Sommaire
ILa séparation des pouvoirs politique et religieux : le pape et l'empereur au couronnement de CharlemagneALes bénéfices du couronnement pour CharlemagneBLes bénéfices du couronnement pour le papeCDes tensions entre Charlemagne et le papeIILe lien entre pouvoirs politique et religieux : le calife et l'empereur byzantin aux IXe et Xe sièclesALes pouvoirs politique et religieux dans l'Empire byzantinBLes pouvoirs politique et religieux dans le califat abbassideAu IXe siècle, trois empires cohabitent en Méditerranée :
- En Occident, l'Empire carolingien de Charlemagne est chrétien.
- En Orient, l'Empire byzantin est orthodoxe et le califat est musulman.
En Occident, le IXe siècle marque un tournant avec le couronnement de Charlemagne : le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel sont séparés. En Orient, dans l'Empire byzantin et dans le califat, il n'existe pas de séparation entre le pouvoir politique et le pouvoir religieux.
Quels sont les liens entre le pouvoir politique et le pouvoir religieux entre les IXe et Xe siècles ?
La séparation des pouvoirs politique et religieux : le pape et l'empereur au couronnement de Charlemagne
En 799, Charlemagne se rend à Rome à la demande du pape Léon III, dont le pouvoir est contesté. Cet appel du pape mène au sacre de Charlemagne par le pape en l'an 800 : Charlemagne devient empereur et peut diriger l'Église. Le pape obtient le pouvoir de sacrer les empereurs, son pouvoir se réaffirme. On observe une séparation entre pouvoir politique et pouvoir religieux. Le pape et l'empereur y trouvent des bénéfices, mais des tensions demeurent.
Les bénéfices du couronnement pour Charlemagne
Au IXe siècle, Charlemagne s'allie au pape afin de légitimer son pouvoir et gouverner sur l'Empire carolingien, qui correspond à peu près à l'Occident chrétien. Charlemagne devient empereur : c'est le pape qui le couronne. Ainsi, il détient le pouvoir politique, mais il a également une légitimité religieuse auprès des chrétiens qui constituent la majorité de son empire.
Charlemagne est roi des Francs et empereur entre 768 et 814. Roi guerrier issu de la dynastie carolingienne, il étend son royaume par une série de conquêtes militaires. Il annexe et intègre à son territoire :
- le royaume des Lombards en 774 ;
- la Saxe de 777 à 797 ;
- la marche d'Espagne en 778 ;
- la Bavière et la Carinthie en 788.
Le royaume de Charlemagne est immense, les populations sont très diverses. Géographiquement, ce royaume correspond à peu près au monde chrétien. Charlemagne va alors utiliser l'Église et le pape pour asseoir son pouvoir. En effet, la légitimation politique de Charlemagne passe par la restauration de l'Empire romain d'Occident disparu en 476, ce qui lui apporte un certain prestige, mais surtout par son couronnement comme empereur par le pape.
Charlemagne est sacré empereur d'Occident en 800 à Rome par le pape Léon III. Le nouvel empereur devient un souverain universel qui tient son pouvoir de Dieu.
Charlemagne s'appuie sur le pouvoir religieux de l'Église pour asseoir son pouvoir politique dans l'Empire carolingien. L'Église devient le principal auxiliaire du pouvoir impérial dans ses territoires.
Le sermon du prêtre de paroisse peut transmettre la volonté royale et la renforcer par l'obéissance que doit tout chrétien à son roi/empereur.
Le pouvoir temporel est séparé du pouvoir spirituel. Le pouvoir spirituel, celui du pape, doit être subordonné au pouvoir temporel de l'empereur.
Pouvoir temporel
Le pouvoir temporel est un pouvoir qui s'exerce sur les corps et les biens.
Pouvoir spirituel
Le pouvoir spirituel est un pouvoir qui s'exerce sur les âmes.
Dans la cérémonie de couronnement de Charlemagne, à la fin du rituel, le pape Léon III se prosterne devant Charlemagne. Cet événement donne à l'empereur le droit de diriger l'Église.
Charlemagne peut diriger l'Église et les chrétiens. Dans les faits, il peut :
- décider de qui entre dans la cléricature ;
- nommer des évêques, voire parfois des abbés ;
- convoquer des conciles.
Lors du concile de Francfort de 794, Charlemagne fait condamner l'adoptianisme, une doctrine religieuse espagnole, sans tenir compte de l'avis du pape.
Les bénéfices du couronnement pour le pape
Le pape Léon III voit dans Charlemagne et la restauration de l'Empire le moyen de lui permettre de retrouver son pouvoir spirituel sur l'Empire byzantin et d'étendre son autorité spirituelle en Occident.
L'autorité temporelle et spirituelle du pape Léon III est contestée par :
- le patriarche de Constantinople, l'une des principales autorités du monde chrétien, alors soutenu par l'Empire byzantin ;
- l'aristocratie romaine ;
- son clergé.
Léon III a fui Rome. Il fait appel à Charlemagne en 799 pour l'aider à rétablir son pouvoir. Il regagne Rome sous la protection de Charlemagne en échange de la promesse de le sacrer empereur, ce qu'il fait en l'an 800.
La conception du pouvoir du pape diffère de celle de Charlemagne. Pour le pape, le pouvoir temporel doit être soumis au pouvoir spirituel. Cela s'illustre dans le couronnement de Charlemagne.
En effet, le pape ne suit pas le rituel byzantin : acclamation, couronnement et adoration de l'empereur. Il profite de la prière de Charlemagne pour lui poser la couronne sur la tête avant de le faire acclamer et se prosterner devant lui. Le fait d'avoir posé dès le début de la cérémonie la couronne sur la tête de Charlemagne montre la supériorité du pouvoir religieux sur le pouvoir temporel. Autrement dit, l'Empire d'Occident est une création de l'Église qui tient son pouvoir d'elle.
Jean Fouquet, Sacre de Charlemagne
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Des tensions entre Charlemagne et le pape
Le couronnement de Charlemagne devait permettre une entente entre l'empereur et le pape, mais la question de qui dirige au nom de Dieu divise les deux hommes.
Le couronnement de Charlemagne illustre à la fois :
- le refus d'un empereur-dieu ;
- la séparation des pouvoirs : le pouvoir politique à Charlemagne, le pouvoir religieux au pape Léon III ;
- l'égalité des deux fonctions : Léon III donne à Charlemagne le pouvoir en le couronnant, puis s'agenouille devant lui pour lui signifier qu'il est en droit de diriger l'Église.
Toutefois, des tensions naissent autour de la question « qui doit diriger au nom de Dieu : le pape ou l'empereur ? »
Selon Éginhard, un intellectuel de l'époque, Charlemagne sort furieux de la cérémonie de couronnement. Il « aurait renoncé à entrer dans l'église ce jour-là, s'il avait pu connaître d'avance le dessein du pontife ».
Le lien entre pouvoirs politique et religieux : le calife et l'empereur byzantin aux IXe et Xe siècles
En Orient, il n'existe pas de séparation entre le pouvoir politique et le pouvoir religieux. Aux IXe et Xe siècles, l'empereur de l'Empire byzantin et le calife du califat abbasside assument le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel, donc le pouvoir politique et le pouvoir religieux.
Les pouvoirs politique et religieux dans l'Empire byzantin
Aux IXe et Xe siècles, l'Empire byzantin est un empire chrétien orthodoxe immense, situé entre l'Europe et l'Asie. L'empereur byzantin exerce les pouvoirs politique et religieux, donc temporel et spirituel. Toutefois, il partage le pouvoir religieux avec le patriarche, ce qui crée des tensions, et son pouvoir politique est mis à mal par Charlemagne.
L'Église orthodoxe est la religion officielle de l'Empire byzantin. Le chef de l'Église est le patriarche qui est nommé par l'empereur.
Église orthodoxe
L'Église orthodoxe est une Église chrétienne qui ne reconnaît pas le pape.
Empire byzantin
L'Empire byzantin est le nom donné à l'Empire romain d'Orient. Il est constitué des territoires sous l'autorité de l'empereur romain d'Orient après la chute de Rome en 476.
L'empereur de l'Empire byzantin porte les noms de basileus et d'autokrator. Il concentre tous les pouvoirs qu'il tient de Dieu :
- C'est le chef de l'État, les chrétiens et royaumes/empires chrétiens lui sont théoriquement soumis.
- C'est un chef militaire. Il assure la sécurité et l'expansion de l'Empire byzantin. Basile II (976-1025) réussit durant son règne à conquérir l'Empire bulgare. C'est un chef religieux. Il est l'élu de Dieu. Sa personne est sacrée et il est « égal aux apôtres ». L'empereur a la primauté sur le patriarche de Constantinople. Il règne pour appliquer la volonté de Dieu. Son pouvoir impérial est le signe de la grâce divine.
Le patriarche de Constantinople est une autorité religieuse de premier plan dans l'Empire byzantin. Le patriarche possède les pouvoirs disciplinaires ainsi que l'application des dogmes. Au IXe siècle, il parvient à éliminer toutes les prétentions du pape sur l'Empire byzantin. Son autorité est renforcée par la part que prend le clergé grec dans l'évangélisation de l'Europe centrale.
Toutefois, le pouvoir de l'empereur domine le pouvoir du patriarche. Ainsi, lors de la cérémonie de l'investiture du patriarche sont prononcés les mots suivants : « La grâce divine, ainsi que notre pouvoir qui en dérive nomme le très pieux […] comme patriarche de Constantinople ». L'empereur intervient dans les affaires de l'Église byzantine. Il peut convoquer des assemblées religieuses et y prendre part.
Des tensions existent entre l'empereur et le patriarche sur le plan religieux. Les pouvoirs religieux de l'empereur reste limités ou contestés. L'empereur est sacré par le patriarche de Constantinople dans la basilique Sainte-Sophie. Le sacre ne lui donne ni pouvoir ni légitimité supplémentaires. Il n'est pas déifié comme les empereurs romains. Le patriarche de Constantinople peut même s'opposer à lui.
Entre 906 et 920 a lieu la querelle dite de la tétragamie qui oppose l'empereur Léon VI et le patriarche Nicolas Mystikos.
Sur le plan politique, les pouvoirs de l'empereur byzantin sont remis en cause par le couronnement de Charlemagne qui devient empereur des Chrétiens en Occident. À la fin du Xe siècle, il ne peut pas s'opposer à Siméon de Bulgarie qui prend le titre d'empereur.
Les pouvoirs politique et religieux dans le califat abbasside
Aux IXe et Xe siècles, le califat abbasside est un empire musulman immense, situé entre l'Asie et l'Afrique, sur lequel le calife étend son autorité politique et son autorité religieuse. Toutefois, il partage le pouvoir politique avec un vizir, et son pouvoir religieux est remis en cause.
Abbasside
La dynastie abbasside est une dynastie musulmane descendant de l'oncle du prophète Mohammed, al-Abbas. Cette dynastie règne sur le califat de 750 à 1258.
Calife
Calife est le titre porté par les successeurs du prophète Mohammed. Le calife est le chef politique et religieux des musulmans.
Dans le califat abbasside, le calife gouverne seul au nom de Dieu. Le pouvoir du calife est unique et indivisible : il concentre en théorie les pouvoirs temporel et spirituel. C'est pour cela qu'il porte les insignes du prophète Mohammed : manteau, lance et seau.
Le calife abbasside est le lieutenant de Dieu sur terre. Son autorité religieuse est soulignée par :
- ses noms : « Abd allah », « le serviteur de Dieu » et « Al-Mansur » : « celui à qui Dieu accorde la victoire » ;
- ses insignes : le calife porte le manteau et la baguette du prophète Mohammed et a entre ses mains un exemplaire du Coran ;
- les pièces de monnaie où il est inscrit « Pour le calife Al-Amin, que Dieu le garde ».
Lieutenant de Dieu sur terre, le calife abbasside possède à ce titre le pouvoir religieux. En qualité de commandeur des croyants, il doit :
- Guider les musulmans dans la bonne direction. Pour cela, il s'efforce de suivre les préceptes du Coran, la Sunna (la tradition) et les hadîths (actes et paroles de Mohammed). Aussi le calife s'entoure-t-il d'hommes de loi et de théologiens de l'islam, les oulémas, pour le conseiller dans ses décisions.
- Diriger la prière du vendredi.
Le pouvoir politique du calife est subordonné au pouvoir religieux. Pour se consacrer à sa tâche de commandeur des croyants, il délègue en partie sa fonction politique à un vizir qu'il choisit et destitue. Pour éviter que le vizir ne concentre trop de pouvoir, il est fréquemment changé.
Onze hommes ont exercé la fonction de vizir entre 908 et 932.
Toutefois, l'autorité du calife est limitée ou contestée sur le plan religieux :
- Il doit respecter la loi islamique, la charia, la Sunna et les hadîths.
- Il doit prendre en considération les positions des oulémas sur les questions religieuses.
- Les chiites ne lui reconnaissent aucune légitimité.
Les musulmans peuvent être chiites ou sunnites, en fonction du descendant du prophète Mohammed dont ils suivent les préceptes.
Sur le plan politique le calife est également limité et contesté :
- Une partie de son pouvoir temporel est aux mains de son vizir.
- Le calife ne dirige pas l'ensemble de l'oumma. Il existe d'autres califats (fatimide en Égypte et omeyyade en Espagne) qui contestent son autorité aux IXe et Xe siècles.