Sommaire
IL'historien et les mémoires de la Seconde Guerre mondialeALes mémoires d'après-guerre1Le mythe résistancialiste2Des mémoires désunies3Les oubliés de la mémoireBLe réveil des mémoires à partir des années 19701La fin du résistancialisme2Le réveil de la mémoire de la Shoah3Le rôle des historiens face au réveil des mémoiresCLe "devoir de mémoire"IIL'historien et les mémoires de la guerre d'AlgérieALes mémoires de la guerre au lendemain du conflit1Une guerre sans nom2Mémoire officielle en Algérie après le conflit3La "guerre ensevelie"BLe réveil des mémoires1Le travail des historiens et des cinéastes dans les années 19702L'"accélération mémorielle"CLa société et les historiens face à "cette guerre qui ne passe pas"1La difficile mémoire officielle en France2Les historiens contre le "présentisme"3En Algérie, la persistance d'une lecture unique de la guerreL'historien et les mémoires de la Seconde Guerre mondiale
Les mémoires d'après-guerre
Le mythe résistancialiste
Lors de la Libération en 1944, la France est profondément affaiblie. La priorité est à la reconstruction nationale :
- De Gaulle considère le régime de Vichy comme "nul et non avenu" et propage l'idée d'une France largement résistante.
- Cette image est qualifiée par Henry Rousso de "résistancialisme".
- De nombreux hommages et commémorations sont rendus en l'honneur de la Résistance et le résistancialisme culmine en 1964 lors du transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon.
Des mémoires désunies
Derrière le résistancialisme, et malgré la volonté d'union de la France, on observe des divisions :
- Les communistes qui se présentent comme le "parti des 75 000 fusillés" (chiffre exagéré) ne veulent pas laisser aux seuls gaullistes la glorification de la Résistance. Dans un contexte de guerre froide, ils veulent entretenir le prestige dont ils jouissent auprès de la population.
- Le rôle du régime de Vichy et de Pétain lors du conflit provoque aussi des divisions. Lors des lois d'amnistie des collaborateurs de 1951 et 1953, les débats sont très vifs. Dans Histoire de Vichy de Robert Aron en 1954, ce dernier défend la théorie "du glaive et du bouclier" selon laquelle Pétain aurait été le bouclier de la France et l'aurait protégée des nazis alors que De Gaulle aurait été le glaive, c'est-à-dire la partie visible de la Résistance.
Les oubliés de la mémoire
Beaucoup de victimes de la Seconde Guerre mondiale sont oubliées au lendemain du conflit :
- Les prisonniers de guerre, symboles de la défaite de 1940, sont discrets et peu écoutés.
- La société française est peu réceptive aux souvenirs de la Shoah et de nombreux Juifs restent discrets sur le sort qui était le leur pendant la guerre. La mémoire de la Shoah se confond dans la mémoire de la déportation. Annette Wieviorka parle d'un "grand silence".
- Le génocide des Tziganes, des homosexuels ainsi que d'autres minorités est totalement occulté.
Le réveil des mémoires à partir des années 1970
La fin du résistancialisme
Dans les années 1970, on assiste à une émergence des mémoires et le mythe résistancialiste est brisé.
Plusieurs facteurs expliquent cette évolution :
- Le parti communiste décline et le général de Gaulle meurt en 1970.
- Les nouvelles générations n'ayant pas vécu le conflit ne se sentent pas concernées par le mythe résistancialiste.
- En 1969, Marcel Ophüls, dans le reportage Le Chagrin et la Pitié, retrace le quotidien des Français pendant la guerre et montre que la Résistance était minoritaire et que de nombreux Français ont collaboré. Le film sort en 1971.
- En 1973, Robert Paxton publie La France de Vichy. Dans cet ouvrage, il montre la complicité du régime de Vichy dans la déportation des Juifs.
Le réveil de la mémoire de la Shoah
Après le temps du refoulement, vient le temps de l'anamnèse, c'est-à-dire de la prise de conscience des mémoires refoulées :
- Le procès d'Eichmann en 1961 constitue un choc dans la mémoire de la Shoah car il libère la parole des témoins.
- De plus, les guerres des Six-Jours en 1967 et du Kippour en 1973 font peser sur Israël des menaces qui mobilisent une partie de la diaspora juive.
- La montée du "négationnisme" (Rousso, 1987) provoque chez de nombreuses victimes le besoin d'une reconnaissance officielle de la Shoah.
La mémoire de la Shoah intègre progressivement la mémoire nationale :
- En 1978, Serge Klarsfeld, fils de déportés, publie le Mémorial de la déportation des Juifs de France dans lequel il recense les victimes des déportations en France. Il entreprend avec sa femme une "stratégie judiciaire" visant à pourchasser les criminels nazis en s'appuyant sur la loi de 1964 qui rend imprescriptibles les crimes contre l'humanité.
- En 1985, Claude Lanzmann réalise Shoah, un reportage de 10 heures expliquant le génocide.
- En 1987 se déroule le procès de Klaus Barbie qui est condamné à la prison à perpétuité.
Le rôle des historiens face au réveil des mémoires
Le réveil mémoriel pose de nombreuses questions sur le travail et le rôle des historiens.
- Confronté à de nombreux témoignages, l'historien doit prendre ses distances avec ce type de sources historiques en les confrontant à d'autres témoignages et à d'autres types de documents.
- Certains historiens, comme Paxton, acceptent. D'autres, comme Henry Rousso, critiquent la participation des historiens lors de ces procès, mettant en avant le fait que le travail de l'historien ne poursuit pas les mêmes objectifs que celui des juges et que leurs propos risquent d'être instrumentalisés.
Le "devoir de mémoire"
Au lendemain de la guerre, le général de Gaulle ne reconnaît pas le rôle de la France dans le régime de Vichy et la déportation des Juifs et déclare que "Vichy, ce n'était pas la République".
En 1995, le président Jacques Chirac reconnaît officiellement et solennellement les crimes de l'État français durant la Seconde Guerre mondiale :
- Les familles de déportés sont indemnisées.
- Des lois mémorielles sont votées.
- En 2005, le mémorial de la Shoah est inauguré par Jacques Chirac.
L'historien et les mémoires de la guerre d'Algérie
Les mémoires de la guerre au lendemain du conflit
Une guerre sans nom
Durant toute la période de la guerre d'Algérie qui s'étend de 1954 à 1962, le gouvernement français cherche à minimiser les combats et parle "des événements d'Algérie".
Malgré ce silence officiel, des voix dénoncent le rôle de la France dans la guerre :
- Le parti communiste, anti-colonial, dénonce l'intervention française et la pratique de la torture.
- En référence au militant communiste Maurice Audin, tué sous la torture, des "comités Audin" se mettent en place.
- Des journaux comme L'Express critiquent l'intervention française.
- Henri Alleg rédige La Question en 1958, ouvrage dans lequel il dénonce la torture.
- Des intellectuels, dont Jean-Paul Sartre, signent le Manifeste des 121 pour dénoncer le militarisme français et la torture.
Ces mouvements sont confrontés à la répression de l'État :
- La répression de la police contre une manifestation pacifique d'Algériens le 17 octobre 1961 provoque la mort d'une centaine d'Algériens et plusieurs centaines de blessés.
- Le 8 février 1962, une manifestation pour l'indépendance de l'Algérie se solde par un bilan de neuf morts à la station de métro Charonne à Paris.
Mémoire officielle en Algérie après le conflit
En Algérie, le FLN, qui s'empare du pouvoir après l'indépendance en 1962, encadre l'histoire du conflit :
- La "guerre de libération" est présentée comme un soulèvement spontané du peuple algérien.
- L'histoire officielle fait état de 1,5 million de morts algériens (chiffre exagéré).
- Le gouvernement minimise les divisions entre les nationalistes algériens pendant la guerre (opposition entre le FLN et le MNA) et fait le silence sur le rôle des Kabyles dans la guerre.
- Les livres scolaires, les monuments, les commémorations, le travail des historiens sont des relais de cette histoire officielle, qualifiée d'"hyper commémoration obsessionnelle". L'historien Mohammed Harbi conteste l'histoire officielle et s'enfuit en France.
La "guerre ensevelie"
En France, le conflit est passé sous silence. Benjamin Stora parle d'une "guerre ensevelie".
- Les différents groupes qui ont vécu la guerre (les Pieds-Noirs, les immigrés algériens) ne parlent pas du conflit.
- De même, l'État français, confronté à la perte de son empire colonial, veut préserver l'unité nationale et oublier les pratiques commises par l'armée française pendant la guerre (torture). Des lois d'amnistie sont votées pour tous les participants au conflit.
- Les historiens n'ont pas accès aux archives.
Le réveil des mémoires
Le travail des historiens et des cinéastes dans les années 1970
Malgré l'impossibilité d'accéder aux archives, des historiens s'emparent du thème de la guerre d'Algérie. Ces historiens, qui ont vécu durant le conflit, veulent rompre le silence officiel de l'État :
- Pierre Nora publie Les Français d'Algérie en 1961.
- L'historien Pierre Vidal-Naquet publie en 1972 La Torture dans la République.
Des travaux de cinéastes font la lumière sur le conflit :
- En 1966, Gillo Pontecorvo tourne La Bataille d'Alger qui n'est pas autorisé à sortir dans les salles.
- En 1972, René Vautier tourne Avoir vingt ans dans les Aurès qui parle de la violence de la guerre.
L'"accélération mémorielle"
Après une période de silence sur le conflit, les différents groupes impliqués dans la guerre d'Algérie mettent en avant leurs souvenirs du conflit. Ils veulent faire reconnaître leurs revendications, c'est le temps de l'anamnèse (la prise de conscience des mémoires refoulées) :
- Les Pieds-Noirs, qui entretiennent une vision idéalisée de leur vie en Algérie ("la nostalgérie") forment des associations. En 1970, une loi leur accorde des indemnités.
- Les anciens combattants, regroupés dans des associations, obtiennent en 1974 le statut d'anciens combattants.
- Les harkis, qui s'estiment trahis par l'État français, se révoltent en 1975 et 1976 pour dénoncer leurs conditions de vie dans les camps. Ils veulent une reconnaissance de leur rôle pendant la guerre.
- Des groupes proches de l'extrême droite et de l'OAS organisent des manifestations et érigent des stèles en souvenir de "l'Algérie française", particulièrement dans le Sud-Est de la France.
- En 1983, une "marche contre le racisme et pour l'égalité" réunit des membres de la communauté maghrébine qui réclament une réelle place dans la société française.
- En 1983, la guerre d'Algérie est intégrée dans les manuels scolaires.
La société et les historiens face à "cette guerre qui ne passe pas"
La difficile mémoire officielle en France
À partir des années 1990, la France entreprend la reconnaissance officielle du conflit :
- En 1992, les archives de la guerre sont ouvertes.
- L'Assemblée nationale reconnaît la "guerre d'Algérie" en 1999.
- Des anciens généraux, comme le général Aussaresses et le général Massu, témoignent de l'utilisation de la torture durant la guerre.
- En 2002, Jacques Chirac inaugure le mémorial national de la guerre d'Algérie et des combats du Maroc et de la Tunisie.
- En 2012, François Hollande, en visite en Algérie, parle de la "souffrance du peuple algérien", évoque la torture et reconnaît le massacre du 17 octobre 1961.
Malgré la reconnaissance officielle de la guerre d'Algérie, le conflit des mémoires persiste dans un contexte d'hypermnésie, c'est-à-dire d'excès des mémoires :
- Le groupe des "Indigènes de la République" critique les pratiques passées mais aussi présentes de la France vis-à-vis de ses anciennes colonies.
- En 2005, la loi Mekachera fait scandale car elle propose la reconnaissance du "rôle positif de la présence française en Afrique du Nord".
- L'Algérie reproche à la France de ne pas avoir présenté d'excuses officielles et réclame la repentance.
- En 2007, à Perpignan, un mur est inauguré rendant hommage aux seuls morts européens de la guerre.
Les historiens contre le "présentisme"
Une nouvelle génération d'historiens, nés après le conflit, travaille dans les années 1990 sur la guerre d'Algérie :
- Raphaëlle Branche publie La Torture et l'armée pendant la guerre d'Algérie en 2001.
- Sylvie Thénault publie Une drôle de justice en 2001.
Face à ce phénomène d'hypermnésie mémorielle, les historiens réaffirment l'objectivité de leurs recherches. Confronté aux pressions des différents groupes mémoriels, le travail historien ne doit pas céder aux revendications. En 2005, des historiens, dont Benjamin Stora, lancent une pétition "Liberté pour l'Histoire" qui dénonce les lois mémorielles. Ce texte affirme que "ce n'est pas le Parlement ou l'autorité qui doit définir la vérité historique".
Il ne faut pas se limiter à une simple opposition entre mémoire et histoire. Les mémoires se nourrissent des travaux historiques et bien que les mémoires réalisent une approche sélective du travail des historiens, ces derniers contribuent, en montrant la complexité des faits, à apaiser les débats sur les différentes mémoires. Les historiens permettent aussi l'émergence de mémoires qui restent marginales (Tramor Quemeneur rédige une thèse sur les réfractaires de la guerre).
En Algérie, la persistance d'une lecture unique de la guerre
En Algérie, le processus de démocratisation entamé au début des années 1990 est stoppé en 1992, alors que le pays s'enfonce dans la guerre civile.
L'attitude du gouvernement sur le conflit reste la même :
- L'accès aux archives est interdit.
- Les harkis restent perçus comme des traîtres.
- Malgré une reconnaissance par Bouteflika des pères fondateurs du nationalisme algérien (dont Messali Hadj), le gouvernement continue de nier les exactions commises par le FLN.
- Les historiens continuent d'être contrôlés.