Sommaire
ILa diffusion des savoirs grâce à l'imprimerieALes grands imprimeurs et les premiers livresBLa diffusion des textes et l'essor de l'esprit critiqueCLa diffusion d'un savoir multiple : l'EncyclopédieIILes progrès scientifiques et le goût pour les inventairesALes progrès scientifiques1L'héliocentrisme2Le développement de l'expérimentation scientifiqueBLes inventaires et la classificationIIILe renouveau littéraire et artistiqueALe renouveau littéraire1La défense de la langue française2L'imitation des anciens et le renouvellement des formes poétiques3Le rôle de l'imagination et de la fiction dans le développement des utopiesBLe renouveau artistiqueDe la Renaissance au siècle des Lumières, le monde intellectuel et artistique européen est en pleine effervescence. La diffusion des savoirs est rendue possible grâce à l'imprimerie, ce qui permet aux idées d'être diffusées à une échelle bien plus grande qu'auparavant. Les progrès scientifiques sont importants et s'accompagnent d'un goût pour les inventaires : on décrit ce que l'on découvre, on représente différemment le monde. En Europe, la littérature et l'art connaissent un véritable renouveau : l'imagination des hommes se transforme avec les nouvelles découvertes.
La diffusion des savoirs grâce à l'imprimerie
Au milieu du XVe siècle, Gutenberg met au point l'imprimerie, ce qui permet le développement du métier d'imprimeur et l'impression des premiers livres. L'imprimerie permet la diffusion à grande échelle des connaissances, qu'elles soient littéraires, techniques ou scientifiques, et le développement d'un véritable esprit critique. Un idéal encyclopédique naît, on souhaite réunir tous les savoirs et les diffuser dans toute l'Europe grâce à l'imprimerie.
Les grands imprimeurs et les premiers livres
La mise en place de l'imprimerie permet le développement des maisons de presse et des grands imprimeurs. Les premiers livres publiés sont la Bible et des textes antiques.
Dans les années qui suivent l'invention de l'imprimerie, des maisons de presses apparaissent rapidement dans les grandes villes européennes comme Cologne, Bâle, Rome, Venise, Paris, Genève, Londres, etc. Les grands imprimeurs commencent par éditer la Bible (la première édition de la Bible est imprimée en 1453), puis des textes issus de l'Antiquité gréco-romaine. Peu à peu, ceux qui en ont les moyens constituent des bibliothèques savantes, privilège autrefois réservé à l'Église et aux « grands ». Éditeurs, auteurs et traducteurs forment un cercle d'intellectuels qui échangent constamment.
Guillaume Fichet est un humaniste et bibliothécaire de l'université de la Sorbonne à Paris. Au XVe siècle, il y fait installer les premières presses à imprimer.
« Tu viens de m'envoyer les savoureuses lettres de Gasparino de Bergame. Non seulement tu en as revu soigneusement le texte, mais il est nettement et correctement reproduit par les imprimeurs allemands. L'auteur te doit de grands remerciements pour les longues veilles que tu as consacrées à rendre son livre parfait, de corrompu qu'il était auparavant. Mais tous les hommes savants doivent te remercier encore davantage, toi qui non seulement t'appliques à l'étude des lettres sacrées […], mais leur rends un signalé service en t'occupant de rétablir, dans leur pureté, les textes des auteurs latins. Sans parler de plusieurs autres grandes pertes subies par les lettres, les mauvais copistes ne sont-ils pas une des causes qui ont le plus contribué à les précipiter pour ainsi dire dans la barbarie ? […] Ces industries du livre que, de ton pays d'Allemagne, tu as fait venir en cette cité produisent des livres très corrects et conformes à la copie qui leur est livrée. Tu fais, du reste, la plus grande attention à ce qu'ils n'impriment rien sans que le texte n'ait été confronté avec tous les manuscrits que tu réunis et corriges plusieurs fois ».
Guillaume Fichet
Lettre à Jean Heynlin
Dans cet extrait, Guillaume Fichet évoque les lettres de Gasparino de Bergame, grammairien et humaniste italien du XVe siècle. Il remercie son destinataire de l'avoir relu et corrigé, mais également d'avoir fait attention à ce que celui-ci soit correctement imprimé. En effet, à cette époque, nombreux sont les copistes qui ne font pas attention aux textes qu'ils doivent reproduire.
Le rôle de l'imprimeur est tout aussi important que celui de l'écrivain ou du traducteur. C'est lui qui permet la diffusion des œuvres.
« J'ai souvent souhaité dans mon cœur, très savant Manuce, que tout l'éclat apporté par toi aux deux littératures [grecque et latine], grâce non seulement à ton art et à tes impressions d'une finesse sans égale, mais aussi à ton génie et à ton éminente science, revienne vers toi pour te rendre l'équivalent de ce que tu as donné […]. J'apprends que Platon, que tous les lettrés attendent déjà avec impatience, s'imprime chez toi en caractères grecs. J'aimerais savoir quels ouvrages de médecine tu vas imprimer […]. Je me demande ce qui t'empêche de nous avoir donné depuis longtemps le Nouveau Testament, ouvrage capable, si je ne me trompe, de plaire à tous, et surtout à ceux de notre ordre, c'est-à-dire aux théologiens. Je t'adresse deux tragédies traduites par moi avec grande audace : tu jugeras toi-même si c'est avec assez de bonheur […]. J'estimerais l'immortalité accordée à mes œuvres, si elles venaient au jour imprimées dans tes caractères, de préférence ceux qui, assez petits, sont les plus jolis de tous. Le volume ainsi serait des plus minces, et la chose réalisée à peu de frais ».
Didier Érasme
Lettre d'Érasme à Alde Manuce, trad. Marie Delcourt
1507
Cette lettre est adressée par l'humaniste Érasme à Alde Manuce, imprimeur vénitien qui a inventé le caractère italique. Érasme insiste sur sa curiosité intellectuelle et remercie Manuce de s'occuper de l'impression des textes en grec de Platon. Il en profite également pour lui envoyer des traductions de tragédies pour qu'il les imprime également.
La diffusion des textes et l'essor de l'esprit critique
L'imprimerie permet la diffusion de nombreux textes, et l'essor de l'esprit critique. En effet, la lecture de différents auteurs permet d'élargir la vision du monde des intellectuels.
Dès la Renaissance, on voit apparaître une pratique individuelle de la lecture grâce à la diffusion des textes. Ces lectures personnelles permettent de développer l'esprit critique de chacun. Chaque lecteur peut émettre une interprétation personnelle des ouvrages qu'il lit. C'est ce qui se passe avec la Bible : l'Église n'est plus la seule à l'interpréter.
La pratique de la lecture personnelle de la Bible est notamment encouragée par les réformateurs protestants, comme Martin Luther.
« Il faut que tous les bons chrétiens ouvrent leurs yeux, qu'ils ne se laissent pas induire en erreur par les bulles, les cachets et leur fausse dévotion, qu'ils restent chez eux dans leur église et se contentent parfaitement de leur baptême, de l'Évangile, de la foi, du Christ et de Dieu qui sont les mêmes en tous lieux, sans se soucier du pape, aveugle chef des aveugles. Ni Ange ni pape ne peuvent vous donner autant que Dieu vous donne dans votre paroisse, bien plus le pape vous écarte des dons divins que vous recevez gratuitement, pour vous imposer ses dons qu'il vous faut acheter. »
Martin Luther
À la noblesse chrétienne de la nation allemande, trad. Maurice Gravier
En 1520, Martin Luther rédige un véritable manifeste pour appeler les hommes à pratiquer une lecture personnelle de la Bible, en la questionnant et en rejetant les intermédiaires religieux qui corrompent, selon lui, les idées bibliques.
La diffusion d'un savoir multiple : l'Encyclopédie
La diffusion du savoir devient primordiale pour certains intellectuels, comme d'Alembert qui fonde l'Encyclopédie avec de nombreux philosophes des Lumières. L'Encyclopédie est une œuvre majeure du siècle des Lumières qui permet la diffusion du savoir et des opinions sur de nombreux sujets.
L'Encyclopédie est un ouvrage édité sous la direction de Diderot et d'Alembert. Œuvre majeure du siècle des Lumières, elle comporte toutes les connaissances dispersées sur la surface de la Terre. Nombreux sont les philosophes qui ont participé à la rédaction d'articles, comme Voltaire, Rousseau ou encore Montesquieu.
« Le but d'une encyclopédie est de rassembler les connaissances éparses sur la surface de la Terre ; d'en exposer le système général aux hommes avec qui nous vivons, et de la transmettre aux hommes qui viendront après nous ; alors que les travaux des siècles passés n'aient pas été des travaux inutiles pour les siècles qui succéderont ; que nos enfants, devenant plus instruits, deviennent en même temps plus vertueux et plus heureux, et que nous ne mourions pas sans avoir bien mérité du genre humain. »
Denis Diderot
Préface de l'Encyclopédie
1751-1772
Dans la préface de l'Encyclopédie, Diderot met en avant le rôle de l'encyclopédie : transmettre des savoirs, des idées et faire réfléchir le lecteur.
Les progrès scientifiques et le goût pour les inventaires
De la Renaissance au siècle des Lumières, de nombreuses découvertes scientifiques ont lieu. On observe le développement d'inventaires, sous la forme de classification de plantes et d'espèces, ou d'atlas terrestres et de cartes.
Les progrès scientifiques
Les progrès scientifiques sont particulièrement marqués par la découverte de l'héliocentrisme et le développement de l'expérimentation scientifique.
L'héliocentrisme
Copernic et Galilée développent la théorie de l'héliocentrique : la Terre tourne autour du Soleil. C'est une véritable révolution scientifique qui crée la polémique.
Jusqu'à la Renaissance, la vision européenne du monde et de l'Univers était basée à la fois sur la Bible et sur les écrits des savants de l'Antiquité. Au XVe siècle, Copernic et Galilée remettent en cause le géocentrisme, thèse soutenue par l'Église selon laquelle la Terre était le centre de l'Univers. En effet, Copernic fait publier sa théorie indiquant que la Terre n'est qu'une planète, au même titre que les autres, et qu'elle tourne autour du Soleil. C'est ce que l'on appelle l'héliocentrisme. Cette révolution scientifique remet en cause tout le système physique de l'époque. Copernic est condamné pour hérésie au tribunal de l'Inquisition.
Inquisition
L'Inquisition représente un tribunal créé à partir du XIIIe siècle par l'Église catholique, dont le but était de combattre l'hérésie, faisant appliquer aux personnes coupables d'hérésie divers châtiments, ce qui pouvait aboutir dans la plupart des cas à la peine de mort.
« PREMIER POSTULAT
Il n'y a pas un centre unique pour tous les orbes ou sphères célestes.
DEUXIÈME POSTULAT
Le centre de la Terre n'est pas le centre du monde, mais seulement le centre des graves et le centre de l'orbe lunaire.
TROISIÈME POSTULAT
Tous les orbes entourent le Soleil qui se trouve pour ainsi dire au milieu d'eux tous, et c'est pourquoi le centre du monde est au voisinage du Soleil. »
Nicolas Copernic
Commentariolus, trad. Henri Hugonnard-Roche
Copernic développe la théorie de l'héliocentrisme, il montre que ce n'est pas le Soleil qui tourne autour de la Terre mais l'inverse. Par ailleurs, il affirme ici que la Terre n'est pas le centre du monde. Il révolutionne ainsi les pensées scientifiques de son temps.
« SALVIATI – Considérons d'abord simplement l'immense masse que constitue la sphère étoilée comparée à la petitesse du globe terrestre, qui y est contenu plusieurs millions de fois, pensons en outre quelle vitesse doit avoir son mouvement de révolution complète en un jour et une nuit ; pour ma part, je ne puis me persuader que ce soit plus raisonnable et facile à croire : la sphère céleste ferait le tour et le globe terrestre resterait immobile ! »
Galilée
Dialogue sur les deux grands systèmes du monde
1632
Galilée défend le modèle héliocentrique de Copernic, il utilise pour cela un porte-parole pour le représenter : Salviati. Il essaie de prouver ses théories à son interlocuteur, Simplicio. Sa démonstration scientifique fonctionne sur l'ironie. En effet, il veut montrer qu'il est improbable, vu la taille du Soleil, que celui-ci fasse le tour de la Terre.
Le développement de l'expérimentation scientifique
Avec le Discours de la méthode, Descartes défend l'expérimentation scientifique qui se développe au cours du XVIIe siècle.
Pour avoir une vision plus juste du monde, il faut soumettre chaque théorie à l'épreuve des faits, jusqu'à l'obtention d'un résultat final : c'est ce que l'on nomme l'expérimentation scientifique. Descartes le démontre dans le Discours de la méthode. Il cherche à donner une vision plus rationnelle de la science, en prônant une méthode scientifique méticuleuse, qui consiste à remettre en cause toutes les considérations établies.
« Mais, comme un homme qui marche seul et dans les ténèbres, je me résolus d'aller si lentement, et d'user de tant de circonspection en toutes choses, que, si je n'avançais que fort peu, je me garderais bien, au moins, de tomber. Même je ne voulus point commencer à rejeter tout à fait aucune des opinions qui s'étaient pu glisser autrefois en ma créance sans y avoir été introduites par la raison, que je n'eusse auparavant employé assez de temps à faire le projet de l'ouvrage que j'entreprenais, et à chercher la vraie méthode pour parvenir à la connaissance de toutes les choses dont mon esprit serait capable. »
René Descartes
Discours de la méthode
1637
Descartes explique ici sa démarche. Il remet en cause tout ce qu'il a appris jusqu'à présent pour atteindre la vraie connaissance grâce à la force de son esprit.
Les inventaires et la classification
Les nouvelles découvertes font naître un goût pour les inventaires du monde. Les livres d'histoire naturelle, les atlas terrestres ou célestes, la cartographie ou encore la classification sont des exemples de cette envie de faire l'inventaire de ce que l'on connaît.
Les navigateurs sont rapidement chargés de parcourir le monde à la recherche de nouvelles espèces et plantes à ramener en Europe. Des naturalistes étudient, récoltent, classifient ces découvertes et établissent de nouvelles classifications.
Lors de l'expédition autour du monde de Bougainville, le botaniste Philibert Commerson et Jeanne Barret (première femme à faire le tour du monde, travestie en homme) vont recenser 5 000 espèces de plantes dans un gigantesque herbier. Le bougainvillier, arbrisseau découvert près de Rio de Janeiro, en fait partie.
« Lathyrus pauciflorus, flipulis folio latioribus, floribus e purpureo coerulefcentibus. Commerf. Herb. C'est une plante glabre, qui noircit un peu, comme les Orobes, mais qui a le caractère des Geffes. Elle a même assez l'aspect des espèces indigènes de l'Europe, mais elle est remarquable par ses stipules plus larges que les folioles. Ses tiges sont longues d'environ un pied, un peu rameuses, non ailées. Ses stipules sont un peu en cœur. Les folioles sont au nombre de deux, ovales. »
Encyclopédie méthodique de Botanique
Dans cet extrait, le botaniste cherche à être le plus précis possible en décrivant la plante pour que tout le monde soit capable de la reconnaître s'il la voit.
Le renouveau littéraire et artistique
De la Renaissance au siècle des Lumières, on assiste à un renouveau littéraire et artistique.
Le renouveau littéraire
Le renouveau littéraire s'accompagne d'abord d'une défense de la langue française comme langue poétique. Les auteurs imitent les Anciens et de nouvelles formes poétiques voient le jour.
La défense de la langue française
Au XVIe siècle, la langue française devient la langue officielle de la France. La langue française est défendue par de plus en plus d'intellectuels comme étant une langue poétique.
En 1549, Joachim Du Bellay décide de réformer la langue française. Il expose ses idées dans son œuvre Défense et illustration de la langue française. Ce texte intervient dix ans après l'ordonnance de Villers-Cotterêts, qui impose la langue française comme langue du droit et de l'administration (auparavant, il s'agissait du latin). Avec l'aide des poètes de la Pléiade, Joachim Du Bellay tente de faire du français une langue poétique.
« Et si notre langue n'est si copieuse et riche que la grecque ou latine, cela ne doit être imputé au défaut de celle-ci. […] Le temps viendra (peut-être) et je l'espère moyennant la bonne destinée française, que ce noble et puissant royaume obtiendra à son tour les rênes de la monarchie, et que notre langue (si avec François n'est du tout ensevelie la langue française) qui commence encore à jeter ses racines, sortira de terre, et s'élèvera en telle hauteur et grosseur, qu'elle se pourra égaler aux mêmes Grecs et Romains. »
Joachim Du Bellay
Défense et illustration de la langue française
1549
Dans cet extrait, Du Bellay affirme que le français peut rivaliser avec les langues nobles que sont le latin et le grec, à condition que la langue française soit retravaillée et acceptée par les plus grands comme langue officielle.
L'imitation des anciens et le renouvellement des formes poétiques
L'enrichissement de la langue française passe notamment par l'imitation des auteurs anciens (latins et grecs) : c'est ce que Du Bellay nomme « l'innutrition ».
L'innutrition consiste à se nourrir des textes anciens pour ensuite être capable d'élaborer des écrits personnels. Les poètes de la Pléiade vont également renouveler les formes poétiques, notamment avec le sonnet, et enrichir le langage poétique.
« Se compose donc celui qui voudra enrichir sa langue à l'imitation des meilleurs auteurs grecs et latins : et à toutes leurs plus grandes vertus, comme à un certain but, dirige la pointe de son style. Car il n'y a point de doute que la plus grande part de l'artifice ne soit contenue en l'imitation, et tout ainsi que ce fut le plus louable aux anciens de bien inventer, aussi est-ce le plus utile de bien imiter, même à ceux dont la langue n'est encore bien copieuse et riche. »
Joachim Du Bellay
Défense et illustration de la langue française
1549
Selon Du Bellay, l'apprentissage de l'écriture se fait avant tout par l'imitation pour diriger « la pointe de son style ». De fait, l'imitation ne cherche qu'à enrichir la maîtrise de la langue des poètes, c'est grâce à cela qu'ils parviennent à trouver un style qui leur est propre.
« Les ornant et enrichissant de Figures, Schèmes, Tropes, Métaphores, Phrases et périphrases eslongnées presque du tout, ou pour le moins séparées, de la prose triviale et vulgaire (car le style prosaïque est ennemy capital de l'éloquence poëtique), et les illustrant de comparaisons bien adaptées de descriptions florides, c'est-à-dire enrichies de passements, broderies, tapisseries et entrelacements de fleurs poëtiques, tant pour représenter la chose que pour l'ornement et splendeur des vers ».
Pierre de Ronsard
Préface de La Franciade
Ronsard indique toutes les figures de style qui doivent être employées dans les poèmes pour faire de beaux vers : « métaphores, périphrases, comparaisons ».
Le rôle de l'imagination et de la fiction dans le développement des utopies
L'imagination et la fiction sont nourries des découvertes et les auteurs créent de nouveaux univers. En littérature, on trouve des plus en plus d'utopies.
Utopie
Étymologiquement, utopie mot vient du grec u-topos, qui signifie « le lieu qui n'existe pas ». Une utopie est la représentation d'un monde idéal, sans aucun défaut, ayant un système politique parfait et une société sans injustices.
À l'époque de la Renaissance, le genre de l'utopie connaît un grand succès : il permet d'imaginer d'autres univers géographiques et politiques idéaux. Le mot « utopie » signifie « le lieu qui n'existe pas » (du grec u-topos). Les auteurs réfléchissent à ce que doit être un système politique idéal et une société dans laquelle les hommes pourraient être parfaitement égaux. C'est ainsi que Thomas More rédige son Utopie, œuvre dans laquelle il crée une cité où tout le monde vit en harmonie.
« Ainsi, tout le monde, en Utopie, est occupé à des arts et à des métiers réellement utiles. Le travail matériel y est de courte durée, et néanmoins ce travail produit l'abondance et le superflu. Quand il y a encombrement de produits, les travaux journaliers sont suspendus, et la population est portée en masse sur les chemins rompus ou dégradés. Faute d'ouvrage ordinaire et extraordinaire, un décret autorise une diminution sur la durée du travail, car le gouvernement ne cherche pas à fatiguer les citoyens par d'inutiles labeurs. Le but des institutions sociales en Utopie est de fournir d'abord aux besoins de la consommation publique et individuelle, puis de laisser à chacun le plus de temps possible pour s'affranchir de la servitude du corps, cultiver librement son esprit, développer ses facultés intellectuelles par l'étude des sciences et des lettres. C'est dans ce développement complet qu'ils font consister le vrai bonheur. »
Thomas More
L'Utopie, livre II
1516
Thomas More imagine une société idéale qui se nomme Utopie. Dans cet extrait, on remarque l'omniprésence du mot « travail ». Ici, le travail doit permettre de subvenir aux besoins de tous. Le champ lexical du temps est associé au travail : le travail doit être de « courte durée », les travaux peuvent être « suspendus », on voit également « une diminution sur la durée du travail ». Ce qui permet d'accéder au vrai bonheur ne se trouve pas dans le travail mais dans l'intelligence. Thomas More insiste sur une forme d'éducation humaniste.
Rabelais, dans Pantagruel, imagine la ville idéale : Utopie.
« Fais ce que tu voudras »
« Jamais ne furent vus chevaliers si preux, si galants, si habiles à pied et à cheval, plus verts, mieux remuant, maniant mieux toutes les armes. Jamais ne furent vues dames si élégantes, si jolies, moins acariâtres, plus doctes à la main, à l'aiguille, à tous les actes féminins honnêtes et libres, qu'étaient celles-là. »
François Rabelais
Gargantua, chapitre 57
1534
À la fin de Gargantua, Rabelais imagine un lieu idéal dans lequel les hommes et les femmes pourraient vivre simplement. Cet extrait débute par une phrase impérative « fais ce que tu voudras » pour accentuer l'idée de liberté. La répétition du superlatif « si » souligne toutes les qualités des hommes (« preux », « galants », « habiles à pied et à cheval ») et des femmes (« élégantes », « jolies »). C'est parce que tous les hommes et femmes de l'abbaye sont libres qu'ils se montrent parfaits. Ainsi, ces hommes et femmes possèdent toutes les qualités de l'honnête homme et de l'honnête femme, chères aux valeurs humanistes.
Les philosophes des Lumières suivent l'exemple de leurs prédécesseurs, à l'image de Voltaire qui décrit le pays idéal d'Eldorado dans Candide.
« Vingt belles filles de la garde reçurent Candide et Cacambo à la descente du carrosse, les conduisirent aux bains, les vêtirent de robes d'un tissu de duvet de colibri ; après quoi les grands officiers et les grandes officières de la couronne les menèrent à l'appartement de Sa Majesté au milieu de deux files, chacune de mille musiciens, selon l'usage ordinaire. Quand ils approchèrent de la salle du trône, Cacambo demanda à un grand officier comment il fallait s'y prendre pour saluer Sa majesté : si on se jetait à genoux ou ventre à terre ; si on mettait les mains sur la tête ou sur le derrière ; si on léchait la poussière de la salle ; en un mot, quelle était la cérémonie. "L'usage, dit le grand officier, est d'embrasser le roi et de le baiser des deux côtés." Candide et Cacambo sautèrent au cou de Sa Majesté, qui les reçut avec toute la grâce inimaginable, et qui les pria poliment à souper. »
Voltaire
Candide, chapitre 18
1759
Candide parcourt le monde pour retrouver sa bien-aimée, Cunégonde. Durant son voyage, il parvient jusqu'au pays d'Eldorado, véritable utopie où les hommes vivent sereinement. Voltaire décrit le pays d'Eldorado comme un lieu merveilleux où tout le monde souhaiterait vivre. Il utilise des hyperboles : « vingt belles filles », « tissu de duvet de colibri ».
Le renouveau artistique
À la Renaissance et au siècle des Lumières, on observe un renouveau artistique, notamment dans la peinture et la sculpture. La critique d'art naît.
À partir de la Renaissance, on cherche à valoriser les arts, qui n'étaient considérés que comme des techniques. Ainsi, on distingue les arts mécaniques (peinture, tissage) des arts libéraux (grammaire, géométrie, astronomie). La peinture est codifiée et marquée par la découverte de la perspective.
« Mais je voudrais dans la mesure de mon possible contribuer à écarter et retrancher de nos œuvres les grossières difformités, à moins que quelqu'un ne veuille s'attacher à produire avec application des choses difformes. […] Et pour en revenir à la manière d'exécuter une œuvre meilleure, il faut d'abord donner à l'ensemble de bonnes et superbes proportions. Et ensuite chaque partie doit être habilement exécutée avec une attention particulière dans les plus petits détails comme dans les plus grands morceaux, si nous voulons extraire quelque chose de la beauté qui nous est donnée [par la nature] afin de nous rapprocher du juste but. »
Albrecht Dürer
Traité des proportions : Lettres et écrits théoriques
Dans son traité, Dürer donne des indications sur les principes de composition d'une œuvre et la géométrie à respecter pour produire une grande œuvre, en énonçant certains préceptes. Il conseille d'accorder autant d'importance aux « plus petits détails » qu'aux « plus grands morceaux ».
Au siècle des Lumières, la critique d'art se développe. Denis Diderot, philosophe des Lumières, est le critique le plus connu et le plus prolifique des Salons de l'Académie française de peinture et de sculpture.
« Il y a au Salon plusieurs petits tableaux de Chardin : ils représentent presque tous des fruits avec les accessoires d'un repas. C'est la nature même ; les objets sont hors de la toile et d'une vérité à tromper les yeux. Celui qu'on voit en montant l'escalier mérite surtout l'attention. L'artiste a placé sur une table un vase de vieille porcelaine de la Chine, deux biscuits, un bocal rempli d'olives, une corbeille de fruits, deux verres à moitié pleins de vin, une bigarade avec un pâté. Pour regarder les tableaux des autres, il semble que j'aie besoin de me faire des yeux ; pour voir ceux de Chardin, je n'ai qu'à garder ceux que la nature m'a donnés et m'en bien servir. »
Denis Diderot
Salon de 1763
Dans cet extrait, Diderot se fait critique d'art. Il décrit précisément l'un des tableaux de Chardin : « tous des fruits avec les accessoires d'un repas », « L'artiste a placé sur une table un vase de vieille porcelaine de la Chine, deux biscuits, un bocal rempli d'olives, une corbeille de fruits, deux verres à moitié pleins de vin, une bigarade avec un pâté ». Cette description permet au lecteur qui ne pourrait pas se rendre à l'exposition de se représenter ce tableau.