans son origine ? Peut-être l'animal énorme tel qu'il nous paraît, peut-être un atome, car tous les deux sont également possibles ; ils ne supposent que le mouvement et les propriétés diverses de la matière... L'éléphant, cette masse énorme, organisée, le produit subit de la fermentation ! Pourquoi non ? Le rapport de ce grand quadrupède à sa matrice première est moindre que celui du vermisseau à la molécule de farine qui l'a produit... Mais le vermisseau n'est qu'un vermisseau... C'est-à-dire la petitesse qui vous dérobe son organisation lui ôte son merveilleux... Le prodige, c'est la vie, c'est la sensibilité, et ce prodige n'en est plus un... Lorsque j'ai vu la matière inerte passer à l'état sensible, rien ne doit plus m'étonner... Quelle comparaison d'un petit nombre d'éléments mis en fermentation dans le creux de ma main, et de ce réservoir immense d'éléments divers épars dans les entrailles de la terre, à sa surface, au sein des mers, dans la vague des airs !...
Denis Diderot
Pour Diderot, l'Univers est une unique machine, qui passe du végétal à l'animal, puis à l'homme. Ainsi, il y a des similitudes entre les animaux et les hommes. Son argumentaire passe par l'utilisation de nombreuses questions rhétoriques et une ponctuation très expressive.
La Mettrie, quant à lui, considère qu'il n'y a aucune séparation tranchée entre l'homme et l'animal.
« Pourquoi donc l'éducation des singes serait-elle impossible ? Pourquoi ne pourrait-il enfin, à force de soins, imiter, à l'exemple des sourds, les mouvements nécessaires pour prononcer ? […] Des animaux à l'homme, la transition n'est pas violente ; les vrais philosophes en conviendront. Qu'était l'homme, avant l'invention des mots et la connaissance des langues ? Un animal de son espèce, qui avec beaucoup moins d'instinct naturel que les autres, dont alors il ne se croyait pas roi, n'était distingué du singe et des autres animaux que comme le singe l'est lui-même, je veux dire par une physionomie qui annonçait plus de discernement. »
Julien Offray de La Mettrie
L'Homme machine
1748
Dans cet extrait, La Mettrie emploie des questions rhétoriques : « Pourquoi donc l'éducation des singes serait-elle impossible ? Pourquoi ne pourrait-il enfin, à force de soins, imiter, à l'exemple des sourds, les mouvements nécessaires pour prononcer ? ». Ces questions soulignent que l'homme et l'animal ne sont pas si différents au niveau biologique, la grande différence se trouve dans l'éducation.
La reconnaissance des facultés animales
Des intellectuels reconnaissent des facultés aux animaux comme l'intelligence et l'ingéniosité. Ils remettent en cause l'idée de l'animal-machine et mettent en avant la sensibilité des animaux.
Les défenseurs de l'intelligence et de l'ingéniosité des animaux
À la Renaissance la redécouverte de Pline l'Ancien permet également de porter un regard plus critique sur la supériorité de l'homme. Pour Pline l'Ancien, l'animal est un être intelligent qui connaît ses besoins et sait ce qui lui est nécessaire, contrairement à l'homme. Dès la Renaissance et jusqu'au siècle des Lumières, plusieurs intellectuels défendent l'intelligence et l'ingéniosité des animaux.
« À lui seul (l'homme) entre les animaux a été donné le deuil, à lui le luxe, et le luxe sous mille formes et sur chaque partie de son corps ; à lui l'ambition, à lui l'avarice, à lui un désir immense de vivre, à lui la superstition, à lui le soin de la sépulture, et le souci même de ce qui sera après lui. Aucun n'a une vie plus fragile, aucun des passions plus effrénées pour toute chose, aucun des peurs plus effarées, aucun de plus violentes fureurs. »
Pline l'Ancien
Histoires naturelles, VII, 5
Dans cet extrait redécouvert à la Renaissance, Pline l'Ancien montre que l'animal est supérieur à l'homme car il sait distinguer ses vrais besoins des besoins superflus, qui sont des désirs difficilement atteignables.
Montaigne est un des hommes de la Renaissance qui met en avant l'intelligence et l'ingéniosité des animaux.
« Nous ne sommes ni au-dessus, ni au-dessous du reste : tout ce qui est sous le Ciel, sit le sage, court une loi et fortune sans pareille, « Tout est enchaîné dans les liens de la fatalité » (Lucrèce, De la nature). Il y a quelque différence, il y a des ordres et des degrés ; mais c'est sous le visage d'une même nature : « Chaque chose a son développement propre, et toutes conservent les différences que la nature leur a décrétées » (Lucrèce, De la nature). Il faut contraindre l'homme et le ranger dans les barrières de cette police. Le misérable n'a garde d'enjamber par effet au-delà ; il est entravé et engagé, il est assujetti de pareille obligation que les autres créatures de son ordre, et d'une condition fort moyenne, sans aucune prérogative, préexcellence vraie et essentielle. […]
Je dis donc, pour revenir à mon propos, qu'il n'y a point d'apparence d'estimer que les bêtes fassent par inclination naturelle et forcée les mêmes choses que nous faisons par notre choix et industrie. Nous devons conclure de pareils effets pareilles facultés et confesser par conséquent que ce même discours [intelligence], cette même voie, que nous tenons à ouvrer [que nous suivons dans nos ouvrages], c'est aussi celle des animaux. »
Michel de Montaigne
Essais, Livre II, Chapitre 12 « Apologie de Raimond Sebond »
Dans cet extrait, Montaigne cherche à montrer que l'homme n'est pas un être supérieur. Pour cela, il utilise notamment la négation : « Nous ne sommes ni au-dessus, ni au-dessous du reste ». Il utilise également un argument d'autorité en citant Lucrèce pour appuyer son propos. Enfin, il s'implique dans l'argumentation, utilisant le pronom personnel « je » : « Je dis donc, pour revenir à mon propos, qu'il n'y a point d'apparence d'estimer que les bêtes fassent par inclination naturelle et forcée les mêmes choses que nous faisons par notre choix et industrie. »
Au siècle des Lumières, Boileau valorise également l'intelligence et l'ingéniosité des animaux.
La fourmi tous les ans traversant les guérets,
Grossit ses magasins des trésors de Cérès ;
Et dès que l'aquilon ramenant la froidure,
Vient de ses noirs frimas attrister la nature,
Cet animal, tapi dans son obscurité,
Jouit l'hiver des biens conquis durant l'été.
Mais on ne la voit point, d'une humeur inconstante,
Paresseuse au printemps, en hiver diligente,
Affronter en plein champ les fureurs de janvier,
Ou demeurer oisive au retour du bélier.
Nicolas Boileau
Satires
Dans cette satire, Boileau valorise l'ingéniosité de la fourmi qui fait des réserves pour l'hiver.
La remise en question de la théorie de l'animal-machine
Au siècle des Lumières, plusieurs intellectuels remettent en cause l'idée cartésienne de l'animal-machine. Pour eux, les animaux ont de réelles facultés, ils sont capables d'apprentissage, ce ne sont pas automates.
Voltaire s'attaque directement à la théorie de Descartes selon laquelle les animaux sont simplement des « machines ».
« BÊTES
Quelle pitié, quelle pauvreté, d'avoir dit que les bêtes sont des machines privées de connaissance et de sentiment, qui font toujours leurs opérations de la même manière, qui n'apprennent rien, ne perfectionnent rien, etc. ! Quoi ! cet oiseau qui fait son nid en demi-cercle quand il l'attache à un mur, qui le bâtit en quart de cercle quand il est dans un angle, et en cercle sur un arbre ; cet oiseau fait tout de la même façon ? Ce chien de chasse que tu as discipliné pendant trois mois n'en sait-il pas plus au bout de ce temps qu'il n'en savait avant les leçons ? Le serin à qui tu apprends un air le répète-t-il dans l'instant ? n'emploies-tu pas un temps considérable à l'enseigner ? n'as-tu pas vu qu'il se méprend et qu'il se corrige ? »
Voltaire
Dictionnaire philosophique, article « Bêtes »
Voltaire met en évidence les talents et les facultés propres aux animaux en prenant l'exemple de l'oiseau et du chien :
- Voltaire souligne la virtuosité et l'intelligence de cet animal qui crée son nid d'une manière très technique.
- Pour Voltaire, le chien est doué d'intelligence puisqu'il retient tout ce que l'homme lui enseigne et est capable de se corriger tout seul.
La Fontaine est un autre auteur des Lumières qui rejette l'idée d'un animal-machine, la considérant ridicule.
« Qu'il faut de tout aux entretiens :
C'est un parterre, où Flore épand ses biens ;
Sur différentes fleurs l'Abeille s'y repose,
Et fait du miel de toute chose.
Ce fondement posé, ne trouvez pas mauvais
Qu'en ces Fables aussi j'entremêle des traits
De certaine Philosophie
Subtile, engageante, et hardie.
On l'appelle nouvelle. En avez-vous ou non
Ouï parler ? Ils disent donc
Que la bête est une machine ;
Qu'en elle tout se fait sans choix et par ressorts :
Nul sentiment, point d'âme, en elle tout les corps. »
Jean de La Fontaine
« Discours à Madame de la Sablière »
Dans cette fable, La Fontaine évoque le débat sur l'intelligence de l'animal qui se met en place au XVIIe siècle. Il se place en opposition avec la pensée de Descartes des « animaux-machines », ne voyant aucune supériorité de l'homme sur l'animal. Il dédaigne même cette nouvelle forme de philosophie dans cet extrait de fable, comme l'indique la question rhétorique « Ouï parler ? ».
La sensibilité animale
La sensibilité animale est particulièrement mise en avant par ceux qui défendent les animaux. Si les animaux éprouvent des sensations voire des sentiments, alors on doit les considérer comme des êtres sensibles, au même titre que les humains.
Les animaux sont doués de sensibilité, à l'image d'Argos, le fidèle chien d'Ulysse, qui est le premier à reconnaître son maître lorsqu'il revient à Ithaque et meurt de joie sur le coup. Plusieurs philosophes, notamment au siècle des Lumières, vont défendre cette idée. Ainsi, pour Voltaire et Rousseau, les animaux sont des créatures capables d'éprouver des sentiments. Voltaire, dans son article « Bêtes » du Dictionnaire philosophique, prouve que le chien est capable de témoigner sa joie.
« Porte donc le même jugement sur ce chien qui a perdu son maître, qui l'a cherché dans tous les chemins avec des cris douloureux, qui entre dans la maison, agité, inquiet, qui descend, qui monte, qui va de chambre en chambre, qui trouve enfin dans son cabinet le maître qu'il aime, et qui lui témoigne sa joie par la douceur de ses cris, par ses sauts, par ses caresses. »
Voltaire
Dictionnaire philosophique, article « Bêtes »
Voltaire utilise l'accumulation : « agité, inquiet, qui descend, qui monte, qui va de chambre en chambre, qui trouve ». Il cherche à montrer que le chien est capable d'éprouver des sentiments d'affection pour son maître. Il défend la sensibilité des chiens.
Rousseau, dans Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes, montre que les animaux connaissent la peur, en évoquant des animaux qui émettent des mugissements avant d'entrer dans une boucherie.
Sans parler de la tendresse des mères pour leurs petits, et des périls qu'elles bravent pour les en garantir, on observe tous les jours la répugnance qu'ont les chevaux à fouler aux pieds un corps vivant ; un animal ne passe point sans inquiétude auprès d'un animal mort de son espèce ; il y en a même qui leur donnent une sorte de sépulture ; et les tristes mugissements du bétail entrant dans une boucherie annoncent l'impression qu'il reçoit de l'horrible spectacle qui le frappe.
Jean-Jacques Rousseau
Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes
Rousseau utilise le champ lexical des émotions : « tendresse », « répugnance », « inquiétude », « tristes mugissements ». Il prouve ainsi que les animaux que l'on mène à l'abattoir éprouvent de la peur et réagissent avec sensibilité.
Vers une reconnaissance des droits des animaux
La reconnaissance des facultés des animaux mènent à l'idée de droits des animaux : ne pas les faire souffrir, ne pas les tuer, etc.
Dès l'Antiquité, mais particulièrement au moment de la Renaissance avec la remise en question de la supériorité animale sur l'homme, des intellectuels ont réfléchi au statut de l'animal par rapport aux hommes. La position de certains auteurs a permis l'émergence de l'idée de droits des animaux, qui est aujourd'hui une problématique importante. Ainsi, des hommes comme Léonard de Vinci, végétarien, considèrent que tuer un animal équivaut à tuer un homme.
« Le jour viendra où les personnes comme moi regarderont le meurtre des animaux comme ils regardent aujourd'hui le meurtre des êtres humains. »
Léonard de Vinci
Codex Atlanticus
Un philosophe comme Voltaire estime que la sensibilité animale devrait empêcher l'homme de faire souffrir inutilement les animaux. Condillac, quant à lui, rédige un traité des animaux dans lequel il évoque leur sensibilité et leur intelligence. Rousseau quant à lui accorde aux animaux certains droits qu'il accorde aux hommes, notamment parce que, dans leur nature, ils ont des similitudes avec les hommes.
« Par ce moyen, on termine aussi les anciennes disputes sur la participation des animaux à la loi naturelle ; car il est clair que, dépourvus de lumières et de liberté, ils ne peuvent reconnaître cette loi ; mais, tenant en quelque chose à notre nature par la sensibilité dont ils sont doués, on jugera qu'ils doivent aussi participer au droit naturel, et que l'homme est assujetti envers eux à quelque espèce de devoirs. Il semble, en effet, que si je suis obligé de ne faire aucun mal à mon semblable, c'est moins parce qu'il est un être raisonnable que parce qu'il est un être sensible : qualité qui, étant commune à la bête et à l'homme, doit au moins donner à l'une le droit de n'être point maltraitée inutilement par l'autre. »
Jean-Jacques Rousseau
Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes, préface
Selon Rousseau, les hommes et les animaux sont des êtres semblables, ils disposent d'une nature commune qui est la sensibilité. En effet, l'homme et l'animal éprouvent des sensations et des sentiments. Parce qu'ils sont semblables, l'homme ne doit pas, selon le philosophe, faire souffrir inutilement l'animal. Il utilise le terme de « droit ».
La figure animale pour questionner l'homme
De tous temps, la figure de l'animal a servi à questionner l'homme, que l'animal serve de miroir à l'homme par sa ressemblance, ou d'antagoniste par sa différence.
L'animal : un miroir de l'homme
Parce qu'il lui ressemble, l'animal peut être utilisé pour parler de l'homme. On parle d'anthropomorphisme.
Anthropomorphisme
L'anthropomorphisme est l'attribution de caractéristiques humaines aux animaux. Souvent, il s'agit de projeter les émotions et les comportements humains sur les animaux. C'est ce qui permet notamment aux auteurs de dénoncer la société humaine sans être censurés.
Dans les fables de La Fontaine ou dans les contes de Perrault ou de Madame d'Aulnoy, l'animal est ainsi utilisé pour mieux parler de l'homme. Les auteurs se servent des animaux pour mettre en lumière les comportements et la nature de l'homme. Cela permet d'instruire les hommes.
Fable
Une fable est un récit court, en vers ou en prose, mettant en scène des animaux personnifiés ou des êtres humains, qui donne une morale, qu'elle soit explicite ou implicite. Ce genre littéraire apparaît dans l'Antiquité avec les fabulistes Ésope et Phèdre et est très largement repris au XVIIe siècle par Jean de La Fontaine.
« À Monseigneur le Dauphin
Je chante les héros dont Ésope est le père,
Troupe de qui l'histoire, encor que mensongère,
Contient des vérités qui servent de leçons.
Tout parle en mon ouvrage, et même les poissons :
Ce qu'ils disent s'adresse à tous tant que nous sommes ;
Je me sers d'animaux pour instruire les hommes.
Illustre rejeton d'un prince aimé des cieux,
Sur qui le monde entier a maintenant les yeux,
Et qui faisant fléchir les plus superbes têtes,
Comptera désormais ses jours par ses conquêtes,
Quelque autre te dira d'une plus forte voix
Les faits de tes aïeux et les vertus des rois.
Je vais t'entretenir de moindres aventures,
Te tracer en ces vers de légères peintures ;
Et si de t'agréer je n'emporte le prix,
J'aurai du moins l'honneur de l'avoir entrepris. »
Jean de La Fontaine
préface des Fables
Dans cette préface adressée au dauphin (futur roi de France), Jean de La Fontaine explique pourquoi il choisit d'utiliser les animaux pour parler des hommes en général. En effet, il considère que l'homme ressemble en beaucoup de choses à l'animal, alors en peignant les propriétés des animaux et leurs caractères, il peint ceux des hommes et les instruit.
Conte
Le conte est un récit, généralement court, en prose, qui cherche à distraire le lecteur tout en l'instruisant. Dans le conte, la temporalité et la géographie restent floues, ce qui permet de placer ce genre hors de l'espace et du temps. Il existe plusieurs types de contes :
- le conte de fées ou conte merveilleux, qui apparaît au XVIIe siècle (Madame d'Aulnoy, Charles Perrault),
- le conte philosophique, qui apparaît au XVIIIe siècle (Voltaire),
- le conte fantastique, qui apparaît au XIXe siècle (Maupassant, Gautier).
« — Il le faut bien, reprit la Bête ; je me rends justice. Je sais que je suis bien horrible ; mais je vous aime beaucoup ; cependant je suis trop heureux de ce que vous voulez bien rester ici ; promettez-moi que vous ne me quitterez jamais ». La Belle rougit à ces paroles. Elle avait vu dans son miroir que son père était malade de chagrin de l'avoir perdue ; et elle souhaitait de le revoir. « Je pourrais bien vous promettre, dit-elle à la Bête, de ne vous jamais quitter tout à fait ; mais j'ai tant d'envie de revoir mon père, que je mourrai de douleur si vous me refusez ce plaisir. — J'aime mieux mourir moi-même, dit ce monstre, que de vous donner du chagrin. Je vous enverrai chez votre père ; vous y resterez, et votre pauvre Bête en mourra de douleur. »
Madame d'Aulnoy
La Belle et la Bête
La Belle, enfermée dans le palais de la Bête, apprend petit à petit à la connaître et ne voit plus en elle le monstre qu'elle voyait auparavant. En effet, la Bête est douée de sentiments humains. Elle ressent l'amour : « je vous aime beaucoup ». Elle peut également ressentir de la tristesse et de la peine : « Je vous enverrai chez votre père ; vous y resterez, et votre pauvre Bête en mourra de douleur. » La figure de l'animal est ici utilisée pour défendre l'idée qu'un être que l'on ne connaît pas bien et qui semble différent ou monstrueux a en réalité plus de similitudes avec soi qu'on le croit.
L'animal en opposition à l'homme pour dénoncer les travers humains
De nombreux auteurs utilisent la figure de l'animal en opposition à celle de l'homme pour démontrer que, finalement, l'homme vaut moins que les animaux, qu'il a de nombreux travers.
L'homme se croit supérieur aux animaux, parce qu'il a la capacité d'agir sur le monde, de transformer l'environnement qui l'entoure pour faciliter sa vie, mais finalement il se conduit plus sottement que les animaux. L'homme se rend coupable de nombreux maux, il est un véritable loup pour ses semblables, dans le sens où bien qu'il soit doué d'intelligence, il ne l'utilise pas à bon escient.
« De tous les animaux qui s'élèvent dans l'air,
Qui marchent sur la terre, ou nagent dans la mer,
De Paris au Pérou, du Japon jusqu'à Rome,
Le plus sot animal, à mon avis, c'est l'homme.
Quoi ! dira-t-on d'abord, un ver, une fourmi,
Un insecte rampant qui ne vit qu'à demi,
Un taureau qui rumine, une chèvre qui broute,
Ont l'esprit mieux tourné que n'a l'homme ? Oui, sans doute.
Ce discours te surprend, docteur, je l'aperçoi.
L'homme de la nature est le chef et le roi :
Bois, prés, champs, animaux, tout est pour son usage,
Et lui seul a, dis-tu, la raison en partage.
Il est vrai de tout temps, la raison fut son lot :
Mais de là je conclus que l'homme est le plus sot.
Ces propos, diras-tu, sont bons dans la satire,
Pour égayer d'abord un lecteur qui veut rire :
Mais il faut les prouver. En forme. — J'y consens.
Réponds-moi donc, docteur, et mets-moi sur les bancs.
Qu'est-ce que la sagesse ? une égalité d'âme
Que rien ne peut troubler, qu'aucun désir n'enflamme,
Qui marche en ses conseils à pas plus mesurés
Qu'un doyen au palais ne monte les degrés.
Or cette égalité dont se forme le sage,
Qui jamais moins que l'homme en a connu l'usage ?
(...)
Mais l'homme, sans arrêt dans sa course insensée,
Voltige incessamment de pensée en pensée :
Son cœur, toujours flottant entre mille embarras,
Ne sait ni ce qu'il veut ni ce qu'il ne veut pas.
Ce qu'un jour il abhorre, en l'autre il le souhaite. [...] »
Nicolas Boileau
Satires
Boileau critique les hommes qui se conduisent comme des « sots » à travers l'emploi du superlatif « plus » : « Le plus sot animal, à mon avis, c'est l'homme. ». En effet, selon lui, l'homme est inconstant, c'est-à-dire qu'il ne sait jamais ce qu'il veut, ni n'est capable de se contenter de ce qu'il a : « Son cœur, toujours flottant entre mille embarras, / Ne sait ni ce qu'il veut ni ce qu'il ne veut pas. »