Sommaire
IUn environnement riche en ressources et une exploitation étroitement liée à la conquête du territoireAUne nature sauvage à dominerBUne nature riche en ressources à exploiterCUne nature progressivement dégradéeIILe paradoxe environnemental des États-Unis : entre une politique de protection ancienne et la situation actuelle du « mauvais élève » de la planèteAUne politique de protection ancienne et réelleBUne opinion publique mobiliséeCUne politique de plus en plus fragilisée et éclatéeL'analyse du rapport entre les États-Unis et la question environnementale invite à réfléchir à la double dimension mondiale et nationale du sujet. Les relations entre les États-Unis et l'environnement - cadre de vie d'un groupe humain, résultat des interactions entre les éléments naturels et humains – ne se comprennent qu'en tenant compte du fait que les États-Unis sont une grande puissance mondiale depuis 1945. Les États-Unis ont un impact écologique sur le monde et leur politique environnementale joue un rôle à l'échelle mondiale. Par ailleurs, au niveau national, c'est un État fédéral, État composé d'unités politiques autonomes – les États fédérés – où le gouvernement central dirige dans les domaines les plus importants (défense, diplomatie, économie, etc.). Les États fédérés ont, quant à eux, des compétences et des pouvoirs propres sur leur territoire (justice, éducation environnement, etc.).
Comment les États-Unis ont-ils exploité leur environnement et quelles ont été les modalités de sa protection ? De quelle manière les États-Unis se sont-ils engagés ou désengagés dans la gouvernance environnementale mondiale ?
Un environnement riche en ressources et une exploitation étroitement liée à la conquête du territoire
L'histoire de la construction des États-Unis est importante pour comprendre la problématique environnementale. La découverte de l'Amérique est aussi l'histoire de celle d'une « nature sauvage » et de sa transformation par les habitants que les États-Uniens ont intégrées dans leur représentation culturelle et leur système de valeurs. L'immensité du territoire a été un atout majeur du fait de la diversité des richesses à exploiter. Cette conquête a aussi donné un sentiment d'abondance et de ressources illimitées, mais l'exploitation s'est accompagnée de dégradations environnementales, dont certains contemporains ont perçu le caractère irréversible.
Une nature sauvage à dominer
La découverte de l'Amérique est aussi l'histoire de celle d'une « nature sauvage ». La conquête territoriale des États-Unis s'est effectuée sur plus d'un siècle.
Au début de la colonisation, aux XVIIe et XVIIIe siècles, l'Amérique est un territoire immense et une nature peu transformée, perçue comme menaçante. C'est ce que les Américains appellent Wilderness ou « nature sauvage ». La conquête du territoire et donc la maîtrise de la nature ne s'achèvent qu'à la fin du XIXe siècle avec la conquête de l'Ouest, connu comme le Far West (littéralement « Ouest lointain »). Cette conquête est importante dans la réalité et dans l'imaginaire des États-Uniens. On la retrouve dans les westerns du cinéma américain jusque dans les années 1960-1970.
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Une nature riche en ressources à exploiter
Le territoire des États-Unis est immense et bénéficie d'un accès facilité à la terre et donc à l'exploitation de la nature. Le développement des transports a permis la conquête du territoire naturel. Les richesses naturelles sont mises en valeur et exploitées.
L'immensité du territoire offre de grandes disponibilités de superficie par habitant. Quand les sols s'appauvrissent, les Américains, souvent d'anciens émigrants européens pauvres, peuvent partir vers l'ouest. De plus, l'État rend facile l'accès à la terre par le Homestead Act (1862) qui assure une distribution gratuite de terres à ceux qui s'engagent à les défricher et à s'y installer pour au moins 5 ans. Cet accès à la terre est aussi facilité par le développement des communications.
Le développement de moyens de transport sûrs et efficaces est la clé de la conquête du territoire. Dans les années 1840-1860, les chevaux et les diligences permettent de traverser le territoire d'est en ouest en 6 mois. Grâce au chemin de fer, les États deviennent véritablement unis. La construction a été permise par les compagnies ferroviaires et l'État qui a assuré la distribution de 630 000 km2 aux compagnies de construction.
Aux États-Unis, l'extension du réseau ferroviaire a été rapide :
- 1830 : 1 600 km
- 1850 : 14 000 km = x 9
- 1860 : 48 000 km = x 3,4
- 1916 : 406 000 km = x 8,4
Le changement d'orientation du réseau – de nord-sud à est-ouest – est aussi important. La date du 10 mai 1869 à Promontory Summit (Utah) est historique : c'est la rencontre des deux tronçons de la 1re voie transcontinentale (Union and Central Pacific).
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La construction de 4 autres liaisons entre 1869 et la fin du XIXe siècle (2 au nord et 2 au sud) complète le réseau et permet d'abaisser le temps que dure la traversée des États-Unis de 6 mois à 7 jours. Cela provoque l'augmentation de la population des États de l'Ouest (de 150 000 habitants à 4 millions d'habitants) et la croissance des villes.
La ville de Los Angeles grossit considérablement à partir de 1876, grâce à la liaison au reste du territoire par la Southern Pacific Railway puis surtout, en 1887, lorsque la rivale (Santa Fe) fit payer le billet de train 1 $ au lieu de 100 $.
Cette conquête par la maîtrise du territoire permet une exploitation de ses richesses. La mise en valeur et l'exploitation sont plurielles :
- mise en valeur agricole avec la naissance d'une agriculture capitaliste (agrobusiness) et la constitution de système de belts (« ceintures »), des territoires spécialisés dans un type de production (blé, maïs, etc.) ;
- exploitation des ressources forestières pour le bois de construction ;
- exploitation des ressources minières : fer, charbon, or en Californie (1848-1856), pétrole (dès 1859), etc. ;
- exploitation des richesses hydrauliques avec la construction de barrages en Californie dès 1912.
Une nature progressivement dégradée
Cette conquête donne un sentiment d'abondance et de ressources illimitées, mais l'exploitation est accompagnée de dégradations environnementales.
Ces dégradations engendrent une prise de conscience de la nécessité de protéger la nature dès les années 1870-1880.
« C'est du vandalisme que de détruire ou de permettre la destruction de ce qui est beau dans la nature, qu'il s'agisse d'une falaise, d'une forêt, d'un mammifère ou d'un oiseau. Ici aux États-Unis, nous transformons nos rivières et nos ruisseaux en égouts et en décharges, nous polluons l'air, nous détruisons nos forêts et exterminons nos poissons, les oiseaux et les mammifères – sans parler de ces paysages charmants rendus vulgaires par des publicités hideuses […]. »
Theodore Roosevelt, président des États-Unis (de 1901 à 1909)
1908
Le paradoxe environnemental des États-Unis : entre une politique de protection ancienne et la situation actuelle du « mauvais élève » de la planète
La politique de protection de la nature a existé dès les années 1870-1890 aux États-Unis. Elle repose notamment sur le développement d'une vision idéalisée de la nature. Les États-Unis sont ainsi des pionniers dans le domaine de la protection de la nature. Au départ, celle-ci a été permise par l'action de l'État et par les décisions de certains hommes politiques et de scientifiques qui ont su sensibiliser une partie de l'opinion publique. Pourtant pionniers dans la prévention environnementale jusque dans les années 1980, les États-Unis sont devenus l'un des plus mauvais élèves de la question environnementale à l'échelle mondiale. Les intérêts économiques des États-Unis priment sur l'intérêt global de la planète au risque de compromettre la gouvernance environnementale mondiale.
Une politique de protection ancienne et réelle
La politique de protection de la nature a existé très vite aux États-Unis. Elle repose notamment sur le développement d'une vision idéalisée de la nature. Les États-Unis sont ainsi des pionniers de la protection de la nature.
Le rôle de certains écrivains et artistes est capital : ils célèbrent dans leurs œuvres la dimension romantique et esthétique de la wilderness, une nature, œuvre divine et considérée comme fondatrice de l'identité américaine :
- Ralph Waldo Emerson (1803-1882) : écrivain ;
- Henry David Thoreau (1817-1862) : philosophe et écrivain ;
- John Muir (1838-1914) : écrivain et acteur de la défense de la nature ;
- Frederick Jackson Turner (1861-1932) : un des grands historiens qui, dans son article La Signification de la frontière dans l'histoire américaine (1893), analyse l'histoire des États-Unis à partir de la conquête de l'Ouest qui aurait forgé des qualités caractéristiques de l'esprit américain ;
- Frederic Remington (1861-1909) : peintre de scènes de la conquête de l'Ouest.
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Une des premières mesures de protection de la nature est la création du premier parc national naturel au monde, celui de Yellowstone en 1872. Ensuite, le parc Yosemite (Californie) est créé en 1890 notamment grâce à l'action de John Muir. À partir de 1916, les parcs sont gérés par le National Park Service (NPS).
Aujourd'hui, les États-Unis comptent 62 parcs nationaux, dont la superficie représente 2,2 % du territoire et qui totalisent 400 millions de visiteurs par an.
Le président Theodore Roosevelt (1858-1919) joue un rôle majeur pendant ses mandats, entre 1901 et 1909. Passionné dès son plus jeune âge par la nature et les sciences naturelles, il est influencé par John Muir. Il oriente la politique nationale de la protection de la nature et de la gestion des ressources en permettant la création de 150 forêts protégées (675 000 km2), de 5 parcs nationaux et de 51 réserves ornithologiques. L'État fédéral accroît son rôle par le National Reclamation Act (1902) à la suite duquel la construction des barrages et les projets d'irrigation se font sous l'autorité de l'État. Sa présidence est un tournant dans l'histoire environnementale des États-Unis par la sanctuarisation de l'environnement.
L'État fédéral devient un acteur majeur de la gestion environnementale au cours du XXe siècle :
- L'État possède \dfrac{1}{4} du territoire.
- Le rôle du NPS (National Park Service) et de l'EPA (Environmental Protection Agency), créée en 1970, est important.
- Dans les années 1960-1970, une législation environnementale est adoptée : Clean Air Act (1970) et Clean Water Act (1972).
Une opinion publique mobilisée
La protection de la nature est permise également par les actions d'une opinion publique de plus en plus sensible et sensibilisée à ces questions.
Dès les années 1960, la mobilisation de citoyens ou de leaders d'opinion joue un rôle important dans la protection de la nature. C'est le cas avec des figures comme :
- Rachel Louise Carson, une biologiste marine et écologiste qui a écrit une trilogie sur la vie marine dans les années 1950 et Printemps silencieux en 1962. Elle contribue à faire évoluer les pratiques : interdiction de pesticides dans l'agriculture et création de l'EPA.
- Lester Russell Brown, agroéconomiste américain et l'un des précurseurs de la réflexion écologiste.
- Erin Brockovich, qui lutte juridiquement et gagne en 1993 contre l'entreprise à l'origine de la pollution au chlore de l'eau potable à Hinkley en Californie.
- Al Gore, homme politique démocrate et vice-président de Bill Clinton de 1992 à 2000, qui s'est spécialisé dans les questions de nouvelles technologies de l'information et d'environnement. En 2006 sort le documentaire Une vérité qui dérange, dont il est l'acteur et l'orateur, qui montre les conséquences du réchauffement climatique sur la Terre. Il est récompensé du prix Nobel de la paix en 2007 en même temps que le GIEC.
Des ONG dynamiques à l'influence mondiale s'impliquent également dans la protection de l'environnement.
Enfin, des entreprises investissent dans la protection de l'environnement, ayant compris l'importance des questions environnementales, qu'elles soient extérieures au domaine de la protection de la nature (Google, Tesla) ou actives dans l'économie verte. Ces entreprises ont conscience que la transition énergétique est une opportunité de création d'emplois et de profits.
L'intégration des questions environnementales au sein des deux grands partis politiques américains et dans la réglementation de l'État fédéral est réelle au cours du XXe siècle. À l'échelle mondiale, les États-Unis sont même à la pointe de la lutte contre le changement climatique mais, à partir des années 1980-1990, il y a une mutation nette.
Une politique de plus en plus fragilisée et éclatée
Les États-Unis sont devenus un des plus mauvais élèves de la question environnementale à l'échelle mondiale. Les intérêts économiques des États-Unis priment sur l'intérêt global de la planète.
Première économie mondiale, les États-Unis ont un impact majeur sur l'environnement.
Les États-Unis représentent 20 % de l'énergie consommée et 15 % des émissions de GES à l'échelle mondiale.
Si tous les habitants du monde vivaient comme les États-uniens, il faudrait 5 planètes Terre.
Les États-Unis adoptent, dès les années 1990, un positionnement en marge dans la gouvernance environnementale mondiale :
- résolution des sénateurs Byrd et Hagel en 1997 (votée à l'unanimité) affirmant que les États-Unis ne doivent pas signer un texte international sur le climat qui pourrait affecter gravement leur économie ou sans l'engagement des pays en voie de développement ;
- non-ratification du protocole de Kyoto (2001) ;
- sortie de l'accord de Paris (2017) qui devient officiel en novembre 2020 ;
- exploitation, très polluante, des gaz de schiste.
On note une petite amélioration sous Barack Obama (2008-2016) mais l'arrivée de Donald Trump au pouvoir en 2016 a détruit tout son travail.
Les politiques libérales et le désengagement de l'État à partir des années 1980 sont de puissants facteurs de ce changement de cap. La puissance des lobbies des groupes pétroliers, charbonniers et automobiles a eu raison de certaines protections environnementales.
Donald Trump autorise des forages dans les parcs naturels.
De manière plus globale, c'est l'ensemble de la politique extérieure qui est marquée par l'unilatéralisme depuis George W. Bush Junior (années 2000) et le refus de tout accord international qui obligerait les États-Unis à se soumettre à une législation contraignante. Enfin, c'est l'adhésion de plus en plus nette aux thèses climatosceptiques voire la négation totale des thèses environnementalistes sous Donald Trump, depuis 2016, nourries par les lobbies économiques (pétrolier, automobile, etc.) et les Églises évangéliques, méfiantes à l'égard de la science.
« Afin de remplir mon devoir solennel de protection de l'Amérique et de ses citoyens, les États-Unis se retireront de l'accord de Paris sur le climat. […] Je ne veux pas, en conscience, soutenir un accord qui punit les États-Unis […]. J'ai été élu pour représenter les habitants de Pittsburgh, pas de Paris. […] L'accord de Paris saperait notre économie, entraverait nos travailleurs, affaiblirait notre souveraineté, imposerait des risques juridiques inacceptables et nous mettrait en désavantage permanent par rapport aux autres pays du monde. »
Donald Trump
Discours du 1er juin 2017
« [Grâce à Trump] tout le monde sait maintenant que la question climatique est au cœur de tous les enjeux géopolitiques, et qu'elle est directement liée à des injustices et des inégalités. […] Voilà, au moins les choses sont claires, il n'y a plus d'idéal d'un monde partagé. »
Bruno Latour, sociologue et anthropologue des sciences
Où atterrir ? Comment s'orienter en politique
© La Découverte, 2017
Le candidat démocrate aux élections présidentielles de 2020, Joe Biden, a intégré la problématique environnementale dans son programme et n'a pas caché que les États-Unis rejoindraient à nouveau l'accord de Paris s'il était élu, ce qui fut le cas le 7 novembre 2020.
« Aujourd'hui, l'administration Trump a officiellement quitté l'accord de Paris sur le climat. Et dans exactement soixante-dix-sept jours, l'administration Biden le rejoindra. »
Joe Biden
Message du futur président sur Twitter, le jour du retrait effectif des États-Unis de l'accord de Paris, le 4 novembre 2020, au lendemain des élections présidentielles.
Certains États des États-Unis et certaines métropoles s'engagent en faveur de l'environnement pour essayer de compenser ces décisions. Cette compensation se concrétise par une augmentation des budgets environnementaux de certains États et des investissements dans les énergies renouvelables. La Californie est à la pointe de ce combat.
Entre 2007 et 2017, la Californie a investi 22 milliards de dollars dans les start-up d'énergie verte. Du fait de son ensoleillement, la Californie est l'État où l'énergie solaire est la plus développée, elle représente plus d'un tiers de la production d'énergie solaire des États-Unis.
Cela passe aussi par la création de législations contraignantes de certains États. La Californie a décidé en 2006 de respecter le protocole de Kyoto et donc de créer des sanctions financières aux industriels ne respectant pas cet engagement. La Californie a aussi fait voter une loi fixant l'objectif de 100 % d'électricité sans carbone d'ici 2045. En 2017, alors même que le président Donald Trump annonçait le retrait des États-Unis de l'accord de Paris, 10 États (Californie, Virginie, etc.) s'engageaient à réduire leurs GES pour satisfaire cet accord.
De grandes métropoles (San Francisco, New York, etc.) mettent en place des politiques de développement durable (transports doux, consommation d'énergie, gestion des déchets, etc.) et même un réseau associant États, villes et entreprises.
New York s'engage à réduire sa consommation de GES de 85 % d'ici 2050.
« We are still in » est un réseau associant des acteurs variés et à des échelles différentes :
- 10 États fédérés dont la Californie, l'Oregon, l'État de Washington, etc. ;
- 289 villes dont Los Angeles, San Francisco, New York, Chicago, etc. ;
- 353 universités ;
- 2 239 entreprises.